Moniques Richard, Professeure, Université du Québec à Montréal, École des arts visuels et médiatiques
Nathalie Lacelle, Professeure, Université du Québec à Montréal
Christine Faucher, Professeure, Université du Québec à Montréal, École des arts visuels et médiatiques
Prune Lieutier, Doctorante, Université du Québec à Montréal
Résumé
Alors que l’hybridation est privilégiée par nombre de créateurs qui détournent les fonctions des médias et créent de nouvelles formes d’expression, peu de recherches abordent les pratiques multimodales d’artistes ou les productions informelles de jeunes comme capital culturel pour l’école. Cette dernière met plutôt l’accent sur la communication de messages au détriment de la création de formes. En analysant ces pratiques, nous voulons mieux les comprendre pour en tenir compte dans l’enseignement des arts et du français, et favoriser des pratiques à la fois sensibles et porteuses de messages. Notre approche ethnographique sensorielle comprend des questionnaires et des entretiens sur les pratiques de création/réception de jeunes et d’artistes. Les analyses préliminaires démontrent le besoin de lier ces pratiques, de redéfinir la création et de développer de nouvelles stratégies pédagogiques pour favoriser la création hybride/multimodale en arts et en langues. Dans cet article, nous présentons la problématique, le cadre d’analyse et l’approche méthodologique; nous analysons trois cas et trois pratiques artistiques; nous concluons sur l’importance de développer une pédagogie arrimée aux apprentissages informels des jeunes.
Abstract
While hybridization is favored by many creators who divert the utilitarian media’s functions to create new forms of expression, little research addresses artists’ multimodal practice or young people’s informal productions as cultural capital for school. The latter rather focuses on communicating messages at the expense of the creation of forms. By analyzing these practices, we want to better understand and integrate them in the teaching of arts and language, to foster practices that are both sensitive and carriers of significant messages. Our sensory ethnography approach includes questionnaires and interviews on the creative/receptive practices of young people and artists. Our preliminary analyses show the need to link these practices, redefine creation and develop new teaching strategies that encourage hybridity/multimodality in arts and language. In this article, we present our research problem, analytical framework and methodological approach; we analyse three cases and present three artistic practices; we conclude on the importance of developing a pedagogy informed by youth’s informal learning.
Mots clés : hybridité, multimodalité, apprentissage informel, création, enseignement des arts et du français
Keywords: hybridity; multimodality; informal learning; creation; arts and language education
L’hybridation est privilégiée par nombre de créateurs qui détournent les fonctions utilitaires des médias et créent de nouvelles formes d’expression. La combinatoire de stratégies de production donne naissance à des médias hybrides : installation interactive, application vidéoludique, narration augmentée, etc. Les pratiques quotidiennes de lecture/production sont aujourd’hui, dans une grande mesure, multimodales, oscillant constamment entre différentes formes médiatiques à travers des parcours singularisés par les intérêts de chacun (Lacelle et Lieutier, 2014). Ainsi, dans leurs activités de création ou de réception, des jeunes produisent du (multi)sens en combinant image fixe ou mobile, son, texte ou performance dans des blogues, des récits interactifs, des bandes dessinées, des vidéos amateurs et autres. En recourant à divers modes, ils acquièrent des compétences multimodales, mais, contrairement aux créateurs professionnels, ils sont parfois ignorants des aspects qui conditionnent leurs pratiques. Pourtant, peu de recherches abordent les pratiques de production informelles des jeunes ou tiennent compte du capital culturel qu’ils apportent à l’école; la même chose peut être dite des pratiques multimodales des artistes, alors que l’école met l’accent sur la communication de messages au détriment de la création de formes sensibles qui sont, comme les nouveaux médias, en continuelle mouvance. En analysant ces pratiques, nous voulons comprendre cette problématique pour mieux l’intégrer dans l’enseignement des arts et du français.
L’objectif principal de la recherche consiste à mieux connaitre les pratiques de production informelles de jeunes afin d’identifier des stratégies didactiques susceptibles de rejoindre les élèves à l’école et d’enrichir leur création hybride/multimodale en arts et en langues. Nous proposons une approche pédagogique qui s’inspire à la fois de pratiques de création informelles et, professionnelles. Pour cet article, nous avons retenus les deux objectifs spécifiques suivants :
A) développer un cadre d’analyse de ces pratiques; B) répertorier et décrire diverses pratiques de production informelles chez les jeunes ainsi que de création hybride/multimodale d’artistes en lien avec ces pratiques.
Les pratiques informelles des jeunes se déploient dans un cadre de production du (multi)sens : ce sont des pratiques signifiantes « improvisées par les jeunes dans le cadre de la vie quotidienne » (Richard, 2005, p. 74), que ce soit à la maison ou dans la communauté. Pour mieux les saisir, nous proposons une articulation de différents concepts disciplinaires empruntés à l’art et à la littératie. Ayant déjà introduit la complémentarité entre les concepts auxquels recourt notre équipe (Richard et Lacelle, sous presse), nous présentons plus en détail, dans ce texte, les dyades suivantes en lien avec notre premier objectif spécifique : 1) l’hybridité / multimodalité; 2) la création / réception; 3) le capital culturel informel / formel. Ces dyades constituent la base de notre grille d’analyse.
2.1. Hybridité / multimodalité
Dans son acception générale, l’hybridité relève d’un croisement d’éléments variés qui proviennent d’un ou de plusieurs ensembles (« Hybridité », 2014) : espèces, domaines, disciplines, modes, médias, genres, styles, etc. Elle permet d’expérimenter de nouvelles relations entre processus de transformation, formes composées et figures résultantes, ainsi que fonctions. Ce sont les composantes principales de l’hybridité que nous retiendrons pour notre grille.
La première composante, l’hybridation, est un processus instable, évolutif, génératif et continu qui permet de transformer les pratiques, de modifier les formes de construction du réel et de
« penser la rupture » (Molinet, 2006, para. 57). Elle dépasse amplement la dimension « de l’emprunt, de la combinatoire ou de la superposition pure et simple de techniques ou de pratiques » (Molinet, para. 1). Plusieurs notions apparentées permettent de décrire ces transformations : croisement, mélange, métissage (Berthet, 1999); amalgame, entrelacement, brouillage (Rancière, 2000); montage, mutation, fusion, transgression (Molinet, 2006); collage, mixage, inclusion, incrustation, permutation (Couchot, 2013); bricolage (Lévi-Strauss, 1962; Odin et Thuderoz, 2010); appropriation, braconnage, détournement (de Certeau, 1990); bisociation (Koestler, 1965); échantillonnage, prolongement, morcellement (Richard, 2006).
La deuxième composante, la forme hybride, résulte de ces processus. Les formes résultantes sont « fragmentaires, où l’aléatoire, le montage, tout comme le quotidien, s’imbriquent dans leur élaboration et leur structuration » (Molinet, 2006, para. 29). Leur configuration découle de codes ou de styles provenant de diverses sources, d’où émergent « des relations inédites entre l’écrit, l’image, le son, l’acte et l’espace » (Molinet, para. 61). En structurant divers modes sur un terrain ouvert à l’expérimentation, l’hybridité permet de générer de nouvelles inventions artistiques tout en constituant de « nouvelles grammaires de formes » (Molinet, para. 69) (ex. : liste, collection, cabinet de curiosité, etc.). Quant aux caractéristiques de ces formes, on constate surtout leur « débordement » par accumulation, stratification (Andrieu, 2007, p. 3), défiguration (Molinet, 2012), etc.
La troisième composante, l’hybride comme figure, désigne quant à elle l’accouplement, le croisement ou l’association d’éléments de natures différentes dans la représentation d’une image ou entité individualisée. Elle comprend la créature, le visage, le corps, avec une forte connotation symbolique de désordre, de résistance et de subversion (Molinet, 2006, para. 3). Elle s’inscrit généralement dans une « dialectique figure-forme » (Molinet, para. 41). On retrouve des hybrides tels que monstre, chimère, fée, ventriloque, masque, poupée, ornement, mutant, métis, clone, cyborg… À ces figures s’ajoutent leurs mondes altérés, mythologie, féérie, magie, dystopie et autres utopies, qui croisent divers univers culturels ou, même, la réalité et la fiction, dans ce que Molinet appelle un « réel transfiguré » (para. 8).
