Lecture de textes latin et mitic font bon ménage: quelques considérations sur l’enseignement du latin en Suisse Romande (1)


Antje Kolde, Université de Lauzanne

Résumé

Le Plan d’études romand, qui concerne l’école obligatoire et qui est entré en vigueur dans les cantons de Suisse francophone en 2011, insiste davantage que les plans d’études antérieurs sur la lecture de textes latins, que ce soit en langue originale ou en traduction, et sur le recours aux médias, images et technologies de l’information et de la communication (MITIC).

La rencontre avec la littérature latine se trouve grandement facilitée par les MITIC. De fait, en mettant à disposition des élèves tant des aides lexicales et morphologiques que des adaptations de textes latins dans d’autres formes d’expression plus familières tels que films, bandes audios, bandes dessinées ou œuvres d’art, ou encore en leur permettant d’en créer, les MITIC rapprochent les textes latins des élèves, favorisant leur compréhension générale et leur contextualisation.

Outre quelques réflexions théoriques, cette contribution se propose essentiellement de présenter quelques sites et portails liés à l’Antiquité, tout comme de montrer quelques dispositifs didactiques alliant l’étude conjointe de textes latins et de films, de bandes audios, de bandes dessinées et d’œuvres d’art constituant des adaptations desdits textes.

Mots-clés : latin, Suisse romande, MITIC (médias, images et technologies de l’information et de la communication), films, latinistes.ch.

1 Je tiens à remercier Mme Catherine Fidanza et M. André Görtz, qui ont relu cet article et l’ont enrichi de leurs remarques judicieuses.

Problématique et plan

La présente contribution aborde la problématique suivante : alors que les médias, images et technologies de l’information et de la communication (MITIC) ont conquis depuis maintenant longtemps leur place dans l’enseignement-apprentissage des disciplines qui sont en relation avec le quotidien extrascolaire des élèves – qu’il s’agisse de la langue de scolarisation, des langues étrangères apprises à l’école ou des disciplines scientifiques ou encore artistiques –, qu’en est-il des disciplines qui n’ont a priori aucun lien avec ledit contexte extrascolaire, avant tout les langues anciennes ?

Après quelques mots très généraux sur l’évolution qu’a connue ces dernières années l’enseignement du latin en Suisse romande et sur le nouveau plan d’études qui préconise le recours aux MITIC dans le cadre du cours de latin, il sera question de diverses possibilités qu’offrent les MITIC. On présentera d’abord un site conçu en Suisse romande pour l’enseignement-apprentissage des langues anciennes et pouvant être à tout moment convoqué par l’enseignant ou l’élève, notamment parce qu’il donne accès à d’autres sites précieux ; puis il sera question de divers exemples dedémarches d’enseignement-apprentissage tirant un large parti des MITIC.

Les MITIC et l’enseignement du latin en Suisse romande

Si la lecture de textes latins dans la langue originale est depuis longtemps l’objectif final de l’enseignement-apprentissage du latin, la plupart de ceux qui ont appris cette langue en Suisse romande se souviennent sans doute des deux points suivants : d’une part, ils ont passé la majeure partie de leur apprentissage à mémoriser du vocabulaire et de la grammaire, qu’il s’agisse de morphologie ou de syntaxe, à l’aide de petites phrases composées à cet effet et ils n’ont abordé les textes qu’après quelques années – généralement des extraits dûment choisis pour leur contenu formateur sur le plan moral et parfois arrangés dans ce but ; d’autre part, cette lecture consistait alors essentiellement dans l’exercice de la version, c’est-à-dire dans la traduction la plus fidèle possible par rapport au texte original et la plus correcte possible par rapport au français : il s’agissait de montrer que l’on maîtrisait la grammaire tant latine que française. Le texte latin servait ainsi de support à la vérification de connaissances de techniques linguistiques, parfois à un commentaire de stylistique latine ou française, mais quasiment jamais à un commentaire

littéraire comparable à celui que l’on faisait depuis longtemps des textes littéraires lus en classe de français, rarement aussi à un commentaire culturel relatif à l’Antiquité ou à une comparaison entre l’Antiquité et nos jours et portant sur divers points.

