Le tchat (clavardage) comme matériau d’écriture dramatique: réécriture littéraires de l’instantané


Sandrine Bazile, Université de Bordeaux 4

Résumé

Outil de communication synchrone à base textuelle, le tchat est une pratique sociale établie chez les adolescents :il obéit à des codes distincts de ceux de la conversation (Branca-Rosoff, 2007 ; Pierozak, 2003 ; Filatova, 2006), avec laquelle il partage toutefois certaines caractéristiques (immédiateté, spontanéité…). Par ailleurs, le tchat partage avec l’écriture dramatique la contemporanéité de son propos, sa forme dialogique notamment, même si leurs codes linguistiques et culturels divergent.

Si l’hétérogénéité du médium joue un rôle dans le rapport du scripteur à son texte mais aussi dans la linéarisationtextuelle (Plane, 2000), l’outil tchat, parce qu’il partage avec l’oral et l’écrit des propriétés de textualisation, semble constituer une passerelle intéressante entre la conversation et le texte dramatique contemporain. À partir de ces postulats, un dispositif d’écriture littéraire dramatique est proposé en classe de quatrième, dans lequel l’historique du tchat constitue le matériau hétérogène et mobile de la réécriture. L’analyse des discours successifs produits par les élèves (Fabre-Cols, 2002 ; 2004) permet de penser le tchat comme une passerelle multimodale,entre production d’un genre premier (conversation) et d’un genre second (écriture littéraire), suscitant des compétences textuelles nouvelles (Lebrun, Lacelle & Boutin, 2012 ; Fatrez & De Smedt, 2012) et interrogeant le rapport à l’œuvre littéraire et le processus de construction du sens.

Mots clés

Tchat (clavardage), théâtre contemporain, écriture collaborative, réécriture, passerelle multimodale,

Problématique et postulats de départ

Le tchat relève des pratiques de Communication Médiée par Ordinateur1 utilisées pour favoriser les échanges linguistiques et culturels et intéresse donc traditionnellement la didactique des langues (Yun & Demaizière, 2008).C’est d’ailleurs dans ce cadre qu’en tant qu’enseignante de français langue étrangère2, nous l’avons initialement utilisé, en raison notamment de ses avantages avérés en didactique des langues : entrainement aux interactions orales, amélioration des compétences orales et incidence sur la production écrite, développement des compétences métalangagières (Yun & Demaizière, 2008). Ainsi la recherche qui est présentée ici trouve-t-elle son origine dans une intuition de départ forgée au travers d’une double expérience, menée d’une part dans l’animation d’ateliersd’écriture et de pratique dramatiques, notamment dans le second degré, d’autre part dans l’enseignement du FLE.

Au cours de ces ateliers, nous avons souvent fait le constat de la difficulté pour des élèves de collège à écrire des dialogues de théâtre contemporain, constat sans doute peu surprenant si l’on considère la longue tradition de transmission des textes du répertoire classique dans le second degré en France : les élèves de collège sont très peu exposés au théâtre contemporain et ils sont souvent déconcertés par les textes comme par les représentations. Lors de ces tentatives, deux écueils apparaissent de façon récurrente. Le premier écueil est celui du refus de l’oralité : les élèves lancés dans l’écriture de scènes de théâtre contemporain refusent souvent toute trace d’oralité et leurs productions et privilégient la norme d’un français écrit qui n’évite pas toujours l’hypercorrection. Le second écueil est la tentation de la conversation : les productions ne parviennent pas à éviter l’ordinaire d’un échange familier et peinent à revendiquer une stratégie d’écriture, à dessiner en somme la théâtralité du texte dramatique.

Face à ce constat, nous cherchons un dispositif qui puisse permettre de surmonter les difficultés rencontrées : il ne s’agit pas seulement de fournir un déclencheur d’écriture, mais plutôt un matériau de réécriture. Le tchat,considéré en didactique des langues comme « une

1 Les outils de CMO actuels permettent de s’affranchir des supports matériels habituels de l’écrit grâce à des codages numériques. Anis (2003) souligne qu’il s’agit d’échanges dont les messages sont véhiculés grâce à l’alliance de l’informatique et des communications. Le courriel, les forums de discussion, la messagerie instantanée, le clavardage et le Short Message Service (SMS) sont des exemples de CMO.

2 Dorénavant noté FLE.

passerelle entre la compétence de production écrite et celle de production orale » (Yun & Demazière, 2008, p. 257), pourrait intervenir comme un vecteur particulier dans la transposition de l’oral en vue de la production du texte dramatique contemporain.

Cette intuition repose sur un double postulat qui tient au triple statut du tchat, à la fois instrument technologique –fonctionnalité de plateforme en l’occurrence –, processus de textualisation, qui peut être décrit comme un échange spontané écrit, et discours produit, c’est-à-dire résultat de cet échange. En tant que discours produit, le tchat partage avec l’écriture dramatique un certain nombre de caractéristiques, notamment la contemporanéité de son propos, mais aussi sa forme dialogique, même si leurs codes linguistiques et culturels divergent. Notre premier postulat pose donc le théâtre comme mimesis conversationnelle : le dialogue théâtral possède en effet les traits apparents d’une interaction ordinaire, avec des relations de personnes fondées sur le couple je/tu quicaractérisent l’échange conversationnel (Benveniste, 1966), qu’il soit oral ou tchaté, à la différence près que le dialogue théâtral est représenté (Jaubert, 2009) ; il possède en cela une dimension poétique.

Notre second postulat s’appuie sur la réflexion développée par Sylvie Plane (2006) ; à son instar, nous postulons que l’hétérogénéité du médium joue un rôle dans le rapport du scripteur à son texte, dans la linéarisation textuelle. Le choix d’un instrument d’écriture – véritable « partenaire de l’écriture », non « interchangeable » (Plane,2006, p. 33-34) – engage en effet un rapport affectif particulier avec le scripteur. Il est également un « outil intellectuel qui influe sur le texte » (Plane, 2006, p. 37) : l’écriture sur traitement de texte entraine le scripteur à réaliser des opérations différentes de celles qu’il effectue en écriture manuscrite en cela qu’elle « autorise le déplacement et le remplacement de segments », et donc « une plus grande mobilité du texte » (Plane, 2006, p. 37-38). Ainsi l’activité de production textuelle se décline-t-elle sous trois formes principales de linéarisation qui dépendent du médium utilisé (Plane, 2006) : l’oral, qui ne permet pas le retour en arrière et fait se succéder les tentatives de formulation ; l’écriture manuscrite, qui enregistre au fur et à mesure du flux scriptural l’avancée du texte et conserve la trace des changements, mais aussi l’ordre de la production ; l’écrit sur ordinateur, qui permet le retour en arrière et la délinéarisation du flux scriptural. Cette dernière forme permet de « donner au texte une épaisseur virtuelle qui l’inscrirait dans plusieurs dimensions, en autorisant véritablement la mobilité de l’écriture » (Plane, 2006, p. 39). Bien que relevant d’un écrit informatique, le tchat ne semble pas pouvoir s’inscrire dansle dernier modèle proposé ici. En effet, il

n’autorise pas, comme l’écrit sur traitement de texte, de retour en arrière ; en cela il se rapprocherait plutôt du principe de linéarisation de l’oral, dans lequel « se succèdent les tentatives de formulation » (Plane, 2006, p. 39), les ruptures et les reprises du flux conversationnel. Cependant, à la différence de l’oral, il conserve, à l’image de l’écriture manuscrite, la trace et l’ordre de cette production.

C’est précisément cette caractéristique qui retient notre attention et permet de penser le tchat comme une forme conversationnelle écrite, une sorte d’oral transcrit, même si la réalité n’est pas aussi simple que cela, comme nous le verrons plus loin. A partir de ces deux postulats, il semble intéressant de considérer l’historique du tchat, récupéré sur un logiciel de traitement de texte, comme un matériau de réécriture possible : par sa complexité, le tchat apparait donc comme un outil de production textuelle intéressant, notamment dans le cadre d’une écriture dialogale3, précisément parce qu’il présente des caractéristiques empruntées à des formes de

3 Nous distinguerons l’écriture dialogale en tant que telle et la dimension dialogique de cette écriture : le dialogue, ou le « dialogal » (Bres & Nowakowska (2006, p. 35-36), se caractérise par l’alternance de tours in praesentia, par l’intrusion du paraverbal, l’enchainement d’énoncés antérieurs et postérieurs liés à une temporalité de l’instance du dire partagé par les locuteurs. La dimension dialogique, qui seréalise en

« dialogisme interlocutif » – à partir du dire de l’allocutaire dans la scène dialogale – et « dialogisme interdiscursif » – à partir de sarelation avec l’extériorité, comme le « déjà dit » d’autres discours, concerne l’acte coénonciatif consistant à écrire un texte à deux.

linéarisation multiples : si le tchat procède de deux formes de linéarisation textuelle, l’historique du tchat, récupérésur traitement de texte, peut être considéré comme un matériau de réécriture mobile « autorisant les retours en arrière » (Plane, 2006, p. 39).

De ces deux postulats émergent deux hypothèses. D’une part, en interrogeant les caractéristiques des trois types de production – dialogue conversationnel, tchat et dialogue théâtral –, des similitudes formelles permettent de les rapprocher et de penser l’historique du tchat comme une passerelle possible entre échange ordinaire et dialogue théâtral, entre production liée à l’activité humaine et production littéraire.

Figure 2 : Le tchat comme passerelle multimodale

Le tchat et sa réécriture seraient une passerelle multimodale, entre production d’un genre premier (conversation) et d’un genre second (écriture littéraire dramatique) suscitant des compétences textuelles nouvelles et interrogeant de fait le rapport à l’œuvre littéraire et le processus de construction du sens.