Pour la dernière composante, retenons que de l’acte d’hybrider découle fréquemment une nouvelle fonction par la combinaison ou la transformation des rôles et usages provenant de diverses sphères de production auxquelles appartient l’hybride créé. En effet, les pratiques hybrides se situent dans ce que Latour (1997) appelle la « prolifération des hybrides ». Pour Le Gac (1999), cette prolifération se répand dans « l’ensemble des sphères productives (médicales, scientifiques, artistiques, voire sexuelles) » qui servent à diverses fonctions. Dans la sphère artistique, on peut observer des créateurs détournant les fonctions utilitaires ou symboliques des autres sphères, recyclant les valeurs et les pratiques des cultures savantes, vernaculaires ou de consommation (Bourriaud, 2002).
Le champ de recherche en littératie multimodale, dont le concept central de multimodalité provient de la sémiotique et de la communication sociale (Halliday, 1978; Kress et van Leeuwen, 2001), s’intéresse aux processus de réception/production multimodales dans un environnement multimédiatique intégrant imprimé, audiovisuel, téléphonie et ordinateur, tout en articulant les modes iconiques, linguistiques, gestuels et auditifs de façon à produire des
« multitextes » (Kress, 2010; Lebrun, Lacelle et Boutin, 2012). Ainsi la littératie multimodale nécessite la mobilisation de compétences en littératies visuelle, gestuelle et linguistique (Edwards-Grove, 2011), soit une hybridation des littératies (Delamotte, Liquette et Frau-Meigs, 2014). Pour notre grille, nous retiendrons les formes de combinaison multimodale, leurs composantes, ainsi que les modalités de la réception ou de la création, et leurs diverses articulations.
Les recherches du Groupe en littératie médiatique multimodale (Lebrun et al., 2012; Lacelle, 2014) ont permis d’identifier quatre formes de combinaisons multimodales qui prennent racine dans la nature des multitextes et les modalités de réception/production qui leur sont propres : les combinaisons codiques (ex. : les codes de l’image fixe ou mobile), les combinaisons modales (ex. : les modes visuels et textuels), les combinaisons langagières ou médiatiques (ex. :. les langages littéraire et filmique) et les combinaisons médiatiques et multimédiatiques (ex. : les vidéos, les blogues, les hypertextes et les hypermédias).
De plus, toute production multimodale est constituée de quatre composantes essentielles : a) la matérialité : les ressources sémiotiques (images fixes, musique, transitions, tissus, idées, concepts…); b) le framing (architecture visuelle) : la manière dont les éléments de la composition visuelle s’articulent, sont disposés, combinés; c) le design : comment les individus font usage de ressources particulières à un moment donné pour mettre en forme leurs représentations; d) la production : création et organisation d’une représentation (site Web, film, baladodiffusion, texte illustré, théâtre…) (Kress et van Leeuwen, 2001).
Ainsi, les pratiques de création multimodale induisent des modalités diversifiées, que ce soit dans la réception ou la création monomodale (où un seul mode est privilégié), multimodale (où plusieurs modes sont associés) ou « multi-monomodale » (où des pratiques monomodales
multiples sont pratiquées en parallèle ou en séquence [Richard, 2014]). Ces dernières peuvent se dérouler sur divers laps de temps et ne sont pas nécessairement reliées entre elles, contrairement aux pratiques multimodales; elles peuvent toutefois partager un thème ou un style, par exemple, selon les intérêts d’un même récepteur/producteur. À cela s’ajoutent diverses articulations modales : redondance, complémentarité, relais, opposition/contradiction (Barthes, 1964; Kress et Van Leeuwen, 2001; Unsworth, 2008), statut d’égalité et d’inégalité : prédominance d’un mode sur un autre (Salway et Martinec, 2004), degré d’ancrage : lien étroit ou absence de lien (Barthes, 1964).
2.2. Création / réception
La création est un acte qui intègre l’intuition, l’intelligence fabricatrice, l’instinct et l’imagination (Bourgeois, 2013), dans la production de quelque chose de nouveau « à partir de données préexistantes » (« Création », 2014). En art, la création de formes sensibles modifie notre rapport au monde. Pour Fourmentraux (2014), les œuvres de création hybrides rendent irréversible le morcellement des anciennes frontières opposant les champs de l’art et de la science. Cela entraine de nouvelles propositions pour créer des formes inédites ou en recycler d’anciennes, pour redéfinir les figures de l’artiste, revaloriser les œuvres par de nouveaux modes de diffusion ou, encore, repenser le rôle de la légitimation de l’art1. Cela nécessite aussi d’ajuster les programmes scolaires à cette nouvelle réalité, et de sensibiliser les élèves à ces aspects de la création.
D’ailleurs, dans les programmes d’arts de l’École québécoise (Ministère de l’Éducation [MEQ], 2004; Ministère de l’Éducation, du Sport et du Loisir [MELS], 2006), la création est au cœur de la démarche artistique et fait même partie des compétences transversales. Elle y est considérée comme un processus dynamique qui procède par trois phases, soit l’ouverture, l’action productive et la séparation, ainsi que trois mouvements, l’inspiration, l’élaboration et la distanciation, appuyés sur le modèle de Gosselin, Potvin, Gingras et Murphy (1998). Toutefois, nous croyons que l’école gagnerait à favoriser également d’autres modalités de création (à ajouter à celles de l’hybridation) telles que le mimétisme, l’observation, le tâtonnement, la
transposition, l’expérimentation, l’improvisation, la résolution d’un problème, etc. (Richard, 2015). La création pourrait aussi être plus présente dans les autres disciplines dont le français.
Quant à la réception, elle tient compte de la nature plurielle des lectures conditionnées par l’intention du lecteur (Barthes, 1984) et son horizon d’attente (Jauss, 1978). Ainsi la source de production de sens ne réside pas exclusivement dans le texte [mode], mais aussi dans le récepteur, le sujet lisant [interprétant]. Les sujets lecteurs [récepteurs] entretiennent des rapports originaux – au plan psychologique, éthique, esthétique, culturel – avec les œuvres (Picard, 1986). La lecture est un « art de faire » qui n’est appréhendable et analysable que dans ses réalisations effectives (de Certeau, 1990). Pour appréhender les processus subjectifs de création/réception, nous retenons la théorisation de Langlade de l’activité fictionnalisante qui est composée de quatre processus : le désir fantasmatique, le jugement axiologique, la cohérence mimétique et la concrétisation imageante (Langlade, 2008).
Le passage de la réception à la création peut prendre la forme de la transposition de l’imaginaire du lecteur [récepteur ou créateur] grâce des manipulations sémiotiques telles que la transmodalisation2 (ex. : de la BD au film) (Gaudreaut et Groensteen, 1998; Genette, 1982) ou la transfictionnalisation3 (St-Gelais, 2011). Or des liens existent entre ces pratiques de réception/création qui se manifestent sous la forme de contiguïtés thématiques (ex. : thème qui se déploie dans plusieurs œuvres/productions et sur divers supports) et de chainages culturels (ex. : transferts de contenu culturel d’un support à un autre). Ces concepts s’ajoutent à notre grille servant à analyser les pratiques de création des jeunes.
Nous considérons que le processus de création/réception hybride/multimodale peut agir comme
« seuil entre l’art [, la littératie, la communauté] et l’école » (Richard, 2005). Il permettrait de
« déconstruire les codes et de détourner les pratiques [celles des artistes tout comme celles des jeunes], favorisant des pratiques narratives évocatrices qui engagent de nouvelles fictions » (Faucher et Richard, 2009, p. 156). Il permettrait aussi de dépasser les limites disciplinaires généralement associées aux concepts d’art, de création, de lecture et de réception, tout en s’appuyant sur la connaissance des codes de diverses cultures, populaires, savantes, etc.