Cette situation a beaucoup évolué. En partie de façon ponctuelle, grâce aux initiatives de divers enseignants, mais aussi de façon globale, au gré de réflexions générales menées au sein des institutions et devant tenir compte de nombreux paramètres sur lesquels ce n’est pas le lieu de revenir ici. En France, ces réflexions ont été formalisées notamment par Anne Armand (1997) et Mireille Ko (2000) et elles ont abouti à un changement d’orientation plaçant le texte antique et son contenu au centre de l’apprentissage, et cela si possible dès les premières rencontres avec le latin. La grammaire est dès lors abordée au fil de textes suivis parfois simplifiés ; quant au contenu de ces textes autre que grammatical, il est également exploré par le biais de divers éclairages et exercices, l’art depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours étant souvent pris en compte. Petit à petit, les manuels et plans d’études français ont intégré ce changement de paradigme. Comme les enseignants de latin suisses romands recourent généralement et pour diverses raisons à des manuels français, ils ont aussi, du moins partiellement, adopté ce changement, en adéquation avec le manuel utilisé.

Il convient de rappeler ici que, ni pour la scolarité obligatoire – jusqu’à 15 ans révolus – ni pour la scolarité postobligatoire, la Suisse ne connaît de système éducatif en tous points identique pour tout le pays : l’éducation est du ressort de chaque canton. Cette situation a néanmoins partiellement changé récemment : à la suite de l’introduction du concordat HarmoS, divers aspects organisationnels de la scolarité obligatoire, tels que la durée de l’école et les standards nationaux de formation, ont été harmonisés dans l’ensemble de la Suisse. De plus, en Suisse romande, l’introduction du PER, le Plan d’études romand, a harmonisé les plans d’études de l’école obligatoire dans les cantons romands. Dans ce plan d’études, adopté en 2010, le latin figure dans le domaine des langues, tout comme les langues étrangères modernes, à savoir l’allemand et l’anglais2. L’orientation culturelle et non pas uniquement linguistique que l’enseignement-apprentissage du latin adopte désormais s’y exprime d’emblée dans la « visée

2 Étant enseigné dans six cantons suisses romands sur sept au degré secondaire I, le latin figure dans le PER au nombre des « spécificités cantonales » : www.plandetudes.ch/web/guest/per Cycle 3, p. 111-127. Le grec n’étant enseigné que dans certains cantons, il n’est pas décrit dans le PER.

prioritaire ». Celle-ci consiste dans le fait d’« accéder aux sources de la pensée occidentale par l’étude du latin et de civilisations antiques » (PER, section Langues, p. 111). Trois axes constituent l’objectif d’apprentissage ; ils sont déclinés en six composantes, comme le montre le schéma suivant.

Trois axes

LangueLittératureCulture

Six composantes

1. Étude du vocabulaire de base et identification de son évolution dans d’autres langues3. Traduction de textes [du latin en français] et prise des décisions nécessaires à une lecture cohérente5. Utilisation de ressources documentaires pour découvrir les civilisations antiques et visite des lieux et musées archéologiques de façon réelleou virtuelle
2. Appropriation des outils de4. Découverte de sources6. Observation des
base en morphologie etlittéraires antiquespermanences culturelles dans
syntaxe les arts, le droit, la politique et
les sciences

Les « indications pédagogiques » qui accompagnent la composante 5 mentionnent explicitement les MITIC : «Consulter les bibliothèques de sources informatisées, créer un site internet, visionner des films documentaires » (PER, p. 123). Le PER indique ainsi que pour au moins une des six composantes, les MITIC fournissent une aide importante pour atteindre la visée prioritaire.

Il est évident que dans le cadre d’un plan d’études, la formulation, tout en indiquant de grands principes généraux, ne peut entrer dans les détails. Aussi serait-on tenté d’ajouter le recours aux MITIC dans les indications pédagogiques de toutes les composantes.

Même si le PER ancre ainsi le recours aux MITIC dans le quotidien des latinistes romands, il est évident que ceux-ci en particulier et les latinistes et hellénistes en général ne l’ont pas attendu pour s’intéresser à ce que les MITICpeuvent apporter à la connaissance des langues anciennes et à leur enseignement-apprentissage. Il n’est sans doute pas exagéré de dire que tant les individus que les associations ont très tôt su investir le champ de ces technologies.