De quelques précisions utiles pour confirmer ces intuitions premières…

Une réécriture multimodale

La réécriture du tchat se présente à la fois comme la reprise d’un brouillon et comme une adaptation, c’est-à-direcomme le passage d’un genre à un autre. Or, cette adaptation participe d’une écriture multimodale : elle conjugueà la fois « l’ensemble des possibilités techniques

de communication médiatique (langue écrite, images fixes et mobiles, musique, sonorités, parole) [et] articule, dans un tout cohérent, le croisement original et complexe du mot, de l’image, du geste/mouvement et de la sonorité, qui inclut la parole [pour parvenir ] à la combinaison de différents modes sémiotiques, (…) en vue de la production d’un objet, ou d’un évènement, communicatif » (Lebrun, Lacelle & Boutin, 2012, p. 3). Le tchat et sa réécriture constituent ce croisement original entre trois formes de linéarisation, mais aussi la combinaison et non l’opposition de deux formes de littératie, l’une servant de tremplin à l’autre : la littératie traditionnelle, « dominée par l’écrit » (Lebrun, Lacelle & Boutin 2012, p. 4), incarnée ici par le théâtre contemporain – à supposer que le théâtre contemporain puisse incarner cette littératie traditionnelle –, et la multilittératie, que constituent précisément le tchat et sa réécriture. Cette transmutation d’un genre à l’autre, d’un mode à l’autre, induit des compétences multimodales variées liées à un contexte de production inédit et complexe : stratégies d’organisation et de tri critique, compétences technologiques – à savoir l’accès aux instruments et leur appropriation –,compétences multimodales à proprement parler, c’est-à- dire des capacités à lire, à écrire et à communiquer sur des supports médiatiques variés (Lebrun, Lacelle & Boutin 2012). A leur tour, Pierre Fastrez et Thierry De Smedt (2012) proposent une description matricielle des compétences en littératie médiatique, modèle qui nous semble pouvoir s’adapter au statut particulier du tchat, à la fois objet technique et objet social en distinguant quatre domaines de compétences – écriture, lecture, navigation et organisation– et trois dimensions de réalisation de ces compétences médiatiques – informationnelle, technique et sociale. Parmi ces compétences, trois d’entre elles retiennent notre attention et semblent pouvoir être reliées de façon pertinente à l’objet social et technique qu’est le tchat : le tchat et sa réécriture mettent en effet en jeu des compétences de lecture, d’écriture et d’organisation.Pour Pierre Fastrez et Thierry De Smedt (2012),

« l’organisation d’objets sociaux concerne la capacité à organiser des relations médiatisées, à la fois en tant que récepteur (se situer par rapport à différentes manières de lireun document médiatique) et en tant qu’interactant (organiser les contacts et les interactions qui sont créés et entretenus par les médias numériques) » (p. 55). La matrice proposée par Pierre Fatrez et Thierry De Semdt (2012) souligne l’intérêt de relier cette compétenced’organisation au domaine social. Dans la perspective de notre dispositif de recherche, cette capacité à organiser s’appuie sur une compétence déjà observée chez les adolescents, hors de l’école, confrontés à des « modes sémantiques et des supports technologiques toujours plus diversifiés, originaux, interactifs et complexes »(Lebrun, Lacelle & Boutin, 2012, p. 1) :

« Buckingham (2005) démontre que les jeunes développent une littératie médiatique même en l’absence de moyens de l’encourager » (Lebrun, Lacelle & Boutin, 2012, p. 6). Les élèves amenés à lire, écrire, décoder, réorganiser le tchat dans une situation d’apprentissage, en classe, le font en formalisant ces opérations. La mise en œuvre de la compétence liée au domaine de l’organisation et sa conscientisation autorisent sans doute le transfert de cette habileté vers la littératie traditionnelle.

Le tchat, genre premier ou genre second ?

Pour confirmer ces hypothèses, il convient tout d’abord de redéfinir les caractéristiques des genres en présence, en particulier les caractéristiques du matériau d’écriture, objet de l’adaptation – le tchat – et de son adaptation – le théâtre contemporain. Si l’on reprend l’opposition genre premier/genre second proposée par Mikhaïl Bakhtine (1984/1952-1953), on pourrait aisément opposer le genre conversationnel, genre premier relevant de la communication familière et « spontanée » (Branca-Rosoff, 2007, p. 13), au texte dramatique contemporain, genre second, relevant d’une forme de communication plus complexe en l’occurrence ici d’un genre littéraire et résultant d’une transmutation d’un « genre premier (simple) (…) qui [s’est] constitué dans les circonstances d’un échange verbal spontané (Bakhtine, 1984/1952-1953, p. 267). Dans notre cas, le théâtre contemporain apparait comme un genre second, transmutation poétique de l’oral conversationnel en dialogue théâtral. Par ailleurs, le tchat – lacréation québécoise du mot-valise « clavardage » est sans doute à ce titre plus explicite4 – qui est un bavardage sur clavier, tient une place particulière au sein de cette typologie. Sonia Branca-Rosoff (2007) souligne à ce propos le caractère peu opératoire de cette opposition entre genre premier et genre second pour le tchat en soulignant l’importance du médium et notamment le rôle primordial de la matérialité de ce médium dans la transmission du message : le morcellement des messages, l’absence de macrostructure transposable – le tchat se présente plutôt comme une « succession de micro unités » (Branca- Rosoff, 2007, p. 135) – rendent impossible, selon elle, lerepérage d’une structure alors même que le tchat apparait bien comme une forme éminemment codifiée.

4 L’anglais chat signifie bavarder. La forme tchat est probablement le résultat d’un croisement ente le mot tchatche – lui-même issu de l’argot pied-noir et dérivé de l’espagnol chacharear (bavarder) – et l’anglais chat, surement par proximité phonétique et sémantique. La forme tchat est donc la forme francisée de ce terme. Sur les réseaux sociaux, l’outil est appelé messagerie instantanée (Facebook), plus rarement dialogue en ligne ou salon de discussion.

Plus intéressante est la typologie proposée par Dominique Maingueneau (2004), qui distingue deux grands régimes de généricité : les genres conversationnels et les genres institués. Les genres « conversationnels » ne sont pas étroitement liés à des lieux institutionnels, à des rôles, à des scripts relativement stables ; ils sont caractérisés par une« composition et [une] thématique (…) en général très instables et [dont le] cadre se transforme sans cesse : ce sont les contraintes locales et “horizontales”, c’est-à-dire les stratégies d’ajustement et de négociation entre lesinterlocuteurs, qui l’emportent. » (Maingueneau, 2004, § 85). Les genres

« institués » sont eux-mêmes subdivisés en « routiniers » et en « genres auctoriaux », qui sont le fait de l’auteur lui-même et dont le caractère auctorial se manifeste par une indication paratextuelle, dans le titre ou le sous-titre, par exemple. Les genres routiniers possèdent des rôles fixés a priori et normalement inchangés pendant l’acte de communication, des scripts plus ou moins contraignants et des situations de communication plus ou moins ritualisées (Maingueneau, 2004). On voit bien l’intérêt de cette classification dans notre situation : le tchat apparait suffisamment routinier et ritualisé pour que ses caractéristiques soient facilement identifiables par le scripteur. Les adolescents qui pratiquent les tchats, les lisent et les écrivent en participant régulièrement à des conversations instantanées au sein des réseaux sociaux connaissent intuitivement ces codes, les maitrisent même. Ainsi ladescription précise de ces codes permet-elle le rapprochement avec d’autres formes qui peuvent de prime abord apparaitre voisines, telles que la conversation ou le théâtre contemporain. Au sein de notre dispositif, la description formelle de ces trois genres apparait ainsi comme un élément préalable ou concomitant de l’adaptation générique : leur étude successive permet de faire apparaitre, de façon systématique, les ressemblances et les divergences entre ces trois types de textualisation, conversation orale, historique du tchat et théâtre contemporain ; ces ressemblances et divergences seront condensées dans le Tableau 2 de synthèse.

Le théâtre contemporain, une parole « trouée »

Le théâtre contemporain peut être avant tout décrit comme un genre éminemment complexe parce qu’éminemment hétérogène (Bernanoce, 2009). La première forme de brouillage concerne le genre, brouillage diversement qualifié par la critique – « hétérogénéité et hybridation génériques » (p. 27) ou encore composition « kaléidoscopique » (p. 25) pour André Petitjean (2009), éclatement des genres (Parisse, 2011; Petitjean, 2009 ; Bernanoce, 2009). AndréPetitjean définit ainsi le théâtre contemporain comme une forme de récit de

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l’intime, sorte de « narration-remémoration » de faits passés (2009, p. 23) ; citant Mikhaïl Bakhtine, André Petitjean (2009) rappelle le monologisme fondamental sur lequel repose le dialogue dramatique, monologisme dénaturalisé par les auteurs dramatiques contemporains grâce à des procédures très diverses :

  • phénomènes de dé-parole qui se présentent sous la forme de monologues, de

« plaintes chorales » (p. 25) ou de silences… ;

  • phénomènes de poly-parole – paroles saturées de dialogisme – ;
  • phénomènes de sur-parole qui incarnent la dimension métalinguistique du texte ;
  • phénomènes de sous-parole – le plus souvent lapsus – ;
  • phénomènes de pluriglossie qui se traduisent par une intrusion du parler populaire. Tous ces phénomènes renvoient à des transgressions de la réversibilité dialogale : l’échange n’est pas, dans le théâtre contemporain, réductible à des répliques imputables à chacun des personnages et le propos peut être revendiqué par uneentité plus complexe. La parole théâtrale est une parole complexe, brouillée par nature ; dans le théâtre contemporain s’abolit la ligne de partage « entre le personnage et l’acteur-l’auteur-le spectateur, entre le lieude l’action et la scène. Il y a interférence, interpénétration, mixage, brouillage des plans où la parole seprononce. La fiction théâtrale est mise en abyme » (Vinaver, 1993, p. 908). Le théâtre contemporain constitue ainsi une parole adressée avec un emboitement des « circuits énonciatifs » (Petitjean, 2009, p. 26).

Il en découle une quadruple conséquence, d’une part la dilution du personnage, d’autre part la déconstruction du système didascalique (Petitjean, 2009 ; Bernanoce, 2009), en outre, la production d’un texte dramatique « troué » (Parisse, 2007 ; Petitjean, 2009), « miroir de notre société et de nos comportements langagiers » (Parisse, 2011, p. 116) ; enfin le texte dramatique contemporain semble se défaire des normes stylistiques littéraires classiques, notamment à travers le recours à une syntaxe orale, fragmentée, faite d’échos, de répétitions.