2.3. Capital culturel : informel / formel
Le concept de capital culturel se situe au cœur de l’analyse des inégalités sociales (Bourdieu, 1979a). À ce jour, c’est l’un des concepts les plus fréquemment utilisés en sciences de l’éducation. C’est ce qu’avance Van Zanten (2008), tout en rappelant que la notion a été revisitée afin de tenir compte des résultats de recherches récentes et l’adapter aux mutations culturelles, dont l’accroissement des pratiques hétérogènes dû à la « montée en force de différentes modalités de la culture dite “de masse” » : les individus étant soumis à des expériences de plus en plus diversifiées (p. 40). Ces mutations sont inextricablement liées aux multiples phénomènes culturels associés aux nouveaux médias et à l’ère numérique (Donnat, 2009; Octobre, 2009). En effet, les nouveaux médias ont amplifié l’offre culturelle et contribuent à l’hétérogénéité des valeurs culturelles (Lahire, 2004).
Selon Bourdieu (1979a), le concept de capital culturel repose sur l’ensemble des qualifications intellectuelles et ressources culturelles qu’une personne peut mobiliser au besoin et qui accroît son pouvoir d’action. On se réfère ici aux facultés mentales d’une personne telles l’inventivité et l’intuition, aux types d’intelligences (spatiale, langagière, musicale, etc.) ainsi qu’aux habiletés et compétences développées, telles le jugement critique, la navigation transmédia, etc. Pour notre grille d’analyse, nous retiendrons les concepts de types de capital, d’états du capital culturel, ainsi que des formes du capital culturel, auxquels nous ajoutons celui de capital formel ou informel.
Selon l’approche bourdieusienne (1979a), le capital symbolique correspond à un système de classement qui détermine la position sociale des individus. Il augmente le pouvoir d’action personnel. Ce premier concept relié au capital englobe trois types : culturel, économique et social, dont le premier que nous couvrons plus en détail dans cet article. Le deuxième type, le capital économique, concerne le patrimoine financier (maison, voiture, etc.) que possède l’individu, ainsi que son revenu. Le troisième type, le capital social, quant à lui, correspond au
réseau social de l’individu. Selon Bourdieu, il comprend « les ressources actuelles ou potentielles liées à la possession d’un réseau stable de relations […] autrement dit liée à l’appartenance à un groupe » (cité par Lévesque et White, 1999, p. 27).
En ce qui concerne le second concept, Bourdieu (1979b) distingue trois formes ou états du capital culturel. Le premier état relève de l’habitus culturel ou manières d’être et de faire incorporée. Il devient visible, par exemple, au travers de l’aisance à prendre la parole. D’après Martet (2010), cet état du capital culturel est « acquis par le temps [et…] permet l’incorporation des connaissances culturelles » (p. 10), tout en étant liées aux propensions et tendances corporelles et esthétiques de l’individu (Van Zanten, 2008). Il s’agit donc de la dimension dispositionnelle du capital culturel et, plus largement, de la pratique culturelle. Puisque cet article traite principalement de pratiques de productions informelles de jeunes, rappelons que, sous le regard des sociologues, les adolescents induisent une plasticité dispositionnelle à la pratique culturelle, car ils sont en période de structuration intense de leur identité, tout en ayant un grand besoin d’exploration : c’est effectivement le temps des expériences multiples (Faucher, 2013). En d’autres termes, l’habitus culturel des jeunes est « en formation »; il est mouvant, non pas fixé une fois pour toutes, quoique le spectre des possibles tendra à se rétrécir rendu à l’âge adulte. Le deuxième état du capital culturel a trait aux biens culturels. À titre d’illustration, les livres ou les œuvres d’art auxquels a facilement accès quelqu’un ou qu’il possède (dans les univers virtuels ou matériels) sont liées à la forme objectivée du capital culturel. Martet (2010) parlera du « capital objectivé approprié matériellement ou symboliquement » (p. 10). Enfin, le troisième état revêt une forme institutionnalisée, c’est-à- dire les différents titres scolaires ou diplômes que détient une personne.
Quant au troisième concept lié au capital culturel qui est au cœur de notre recherche, il peut prendre au moins deux formes : soit celle de la culture formelle ou celle de la culture informelle. Le capital culturel des jeunes, à la fois formel et informel, les accompagne partout, incluant à l’école, et joue un rôle déterminant dans la création de dispositifs multimodaux.
La fréquentation des théâtres, le fait de collectionner des œuvres d’art ou de posséder un diplôme renvoient au capital culturel formel. Depuis les années, 1970, le postmodernisme subvertit la position de la culture moderne « sérieuse », ou culture formelle, qui prétend fournir une expression exacte de la réalité et ainsi, éduquer les gens en vue du progrès. Il accepte l’investissement émotionnel, le subjectivisme, la pluralité; il encourage la collaboration (Buckingham, 2005; Richard et Lemerise, 1998). Notre époque est marquée par
« l’hétérogénéité » des textes ou des images lus ou produits, « non seulement par la diversité des genres et des médias utilisés, mais par celle des cultures impliquées » (Gervais, 2007, p. 152).
Quant au capital culturel informel que les jeunes apportent à l’école dès le début de leur scolarité, il est très prégnant et associé au plaisir (Marsh, 2000). Les recherches d’Octobre (2009) dévoilent que « [l]es loisirs des jeunes générations sont caractérisés par une désinstitutionnalisation, un désencadrement relatif et une individualisation croissante » (p. 6). Ces éléments contribuent à la privatisation grandissante des pratiques culturelles, « illustrée par la place croissante dédiée à la culture de la chambre » (p. 6). Les jeunes y baignent dans un univers d’artéfacts de la culture populaire, un « supersystème commercialisé » qu’ils s’approprient avec leurs propres pratiques sociales (Clarke, 1995; Richard, 2005). Ils ont tendance à parodier les conventions issues de la culture populaire ou de la culture savante (culture formelle) et à rechercher l’effet comique ou le ridicule. La parodie constitue d’ailleurs le rejet du sens fixe et de l’autorité de l’auteur [créateur] (Buckingham, 2005). Cela donne lieu à diverses pratiques créatives (ex. : diffusion de photographies, interactions entre membres sur une plateforme telle DeviantART, etc.).
Si le capital social dépend d’interactions et de réciprocité entre individus, peut-il également y avoir « échanges » entre les différentes sortes de « capital »? Martet (2010) semble aller dans ce sens. À titre d’exemple, le capital économique (celui qui dépend du milieu familial d’un jeune) lui donne « du temps » pour s’approprier une stratégie culturelle. À un autre point de vue, un adolescent doté d’un fort capital social (ex. : Facebook) pourrait voir se renforcer son capital culturel (acquisitions de compétences Web nouvelles, de logiciels ou d’artéfacts de la culture populaire convoités, etc.). Lorsque les jeunes s’échangent une multitude d’informations (ruses,
trucs, découvertes, etc.) sur différentes plateformes de réseautage où ils se « valident » les uns les autres par le fait de leur connexion, leurs réseaux logent un bassin de ressources et de potentialités. Le capital social et le capital culturel – individuel et collectif – sont susceptibles de s’enrichir et de se renforcer mutuellement, que l’enrichissement et les avantages obtenus soient de niveaux culturel, social ou économique. Ils alimentent cette « force » qu’est le symbolique, force que les discours officiels tendent à gommer.
Les cas qui seront traités plus loin montrent que des jeunes s’abreuvent à différents niveaux de culture : populaire, savante, de masse, scientifique, etc. Même la culturelle formelle semble pénétrée par la culture informelle :
• Les interprétations multiples et les représentations ambivalentes deviennent la norme à cause de la complexité des médias et de ses supports (Funge, 1998);
• On observe une accentuation de « la porosité des frontières entre culture et loisirs, entre le monde de l’art et celui du divertissement » (Donnat, 1998, p. 331, entre art, science et technologie (Fourmentraux, 2014);
• On assiste à l’hybridation de la culture cultivée, c’est-à-dire sa mutation au contact de la culture des écrans (Donnat, 1998).
Ainsi il est judicieux de se demander si la prolifération des hybrides s’applique également aux sphères vernaculaires ou éducatives et, si oui, comment cela affecte les pratiques informelles des jeunes et l’enseignement des arts plastiques et du français. Comment en tenir compte dans les propositions de création/réception présentées aux jeunes? Ce sont là quelques questions sur lesquelles se penche notre équipe.