Évoquons à titre d’exemple la banque de données Perseus (http://www.perseus.tufts.edu/), dont les débuts remontent à 1985 et qui a posé en quelque sorte la première pierre de l’édifice. Elle fournit des sources primaires et secondaires pour l’étude de l’Antiquité grecque et romaine, de même que du matériel relatif à l’arabe, au germanique, à l’Amérique du 19e siècle, à la Renaissance, notamment italienne, et au néo-latin. Par « sources primaires et secondaires » pour l’étude de l’Antiquité, il faut entendre les textes en langue originale et souvent en traduction (anglaise), ainsi que des photos d’éléments archéologiques tels des monnaies, des statues, des vases, des bâtiments, ainsi que des commentaires. Lorsqu’on consulte un texte latin ou grec et qu’on clique sur n’importe lequel des mots, on peut activer un lien hypertexte avec le dictionnaire latin-anglais Lewis and Short ou, s’il s’agit d’un texte grec, avec le dictionnaire grec-anglais Liddell-Scott-Jones et obtenir les valeurs lexicales et les analyses morphologiques dudit mot. Le site est également pourvu de diverses fonctions de recherche, telles les occurrences d’un mot dans toute la littérature ou chez un seul auteur.

Les enseignants de latin et de grec ont rapidement reconnu l’apport de tels sites, à l’instar de Ko (2000, p. 155), qui souligne, après avoir donné de Perseus un aperçu semblable au mien : « [o]n voit (…) combien un tel outil peut être riche et passionnant ». Il semblerait même que les enseignants de langues anciennes furent en ce point plus rapides que les enseignants d’autres disciplines, du moins à en croire Charvet (2008, p. 82) : « c’est ainsi, sans le moindreparadoxe et tout naturellement, que les premiers programmes [en France] à intégrer de manière systématique les nouvelles technologies ont été, en 2007, ceux des Langues et culture de l’Antiquité ».

Recours aux MITIC dans le cadre du cours de latin

Un exemple de site : latinistes.ch

Les sites soit liés à l’Antiquité soit créés pour l’enseignement-apprentissage de l’Antiquité, tout comme les projets pédagogiques mis en ligne, sont nombreux et souvent excellents. L’un d’eux est particulièrement intéressant ici,puisqu’il fournit un fort appui informatique à l’enseignement- apprentissage du latin et du grec en Suisse romande, notamment par le biais de données nécessaires pour satisfaire aux exigences du PER : latinistes.ch3 (www.latinistes.ch; cf. Figure 1).

Figure 1.

Le site se présente lui-même comme suit : « latinistes.ch est le site de référence de l’Antiquité (latin, grec, histoire) pour le Secondaire I dans le Canton de Vaud, Suisse. Il est dirigé par le groupe de travail chargé de l’enseignement dulatin (GTlatin) et par le groupe de travail chargé de l’enseignement du grec (GTgrec). Ce site est dédié aux élèves delangues anciennes du Canton de

3 La construction du portail latinistes.ch a fait l’objet du mémoire de master à la HEP Vaud de son constructeur, André Görtz. Celui-ci y explique notamment à quel point il a basé l’élaboration du portail sur des enquêtes approfondies auprès des utilisateurs, entre autres des enseignants (Görtz 2012, p. 17-28).

Vaud ainsi qu’à leurs enseignants. Plus qu’un site internet, latinistes.ch veut être un portail ouvert sur l’Antiquité, un outil permettant de faciliter autant les apprentissages que les recherches sur le WEB et une plateforme utile pour les enseignants. A l’occasion de l’introduction du Plan d’études romand (PER), latinistes.ch se renouvelle et augmente son domaine d’activités. Les principales sections et les différents portails (formation, iconographie, nuage, etc., …)sont présentés ci-dessous. » Précisons que la désignation de « portail ouvert sur l’Antiquité » implique l’intégration légale dans le site d’autres sites disposant d’informations validées (voir infra), tout comme l’intégrationd’autres portails, tels un portail dédié à l’iconographie, un portail dédié à la formation (cf. Figures 2 et 3), un espace nuage et un portail dédié aux enseignants.

Comme le montre la barre de menu placée tout en haut de la page d’accueil (cf. Figure 1), le site comprend quatresections thématiques : « Latin », « Grec », « Mythologie et religion » et

« Agora », à savoir des expositions créées dans les établissements. Le contenu des quatre sections n’est pas organiséde la même façon, sauf pour les deux premières, « Latin » et « Grec », où on retrouve des onglets permettant d’accéder à des pages relatives à la présentation de la discipline scolaire, à la culture, à la langue et la littérature, au moyen d’enseignement (Latin Forum pour le latin, Organon 2005 pour le grec) et à des ressources (cf. Figure 4) ; chaque page donne à son tour accès à un certain nombre de documents ; la page du manuel d’enseignement, notamment à des brochures de vocabulaire ; la page des ressources, à des conseils pour construire un exposé, à des données archéologiques, à une bibliographie, à des documents, à des documentaires, à des documents archéologiques, à des jeux, à des liens vers d’autres sites par le biais de liens thématiques, à des manuels en ligne et à des sources, dont d’importantes collections de textes dotés ou non de traductions françaises (cf. Figure 5). Lorsqu’on se rend sur un des sites référencés sous cet onglet en cliquant sur le lien idoine, on ne quitte pas le site latinistes.ch – on peut donc faire faire aux élèves des recherches à partir de latinistes.ch sans risquer de les perdre. La section « Mythologie et religion » donne accès à des dossiers thématiques, la section « agora » renseigne entre autres sur les expositions réalisées dans les établissements scolaires. À part cela, les enseignants disposent de « l’espace nuage », un emplacement sécurisé qui leur est réservé, où ils peuvent stocker des documents et se les échanger et dont ils peuvent se servir pourcommuniquer avec leurs élèves. Finalement, un