La complexité du théâtre contemporain tient ainsi surtout à sa fragmentation tant sur le plan narratif – phénomènes de ruptures dans l’économie du récit (analepses, ellipses, polyphonie, répétitions…) que sur le plan discursif, comme nous l’avons vu plus haut. Le texte contemporain se présente comme les différentes pièces d’un puzzle qui est une « présentation du monde, de sa fiction comme un analogon de l’état chaotique de notre monde de référence » (Petitjean, 2009, p. 25). De ce fait, le brouillage touche aussi aux chronotopes

diégétique et mimétique : dissolution des repères spatio-temporels disparition des didascalies fonctionnelles…

Le tchat, « loi du moindre effort » et « expressivité »

Intéressons-nous à présent aux caractéristiques formelles et linguistiques du tchat dont les avantages en didactique des langues sont avérés : entrainement aux interactions orales, amélioration des compétences orales et incidence sur la production écrite, notamment en favorisant les compétences métalangagières (Yun & Demaizière, 2008). Notons que le terme désigne à la fois la fonctionnalité, l’acte même et le résultat de l’échange ; outil de communication synchrone à base textuelle, il constitue une pratique sociale établie chez les adolescents notamment à travers l’outil « discussion instantanée » de Facebook. L’usage majoritaire de l’internet pour ces jeunes est communicationnel : la messagerie instantanée – en particulier celle qui est intégrée à Facebook – est utilisée par 90% des lycéens et 60% des collégiens (Marcoccia, 2011). Le tchat permet d’envoyer soit des messages publics vers tous les participants, soit des messages privés visibles seulement par leur destinataire. Le plus souvent, les participants du tchat disposent d’un pseudo – un nom différent du leur qui garantit leur anonymat – ou d’un avatar – une image qui permet leur repérage immédiat dans la conversation6. Anis (20037) définit ainsi les caractéristiques du tchat, qui fait partie de la communication électronique scripturale :

[i]l s’agit d’un espace public (avec des niches privées), auquel on accède, pour certains sites, librement en choisissant un pseudonyme, pour d’autres moyennant une inscription. Il s’agit d’une communication collective dans son principe mais essentiellement interindividuelle dans son fonctionnement réel.

Jacques Anis (2003) définit cette nouvelle variété du français écrit comme :

[u]n écrit brut (sans relecture), familier (alors qu’on associe habituellement écrit et formalisme), affectif (expression des sentiments favorisant le relâchement du contrôle), ludique (s’exprimant par la néographie, le jeu de mot), socialisant (dominance de la fonction phatique dans les messages, partage de codes communs), caractéristiques qu’il partage sans doute en partie avec la conversation orale.

6 Dans le cas de notre dispositif, les élèves ont conservé leur prénom et ont choisi comme avatar une image qui permet leur identification sur la plateforme collaborative ; le copier-coller de l’historique du tchat dans le logiciel de traitement de texte ne conserve que le descriptif de l’image et non l’image elle-même ; par ailleurs le descriptif de l’image est suivi de l’heure et du prénom de l’élève en lettres capitales : « chat sniper 14:21 GAETAN: aaaaaahhhhhhhh »

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Le tchat se caractérise d’abord par un souci de rapidité (Yun & Demaizière, 2008) ; il s’agit de répondre le plus vite possible à son interlocuteur de façon à réduire le délai de réponse et simuler le plus possible l’aspect synchrone d’une conversation, l’immédiateté de la transmission des textes : « rédiger un message bref augmente le rythme de la distribution de la parole et le dynamisme de l’interaction en temps réel » (Yun & Demaizière, 2008, p. 258). En cela, le tchat reprend les caractéristiques de l’oral que rappelle Claire Blanche-Benveniste et Mireille Bilger (1999, p. 22) : « loi du moindre effort » et « expressivité ». Ainsi les caractéristiques formelles de cet écrit sont-elles celles de « l’oralité (les effets d’oralité en fait) » (Anis, 2003). Ainsi apparaissent de nombreux marqueurs de familiarité, avec notamment l’utilisation d’un vocabulaire familier et argotique, « typique du registre écrit familier et du “langage internet” » (Marcoccia, 2010/2, p. 148).

De fait, on constate très souvent l’élimination de la norme de l’écrit au travers de :

  • la réduction de la longueur du message grâce à l’utilisation d’abréviations (apocopes, aphérèses, syncopes, etc.), de troncations, d’acronymes ou d’anglicismes (Crystal, 2001), grâce aux réductions graphiques (Anis, 2003) qui tendent souvent à proposer une graphie générique (utilisation de la graphie d’un homophone plus simple, abandon des marques de personne, de pluriel…) ;
  • l’abolition presque totale de la ponctuation (Filatova, 2006) – c’est le cas pour la ponctuation faible principalement –, et l’abandon presque systématique des accents et signes diacritiques comme la cédille – toujours par souci de rapidité – ;
  • la mise à mal des règles orthographiques8 accompagnée de phénomènes de néographie9 (Yun & Demaizière, 2008 ; Anis, 2003) avec notamment le recours à une transcription phonétique des sons – Jacques Anis (2003) parle de « graphies phonétisantes » comportant le plus souvent des réductions graphiques10 –, voire à une « imitation écrite approximative d’une prononciation » : « ce régime visuel permet aux participants d’entendre mieux ce qu’on prononce au-delà de l’écran » (Yun & Demaizière, 2008, p. 258) ;

8 Parfois, il s’agit, à l’image des lapsus linguae ou scriptae, de simples « trébuchements » de doigt, des accidents de clavier, qu’il faudrait appeler lapsus digiti…

9 Anis (2003) désigne sous le terme de néographies toutes les graphies s’écartant de la norme orthographique.

10 Voir à ce propos la classification très précise de Jacques Anis (2003) : http://rhrt.edel.univ- poitiers.fr/document.php?id=547.

  • le recours à une syntaxe orale qui se traduit par :
    • une énonciation caractéristique du discours : prédominance des pronoms « je » et « tu » temps du discours (Benveniste, 1966), emploi des déictiques, actualisation du discours (Krier, 2000),recours au pronom « on » au lieu de

« nous », apostrophes ;

  • la prédominance de la fonction phatique (Marcoccia, 2011) ;
    • une simplification de la syntaxe (Yun & Demaizière, 2008) qui concerne principalement les formes négatives – recul de « ne » de négation – et les phrases interrogatives – abandon des tournures par inversion du sujet – mais aussi l’abandon du pronom impersonnel ou personnel « il » (« il y a »devient

« y a » et « qu’il » devient « ki ») ;

  • la préférence donnée à la parataxe au lieu de l’hypotaxe pour l’écrit (Krier, 2000), une grammaire fondée sur le rythme (Blanche-Benveniste & Bilger 1999) ; cela va de pair avec :
    • la prédominance des phrases courtes : mots-phrases, adverbes-prédicats (Krier, 2000) ;
    • des phénomènes de reprises et de pauses signalés dans le tchat par les retours à la ligne, les copier-coller ;
    • des phénomènes de redondance ou de répétition11 ;
    • des phénomènes de mises en relief par thématisation et détachement (Blanche-Benveniste & Bilger,1999 ; Krier, 2000) ;
    • la présence de commentaires ou de parenthèses, sortes d’énoncés secondaires qui viennent ponctuer le discours principal ; certains de ces commentaires sont d’ordre métalangagier, et portent « sur la qualité orthographique des messages ou leur clarté » (Marcoccia, 2011) ;
    • des énoncés inachevés, en suspens, prononcés sous forme de bribes (Blanche-Benveniste & Bilger,1999).

Le tchat se caractérise également par un fractionnement syntagmatique ; ce fractionnement est dû aux fréquentsretours à la ligne qui correspondent aux appuis machinaux sur la touche

« entrée » du clavier. Ces alinéas correspondent aussi à une volonté d’occuper l’espace graphique et viennentperturber le rythme de l’échange (Pierozak, 2003). Ces phénomènes de

11 Ces deux derniers aspects ont partie liée avec le phénomène des retours à la ligne.

retour à la ligne et de segmentation sont plus fréquents chez les adolescents (Pierozak, 2003). Un délai – dû à la vitesse d’utilisation du clavier, mais aussi du serveur à transmettre les messages – est ainsi instauré, provoquant la perte de synchronicité des messages et créant un décalage qui perturbe souvent leur intelligence (Pierozak, 2003).En outre, interjections, onomatopées, allongements de voyelles – encore appelés étirements graphiques (Anis, 2003) ou caractères échos (Marcoccia, 2011) – majuscules ou répétitions de signes de ponctuation modalisante – points d’exclamation ou d’interrogation – parcourent régulièrement les tchats comme autant de phénomènes de compensation de la dématérialisation de la relation et viennent souligner l’expressivité. Dans ce registre, les émoticônes (smileys), qui ponctuent et commentent les échanges, ont un rôle complexe. Utilisés plus fréquemment par les collégiens que les lycéens, ils servent « à créer et à maintenir une situation et une atmosphère de sociabilité» (Marcoccia, 2011). Smileys de connivence, smileys expressifs, smileys relationnels participent autant de la construction d’un code communautaire ou que de compétences spécifiques, comme les compétences expressive, ludique, et relationnelle (Marcoccia, 2011).

Enfin, le tchat présente un certain nombre de reprises et répétitions qui ont un double statut ; elles participent d’abord d’un souci d’occupation du canal, mais également peuvent témoigner d’un recours à la facilité :l’utilisation du copier-coller de la réplique précédente ou de ses propres répliques permet de rester présent et actif dans le tchat, faute de pouvoir toujours être pertinent ou percutant, car dans ce salon virtuel qu’est le tchat, il s’agit sans doute aussi de briller. Jacques Anis (2003) souligne d’ailleurs le caractère ludique du tchat : la langue du tchat est en effet une langue créative, comme en témoignent les formes de néographie et les jeux sur le sens des mots. Le tchateur cherche souvent à avoir le dernier mot ou à prendre le dessus sur son interlocuteur12 ; s’il peut le faire en occupant le canal – répétitions, reprises de répliques –, il peut également le faire en recherchant la réplique qui fera mouche : les conversations instantanées fourmillent de formules synthétiques, de

« réparties » ou de saillies, d’« accidents » de langue. A l’image de ce qui se passe dans les forums, « la blague, le jeu de mots, la moquerie (…), l’échange de “vannes” » sont des rituels auxquels se livrent certains participants (Marcoccia, 2011). Nos élèves ne font pas exception à cette règle.