Les participants à cette recherche englobent des jeunes de 12 à 17 ans issus de la région montréalaise, des créateurs adultes québécois dont les pratiques rejoignent celles des jeunes et trois générations de chercheures pédagogues intéressées aux pratiques culturelles des jeunes. Quatre instruments sont employés pour la collecte des données : 1) un questionnaire sur les pratiques culturelles et créatrices des jeunes; 2) des entretiens semi-dirigés sur les pratiques de création (jeunes et adultes); 3) des séances d’observation de pratiques et de partage avec les participants (jeunes et adultes); 4) la documentation de pratiques (jeunes et adultes). Le déroulement du terrain de la recherche génèrera une étude de cas multiple d’une dizaine de jeunes environ, ainsi que la création de répertoires : l’un, multimodal, inventoriant une cinquantaine de pratiques de création exemplaires, l’autre comprenant une dizaine de pratiques artistiques multimodales.
La méthode d’analyse des résultats est de type inductif modéré des données à partir du cadre conceptuel (Anadón et Savoie Zajc, 2009) et fera appel à la description sensorielle des pratiques (Pink, 2009). Le contenu des entretiens a été conçu afin de favoriser la description des pratiques de production informelles (thème, processus, mode, genre, style, format, support, matériau, etc.). Les entretiens permettent de saisir les modalités de création / réception (fréquence, durée, lieu de déroulement, collaboration, etc.), les motivations du participant (origine de l’intérêt, source d’idées, contexte de production, influences culturelles, intentions visées, etc.), l’acquisition et le transfert de compétences. Ce dernier élément permet premièrement de savoir si la création investiguée est monomodale, multimodale, multimonomodale ou, encore, analogique ou numérique. Deuxièmement, il autorise la compréhension du support offert, qu’il soit formel ou informel : en milieu familial, communautaire, scolaire ou autre. Troisièmement, il aborde la réception des produits ou des pratiques et, finalement, il concerne la diffusion des produits ou des pratiques.
4.1. Le cas de Mirella
Mirella a vu le jour en Roumanie et est arrivée au Québec alors qu’elle avait six ans et demi. Son univers culturel gravite essentiellement autour de la modification d’images, du journalisme étudiant, de la littérature de type « héroïque merveilleux » (fantasy) et de l’écriture collaborative avec ses amies d’enfance vivant toujours au pays d’Ionesco. La plupart de ses activités se déroulent dans le cyberespace, telles l’écriture collaborative et la rédaction d’articles pour le site du journal scolaire. Une de ses activités, la tenue d’un carnet de dessin, évolue en marge du cyberespace tout en y empruntant certains éléments, dont le type d’imagerie véhiculée dans les romans qu’elle lit. Son capital culturel, formel et informel, se joue de manière riche et singulière : c’est ce que cette section de l’article nous permet de découvrir. Au moment de la collecte des données sur lesquelles s’appuie la présente analyse, Mirella fréquentait une école secondaire privée de Montréal et était en 3e secondaire (Faucher, 2013).
Le cas de Mirella révèle l’alliage d’une pratique multimonomodale informelle (évoluant en marge de l’école) et d’une pratique multimodale formelle (ayant cours dans ses activités parascolaires). La pratique multimonomodale informelle de l’adolescente se manifeste au travers de la production visuelle, de l’écriture collaborative et de la lecture. Elle est pratiquée à divers moments mais reliée par des thèmes récurrents et des univers symboliques connexes.
En ce qui a trait à la production visuelle, cette activité mobilise certains logiciels de traitement de l’image (Pixlr et Paint), la recherche iconique sur des moteurs de recherche (Google) ainsi que la saisie de photographies. Mirella a recours à une panoplie de logiciels afin de modifier des images destinées à agrémenter les articles qu’elle rédige pour le journal de l’école ou
simplement pour s’adonner à une exploration ludique et identitaire à partir d’images glanées sur le Web ou saisies à l’aide de sa Webcam dans sa chambre.
Les images qu’elle utilise pour le journal étudiant4, souvent glanées sur le Web puis retouchées dans un logiciel, sont en essence multimodales de par le contexte qui les entoure. Selon Duncum (2010), « there are no purely visual images: images never appear without words, music, or other sounds » (p. 10). Cela s’avère particulièrement exact, pour le présent cas, dans les articles de l’adolescente diffusés sur le site de l’école, où images et textes interagissent. Ce sujet sera traité plus en détail dans les prochains paragraphes.
En ce qui concerne la production écrite collaborative de Mirella, celle-ci fait appel à la messagerie instantanée (Yahoo) et à la co-création de récits imaginaires avec ses deux amies d’enfance. Cette activité est décrite par Mirella comme étant très signifiante pour elle. À travers l’écriture collaborative avec ses amies roumaines, l’amitié entre les trois filles s’est poursuivie malgré la grande distance physique les séparant.
Dans le contexte d’une thèse de doctorat (Faucher, 2013), nous avons demandé à Mirella dans quelle captation elle avait été la plus créative. Celle-ci a répondu : « Euh, créative, moi, c’est sûrement, c’est ici [Yahoo] aussi. Pas seulement par la production de messages, mais je lui envoie des fois [à mes amies roumaines] des résumés ou l’histoire au complet ».
Au moment de son entrevue (2010), Mirella a dit être passionnée par deux séries littéraires. Il s’agit des romans sentimentaux de Stephenie Meyer formant La Saga du désir interdit (Twilight) ainsi que de la série « héroïque merveilleux » intitulée Tara Duncan, de l’auteure Sophie Audouin-Mamikonian. L’héroïque merveilleux, aussi connu sous le nom de fantasy, est un genre hybride mettant en jeu un ou plusieurs éléments irrationnels, relevant généralement d’un aspect mythique, qui s’immisce dans un cadre de vie réaliste (ex. : recours à la magie dans la vie quotidienne du jeune héros).
Dans le cas de Mirella, l’analyse de l’action de lire permet d’avancer que cette action s’éloigne chez elle de la « consommation médiatique passive » (Ito et al., 2010, p. 246) ou de
« l’idéologie de la consommation-réceptacle » (de Certeau, 1990, p. 242). Effectivement, l’action de lire suppose, chez l’adolescente, un acte d’appropriation, tel qu’envisagé par de Certeau dans sa conceptualisation de la lecture en tant que braconnage (1990, p. 239). Notons que les concepts d’appropriation et de braconnage renvoient au concept d’hybridation en tant que processus.
En ce qui a trait à la pratique multimodale formelle de Mirella, celle-ci concerne le journal étudiant dans lequel elle s’implique au sein d’une activité parascolaire, et ce, sur une base hebdomadaire. La production écrite journalistique de l’adolescente repose sur la rédaction d’articles couvrant l’actualité scolaire, nationale et internationale (ex. : faits divers liés à la météo, événements spéciaux qui ont lieu dans cette école secondaire, etc.).
L’équipe de journalistes novices, dont fait partie Mirella, réalise son travail sous la coordination d’un professionnel qui leur offre son soutien. L’élève de 3e secondaire a parlé des « coulisses du journal », incluant les codes de programmation HTML avec lesquels elle est désormais familière. « [C]’est comme ce qui est pas dévoilé au grand public. C’est là où tout est mis en scène. J’ai vraiment des métaphores avec le théâtre ». Cette production écrite journalistique a été désignée par Mirella comme étant celle où elle produit le plus (en terme de contenus générés – articles – écrits puis mis en ligne).
Nous avons vu que Mirella possède une pratique multimonomodale informelle (production visuelle, écriture collaborative et lecture) et une pratique multimodale formelle liée à la production écrite journalistique. Mais comment s’articulent ces activités au regard de la notion de multimodalité? Tout d’abord, on remarque que les compétences en écriture qu’elle développe dans la co-création de récits, les compétences visuelles (production d’images) et les compétences en lecture ont un impact sur son activité de journaliste apprentie.