« Forum », subdivisé en plusieurs thématiques, permet d’informer et de débattre (cf. Figure 6).

Ce site, extrêmement riche et en constante évolution, conçu pour l’enseignement dans l’optique d’y intégrer les MITIC et d’offrir des outils clé en main, fournit certes à toute personne intéressée par l’Antiquité, mais surtout aux enseignants et aux élèves, un foisonnement d’informations, de documents et de liens ; par là, il constitue une banque de données extrêmement riche pour les enseignants et une aide précieuse pour les élèves, tant pour l’apprentissage et la révision individuels que pour les travaux de recherche, qu’ils soient menés à titre individuel ou au sein de la classe ; de surcroît, en étant optimisé pour les terminaux mobiles, en fournissant des exercices interactifs avec des statistiques personnalisées et en permettant des échanges interactifs, latinistes.ch est emblématique du passage du WEB 2.0 à son successeur, le WEB 3.0, et des nouvelles possibilités qu’offre ce dernier.

Figure 2.

Par le portail de la formation, l’élève accède à de nombreux exercices interactifs qui lui permettent de tester ses connaissances en langue, morphologie, culture et vocabulaire (cf. Figure 3). Par là, ce portail se révèle un auxiliaire précieux pour le travail individuel et différencié tant en cours qu’à la maison.

Figure 3.

Figure 4.

Figure 5.

Figure 6.

Ce site offre des possibilités d’exploitation extrêmement riches. Il a déjà été question des exercices interactifs, qui permettent aux élèves de réviser et d’asseoir leurs connaissances. Une autre préoccupation en cours de latin et de grec est l’accès aux textes. Comme il a été dit, l’onglet « sources » dans « ressources » (cf. Figure 5) donne accès àplusieurs sites intégrés, dont

« Itinera electronica du texte à l’hypertexte », de l’Université catholique de Louvain ; la plupart des textes des grands auteurs y sont saisis, assortis d’une traduction le plus souvent française. Lorsqu’on clique sur le lien « ItineraElectronica », on accède à la liste des auteurs dont les textes ont été numérisés (cf. Figure 7).

Figure 7.

Il est possible d’accéder aux textes de diverses façons ; les activités qu’ils permettent sont donc également nombreuses et variées. D’une part, si la référence est connue, il est possible de passer par la liste des auteurs, puis par celle des œuvres composées par l’auteur en question, où on trouve l’œuvre recherchée, sur laquelle on clique, avant de cliquer sur « texte » si on ne veut que le texte original ou sur « lecture » si on le veut doté de sa traduction ; dans les deux cas, on obtient une structuration du texte. Un clic sur un des passages donne accès soit au texte seul, soit au texte doté de sa traduction, selon le choix préalable ; lorsqu’on a le texte latin sous les yeux, un clic sur un mot latin fournit desindications relatives à sa fréquence d’utilisation et le contexte. La table des matières montre que l’on peut aussi procéder à des recherches, par exemple lexicales (cf. Figure 8). A noter le lien qui renvoie vers une autre traduction, soit sur le site de Philippe Remacle, qui contient la majeure partie des textes antiques grecs et latins, notamment, ainsi que leur traduction française, souvent ancienne (cf. Figure 9), soit sur le site BCS, Bibliotheca Classica Selecta (cf. Figure 10).

D’autre part, si on ne connaît pas la référence et que l’on veut voir tous les passages qui traitent d’un mot précis, il convient de dérouler vers le bas la première page d’Itinera Electronica à laquelle latinistes.ch donne accès (cf. Figure 7) et de cliquer sur « dictionnaire des formes » (cf. Figure 11) ; s’ouvre alors une page qui permet la « recherche d’une forme précise ».