12 Cette tendance n’est pas sans évoquer la tendance des adolescents à vouloir prendre le dessus dans une conversation, à vouloir avoir ledernier mot ; dans leur vocabulaire, ils désignent cette tendance par les verbes

« casser », « bâcher ».

Tableau 1 : Analyse formelle du tchat

Exemple de tchat produit au cours de la phase 1 de l’expérimentation

Analyse formelle

aurillac 2010 14:21 BENOIT: mdr!

[…]

Logogrammes / paralogogrammes

mdr = mort de rire

chat sniper 14:22 GAETAN: c anglais Syllabogramme / rébus à transfert

chat sniper 14:22 GAETAN: bon on fout quoi aurillac 2010 14:22 BENOIT: oui ca va j’avais compris

[….]

Fonction phatique Simplification de la syntaxe Parataxe

Segmentation / retour à la ligne

chat sniper 14:23 GAETAN: pourquoi on s’engeule c vrai ça Suppression de la ponctuation

Utilisation du « on » au lieu du « nous » Syllabogramme / rébus à transfert

tony parker the King of BASKET BALL 14:23: FABIEN J***

vient d’arriver dans ce chat

Retour à la ligne / segmentation Mots-phrases, adverbes-prédicats Fonction phatique

aurillac 2010 14:23 BENOIT: pour rigoler

chat sniper 14:24 GAETAN: c’était drole

chat sniper 14:24 GAETAN: bon le sujet

aurillac 2010 14:24 BENOIT: tu lbagues?? Lapsus digiti

Inversion involontaire des deux premières lettres de « blagues »,due à la vitesse de frappe

aurillac 2010 14:24 BENOIT: scuse me fabien Anglicisme

tony parker the King of BASKET BALL 14:25 FABIEN: bon les

boulet raconter nous votre lifre

Réduction graphique

Infinitif mis pour valeur par défaut des formes verbales en /e/ ou /7/ Disparition de la marque du pluriel pour

« boulet »

Lapsus digiti

aurillac 2010 14:26 BENOIT: TU SAIS CE KI TE DIT LE BOULET?????

Réduction graphique Détachement, mise en relief ki = qu’il

tony parker the King of BASKET BALL 14:26 FABIEN: j’men Elisionfou Suppression de l’apostropheSimplification de l’orthographe Fou devient la graphie générique de« fous » (abandon de la marque de personne)

aurillac 2010 14:26 BENOIT: COMME PAR HASARD…

[…]

Utilisation des majuscules Énoncé inachevé

aurillac 2010 14:30 BENOIT: merci du compliment!!xDD Xdd correspond à un smiley (ou

émoticône) signalant l’éclat de rire (équivalent de lol) et l’ironie dupropos

chat sniper 14:30 GAETAN: on est la pour ça eheh Suppression des accents

Exemple de tchat produit au cours de la phase 1 de l’expérimentation

Analyse formelle

tony parker the King of BASKET BALL 14:31 FABIEN: beni,

nelson faut que je vous dise un truc

Troncation Beni mis pour benoit

Simplification

Mis à part les caractéristiques formelles propres aux deux genres – notamment avatars, émoticônes et phénomènes de néographies pour le tchat et didascalies et organisation du texte dramatique13 – qui apparaissent immédiatement comme des différences, un certain nombre de similitudes est ainsi mis au jour. Les propriétés synthétisées dans le tableau ci-dessous retiennent notre attention et permettent d’établir une matrice comparative.

Tableau 2 : Synthèse

Conversation orale Tchat Théâtre contemporain

Médium · Oral

  • Fugitif
  • Écrit éphémère
  • (Pas de conservation a

priori des historiques)

  • Fixé par l’écriture
  • Destiné à être oralisé
  • Spontané                  ·     Pas de reprise
    • Réflexive a priori
    • « Destruction des normes

littéraires » (Yun & Demaizière, 2008, p.

258)Langue créative

  • Synchrone                ·     Synchrone
    • Avec léger différé
  • Littérature
    • Théâtralité / représentation
    • Intention poétique
  • Variable

Contenu · Thème libre

  • Grande liberté de

l’interlocuteur

  • Thème imposé
  • Variations
  • Respect présumé de la nétiquette
  • Progression thématique
  • Liberté liée à la création

Syntaxe / parole

  • Syntaxe orale
  • Lapsus linguae
  • Expressivité
  • « Langue écrite tirée dans la direction de la parole » ((Yun & Demaizière, 2008, p.

258)

  • Segmentation
  • Lapsus digiti
  • Compensation de la perte

d’expressivité par l’insertion de smileys ou le redoublement de signes de ponctuation….)

  • Syntaxe orale
  • Normes littéraires battues en brèche
  • Fragmentation (ruptures,

répétitions…)

  • Dialogisme (dé-parole, sur- parole, sous-parole, pluriglossie…)

13 La macrodidascalie, telle que Sanda Golopentia (1994) la définit, est une indication qui affecte la pièce en son entier, découpage en actes, tableaux ou scènes composant celle-ci.

Le dispositif

Le dispositif d’écriture qui est imaginé est un dispositif de réécriture à partir d’un historique de tchat ; à ce titre, il peut être considéré comme un dispositif d’écriture multimodale au sens où il fait intervenir plusieurs modes sémiotiques pour concevoir un événement et objet sémiotique (Lebrun, Lacelle & Boutin, 2012) ; il s’oppose encela à la littératie traditionnelle, centrée exclusivement sur le langage et un mode d’expression en particulier (Lebrun, Lacelle & Boutin, 2012), puisque déployé à partir de plusieurs modes de transmission de messages – le langage oral, le langage textuel et le langage tchaté – ou de représentation – le théâtre contemporain –, autorisant l’imbrication de trois médiums différents et « le croisement original et complexe du mot, de l’image, du geste/mouvement et de la sonorité, qui inclut la parole » (Lebrun, Lacelle & Boutin, 2012, p. 3). Il s’agit ici d’utiliser la diversité des possibilités techniques permettant de médiatiser différentes formes pour communiquer (Lebrun, Lacelle & Boutin, 2012).

Sujets

Le dispositif que nous imaginons est un dispositif de lecture-écriture ; le projet d’écriture littéraire est mené antérieurement au projet de recherche. Il s’agit d’un atelier d’écriture littéraire dramatique proposé au troisième trimestre dans une classe de quatrième sur le principe du projet pédagogique. La classe concernée est une classe de 25 élèves d’un établissement périurbain d’une grande ville de province présentant des résultats au DNB14supérieurs à la moyenne académique ; la classe concernée est une classe d’un très bon niveau, CSP15 et nombre d’options en langue tous deux supérieurs à la moyenne de l’établissement.

Instruments

L’instrument utilisé est la plateforme Moodle parce qu’elle offre un espace sécurisé sur le serveur de l’établissement accessible aux seuls élèves de la classe porteuse du projet et une fonctionnalité tchat accessible seulement au sein de l’établissement scolaire ; ce qui permet de conférer à cette fonctionnalité le statut d’outil pédagogique et non celui d’espace social.

14 DNB : Diplôme National du brevet passé en fin de classe de troisième.

15 CSP : catégories socioprofessionnelles

Déroulement

Un travail préalable est mené sous la forme d’une séquence autour de l’héritage de « L’Esprit des Lumières » ; en écho à cette séquence, un travail d’accompagnement au spectacle et la lecture de textes de théâtre contemporain pour la jeunesse, notamment autour de l’étude de Cent culottes et sans papiers de Sylvain Levey16, sont menés à la fois comme initiation au théâtre contemporain et comme prolongement autour des questions de différence et de tolérance.

Parallèlement à ce travail, une heure de vie de classe est organisée dans la perspective d’une résolution de conflit ; à l’origine de ce conflit, des tensions entre différents groupes de la classe, des clans et des témoignages répétés d’intolérance. Cette heure de vie de classe est menée sur le modèle du débat de classe. Des bribes de ces échanges sont conservées au tableau, phrases clés prononcées au cours de la séance de résolution de conflit : « Arrête – J’ai pas fait exprès – A qui je ressemble ? – Pourquoi tu pleures ? – Les filles, c’est compliqué… » ; elles reflètent les idées reçues véhiculées par les adolescents au cours de la discussion, mais aussi les avancées de la discussion, parfois même des bribes de conversation parasites, témoignages des différentes postures adoptées durant la séance par les adolescents. Elles seront utilisées en tant que déclencheurs des discussions de chaque tchat.

La troisième étape du travail concerne l’écriture du tchat qui se présente comme un dispositif de lecture-écriture ; notre dispositif d’écriture s’appuie sur le principe de la création d’une communauté d’auteurs au sein de la classe(Tauveron & Sève, 2005) et repose sur une dialectique entre lecture et écriture en suggérant d’ « apprendre à identifier les moyens convoqués pour produire les effets perçus et à rapporter ces moyens à des intentions d’auteur inscrites dans le texte » (Tauveron & Sève, 2005, p. 21). De l’organisation matérielle dépend le bon déroulement de la première étape de l’écriture notamment. Des groupes de trois ou quatre élèves sont constitués en fonctiondes tensions apparues lors de la situation de

16 À travers l’évocation de vêtements oubliés dans la cour de récréation, Sylvain Levey explore l’histoire de l’école française, de la communale de l’après-guerre au collège d’aujourd’hui ; derrière ces chroniques en apparence anodines se cachent des événements plus graves, drames de l’histoire de France et drames de tous les jours ; des sans-culottes aux sans-papiers, des questions contemporaines – tolérance, exclusion, fraternité… – parcourent le texte qui se présente comme un monologue polyphonique : comment la belle devise héritée de la Révolution française, Liberté-Égalité-Fraternité, résonne-t-elle encore dans cette cour vide où ne subsistent que ces cent culottes, comme autant de vestiges de ces principes républicains ?

résolution de conflit et des déclencheurs et de courtes phrases ou groupes de mots en rapport avec le temps mêmede la discussion sont attribués à chaque membre du même groupe sous la forme d’un papier découvert au débutdu tchat ; chacun des membres des différents groupes découvre également au début du tchat l’identité de ses interlocuteurs : chacun des participants d’une discussion n’a accès, sur Moodle, qu’à son propre groupe, composé en fonction des tensions mises au jour. Chaque élève est seul devant un poste informatique, les élèves étant répartis dans deux salles informatiques, chacune surveillée par un adulte. Les élèves reçoivent la consigne suivante: aucun échange oral n’est autorisé, seuls les échanges au sein du tchat sont permis. Le temps imparti au tchat est de 30 minutes ; ce qui correspond à une séance d’une heure, temps d’installation compris.