La production visuelle permet d’alimenter en images les articles qu’elle rédige. Mirella effectue d’abord une recherche sur Google et y prélève des images servant à « illustrer » ses articles. Par la suite, celles-ci seront retouchées à l’aide de différents logiciels de traitement de l’image. Nous n’avons pas fait une étude exhaustive des articles publiés sur JE par Mirella, mais un
survol indique que le type d’ancrage texte/image utilisé est généralement redondant ou complémentaire. À titre d’exemple, s’intéressant à la météo et fréquentant régulièrement un site dédié à ce sujet, Mirella avait eu l’idée d’écrire un article sur la fête de l’Halloween, car, ce soir-là (automne 2010), il avait neigé. Elle avait trouvé sur un site de météo une photographie montrant un bonhomme de neige tenant une épée et dont la tête avait été substituée par une citrouille arborant chapeau, foulard et cache-œil de pirate. Pour elle, cette figure hybride offrait une belle synthèse visuelle de l’idée qu’elle voulait partager dans son article : « surprenant : il a neigé le 31 octobre! ». Elle a donc eu recours à ce substitut visuel pour accompagner son article sur le site de JE, et ce, après l’avoir altérée dans un logiciel afin d’ajuster le niveau des couleurs.
Même si l’intention de l’adolescente est de trouver une « image qui vaut mille mots » pour accompagner son article – ce qui pourrait évoquer le type d’ancrage redondant – l’exemple de l’article Les citrouilles gisent… dans la neige!? pointe plutôt vers une autre conclusion. En ce qui a trait à la stricte nature du message incrusté dans la photographie, les codes employés ne se contentent pas de répéter le contenu informationnel du texte afin de faciliter une compréhension claire de ce dont il est question. Malgré les intentions de la jeune journaliste (productrice du message), les effets sur le récepteur peuvent, dans le cas, prendre plusieurs directions. Si, pour Mirella, cette image satisfait l’exigence de bien illustrer le contenu de l’article, on remarque que les substituts textuels et visuels sont associés à un type d’ancrage plutôt complémentaire, voire relais. Non seulement les images interagissent avec le texte et parlent avec d’autres images (par système de renvois), elles peuvent également engendrer des métaphores et des effets de ricochet imprévus dans l’esprit du récepteur.
Dans son article sur l’Halloween enneigée, Mirella concentre son propos sur le partage d’informations factuelles principalement liées au temps qu’il a fait le soir de cette fête « farce ou friandise » et de prévisions à plus long terme. Or, l’image choisie recèle une riche polysémie, depuis l’idée d’un « redoutable pirate gelé échoué sur une banquise » ou toute autre image à couleur imaginative ou surréaliste où il y a associations d’éléments inattendus, voire insolites. La dimension surprenante et cocasse de l’Halloween sous la neige ne se reflète pas dans l’article : c’est l’image qui complète en ce sens, ou prend le relais pour conduire le sens
ailleurs. Mirella s’est-elle interrogée sur ses intentions : produire un message clair avec un destinataire précis en tête, tout en le faisant de manière humoristique et inventive?
Figure 1 – Les citrouilles gisent dans la neige. Capture d’écran d’un article de Mirella pour le journal étudiant.
Cette réflexion montre toute l’importance du développement de la littératie médiatique multimodale et du jugement critique en milieu scolaire (Richard, 2012) afin d’aider les jeunes à être de plus en en plus conscients de ce qui se joue dans les multiples artéfacts qu’ils génèrent et ceux qui composent le paysage médiatique et la cyberculture multimodale dans lesquels ils baignent quotidiennement. Comment favoriser au mieux l’apprentissage et l’utilisation des fonctions communicatives, expressives dans les artéfacts créés par les élèves? Quelles stratégies de questionnement auraient encouragé et soutenu une prise de conscience, chez Mirella, du processus de production de sens auquel elle a eu recours en engendrant cet article?
Pour revenir à un regard plus général sur la pratique culturelle et créative de l’adolescente, mentionnons que la combinaison de ses compétences visuelles (artistiques et technologiques) avec ses compétences en écriture révèle un aspect de l’alliage de sa pratique multimonomodale informelle et de sa pratique multimodale formelle. Nous avons vu que dans sa pratique multimonomodale informelle, Mirella s’adonne à l’écriture collaborative centrée sur des récits
plutôt imaginaires. Dans sa production journalistique, son travail d’écriture est orienté vers la recherche d’un sujet d’article qui l’intéresse, mais aussi de couvrir un événement d’actualité (de l’école ou non) susceptible de captiver les jeunes lecteurs de JE. Mirella a alors un destinataire précis en tête, à la différence de l’écriture collaborative qui active sa créativité de manière plus
« libre ». La co-création de récits, centrée sur l’imaginaire, peut nourrir le travail d’écriture journalistique, plus encadré, utilitaire et pragmatique. (Est-ce son travail d’invention d’histoires, avec ses amies roumaines, qui confère cette couleur inventive à la production de sens mobilisée dans ses articles?)
Mais il n’y a pas que l’écriture collaboratrice qui alimente son activité journalistique, à ce registre se trouve également la lecture. D’ailleurs, dans son entrevue d’explicitation (Faucher, 2013), les propos de Mirella laissaient sous-entendre que les activités de lecture et d’écriture (d’articles et d’histoires) sont étroitement liées dans sa vie :
Comme moyen d’expression, moi, tout ce qui touche à la lecture ou [à] l’écriture, je suis fan. Vous l’aurez deviné, on parle de lire, de lecture, de sites [à propos] de livres […] j’aime vraiment ça pis ça [me] permet de pratiquer mon écriture, de m’exprimer par rapport à différents sujets, que ce soit en lien avec l’école ou de l’actualité en tant que telle.
En d’autres termes, Mirella estime que le fait de lire beaucoup lui permet de s’exercer et de s’améliorer dans l’art d’écrire, probablement parce qu’elle effectue souvent une lecture très attentive et animée d’une intention (telle la mémorisation de l’orthographe au passage), qu’il soit question de romans et de site internet divers, et ce, sur différents médias. Ces activités de lecture/écriture jouent un rôle important au regard de la dimension expressive de sa pratique culturelle et créative en général, tout en favorisant son sentiment d’appartenance à son école et son intérêt face aux grands enjeux de l’heure débattus sur la scène médiatique. Ses activités de lecture/écriture, qu’elle envisage de manière quasi inextricable, lui permettent donc de partager ses opinions et sa vision du monde avec les internautes consultant ce journal numérique.
Dans un autre ordre d’idées, dans la précédente analyse d’un exemple lié à la pratique multimodale formelle de Mirella portant sur sa production écrite journalistique, nous avons abordé, d’une certaine manière, l’articulation réception/création. A alors été évoqué un certain décalage entre les intentions du créateur et du récepteur. En ce qui a trait au processus qui sous-
tend cette articulation, nous observons l’activation de divers types de stratégies processuelles. Lorsque l’adolescente s’adonne à l’écriture collaborative, elle interpelle la transfictionnalisation puisque certains éléments du réel sont transposés dans la fiction. En effet, elle et ses amies jumelles peuvent s’inspirer en partie de leur expérience quotidienne pour ensuite créer des récits imaginaires.
Nous avons vu antérieurement que Mirella a recours à divers outils de création, dont le carnet de croquis. Ce dernier lui permet d’établir une passerelle entre les mondes réels et virtuels. Son carnet est orienté essentiellement sur la technique du dessin analogique, à la différence du journal de bord tenu en classe d’art pouvant aussi faire appel à d’autres techniques (peinture, collage, impression, etc.) et contenir des artéfacts (objets trouvés bidimensionnels, fragments de photographies familiales, etc.). Cet outil permet à l’élève de rendre compte de sa démarche d’apprentissage et de création dans son cours d’art, particulièrement durant l’inspiration et la distanciation, tandis que celui de la participante focalise, dans une large mesure, sur l’exploration d’un univers merveilleux hybride, héroïque et fantastique, issu de sa pratique culturelle.