Grâce au site intégré qu’est Itinera Electronica, l’enseignant peut donc demander à ses élèves diverses activités en lien avec des textes, tant en classe qu’à la maison, et cela sans que ceux-ci soient obligés de quitter le site latinistes.ch pour réaliser l’activité en question : recherche d’un texte, recherche de diverses occurrences d’un même mot, travail d’analyses diverses (lexicales, grammaticales, structurelles, littéraires, etc…) sur le texte latin seul ou sur le texte latin et sa traduction française, pour n’en citer que quelques-unes.

Figure 8.

Figure 9.

Figure 10.

Figure 11.

Itinera electronica fait partie du site BCS, Bibliotheca Classica Selecta (Figure 12), également un portail extrêmement riche, auquel on accède depuis latinistes.ch en cliquant sur le sigle BCS qui apparaît lorsqu’on déroule jusqu’au bout la liste des auteurs (cf. Figure 7). Ce site se définit comme suit : « Créée en 1992 et maintenue par deux professeurs belges, Jean-Marie Hannick (Université de Louvain, à Louvain-la-Neuve) et Jacques Poucet (Université de Louvain à Louvain-la-Neuve et Facultés universitaires Saint-Louis à Bruxelles), la BIBLIOTHECA CLASSICA SELECTA (BCS) se veut une introduction aux études classiques, destinée prioritairement aux étudiants de lettres classiques et d’histoire ancienne, accessoirement à tous ceux qui s’intéressent au monde gréco-romain antique et aux civilisations qui l’entourent.

Le noyau le plus ancien est constitué par une bibliographie d’orientation (BCS-BOR), intégrant aussi bien les ouvrages imprimés (les livres seulement, pas les articles de périodiques) que les ressources disponibles sur la Toile. Elle entend couvrir aussi largement que possible l’ensemble du secteur des études classiques. C’est dans ce sens surtout qu’elle est une introduction bibliographique au monde grec et romain. »

Figure 12.

Par les onglets situés au-dessus du texte, l’utilisateur peut avoir accès à diverses sections qui lui permettent d’atteindre de nombreuses publications.

Si, parmi les vocations de la BCS, on peut donc compter d’une part le fait de fournir des textes anciens dotés notamment d’une traduction et de l’autre celui de permettre aux professionnels de s’orienter dans la bibliographie disponible sur la Toile et ailleurs, il ne faudrait pas oublier celui de mettre du matériel d’apprentissage à disposition deceux qui voudraient apprendre le grec et le latin ; voilà le propos du site extrêmement riche Hélios (cf. Figure 13), une collaboration franco- belge, auquel on accède en cliquant sur « Helios », à gauche du texte de présentation de la BCS.

Figure 13.

Pénétrer plus en avant dans ce site dépasserait les limites de la présente contribution. Bornons- nous à constater que les sites tels que ceux que nous venons de voir sont d’un secours non négligeable pour l’élève comme pour l’enseignant qui ont besoin des renseignements de divers ordres : ouvrages précis en ligne tels que grammaires et dictionnaires, textes et leur traduction, bibliographies, diverses informations sur le contexte historique, philosophique ou artistique d’un texte, œuvres d’art en lien avec tel ou tel sujet – l’enseignant y trouve une aide précieuse pour la préparation de ses cours et l’élève pour l’apprentissage et la révision de ses leçons tout comme pour mener ses recherches. Tout cela encourage chez l’apprenant une posture active, autonome et responsable4.

Textes latins et bandes dessinées

L’utilisation des MITIC pour lire ou faire lire les textes anciens ne se limite cependant pas à l’exploitation de telssites, que ce soit à la maison ou au sein de la classe. Il y a bien d’autres

4 Au moment de clore le chapitre consacré à la présentation de divers portails relatifs à l’Antiquité, notons que la majeure partie des sites qui ont pour objet l’Antiquité (exercices, ressources, etc..) sont gratuits, au contraire de nombre de sites pédagogiques.

façons de tirer profit des nombreuses possibilités qu’offre internet. L’une d’elles s’articule autour de la bande dessinée. Elle part des constats que, d’une part, tout le monde connaît des bandes dessinées traitant de l’Antiquité, tels Astérix ou Alix, qui existent également en traduction latine et grecque ; que, d’autre part, la bande dessinée est un genre littéraire proche des adolescents et qu’elle permet donc de les familiariser plus facilement avec ce qui peut sembler loin d’eux ; que, finalement, les MITIC fournissant des programmes qui permettent de créer des bandes dessinées, par exemple Comic life (http://comiclife.com/), ils constituent dans ce contexte une ressource très précieuse.