La quatrième étape du dispositif consiste en la réécriture à partir des historiques des différents tchats qui deviennent ainsi le matériau hétérogène et mobile de la réécriture dramatique. Les règles de réécriture sont alors fixées : la réécriture est assurée par un autre groupe que celui qui a produit le tchat ; aucun rajout n’est autorisé, hormis les didascalies, la ponctuation et les corrections formelles en matière d’orthographe17 – ; seuls sont autorisés les suppressions, déplacements (y compris avec échange de réplique) et répétitions. Nous empruntons à Claudine Fabre-Cols (2002 ; 2004) qui a travaillé dans les années 2000 sur des brouillons d’élèves de cycles 2 et 3 et du début du collège, quatre procédures majeures d’écriture ou de réécriture : les déplacements, les remplacements, les ajouts, les suppressions (de mots, texte, séquences syntaxiques, etc.). Deux réécritures successives sont prévues, dont la seconde après oralisation de l’état intermédiaire : cette oralisation correspond à une lecture des tableaux, et a pour objectif d’éprouver la « théâtralité » du texte produit. Un temps d’écriture collective est enfin dévolu à l’écriture du prélude didascalique, dont l’objectif est de vérifier la cohérence du propos d’ensemble.

Méthode d’analyse des résultats

Depuis l’« émergence [des brouillons] comme qu’objets didactiques » (Fabre-Cols, 2004, p. 13), la didactique de l’écriture a « bénéficié des travaux de la linguistique génétique, ou plus récemment génétique des textes » (Fabre-Cols, 2004, p. 14). A l’appui de ce cadre, l’analyse des résultats repose sur l’étude comparative des trois états dutexte, l’historique brut du tchat,

17 Les corrections qui portent sur la syntaxe ne sont autorisées que si la tournure perturbe la compréhension de la phrase ; la syntaxe orale doit être conversée.

l’état intermédiaire avant oralisation, considérés tous deux comme brouillons, et l’état publiable. La confrontation de ces différents états du texte permet d’établir un certain nombre de convergences-divergences formelles – linguistiques, génériques. Cette confrontation articule aux quatre procédures de réécriture définies par Claudine Fabre-Cols (2002) les caractéristiques génériques et linguistiques du tchat – considéré comme le matériau brut et le premier état du texte – et celles des tableaux dramatiques obtenus – considérés comme la version définitive du texte. Les modifications – ajouts, modifications, suppressions, déplacements – et conservations (ou répétitions) du matériau initial sont envisagées en tant qu’indices de production de sens mais aussi en tant qu’indices de construction du genre dramatique contemporain.

Résultats

Conservation systématique : les traces d’oralité

Premier constat, la syntaxe orale – y compris certaines marques de familiarités – telle qu’elle est décrite dans la section « Le chat, “loi du moindre effort” et “expressivité” » du présent article, est régulièrement conservée car elle sonne « vrai » à la lecture : le matériau tchat semble autoriser l’intrusion du parler populaire et favorise ainsi les phénomènes de pluriglossie propres au théâtre contemporain (Petitjean, 2009). De même, la segmentation systématique des phrases ou des répliques est également reprise ; elle va de pair avec le faible nombre de corrections portant sur la ponctuation : la ponctuation forte est rétablie systématiquement, la ponctuation faible plus rarement et les répétitions de ponctuation sont presque toujours corrigées. Ces conservations vont dans le sens d’une écriture théâtrale fragmentée (voir section du présent article « Le théâtre contemporain, une parole “trouée” »).

Des corrections de surface ?

Les caractéristiques liées à la nature même de l’échange18 – souci de rapidité, compensation affective… – ou au code même du tchat – émoticônes, avatars – donnent lieu à des corrections systématiques – suppressions ou remplacements (Tableau 3). Ces modifications peuvent apparaitre comme des modifications de surface, plus précisément formelles (Fabre- Cols, 2002) au sens ou elles n’affectent pas le sens ; cependant, elles touchenten réalité à

18 Nous renvoyons ici à la section du présent article « De quelques précisions utiles pour confirmer des intuitions premières… », partie de « Le tchat, ” loi du moindre effort” et ” expressivité” ».

l’adaptation générique elle-même : cette réflexion sur le genre va en fait de pair avec le changement du destinataire ; le texte initial est considéré comme une communication entre pairs alors que le texte final est perçu comme un texte adressé, destiné à une publication – au sens premier du terme.

Le nom des personnages19 (Tableau 4) et les didascalies (Tableau 5) apparaissent dans le même temps. L’avatar peut être considéré comme un soi autre, un masque derrière lequel l’adolescent revendique à la fois un statut personnel, unique, et un sentiment d’appartenance au groupe dont il adopte les codes, en l’occurrence le choix d’un avatar et l’utilisation de smileys (Marcoccia, 2010/2) ; l’avatar « permet d’élaborer son identité sous le couvert de l’anonymat et avec le support de pseudonymes » (Marcoccia, 2010/2, p. 141) : le fait de participer à la discussion instantanée – même si elle est présentée comme une activité pédagogique – incite ces jeunes à signaler leur connaissance du code, car signaler cette connaissance, c’est signaler l’appartenance à une communauté discursive de référence, la leur. Le principe même de la réécriture20 et le fait que cette tâche incombe à un autre groupe que les participants du tchat participent d’un même effet de distanciation : l’échange du tchat est ressenti comme un matériau que les scripteurs chargés de la réécriture n’hésitent pas à tordre, sans toujours se soucier de la paternité des propos échangés, transgressant à leur tour la réversibilité dialogale. Le propos devient collectif et ressortit à un monologisme assumé par le groupe, déconstruit par la réécriture. C’est sans doute ce que confirme l’écriture du prélude didascalique, comme nous le verrons plus loin. Comme dans le théâtre contemporain, la ligne de partage entre l’avatar, le personnage et l’individu s’abolit en un sens : le tchat est une parole paradoxale, à la fois intime et publique, et la réécriture favorise encore « les jeux d’interférence et d’interpénétration des plans où cette parole se prononce » (Vinaver, 1993, p. 908) ; pour ces adolescents accoutumés à exposer leur intimité surInternet, le récit-intime, tel que le propose le théâtre contemporain (Petitjean, 2009), apparait paradoxalement comme une difficulté insurmontable. Au contraire, le récit-intime du tchat – sorte de « théâtre du moi » (Oudin, 2005) – rend possible le glissement vers cet autre récit de soi comme si leur avatar faisait encore obstacle, écran peut-être, à leur intimité. À aucun moment d’ailleurs les élèves ne refusent l’utilisation de leur prénom en face de certaines répliques. Mieux encore, un groupe de scripteurs propose des noms génériques pourremplacer les prénoms ; la

19 Parmi les réponses attendues à la question de l’identification du genre théâtral et à sa justification, lors de l’examen du DNB à la fin de la classe de troisième, nous trouvons les macrodidascalies contenues notamment dans le paratexte, les didascalies – indications de jeu notamment –, et le nom des personnages.

20 Les déplacements de répliques sont autorisés, y compris avec modification de l’émetteur.

proposition, si elle n’est pas retenue, est intéressante, dans la mesure où l’on peut la considérer à la fois comme une mise à distance de ces propos, de leur intimité, mais aussi comme une tentative de déconstruction du personnage.

Gestion de l’expressivité

Les émoticônes – ou smileys – ou les acronymes comme LOL et MDR sont utilisées à deux fins ; d’une part, elles permettent l’explicitation de la valeur émotionnelle ou ironique du message (Aguert, Atifi, Gauducheau, Marcoccia & Laval, 2012 ; Marcoccia, 2011) ; d’autre part, elles « appartiennent de manière privilégiée aux procédés spécifiques de l’écriture numérique » (Marcoccia, 2011, p. 9). Ces marques d’expressivitédisparaissent donc

systématiquement de l’état final au profit parfois de la création de didascalies (Tableau 5). Le smiley © et l’acronyme LOL21, qui renvoient dans le tchat à des marques de complicité, soulignent les réparties du texte : la réponse de Manon (« 14:17MANON : Non. Jamais une fille ! ») souffre du phénomène de délai dont nous parlions plus haut ; elle répond en fait à la question de Luc (« 14:15LUC: Et vous? »22), mais, en décalage de sept répliques avec la question qui la provoque, la plaisanterie passe inaperçue, sauf aux yeux de Luc qui la souligne parl’utilisation de l’acronyme LOL. Dans la version définitive, les élèves, qui

perçoivent le marivaudage entre les deux filles et les deux garçons – des répliques 14:14 à 14:17 – et repèrent l’humour de la réponse de Manon, l’exploitent en en faisant un ressort de l’échange : les deux didascalies – «Sourires » et « Rires des garçons » – rythment ainsi le tableau en jouant assez finement le clivage filles-garçons et l’ambigüité des relations amoureuses. La réplique de Manon est-elle d’ailleurs toujours une plaisanterie, une réponse au pied de la lettre, ou est-elle le fruit d’une véritable naïveté ? La didascalie « Sourires » ne permet pas de trancher. En outre, le réarrangement des répliques participe de la création d’une situation à double sens. Letchat, comme d’autres outils de communication sur internet, souligne presque systématiquement la dimension ironique des échanges comme s’il fallait sans cesse expliciter les traits d’humour, sans doute pour éviter toutmalentendu ou quiproquo dans les échanges, en absence de dimension paraverbale – intonations, gestes, expressions du visage. Au contraire, le texte de théâtre contemporain joue sur l’implicite de la communication, surle non-dit d’une parole « trouée » (Parisse, 2007). Or la scène présentée

21 LOL : acronyme de « laughing out loud », (littéralement « rire tout haut, à voix haute »), il très répandu sur Internet et symbolise le rire, l’amusement.

22 La question était elle-même un écho à la question de Manon : « Avatar MANON D*** 14:14 MANON: Ok . Les garcons . Vous avez déjà demandé à une fille de sortir avec vous ? »

dans le Tableau 5 est précisément construite sur l’implicite d’une communication incomplète faite de sous-entendus entre les quatre personnages.