Les dessins que cette adolescente réalise dans son cahier de croquis (pratique répandue chez les artistes) dévoilent le type d’imagerie à laquelle elle s’abreuve et s’alimentent aux codes visuels issus des séries littéraires qu’elle affectionne (Tara Duncan, Saga du désir interdit, etc.). De plus, ces dessins recèlent une couleur poétique, spécialement en ce qui concerne l’attribution de mots accompagnant les images, selon un ancrage texte/image souvent redondant. En fin de compte, ce carnet constitue une forme de pérégrination visuelle de figures chimériques dans des mondes altérés, puisant également à la culture populaire et à la mythologie. Cette pratique de création informelle reposant sur le dessin interpelle l’articulation réception/création associée à la transmodalisation. À titre d’illustration, Mirella s’inspire notamment des personnages associés à la jeune héroïne Tara Duncan, héritière du plus grand empire humain d’AutreMonde, pour dessiner dans son carnet. Ainsi, une constellation de formes imaginaires (types de vêtements, d’armes, de fleurs, etc.) migrent d’une forme à une autre : de l’imaginaire à la représentation. Dans son processus « réception/création », l’adolescente croise et
« transmodalise » les différents objets, personnages et archétypes » présents dans ses lectures.
Pour compléter ces réflexions, ajoutons que la littératie médiatique multimodale et les pratiques culturelles et créatives sont fortement rattachées à la culture de la participation. Selon Jenkins, Purushotma, Weigel, Clinton et Robison (2009), il est nécessaire de posséder plusieurs habiletés afin de se mouvoir avec aisance dans ce type de culture qui sous-tend une implication active du sujet. Parmi ces habiletés se retrouve l’appropriation mobilisant autant l’activité mentale ou la « réception active de signes » (R. Garon, communication personnelle, 5 mai 2006) que la production d’objets culturels : artéfacts analogiques ou virtuels. Le processus qui participe à la création de ces productions est lié au concept spécifique de bricolage tout en montrant comment le concept d’hybridité peut être envisagé en tant que démarche et mode de fonctionnement.
Figure 2 – Détail d’un croquis de personnages inspirés de Tara Duncan par Mirella.
Mirella mobilise le concept d’hybridité, et ce, de manières diverses. L’hybridité des formes et des figures se manifeste dans la représentation des figures lycanthropes ou mélusines présentes dans son cahier de croquis ou ses lectures (habitées par plusieurs créatures fantastiques quoiqu’elles ne soient pas toutes métissées). L’hybridité des fonctions se produit lorsqu’elle
navigue sur le portail officiel de son école. En effet, l’adolescente utilise ce site Internet de manière à en modifier ou en détourner les fonctions. Le portail de cette école secondaire permet aux élèves de prendre connaissance des travaux qu’ils ont à faire, de leur suivi pédagogique et comportemental, etc. Il permet également aux parents des élèves de s’informer en tout temps sur le développement de leur enfant en contexte scolaire : sa fonction est donc utilitaire et informationnelle. En d’autres termes, la plateforme est conçue afin de favoriser la consultation des parents, des élèves et des enseignants, la consignation de renseignements et la communication élèves/enseignants ou parents/enseignants, tout en relevant de la sphère institutionnelle. Or, Mirella utilise ce portail, avec une amie, à des fins communicationnelles et ludiques : ces adolescentes ont trouvé le moyen de s’échanger de manière informelle des messages sans lien avec le contenu du portail et d’instituer un nouvel usage, une nouvelle fonction et un nouveau rapport : élève/élève.
En ce qui a trait à l’hybridité/multimodalité comme processus, celle-ci survient sous forme de croisement entre deux types d’articulation réception/création, soit la transmodalisation et la contiguïté thématique. Lorsqu’une figure migre d’une forme à une autre, il est possible qu’elle incarne un thème se déplaçant au sein de plusieurs types de supports ou de productions. C’est le cas chez Mirella, pour la constellation de formes imaginaires (ex. : types d’armes) migrant d’une forme à une autre : de la lecture à la pratique du dessin.
Les activités que Mirella a développées autour de la production visuelle, de la lecture et de l’écriture, révèlent l’esprit d’une adolescente animée tant par le principe de la réalité que par celui de l’imaginaire, un imaginaire peuplé, entre autres choses, par le foisonnement des récits et des personnages de la jeune Tara Duncan évoluant dans Autremonde. Que la pratique culturelle et créative de Mirella sollicite des mondes irréels, chimériques ou rationnels, elle se fait également amphibienne : c’est-à-dire qu’elle se déploie tant dans les univers numériques qu’analogiques ou matériels tout en faisant appel à différents modes.
4.2. Le cas de Mélou
Mélou est une adolescente de quatorze ans qui se désigne comme une Otaku, soit une personne qui consacre une grande partie de son temps à la lecture de mangas, au visionnement d’animes
liés à la culture japonaise. Sa plus grande passion demeure la mode, très inspirée de l’univers des mangas. Plusieurs concepts empruntés à la grille, présentés dans le cadre théorique de cet article, serviront ici à analyser les pratiques de création de Mélou. Nous nous intéresserons à l’influence de ses «réceptions» (consommation artistique), des supports utilisés, des types de discours ainsi que du destinataire sur la nature et le processus de création de ses productions artistiques.
Les pratiques de création de Mélou sont fortement inspirées de ses lectures et de son goût pour la mode et les mangas. Par exemple, ses dessins sont fortement influencés par les expositions qu’elle fréquente et l’univers esthétique des mangas (visuel et animé) alors que ses blogues sont alimentés par ses lectures : « Je lisais beaucoup de mangas et je me suis rendu compte que j’aimerais avoir une banque de tous les mangas que j’ai lus. Donc, j’ai commencé à faire la liste. » De plus, ses fanfictions5 d’amour sucré, inspirées du jeu katawa shoujo, relèvent d’une activité fantasmatique à la base de toute transfiction. Les « activités de complément » du lecteur, selon la formule de Bayard (2002), lui font imaginer un avant, un après et un pendant à son intervention dans l’intrigue : « Je prenais les mêmes personnages avec le même thème, mais je créais une autre histoire. Je rajoutais aussi d’autres personnages et je les mettais en couple ».
Les supports utilisés par Mélou varient en fonction de la nature de ses activités de création. Par exemple, elle dessine des vêtements de mode sur papier, collectionne des images pour ses personnages sur diaporama (PowerPoint), compose des textes écrits sur son iPod (fonction notes), répertorie des animes et rédige des critiques de mangas sur des plateformes Web (ex. : Wattpad). Ainsi ses pratiques monomodales se font surtout sur des supports qui ne favorisent pas l’architecture textuelle (framing [Kress, 2010]) ou hypertextuelle, alors que ses pratiques multimodales se font sur des plateformes qui se prêtent à l’usage de différents modes pour exprimer/présenter une création. Seul le diaporama aurait pu être utilisé comme support multimodal puisqu’il permet de juxtaposer texte, vidéo et images, mais comme il lui sert uniquement de répertoire d’images pour documenter ses créations, il ne vise pas l’expression d’une création.
Les types de discours varient, dans les productions de Mélou, en fonction de l’intention, du genre textuel et des destinataires. Par exemple, elle privilégie dans ses blogues l’écriture de textes courts de types descriptif et critique visant à éclairer, voire orienter les choix de lecture des consommateurs de manga :
Je le fais aussi pour eux, car, avant, j’avais vraiment de la misère à trouver des mangas. Je ramasse donc toutes les informations que je peux pour que ça soit plus facile… Je fais aussi un article sur l’anime, l’artbook, le film, les figurines, les jeux vidéo.
Les images qu’elle ajoute servent surtout à présenter la première de couverture afin d’informer le lecteur en lui fournissant des représentations visuelles des personnages et des situations. Le texte sert parfois à complémenter l’image : « Ce manga très peu original a quand même quelques points à gagner avec sa qualité. Les dessins n’étant pas exceptionnels, l’auteur a dû faire preuve d’originalité dans le texte et la façon de présenter cette histoire d’amour clichée… ». Elle ne commente pas seulement les romans graphiques mais aussi les animes, et distingue ses activités de lecture de ses activités de visionnement : « Sur mon blog, je vais vous décrire tous les manga que j’ai lu ou les anime que j’ai vu jusqu’à présent »[sic].