Deux exploitations de ce recours aux MITIC s’imposent d’emblée : l’enseignant réécrit un texte latin ou grec en bande dessinée pour en faciliter l’appréhension par ses élèves, par exemple en insérant les propos des divers personnagesdans des bulles ; ou il demande à ses élèves de le faire comme exercice, l’adaptation d’un texte narratif avec dialogue en bande dessinée permettant de contrôler d’une autre façon si l’élève a correctement compris le texte latin ou grec.

Textes latins et films

Certaines œuvres littéraires, quelle que fût l’époque de leur composition, ayant inspiré des films, on procède fréquemment en classe de littérature d’une langue moderne à l’étude conjointe de l’œuvre écrite et du film.L’Antiquité ne nous a bien entendu pas livré de films, mais il existe des œuvres antiques qui ont donné lieu à des films, comme le Satiricon de Pétrone, mis en film en 1968 par Gian Luigi Polidoro et en 1969 par Federico Fellini. Une exploitation en quelque sorte classique du matériau « film » consisterait en une comparaison entre le texte latin et l’un des deux films ou les deux, portant sur l’une ou l’autre scène. Selon la perspective adoptée par l’enseignant, cette comparaison ferait ressortir des particularités sociétales, linguistiques et artistiques de la culture romaine, que ces particularités soient présentes dans le texte et le film ou seulement dans l’un des deux ; si elles se trouvent seulement dans le film, elles correspondraient à des représentations sur le monde romain. Par ailleurs, une telle activité de comparaison permettrait également des réflexions sur les permanences de la culture romaine dans la nôtre, tout comme sur des éléments de mise en scène tant dans le texte que dans le film, en d’autres termes, sur les contraintes dues au mode d’expression. Un tel travail, partant du fait romain considéré sous divers points de vue, le dépasseraitlargement, donnant lieu à des réflexions

interdisciplinaires et interculturelles. Sans forcément aller aussi loin dans le travail de comparaison, l’association d’un film à la lecture d’un texte offre d’emblée un soutien non négligeable aux élèves confrontés à un texte qu’ils neconnaissent pas, et cela grâce à la

« visualisation » que le film offre du texte en question, à la « concrétisation » des tableaux souvent complexes, par exemple de Pétrone – cela ne peut que soutenir les élèves dans leur compréhension du texte.

À l’occasion de son mémoire de master secondaire 2, posant la question de savoir si le visionnage d’une séquence vidéo pouvait aider un élève à traduire un texte latin portant sur le même sujet que la séquence vidéo, un de mes étudiants, Alessandro Galluzzo, a proposé une autre exploitation du film : son utilisation comme appui à la lecture et la traduction d’un texte latin. Ainsi, M. Galluzzo a appuyé la lecture et la traduction par ses élèves d’extraits de Suétone, un auteur à cheval sur le 1er et le 2e siècle de notre ère, sur le visionnage de séquences tirées d’une part d’une série télévisée, à savoir « Rome, saison 2 » (2007) de John Milius, William Macdonald et Bruno Heller, et, de l’autre, d’un film portant sur la fin de la République et les débuts d’Auguste, à savoir « Auguste, le premier empereur » (2003) de Roger Young. Le travail a porté sur trois points : l’aspect physique d’Auguste, son accession au consulat et sa rupture définitive avec Marc-Antoine. Dans les deux premiers cas, M. Galluzzo a d’abord montré la séquence des films à ses étudiants, en leur donnant comme consigne de tout observer le plus précisément possible. Ensuite, il leur a donné les passages correspondants de Suétone en leur demandant par étapes et selon des modalités de travail variant de fois en fois de comprendre puis de traduire le texte. Pour le troisième passage, la rupture définitive avec Marc-Antoine, l’ordre des activités a été inversé : les élèves ont d’abord reçu le texte et ils ont dû procéder à des repérages de champs sémantiques pour appréhender le contenu du texte. Ils ont ensuite regardé les séquences vidéos, avant de lire le texte latin de façon plus détaillée. À l’issue de l’analyse de son propre travail et des réactions de ses élèves, M. Galluzzo est arrivé aux conclusions suivantes : même si la didactisation du texte de Suétone appuyée sur les extraits des deux films a été extrêmement chronophage pour lui, les résultats obtenus étaient excellents. De fait, les élèves étaient bien plus impliqués dans leur travail que durant une activité de traduction plus traditionnelle et leur compréhension du contexte historique et du sens du texte latin était plus profonde. De plus, la contextualisation quepermet l’image a généré des observations portant sur

bien des éléments culturels, notamment architecturaux, et sur leur permanence actuelle ; la confrontation entre texte et film a également donné lieu à des discussions intéressantes sur le statut de ces deux moyens d’expression, sur la «mission » de l’historien dans l’Antiquité et aujourd’hui et sur des notions telles que « véracité historique » – des discussions et des observations au service de l’affûtage de l’esprit critique, qui n’auraient certainement pas eu lieu, du moins pas aussi spontanément, sans le recours au film. Pour la compréhension des quelques particularités linguistiques latines par contre, le recours aux extraits de film n’a été d’aucun secours.