Les marques de contextualisation

D’autres suppressions ou remplacements affectent le contenu du tchat de façon quasi systématique en altérant son sens ; ces suppressions concernent le plus souvent des marques de contextualisation qui signalent le contexte premier de production : les répliques dont la fonction phatique domine, l’entrée et la sortie du tchat, l’allusion au temps et à l’espace de l’échange (« 14:20 LEA: Elle est dans l’autre salle informatique avec MOi ! »), l’allusion au fonctionnement du PC… C’est le cas dans l’exemple précédent : la nette diminution du volume global textuel est à mettre en corrélation avec la suppression de répliques où précisément dominent la fonction phatique de la communication ou les commentaires métalangagiers (« 14:21 LEA: Arrete de parler anglais s’il te plait »).

Pourtant il arrive que ces répliques puissent être conservées avec modification de sens. Ainsi, dans le Tableau 6, les allusions à l’entrée dans le tchat et au retard de Fabien ne sont-elles pas supprimées ; si le contexte initial est gommé avec la disparition de la réplique « 14:07 BENOIT: il est pas encore connecter fabien ???? », le principe de l’attente de Fabien est conservé. Le chronotope (Bakhtine, 1984/1952-1953 ; Petitjean, 1992) mimétique qui renvoie au cadre énonciatif (lieu, temps, interlocuteurs, objets de la discussion) (Petitjean, 1992) a été modifié ; il est pourtant volontairement indécis. Cette indécision est renforcée d’une part par le projection ironique vers lefutur (« BENOIT : On en a pour 3 ans, je pense… ») et d’autre part par l’ambigüité de la remarque de GAETAN : (« Ouais bien dit ! Quelle guigne d’être avec lui !!) qui peut tout aussi bien renvoyer à une amitié qu’à une association temporaire et encombrante ; par ailleurs, les deux didascalies « Silence », en ralentissant l’action,semblent étirer l’attente. Ce changement altère la dimension première du tchat ; l’échange tchaté est un échange rapide, dans lequel il s’agit d’occuper le canal (voir à ce sujet la section « Le chat, “loi du moindre effort” et “expressivité” » du présent article) : gagner du temps en écrivant, c’est prendre l’espace de l’autre. Au contraire, le texte dramatique doit pouvoir prendre le temps d’installer une atmosphère, de laisser la parole de l’autre résonner et faire sens ; ce qui est particulièrement perceptible lors de l’oralisation du texte définitif.

Suppression des conversations parasites

Les suppressions non systématiques du contenu concernent les échanges que nous qualifions de secondaires (Tableau 7) qui sont de trois ordres :

  • les conversations parasitaires qui s’apparentent à des bavardages hors sujet ;
  • les ressassements : il s’agit le plus souvent de tentatives pour occuper le canal ou prendre le dessus sur un interlocuteur ;
  • les allusions directes à des enseignants ou des élèves de la classe que la nétiquette et la charte informatique de l’établissement interdisent a priori.

Ces divers éléments, considérés soit comme des manquements à la nétiquette (cas 3), aux règles de vie de classe (cas 2) ou à la consigne (cas 1), sont presque toujours supprimés dans la première version du texte pour réapparaitre parfois dans l’état final à des fins diverses : tantôt ils deviennent un ressort dramatique du tableau, tantôt ils servent les relations entre les personnages.

Les commentaires qui relèvent de la compréhension de la consigne ou d’ordre métacognitif ou métalangagierdisparaissent, quant à eux, dans leur presque totalité quand ils sont ressentis comme fortement liés au contexte (voir partie « Les marques de contextualisation ») ou quand ils concernent le code écrit ; d’autres sont conservées très inégalement. Ainsi, dans le Tableau 5, la réplique de Léa, « J’ai pas compris “On a le temps” ? Vous comprenez vous? », est-elle construite à partir d’une simple interrogation de l’élève qui cherche à faire préciser l’une des phrases déclencheurs. Or, dans la version définitive, la réplique se mue en un questionnement sur les enjeux des relations filles-garçons, de l’éveil à la sexualité et la collusion de ces quatre répliques fabrique une pudique variation autour du thème : « On a le temps ».

Titres et préludes didascaliques

Le titre et un prélude didascalique sont rajoutés. Leur écriture est une écriture collective qui prend la forme d’une dictée à l’adulte. Inspirés des phrases déclencheurs, ces éléments présentent des caractéristiques communes relativement constantes, comme en témoigne l’exemple du Tableau 8 : une des phrases déclencheurs est choisie comme titre. Les tchats fournissent une fois de plus un matériau à l’écriture à l’aide de l’outil copier-coller du traitement de texte. Sur le modèle du long monologue de Sylvain Levey ou d’autres textes

contemporains23, le groupe fait le choix d’une écriture qui présente des caractéristiques stylistiques communes : accumulations, utilisation des infinitifs, marques de généralisation (choix du pronom indéfini « on », utilisation des articles définis et des déterminants indéfinis…).

Déplacements ou déplacement de sens

Le Tableau 9 propose une typologie possible des déplacements ou insertions de répliques. La version V2 ne propose que des remaniements de répliques entières ; les élèves n’osent pas dans un premier temps déstructurer un texte qui leur apparait déjà complexe, parce qu’éclaté. La tendance première, après la correction des erreurs orthographiques et des suppressions mentionnées plus haut, est celle des déplacements de répliques entières sans changement de locuteur. Lors de la seconde reprise du texte, les déplacements avec changement de locuteur se généralisent en même temps que le volume textuel global diminue ; l’échange se condense alors et cette condensation affine le travail sur le sens, comme en témoignent le recours aux insertions de mots et les modifications du sens dues aux changements de contexte de production. L’exemple du Tableau 9 proposeprécisément ce type de modification. La phrase déclencheur « À qui je ressemble ? » a été modifiée en « À quoi je ressemble ? »24 par insertion de l’interrogatif « quoi » présent dans l’historique du tchat. Phrase inaugurale de la scène, elle permet de poser un cadre discursif implicite, d’imaginer même une dramaturgie et une scénographie possible25. Le rétablissement de la phrase originelle en fin de dialogue fonctionne comme une chute et dévoile à rebours la construction d’une stratégie d’écriture.

Répétitions

Les répétitions participent de ce même effort. Supprimées dans V1 car ressenties comme des scories du tchat, elles sont rétablies dans V2, systématisées et amplifiées dans le processus d’écriture en tant que ressort de l’écriture ou processus de construction des relations entre les personnages. Plusieurs cas de figure se présentent : répétition d’une réplique dans la bouche d’un même personnage – comme c’est le cas dans le premier exemple du Tableau 10 –, élaboration d’une structure cyclique – un échange présent au début de la scène est reproduit à

23 Notamment Colloques de bébés de Roland Fichet dans lequel dix nouveau-nés dans les couloirs d’une maternité s’entretiennent autour de leur nom, de leur avenir, de l’absence du père.

24 L’idée de la modification provient en fait d’un lapsus contenu dans V2.

25 Au cours des discussions, les élèves imaginent des amis autour d’un miroir.

la fin –, construction de la cohérence de la progression de l’échange – comme dans le second exemple du Tableau 10avec la variation autour de « Pourquoi tu pleures ? ».

Attardons-nous quelques instants sur cette réécriture, car elle présente une utilisation des déplacements et des répétitions intéressante. Julien refuse de participer au tchat et adopte une attitude de refus et de provocation. Les élèves chargés de la réécriture ne peuvent le supprimer de l’échange ; ils choisissent de construire un personnagequi refuse de s’impliquer dans la discussion, mais que l’échange va prendre au piège de la sensibilité. Lesmarques de

son opposition – points d’interrogation, smiley e) (« réveil »), les agressions vis-à-vis d’Eva –

disparaissent avec les marques de contextualisation, notamment l’allusion à l’un des conflits qui a eu lieu au sein de la classe en cours d’EPS. Par ailleurs, toutes les répliques qui tendent à minimiser les pleurs sont affectées à Julien alors qu’incombe à Samuel et Eva la responsabilité de mener, comme dans le dialogue initial, l’échange, les remarques ironiques ou humoristiques de Julien n’étant qu’incidentes. La chute, reprise de la phrase déclencheur, provoque un revirement de situation et inverse le rapport entre les personnages.

Discussion des résultats

L’intention de cette recherche exploratoire était d’interroger, dans un dispositif particulier de réécriture multimodale, le processus de construction du sens, le développement de compétences textuelles nouvelles et le rapport à l’œuvre.

Du point de vue de la création littéraire dramatique, un certain nombre d’éléments sont observables et laissent à penser que le dispositif proposé a pu permettre une réflexion autour de la construction du genre dramatique contemporain, à travers notamment les aspects suivants :

  • Les traces d’oralité apparues dans le tchat ont été préservées : ces marques permettent sans doute, dans le temps de l’oralisation, une prise en compte possible de la composante paraverbale de l’échange : intonation, rythme de l’énoncé, pauses que suscitent les structures propres à la syntaxe orale, mais aussi la segmentation inhérente à la procédure d’écriture. Cette procédure de réécriture, fondée sur le « copier-coller », induit untravail particulier sur la cohérence du texte produit. Or, dans le cas du dialogue dramatique, ce travail est rendu plus complexe et plus subtil, car cette cohérence n’est pas toujours apparente à la simple lecture dutexte ; elle est parfois vérifiée par le biais

d’une intention de jeu, traduite par une intonation, un geste, une situation. Il serait à ce titre intéressant d’explorer plus avant le lien entre l’oralisation de ces tableaux et les choix de réécriture opérés – ce qui n’apas été fait ici – ; ce qui permettrait probablement de questionner la théâtralité de ces textes qui ne peut se construire totalement sans réelle pratique théâtrale.