Ses pratiques de création de manga sont de type narratif et ne sont pas accompagnées de dessins originaux puisqu’elle trouve ses talents de dessinatrices insuffisants. Elle emprunte donc des images pour illustrer la représentation qu’elle se fait de ses personnages :
Je ne fais pas mon propre manga parce que je ne suis pas capable de dessiner. Donc, ce que je fais, c’est écrire un texte comme un roman ou une fanfiction, et j’y rajoute des images…. Par exemple, à chaque chapitre, je rajoute une image comme celle d’un nouveau personnage. Je trouve une image qui ressemble à comment je l’imaginais et je la mets.
Mélou s’adresse souvent à son lectorat pour le mettre en garde contre l’habitude qu’elle a de ne pas terminer ses récits. Ainsi, elle invite à compléter, par son activité fantasmatique, les textes incomplets qu’elle leur soumet.
Figure 3 – Capture d’écran d’un extrait d’une fanfiction de Mélou.
L’échantillonnage d’images sur des diaporamas, l’écriture de récits sur le iPod, les dessins de modes sont souvent, chez Mélou, des étapes transitoires qui mènent à des productions multimodales sur des plateformes interactives. Il faut donc distinguer son processus de création, monomodal et privé, de ses productions sur le Web, multimodales et publiques. Il existe toutefois des liens thématiques et formels entre ses créations « transitoires » et ses créations diffusées. La transfictionnalisation (ex. : transformation d’un manga en fanfiction), la transmodalisation (ex. : répertoires d’images pour construire un personnage dans un récit textuel) et l’hybridation (croisement de thèmes et de formes) sont donc au cœur de son processus de création.
4.3. Le cas de Zola
Zola est une jeune fille de la classe moyenne, à l’origine ethnique mixte, habitant la région montréalaise. Ses parents sont tous deux designers de mode et contribuent largement au capital culturel de leur fille qui partage leur intérêt pour la mode. Zola tient un blogue, Smile Style, depuis l’âge de 13 ans : c’est là sa principale pratique de création/réception informelle. Elle assiste à des défilés de mode et les commente sur son blogue. Dans sa chambre, elle crée ce qu’elle appelle des outfits en mixant des vêtements provenant de grandes chaines, tenues vintage ou de marques, et en confectionnant également ses propres pièces et accessoires. Périodiquement, la mère photographie sa fille qui poste ensuite les images sur le Web,
accompagnées d’un billet où elle décrit sa tenue, d’une vidéo ou d’une pièce musicale qui l’inspire, parfois selon un thème récurrent, recourant ainsi à la contiguïté thématique.
Le blogue de mode est une activité multimodale importante pour Zola, mais elle utilise également ce média pour diffuser ses diverses activités de création/réception modales ou multimonomodales. Par exemple, pour décrire un aménagement en mode spatial, sorte de shelfie, réalisé informellement dans sa chambre, elle utilise une liste en mode textuel, un genre hybride, ainsi qu’une photographie : « Il y a deux pots […] contenant du tissu […] Tigger, le couple de lapins, les cristaux que j’ai placé dans un ensemble à thé, un dé […] » [sic]. Elle combine encore, ici, image et texte dans un billet Web, transmodalisant ses activités pour mieux en rendre compte.
De plus, sur son blogue, Zola aime bien décrire, étape par étape, dans un texte de nature informative, quelques projets informels en cours, tels que déguisement ludique et saisonnier :
« Comme promis, je vous montre comment avance […] mon costume d’Halloween de “fée des bois!” ». Dans un autre billet, une poésie et un portrait photographique illustrent une exploration multimodale (visuelle, gestuelle, textuelle et sonore) des qualités formelles de la fluidité dans un outfit estival. Dans ces genres monomodaux, elle mélange des influences culturelles occidentales, d’Asie centrale et d’Asie de l’Est. Elle joue avec le sens kinesthésique, la sonorité des vers et le tact évoqué, influencée entre autres choses par ses acquis formels en cours de français.
Figure 4 – Montage d’éléments du blogue de Zola qui comprend une poésie et des photos.
La multimodalité permet à Zola d’exercer ses compétences critiques sur ses propres projets de création. Par exemple, dans un billet, elle décrit, commente et classifie une création d’art urbain de son quartier : « C’est de l’art moderne et même si, d’habitude, un graffiti ça me fait penser au vandalisme, je ne trouve pas ceux-là violents ni offensants et ça amène une touche de créativité dans notre quartier! ». Dans un autre billet, elle décrit et critique un projet monomodal formel, réalisé à l’école dans sa classe d’arts plastiques :
L’année passée, notre projet de fin d’année avait été de faire un autoportrait à l’acrylique en remplaçant le visage sur une œuvre déjà existante par le nôtre. J’aime beaucoup mon oreille. Par contre, la délimitation entre le front et les cheveux, celle entre le corps et le fond, ainsi que l’ombre de la joue auraient pu être mieux. J’imagine qu’on s’améliore avec l’expérience!
On peut dire que Zola privilégie le processus hybride de l’échantillonnage, bien quelle bisocie les modes et les sens, bricole avec des matériaux divers et détourne allègrement les objets ou les codes. Elle crée des formes et des figures hybrides en associant divers styles ou univers symboliques. Son activité de création/réception comme blogueuse est surtout multimodale puisqu’elle associe gestuelle, image, aménagement spatial, texte et son. Toutefois les pratiques de création monomodales qu’elle diffuse sur son blogue sont diversifiées par les modes, les médiums et les processus (ex. : bricolage, poésie, photographie, peinture), mais aussi par leurs thèmes et leurs formes. De plus, on peut dire que les compétences formelles acquises à l’école (art, mathématique, français) sont transposées dans son activité de blogueuse.
5.1. Rewrite the year
Rewrite the year est une œuvre des artistes montréalaises Mouna Andraos et Mélissa Mongiat, présentée en 2011 dans divers lieux6. Combinant 365 grands titres de journaux marquant les événements capitaux de cette même année, elle offrait à ses spectateurs une possibilité d’interaction et de réécriture de notre histoire commune. En associant texte, vidéoprojection et nouveaux médias, l’œuvre permettait aux visiteurs de recombiner et de réinventer chacun des grands titres en envoyant un message texte à un numéro de téléphone dédié. Le résultat apparaissait immédiatement sur la projection. Elle était présentée gratuitement, dans l’espace urbain.
L’observation de cette œuvre à la lumière des concepts d’hybridité et de multimodalité permet de souligner certaines composantes significatives, qui marquent par ailleurs le positionnement créatif de ces artistes, guidées par le désir de l’expérimentation et de la combinaison de différents médias. Ainsi, cette œuvre est marquée par une multiplicité de messages, articulés par
des formules de texte générées de manière collaborative par les passants, mais aussi par une combinaison multimodale en son essence, puisqu’il s’agit ici d’une jonction image et texte. Cette combinaison conserve cependant une nature hiérarchisée, puisque les nouveaux médias viennent ici se mettre au service de l’écrit : l’architecture visuelle créée par l’image est ainsi pensée pour articuler les composantes narratives en un tout faisant sens.
Dans cette œuvre, le récepteur se fait également créateur : c’est par sa participation à l’expérience interactive proposée qu’il permet de la bâtir. En chargeant de sens le message qu’il transmet par la modification de la composition des titres, il se fait interprétant, invité ainsi à faire acte de transmodalisation.
Cette œuvre réfère aussi aux concepts de cultures formelle et informelle : prenant pour ancrage culturel les grands faits d’actualité d’une seule et même année, elle invite au subjectivisme et à la transformation du réel par l’imaginaire. Le récepteur investit son bagage émotionnel personnel, décalant par la même la formalité objective caractérisant les grands titres de journaux : il s’approprie une actualité impersonnelle pour s’en amuser ou transmettre un message.
Sur plusieurs de ses composantes, Rewrite the Year peut être rapprochée du cas de Mirella présenté plus haut. Ainsi, on y retrouve l’écriture collaborative pratiquée par la jeune fille et ses amis, mais aussi l’utilisation de codes connus (les formules classiques du journalisme, les grands titres d’actualité) ainsi que la juxtaposition des médias, qui, elle aussi, est souvent caractéristique de l’écriture journalistique.