La série télévisée « Rome » a enthousiasmé beaucoup de gens à sa sortie, notamment Fabrice Hourlier, qui a cependant été choqué d’entendre César parler anglais. Aussi a-t-il tourné avec Stéphanie Hauville un film sur le même sujet, « Le Destin de Rome ». Ce docufiction, diffusé pour la première fois en juin 2011, retrace l’histoire de Rome de l’assassinat de César en 44 av. J.-C. jusqu’à l’aube de l’Empire ; des scènes de reconstitution historique d’une part, les commentaires et analyses d’historiens et de latinistes de l’autre y alternent. Tout en étant inspiré de la série télévisée« Rome », « Le Destin de Rome » se distingue de son modèle en premier lieu parce qu’il ne suit pas tout à fait les mêmes sources antiques – « Rome » suit avant tout Plutarque, « Le Destin de Rome », Appien et Cassius Dion, moins « pro-Augustes » que Plutarque, et ensuite et surtout parce que les acteurs parlent latin. Leurs dialogues ont été écritsen français, tout en étant fortement appuyés sur les sources antiques ; ils ont ensuite été traduits en latin par Paul-Marius Martin, professeur émérite à l’université Montpellier III, puis enregistrés sur des baladeurs distribués aux comédiens, qui se sont familiarisés pendant un mois avec cette langue inhabituelle pour eux. Pour les scènes où Cléopâtre parle grec, les auteurs ont eu recours au grec moderne, estimant que la prononciation du grec ancien du 1ersiècle avant notre ère était trop mal connue. Je ne connais pas d’exemples d’exploitations de ce film en classe de latin,mais comme dans la didactisation dont il a été question plus haut, certaines séquences de

« Le Destin de Rome » pourraient également à merveille venir appuyer la lecture d’extraits de Suétone et donner lieu à des comparaisons entre, d’un côté, Suétone et, de l’autre, le film et les textes des auteurs grecs sur lesquels les scénaristes se sont appuyés – les textes grecs seraient à distribuer en version bilingue grec-français si la classe compte des hellénistes ou seulement en traduction française si elle n’en compte pas.

De par les dialogues en latin, « Le Destin de Rome » permet encore une autre activité, à savoir

« l’activité langagière de réception orale », pour reprendre les termes du Cadre Européen Commun de Référence (point 4.4.2, p. 54-55). Bien que cette activité langagière ne soit généralement pas entraînée dans les cours de latin – et pour cause –, un nombre croissant d’enseignants, en tout cas en France, recourt à ce que l’on appelle « l’écoute globale » pour une première appréhension d’un texte latin. Le principe de l’écoute globale consiste à amener les élèves à découvrir un texte non à l’écrit, mais à l’oral, le but étant qu’ils repèrent le plus grand nombre possible d’indices sur le texte à la suite d’écoutes répétées, chacune étant assortie de consignes précises. Les textes les plusfréquemment utilisés pour ce genre d’exploitation relèvent du théâtre, mais aussi de la rhétorique, des poèmes d’amour, etc., mais rares sont les enseignants qui osent se lancer eux-mêmes dans une lecture orale et expressive d’un texte latin en présence de leurs élèves. Ils peuvent recourir à des enregistrements que leur fournit Internet (notamment: http://www.ac-grenoble.fr/lycee/diois/Latin/spip.php?rubrique165 et http://home.student.uu.se/jowi4905/latin/index.html), mais ils peuvent aussi faire écouter à leurs élèves les dialogues de « Le Destin de Rome » (que l’ont peut trouver entre autres sur latinistes.ch). De fait, comme il a été dit, ni les producteurs, ni les acteurs de ce docufiction n’ont lésiné sur les moyens mis en œuvre pour assurer une bonne prononciation latine. Et bien que les dialogues du « Destin de Rome » ne soient pas antiques, ils peuvent donner lieu à de nombreuses exploitations, allant de la simple compréhension générale à la transcription, les connaissances de grammaire pouvant alors aider à remplir les trous laissés par une compréhension orale ardue.