  • L’écrit produit laisse apparaitre un implicite qui tient principalement à deux éléments : la production d’ellipses – essentiellement traduites par la didascalie « Silence » –, le jeu sur le double sens des situations – principalement dû au fait que le matériau a une histoire, un autre sens dans un autre contexte. Les élèves perçoivent qu’écrire, ce n’est pas produire un sens univoque, fermé – c’est encore plus vrai pour le théâtre contemporain – : si les scènes produites ont du sens pour ces élèves en écho aux situations de leur quotidien – mal-être, conflits dans la classe, rapport filles-garçons – et aux « petites histoires » que trahissaient les tchats, il est encore complexe d’imaginer pour ces apprentis dramaturges qu’elles puissent avoir un sens pour quelqu’un d’autre qu’eux – d’où, sans doute, la nécessité de clarifier le propos par l’écriture d’un prélude didascalique.
  • Le dialogisme constitutif du tchat a été intégré à l’écriture : le texte produit se présente sous la forme d’une parole « trouée », fragmentée. Le tchat se présente comme une variation autour d’une progression thématique souvent peu perceptible ; la réécriture utilise précisément ce principe de la variation en condensant le propos et en dilatant le chronotope mimétique.
  • Des tentatives plus ou moins réussies et conscientes pour construire une stratégie d’écriture ont été observées,même si ces tentatives ne dépassent guère les procédures de réécriture proposées.
  • Une réflexion sur le destinataire a été amorcée : le dispositif de réécriture et de transposition générique implique un changement de destinataire qui nécessite le respect de nouvelles règles de communication. Toutefois, mis à part la présence du prélude didascalique, une difficulté subsiste à faire de ces tableaux unevéritable parole adressée.
  • Un sens a été construit a posteriori, un propos qui n’est pas porté par un seul personnage, mais revendiqué par le groupe classe. Ce bénéfice n’est pas lié à l’utilisation du tchat en tant que matériau d’écriture, mais il est caractéristique de l’écriture collaborative et également du travail en atelier d’écriture théâtrale – la construction d’une œuvre théâtrale est par essence – au sein de la troupe – collective.

Cependant, la construction de ce propos collectif nous semble favorisée par la décontextualisation de l’échange et la nécessité de dépasser l’intimité révélée par la publication du tchat, perceptibles notamment dans la construction d’un personnage prototypique et d’un chronotope indécis.

  • Personnage et chronotope mimétique ont été partiellement déconstruits, comme en témoignent la réflexion sur la dénomination des personnages et l’abandon des didascalies fonctionnelles.

Du point de vue des compétences observées, une réflexion métacognitive et métalangagière s’engage autour de la forme du tchat, de son destinataire et des règles (nétiquette, usage de la communication sur internet), mais aussi très ponctuellement autour de la conscientisation de la « stratégie d’écriture » mise en œuvre : cette conscientisation, rendue possible par la conservation des différents états d’écriture, aurait toutefois mérité d’être interrogée au cours d’entretien d’explicitation. Plus encore, la réflexion touche également aux genres produits. Cette réflexion ne va pas sans la mise en œuvre d’une capacité à organiser des types de documents, capacité que Pierre Fastrez et Thierry De Smedt (2012) définissent comme l’articulation d’une capacité à « catégoriser à l’aide de typologies ad hoc un ensemble de documents, en fonction de leur genre, des publics auxquels il s’adresse, des langages qu’il mobilise » (p. 55) et une capacité à mettre en œuvre des « outils technosémiotiques réifiant ces formes d’organisation (comme, par exemple, les logiciels et les interfaces permettant de gérer des collections de documents, courriels, photos, musiques, etc., mais aussi les sites de réseaux sociaux, organisant les relations médiatisées que nous entretenons) ». En outre, la compétence multimodale , en tant que « la capacité à faire la jonction entre les codes et les modes » (Lacelle, 2012, p. 138), mise en œuvre dans le temps de l’adaptation semble pouvoir agir sur la construction d’une compétence textuelle spécifique – la capacité à identifier les codes spécifiques à un mode – et d’une compétence sémiotique générale – « capacité à [construire] le sens de l’histoire » (Lacelle, 2012, p. 127). Enfin, le dispositif, fondé sur l’innutrition26 entre lecture et écriture, permet de mettre au jour des intentions d’auteur : choix d’une stratégie d’écriture consciente, prise en compte d’un lecteur supposéou réel,

26 Le terme est emprunté à Catherine Tauveron (2003) : au modèle du transfert supposé de la lecture à l’écriture est pensé sur le mode de l’imprégnation s’oppose le concept d’interaction lecture / écriture, introduit par la recherche EVA et posé comme interaction ou mouvement rétroactif et alimentation réciproque. C’est en ce dernier sens d’alimentation réciproque que nous employons le terme d’innutrition.

utilisation des lapsus, des accidents de conversation à des fins de création poétique, va-et- vient entre postures impliquée et distanciée.

Pour conclure… Le tchat, keske c ?

Les objets sémiotiques nouveaux, à l’image du tchat, ne peuvent, par leur complexité, demeurer à l’écart de l’école : ils ont déjà investi l’école à partir du moment où ils ont envahi le temps libre de nos élèves. Dès lors, comment envisager le tchat ? Comme un simple outil technique ? Un mode de communication ? Un outil d’apprentissage, comme l’a fait la didactique des langues, pour qui le tchat est une « passerelle » de l’oral vers l’écrit et même un outil de réflexion métalangagière sur la langue cible ?

Peut-il constituer, pour la classe de français, un objet d’apprentissage à part entière ? Faut-il apprendre aux élèves à utiliser le tchat ? À le lire ? À l’écrire ? Les élèves ont-ils réellement besoin, en ce domaine, d’un mode d’emploi ? Probablement pas…

Faut-il alors l’envisager, comme nous avons tenté de le faire, comme un matériau d’écriture, une sorte depasserelle multimodale entre littératies traditionnelle et nouvelle ? Pourquoi pas ? À certaines conditions toutefois, si nous ne voulons pas jouer aux apprentis sorciers dans ce laboratoire d’un nouveau genre : il s’agit de repenser ses propres compétences, comme celles de l’élève, en matière de littératie multimodale, sans surestimer ni sous-estimer l’une et l’autre, de battre en brèche certaines idées reçues – y compris celles des élèves – sur les écrits produits, de combattre la tendance naturelle de l’enseignant de français à privilégier les corrections formelles systématiques, enfin et surtout de penser la complexité de ce médium, en privilégiant notamment sa dimension ludique et créative, au-delà de ses dimensions informationnelle, sociale ou technique. Peut-être s’agit-il aussi de penser « une littérature contextuelle », une littérature qui se fait donc « en contexte » et non dans la seule communication in absentia de l’écriture, du cabinet de travail ou de la lecture muette et solitaire des textes » (Ruffel, 2010, p. 62).

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Annexes

Tableau 3 : Suppression des erreurs orthographiques

Éléments présents dans le tchat – Version nommée V1

  • Erreurs orthographiques notamment transcriptions ou déformations phonétiques et lapsus digiti

Éléments modifiés dans l’état intermédiaire –

Version nommée V2

  • Erreurs orthographiques corrigées notamment suppression des transcriptions phonétiques

État du texte dramatique final – Version nommée VDEF

  • Peu de corrections

nouvelles

Voir descriptif du tchat dans la section « De quelques précisions utiles pour confirmer des intuitions premières… » – Tableau 1 « Analyse formelle du tchat ».

Tableau 5 : Suppression des marques d’expressivité / ajout des didascalies fonctionnelles

Éléments présents dans le tchat – Version nommée V1

Éléments modifiés dans l’état intermédiaire –

Version nommée V2

État du texte dramatique final – Version nommée VDEF

V1 VDEF

Avatar MANON D*** 14:14 MANON: Ok . Les garcons . Vous avez déjà demandé à une fille de sortir avec vous ? aigle volant 14:15 LUC: Non

tiguane 14:15 THEO: oui

aigle volant 14:15 LUC: Et vous?

tiguane 14:15 THEO: les fille s’est compliqé Avatar MANON D*** 14:15 MANON: Qui ? Avatar MANON D*** 14:16 MANON: (Theo ) aigle volant 14:16 LUC: toi et lea

tiguane 14:16 THEO: moi jé demander a une filles en CE2 tiguane 14:16 THEO: luc sest pas lea

Avatar MANON D*** 14:17 MANON: Non . Jamais à une fille !

MANON : Les garçons, vous avez déjà demandé à une fille de sortir avec vous ? LUC : Non. Une fille m’a déjà demandé mais j’ai pas voulu : je ne l’aimais pas du tout.

THEO : Moi j’ai demandé une fille en CE2. LUC : Et vous ?

MANON : Non. Jamais une fille !

Sourires

LUC : On a le temps.

LEA : J’ai pas compris « On a le temps » ? Vous comprenez vous ?

Avatar LEA K*** 14:17 LEA: Qu’est-ce que vous dites ! aigle volant 14:17 LUC: oui je sais lol

tiguane 14:17 THEO: é toi luc ta deja demander tiguane 14:18 THEO: LUC

aigle volant 14:18 LOIC: non une fille m’a déja demander mais j’ai pas voulu je ne l’aimais pas du tout

Avatar LEA K*** 14:18 LEA: Non , mais vous parliez de quoi avant ?

aigle volant 14:18 LUC: quand? tiguane 14:19 THEO: quand

Avatar LEA K*** 14:19 LEA: Bon j’oublie ce qu’on a dit avant car j’ai rien compris !

Avatar MANON D*** 14:19 MANON: Non rien rien ©

tiguane 14:19 THEO: manon té ou

tiguane 14:20 THEO: a tu té décidé a parlé manon

Avatar MANON D*** 14:20 MANON: Euh … Avec Lea , Pourquoi ?

Avatar LEA K***14:20 LEA: Elle est dans l’autre salle informatique avec MOi !

tiguane 14:20 THEO: I see

Avatar LEA K*** 14:21 LEA: Arrete de parler anglais s’il te plait .

tiguane 14:21 THEO: Maanon, pour quoi tu dis que les garcon sont débiles

Avatar MANON D*** 14:21 MANON: Pour vous : C’est quoi ‘ On a le temps ? ‘

tiguane 14:21 THEO: et Lea ? vos hopignion

Avatar LEA K***14:22 LEA: Ouai , moi non plus j’ai pas compris ‘ On a le temps ‘ ?

Avatar LEA K***14:22 LEA: Vous comprenez vous ? aigle volant 14:22 LUC: quand l’un demande et que lotre lui dit qu’ils ont la vie devant eu et lui met un rateau

tiguane 14:23 THEO: on a le temps pour moi sé quand on me dis de me dépeché alors qu’il reste un quart dheure

LUC : Quand l’un demande et que l’autre lui dit qu’ils ont la vie devant eux et lui met un râteau… THEO : On a le temps pour moi c’est quand on me dit de me dépêcher alors qu’il reste un quart d’heure.