5.2. Anne Frank au pays du manga
À la manière des romans graphiques documentaires, l’auteur Alain Lewkowicz, accompagné d’un interprète et d’un preneur de son, arpente le Japon et, à travers la perception et la popularité du journal d’Anne Frank, tente de comprendre ce qui, de la Shoah et d’Hiroshima, peut ou non constituer une expérience commune au Japon et à l’Europe. Dans cette œuvre, le créateur associe les médias suivants : dessin, texte, musique, effets sonores, vidéo, animation,
photographie7. L’œuvre offre des contenus enrichis, accessibles directement au fil de ses pages (via un signe + indiquant leur présence), et peut être partagée sur les plateformes sociales. Elle est disponible gratuitement sur internet.
Cette œuvre est par nature hybride et multimodale : elle associe différents médias (texte, image, vidéo, animation, photo, etc.), avec une prédominance marquée pour la bande dessinée (média par essence déjà multimodal), et propose des combinaisons multimodales multiples (modales, médiatiques et multimédiatiques). Sa création elle-même peut être considérée multimodale et collaborative : l’auteur et le preneur de son ont exploré ensemble et déterminé leurs choix créatifs de manière commune. Elle s’élabore sur un territoire expérimental, visant à produire du sens par le biais d’une architecture visuelle soumise aux dispositifs d’interactivité.
Les interactivités proposées viennent ici interroger les notions de créateur/récepteur : si les créateurs originels de l’œuvre sont déjà multiples (preneur de son, animateur, illustrateur, auteur, etc), s’ajoute certainement le lecteur. Celui-ci détermine son parcours de lecture, et donc son cheminement expérientiel, en choisissant les contenus qu’il souhaite dévoiler et explorer, en évoluant entre un mode de lecture immersif et un mode de découverte : la lecture éclatée offre ainsi différentes possibilités de réception.
Anne Franck au pays du manga puise dans le capital culturel des jeunes, par la forme connue de cet art populaire japonais. Ce choix est cohérent, et s’inscrit en lien avec le propos de l’œuvre, qui s’attelle à la perception japonaise de la seconde guerre mondiale, et en particulier d’Anne Franck, et avec la dimension transfictionnelle de cette œuvre, réinventant le témoignage historique par sa fictionnalisation. La diffusion gratuite, et démocratisée, ouverte au grand public, vise et souligne une internationalisation hétérogénéisante au service de la documentation des différences culturelles.
On retrouve ici certaines composantes des créations de Mélou, le deuxième cas décrit plus haut. La transfictionnalisation y est marquante (fanfiction, détournement et prolongement d’une production culturelle spécifique), mais aussi la nature hybride des processus de création.
5.3. In the studio / At the mall
In the studio / At the mall est une œuvre du collectif Jean-Sébastien Vague, composé des deux artistes montréalaises, Jade Barrette et Sophie Rondeau8. Véritable laboratoire identitaire hybride, le duo met en œuvre des stratégies performatives inscrites dans le vécu même des artistes afin d’éprouver les normes régissant la construction identitaire. Dans cette œuvre, il reconstitue, dans un centre commercial, quatre vidéoperformances de l’artiste Bruce Nauman, réalisées en 1968 : Walk with contrapposto, Bouncing in the corner, Stamping in the studio et Wall/floor positions.
Les médias utilisés par le duo sont la performance et la vidéo. Les artistes se sont filmées en train de réaliser leur performance. Dans une seconde œuvre, Complexe D, elles réitéraient l’expérience en centre commercial en invitant les internautes à leur commander des mini- performances via les médias sociaux. L’œuvre a été présentée gratuitement dans l’espace public.
Combinaison de modes et de médias divers (performance, vidéo, médias sociaux sont ici impliqués), dans un objet que l’on pourrait qualifier à la fois d’hybride et de multimodal, cette œuvre permet l’émergence de relations spécifiques entre les formes de représentation, tout en épousant un processus de remédiation, mais aussi de transmodalisation (la transmission de l’œuvre initiale passant de vidéoperformances à des performances directes).
Ici, le créateur est aussi récepteur : il adapte, se réapproprie et transforme des œuvres existantes qu’il interprète. La création est alors dès l’origine pensée comme multimodale, et permet des lectures plurielles. On observe également une contiguïté thématique : l’œuvre se déploie à la fois en performance et via une diffusion vidéo. Enfin, l’utilisation du centre commercial comme terrain de jeu, connu et approprié, apporte une fonction de détournement, de parodie des conventions, en particulier en ce qui a trait à la construction identitaire. Elle crée une ouverture au subjectivisme et à l’investissement émotionnel.
À de nombreux titres, les composantes de cette œuvre pourraient être rapprochées du cas de Zola présenté ici : importance du corps, multiplicité des modes, contiguïté thématique, sont autant des éléments caractéristiques qui se retrouvent dans les productions de la jeune fille.
En appariant de façon exploratoire les pratiques informelles de jeunes avec celles d’artistes actuels qui pratiquent l’hybridité/multimodalité, nous avons pu remarquer des similarités, mais aussi des différences. Ainsi on retrouve des parentés de processus, de formes, de contenus thématiques et de fonctions, de même que des combinaisons, des composantes, des modalités et des articulations semblables. Cependant les niveaux de maitrise, de complexité et d’intentionnalité diffèrent.
Les pratiques de production informelles de ces trois jeunes montrent à quel point il est important, pour les enseignants, d’envisager avec sérieux et intérêt le capital culturel des jeunes, en prenant soin de ne pas ignorer les pratiques créatives informelles qui les alimentent et les structurent, ainsi que les pratiques artistiques formelles acquises à l’école. L’hybridité, la multimodalité, la transfictionnalité sont des caractéristiques prégnantes dans les pratiques créatrices actuelles, tant chez les jeunes que chez les artistes, mais non pas des fins en soi. Elles permettent toutefois de mieux comprendre ces pratiques dans leurs aspects sociaux, processuels, interactifs, matériels, etc. Il est clair que les intentions et les compétences de l’artiste diffèrent de celles du jeune, d’où l’importance pour l’école d’opérer des passages d’un seuil culturel à l’autre.
Nous croyons qu’il importe de développer une pédagogie hybride à négocier avec les jeunes à partir de leurs intérêts et de leurs pratiques de création/réception informelles et de pratiques artistiques multimodales actuelles qui y sont associées. Cette pédagogie doit s’insérer dans l’espace liminal entre l’art, l’école, les médias et la culture des jeunes. Cela nécessite de redéfinir la création/réception afin de dépasser les champs de l’art, de la science et de la technique pour investir celui de la vie. On pourra ainsi y insérer les pratiques des jeunes, tout
comme celles d’artistes, et les considérer comme formes potentielles de création et objets de réception.
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1 Les limites de ce texte ne permettent pas d’aborder ces aspects que nous traitons ailleurs (Lacelle et Richard, 2014).
2 La transmodalisation est un transfert consistant à transposer des signes textuels en signes visuels mobiles (mouvement, gestuelle, espace, temps) et sonores (parole, bruit, musique) (Lacelle, 2014, inspirée de Kress, 2010). 3 La transfictionnalité est « un phénomène par lequel au moins deux textes, du même auteur ou non, se rapportent conjointement à une même fiction, que ce soit par reprise de personnages, prolongement d’une intrigue préalable partage d’univers fictionnel » (St-Gelais, 2011, p. 7).
4 Dénommé JE, ce journal est accessible à l’adresse suivante : http://carrefour.reginaassumpta.qc.ca/spip.php?page=sommaire
5 Une fanfiction, ou fanfic, désigne le texte produit inspiré d’une œuvre origina. Les fanfictions sont des textes écrits par des amateurs qui inscrivent leur récit dans une production culturelle (littéraire, télévisuel, filmique, ou pictural) dont ils sont fans.
6 Cette œuvre peut être consultée à l’adresse suivante : http://rewritetheyear.com/
7 L’œuvre peut être consultée à l’adresse suivante : http://annefrank.arte.tv/fr/
8 L’œuvre est présentée à l’adresse suivante : http://www.jeansebastienvague.net/index.php?/images/in-the-studioat-the-mall/
Multimodalité(s) se veut un lieu de rassemblement des voix de toutes les disciplines qui s’intéressent à la littératie contemporaine.
ISSN : 2818-0100
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