L’exploitation de la composante orale d’un tel film, pour séduisante qu’elle soit, est difficile à réaliser, alors que son exploitation visuelle s’impose, permettant aux élèves de mieux contextualiser le texte antique et leur en facilitant ainsi l’accès. Dans une certaine mesure, la plupart des péplums peuvent remplir ce rôle (sur le site latinistes.ch, encliquant sur l’onglet

« 12e heure », il est possible de trouver bien des informations sur la plupart des péplums).

Textes latins et peinture

Cependant, force est de constater que l’enseignant de latin ne dispose que rarement de films sur lesquels il puisseappuyer une lecture de texte. Il peut alors recourir à des tableaux inspirés par

des textes antiques qu’il retrouve aisément grâce aux nombreux sites internet. En guise d’exemple, on peut citer l’exploitation que propose le manuel d’enseignement Latin Forum (10e, p. 154-155) d’une suite de douze tableaux de Luca Giordano, un peintre italien du 17e-début 18e siècle. Cette suite de tableaux représente l’histoire d’Amour et Psyché, que l’auteur du deuxième siècle de notre ère Apulée raconte dans Les Métamorphoses ou l’Âne d’or (4, 28 – 6, 24). Dans les pages qui précèdent (p. 152-153), l’élève peut en lire un résumé ; l’activité proposée consiste alors à demander à l’élève de reconnaître l’épisode représenté sur chaque tableau et de classer ceux-ci dans l’ordre chronologique du récit. Cependant d’autres activités seraient bien sûr également possibles. Parmi celles-ci, on peutsonger à une observation des tableaux préalable à la lecture du texte ou d’un extrait – chez Apulée, l’histoire d’Amour et Psyché couvre tout de même 87 pages dans l’édition Belles-Lettres –, ce qui faciliterait la compréhension générale et réduirait le risque de contresens.

Conclusion

Les divers points abordés dans les pages qui précèdent permettent de tirer les conclusions suivantes : d’une part, la lecture de textes latins peut grandement bénéficier du recours aux MITIC, que ce soit sous la forme du WEB 1.0, qui constitue une formidable banque de données, ou sous la forme du WEB 2.0, qui commence à permettre des interactions telles que les forums, ou encore sous la forme du WEB 3.0, qui permet une interaction plus grande, telle que la complétion de sites comme Wikipédia, des moodles et des activités interactives, tout comme l’intégration de l’utilisateur sur les systèmes et l’ajout d’éléments multimédias ; d’autre part, ce recours aux MITIC, réalisé par l’enseignant, par l’élève ou par les deux, conjointement ou successivement, facilite, enrichit et diversifie la lecture, la compréhension et aussi la traduction des textes latins, que ce soit en apportant des informations supplémentaires ou en variant la didactisation d’un texte en l’appuyant sur des éléments visuels ou sonores.

Références

Livres et articles

Agocs, M., Baud, M., Durussel, V., Kolde, A., Maréchaux, S. & Rapin, A. (2013). Latin Forum 10e. Lausanne : CADEV.

Armand, A. (1997). Didactique des langues anciennes. Paris : Bertrand-Lacoste.

Charvet, P. (2008). Animer les statues. Dossiers de l’ingénierie éducative ; Des outils pour le français et les langues anciennes, 61, 82-83.

Galluzzo, A. (2008). Le visionnage de films « historiques » : un outil pédagogique pour l’enseignement du latin ? Mémoire, Liège : HEPL.

Görtz, A. (2012). Latinistes.ch – les MITIC en langues anciennes. Mémoire, Liège : HEPL. Ko, M. (2000). Enseigner les langues anciennes. Paris : Hachette.

Sites

Bibliotheca Classica Selecta (BCS) : http://bcs.fltr.ucl.ac.be/

CECR : http://www.coe.int/t/dg4/linguistic/Source/Framework_fr.pdf Comic life : http://comiclife.com/

Itinera electronica : http://agoraclass.fltr.ucl.ac.be/concordances/intro.htm Latinistes.ch : www.latinistes.ch

Plan d’études romand (PER) : http://www.plandetudes.ch/web/guest/latin/

Films

Rome, saison 2. (2007). Série créée par J. Milis, W. J. Macdonald et B. Heller, produite par HBO Entertainment en association avec la BBC.

Le Destin de Rome. (2011). Réalisation : F. Hourlier ; scénario : S. Hauville et F. Hourlier. Docufiction produit par Sylvie Barbe pour Arte France.

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