Rires des garçons

LEA : Les garçons sont débiles.

Tableau 6 : Suppression des marques de contextualisation

Éléments présents dans le tchat – Version nommée V1

Éléments modifiés dans l’état intermédiaire –

Version nommée V2

État du texte dramatique final – Version nommée VDEF

V1 VDEF

14:05: BENOIT F*** vient d’arriver dans ce chat 14:05 GAETAN: salut

aurillac 2010 14:05 BENOIT: salut

aurillac 2010 14:07 BENOIT: il est pas encore connecter fabien ????

chat sniper 14:07 GAETAN: non pas encore chat sniper 14:07 GAETAN: il faut l’attendre aurillac 2010 14:08 BENOIT: il est footbreak!!! chat sniper 14:09 GAETAN: ça veut dire quoi

aurillac 2010 14:09 BENOIT: en anglais,tu comprends jamais rien..(casse-pied)

chat sniper 14:10 GAETAN: c’est bon calme

aurillac 2010 14:10 BENOIT: dans le langage de fabien chat sniper 14:10 GAETAN: ouai

chat sniper 14:10 GAETAN: on attebd fabien ok aurillac 2010 14:11 BENOIT: ok

aurillac 2010 14:11 BENOIT: ok

aurillac 2010 14:11 BENOIT: on en a pour 3 ans,je pense…

chat sniper 14:11 GAETAN: c sur

aurillac 2010 14:11 BENOIT: il est soualant chat sniper 14:12 GAETAN: ouai bien dit

aurillac 2010 14:12 BENOIT: quelle guigne d’etre avec lui!!!

Parfois, il arrive qu’on ait du mal à se supporter ; il arrive que l’on soit tellement différent, que la communication soit impossible : on ne parvient pas à quitter son rôle habituel, rassurant pour tout le monde – le clown, l’élève sérieux, la fille un peu coquette, le timide, le provocateur… – et on s‘énerve ; on crie à l’autre : « Arrête ! » mais cela ne sert à rien…

BENOIT: Il est pas encore là Fabien ? GAETAN : Non pas encore… Silence. Il faut l’attendre…

BENOIT: Il est footbreak ! GAETAN : Ça veut dire quoi ?

BENOIT : En anglais, tu comprends jamais rien… Dans le langage de Fabien, Footbreak : casse-pied !

GAETAN : C’est bon, calme !

Silence

GAETAN : On attend Fabien OK ? BENOIT : OK.

Silence

BENOIT : On en a pour 3 ans, je pense… GAETAN : C’est sûr…

BENOIT : Il est soulant.

GAETAN : Ouais bien dit ! Quelle guigne d’être avec lui !!

Tableau 7 : Suppression des conversations parasitaires

Éléments présents dans le tchat – Version nommée V1

Éléments modifiés dans l’état intermédiaire –

Version nommée V2

État du texte dramatique final – Version nommée VDEF

Tableau 8 : Insertion du titre et du prélude didascalique

Éléments présents dans le tchat – Version nommée V1

Éléments modifiés dans l’état intermédiaire –

Version nommée V2

État du texte dramatique final – Version nommée VDEF

VDEF

Tableau 9 : Déplacements, insertions et répétitions

Éléments présents dans le tchat – Version nommée V1

Éléments modifiés dans l’état intermédiaire –

Version nommée V2

État du texte dramatique final – Version nommée VDEF

VDEF

Tableau 10 : Répétitions et reprises

Éléments présents dans le tchat – Version nommée V1

Éléments modifiés dans l’état intermédiaire –

Version nommée V2

État du texte dramatique final – Version nommée VDEF

V1 VDEF

14:08 SAMUEL: C QUOI LA QUESTION DEJA

14:09 EVA: c’est pourquoi tu pley=ures

14:10 SAMUEL: bah quand est ce que tu pleure toi ? 14:11 JULIEN: moi jamais lol

14:11 EVA: quand je suis blaissée par quelque choses, par quelqu’un ou quand j’ai quelque chose sur le coeur et que je ne veux pas le dire

14:11 EVA: mais oui c’est ça julien 14:11 EVA: et toi samuel

14:12 JULIEN: moi j’ai toujours le sourire au levre 14:12 SAMUEL: si quand ta une poussière dans l’oeil 14:12 EVA: oui ça c’est vrai

14:12 EVA: ou alors quand tu te fais vraiment mal 14:13 JULIEN: oui voila

14:13 SAMUEL: moi je sais pas d’ailleur pourquoi on pleure ? 14:14 JULIEN: ben quand ta mal c’est automatique

14:14 EVA: oui c’est peut que l’on est obligé 14:14 EVA: oui

14:14 SAMUEL: pourquoi on rit pas quand on se fait mal ? 14:15 EVA: oui c’est sûr se serait plus marrant

14:15 JULIEN: bonne question

14:15 EVA: mais parfois ça peu arrivé 14:15 EVA: …

14:15 SAMUEL: ©

14:15 JULIEN: non ou alors c’est incroyable

14:16 EVA: oui coome quand on se fait mal on pleure automatiquement et après et bah on sait que l’on a pas mal et on rigole

14:17 EVA: parce que c’est bête d’avoir pleurer 14:17 JULIEN: et oui

14:17 EVA: vous êtes susceptible ?

14:17 SAMUEL: et pourquoi on pleure quand on de la peine 14:18 SAMUEL: moi ouais

14:18 JULIEN: c’est la vie

14:19 EVA: bah parce que ça nous déchire le coeur et que l’on est obligé de le montrer 14:20 SAMUEL: ça veut dire qu’on est pas inssenssible

14:20 EVA: c’est quoi être susceptible? 14:20 EVA: oui c’est sur

14:21 EVA: bon c’est quoi être susceptible ,

14:21 SAMUEL: c’est quand on n’a pas d’humour ? 14:22 EVA: ahhhh

14:22 JULIEN: mai nn c quan on ta blesser o sens figurer 14:23 EVA: oui bah c’est la même chose

14:23 EVA: comme vers le début de l’année … 14:23 JULIEN: koi le debut de l’année

14:23 SAMUEL: qunad ça ?

14:23 JULIEN: ????????????????????????????????

14:24 EVA: AVEC MOI QUAND CERTAINE PERSONNE DE LA CLASSE EUHH ;;; FIN VOILA QUOI

14:24 JULIEN: OK

14:25 SAMUEL: ah oui

EVA : Pourquoi tu pleures ?

SAMUEL : Bah quand est-ce que tu pleures toi ?

JULIEN : Moi jamais !

EVA : Pourquoi tu pleures ? SAMUEL : Quand je suis blessé par quelque chose, par quelqu’un ou quand j’ai quelque chose sur le cœur et queje ne veux pas le dire…

JULIEN : Moi, j’ai toujours le sourire aux lèvres !

SAMUEL : Moi, je sais pas d’ailleurs

pourquoi on pleure.

JULIEN : Ben quand tu as une poussière dans l’œil ou alors quand tu te fais vraiment mal… Quand t’as mal c’est automatique !

EVA : Pourquoi on rit pas quand on se fait mal ?

JULIEN : Oui c’est sûr se serait plus marrant ! On se fait mal, on pleure automatiquement et après, on sait que l’on a pas mal et on rigole…

Silence

SAMUEL : Mais parfois ça peut arriver… On pleure…

EVA : Tu es susceptible ?

JULIEN : C’est quoi être susceptible ? SAMUEL : Moi ? Oui…

Silence

EVA : Et pourquoi on pleure quand on a de la peine ?

SAMUEL : Parce que ça nous déchire le cœur et que l’on est obligé de le montrer.

EVA : Ça veut dire qu’on est pas insensible.

JULIEN : C’est bête d’avoir pleuré

SAMUEL : Oui, c’est sûr… Mais

14:25 EVA: ru vois tout de suite 14:25 EVA: ça reviens

14:25 JULIEN: koi ?

14:25 EVA: rien bref 14:26 JULIEN: ou en sport

14:26 EVA: nbon au debut de l’année 14:26 EVA: !

14:26 SAMUEL: de koi en sport ? 14:26 JULIEN: hier

14:27 JULIEN: ellea pleuer je sai pa pk ? 14:27 EVA: bref revenons en au sujet!

14:27 JULIEN: ????????????????????????????????????????

14:28 SAMUEL: arrete avec tes points d’interrogation !!! 14:28 JULIEN: PK ,,,,,,,,,,,,,,,,,,,

14:28 EVA: est ce que vous manquez d’humour

14:28 JULIEN: ?????????????????????????????????????????

14:28 EVA: franchement arrête julien 14:28 SAMUEL: oui quand je suis crevé ? 14:29 JULIEN: PK ?????????????????

14:29 EVA: et toi julien?

14:29 JULIEN: DE KOI ?????????????

14:30 SAMUEL: bon julien on t’ignore !!! 14:30 EVA: $

14:30 EVA: tu fais quoi pendant qu’on tchate tu dors ? 14:30 JULIEN: KOI JULIEN ?????????????????????????

14:31 JULIEN: EVA ????????????????????????

14:31 JULIEN: )

14:32 SAMUEL: et toi eva quand est ce que tu manques d’humour ? 14:32 EVA: non sauf quand ça depasse une certaine limite

14:33 JULIEN: EVA JE TE PAARLE )

14:33 SAMUEL: moi pareil sauf quand je suis fatigué sourire 14:33 SAMUEL: triste

14:33 EVA: oui c’est sur

14:34 JULIEN: TA UN PROBLEME EVA OU TU DOR DEVANT LORDI ?

14:34 EVA: ©

14:35 JULIEN: JE TE PARLE

14:35 SAMUEL: il parait qu’à l’adolescence on a moins d’humour 14:36 JULIEN: BON LAISSE TOMBER

14:36 EVA: ah bon je ne savais 14:36 EVA: pas

14:37 SAMUEL: julien par exemple ! 14:37 EVA: oui

14:38 JULIEN: JE CROI QUE G PLUS DUMOUR QSUE TOI

14:38 JULIEN: DE VOU PARDON

14:38 EVA: oui peut etre

14:38 EVA: mais au moins on est pas bête nous … 14:38 JULIEN: V EN RECR2é BYE

Multimodalité(s)

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