Produire des planches pour apprendre à lire la BD: quelques dispositifs et leurs effets dans des classes de cycle 3(1)


Nicolas Rouvière Université de Grenoble

Résumé : le présent article légitime la production de planches de BD dans le cours de français, en distinguant deuxcompétences essentielles : le découpage du récit et la mise en page. Il montre que la BD peut modifier le rapport à l’écrit et révéler chez certains élèves des compétences d’écriture narrative que l’on ne soupçonnait pas. L’article jeteles bases d’une didactique de la BD sur le versant de la production, et ouvre un champ d’étude nouveau dans le cours de français : celui de la création scénaristique.

Mots clé : didactique, BD, création, scénario, école primaire.

Abstract : This article justifies comics’ creation in the French class through the distinction between two basic skills : the screenplay and the layout. It shows the ability of comics to change pupils’attitude towards the written language and to reveal new narrative capabilities. This article lays the foundations for comics’didactics. It also opens a new scope of knowledge in the French class, namely the screenplay’s creation.

Keywords : didactics, comics, creation, screenplay, primary school.

1 Une version plus brève de cet article a été publiée dans le n°53 de La Lettre de l’AIRDF.

Introduction

En dépit de sa légitimation en France dans les instructions officielles, depuis 1996 pour le classes de collège et 2002pour les classes de l’école élémentaire, la bande dessinée reste dans les faits le parent pauvre de la littérature de jeunesse à l’école. Angélique Perronnet (2012) en a rappelé les raisons principales :

  • la faible légitimité scolaire du médium pour certains enseignants et certains parents,
  • le manque de formation des enseignants au langage de la BD,
  • le retard dans la théorisation didactique du médium,
  • mais aussi les problèmes pratiques de présentation du support : l’unité de base de la BD étant la vignette, et non la double page, comme dans le cas de l’album pour enfants, on ne peut fonctionner avec un seul album par classe. Il faut pouvoir projeter les planches, et assurer le coût financier de photocopies et d’achat d’albums.

Il est toujours possible néanmoins de s’en remettre aux propositions pédagogiques des manuels, qui intègrent de plus en plus fréquemment l’objet BD. Bernard Tabuce (2012) a montré le saut qualitatif effectué dans ce domaine par les manuels de collège en France dans les années 2002- 2008, sur le plan de l’analyse littéraire et plastique des récits proposés. Dans les manuels de l’école primaire, cette intégration, en revanche, ne va pas jusqu’à problématiser les extraits d’œuvres dans leur singularité et leur portée. La BD reste trop souvent envisagée globalement comme une forme d’expression à laquelle il faut simplement acculturer les élèves, indépendamment du sens et de l’intérêt des extraits présentés. Par ailleurs un point n’est pratiquement jamais abordé, que ce soit dans les manuels de cycle 3 oude collège : la production par les élèves de récits en bande dessinée. Pour certains didacticiens et pédagogues, le coût en heures et en énergie est rédhibitoire au regard des productions obtenues et des apprentissages permis par le dispositif. Pour Patrice Gentilhomme (2006, p. 5), « ce type de projet s’avère souvent élitiste et, au final, un peu vain. En effet, en plus de qualités d’expression plastiques particulières, cet exercice exige des capacités d’organisation etde structuration du récit qui vont

bien au-delà des compétences attendues en fin de cycle 3 ! ». Jean-Maurice Rosier (2012) va dans le même sens : «Nous avons connaissance d’expériences de créations de BD à l’Ecole : surtout en primaire et dans des disciplines autres que le français : (…) la technicité et la virtuosité de la mise en forme plastique que demandent ces réalisations ne relèvent pas de la performance attendue d’élèves de l’enseignement général. » (p.48-49). Les initiatives en ce sens restent donc le fait de pédagogues passionnés que l’aventure n’effraie pas. On sait pourtant que l’entrée par laproduction est une voie majeure pour l’appropriation des œuvres, et qu’il n’est pas de lecture sans articulation étroite avec l’écriture. De toute évidence, c’est la dimension iconique et plastique ici qui fait problème, car elle excède le champ du cours de français. Or, on se méprend très souvent sur les opérations et compétences en jeu, en se focalisant sur l’obstacle de la mimésis graphique. Je voudrais pour ma part réinscrire et re-légitimer la production de planches de BD dans le cours de français, en insistant sur deux compétences essentielles, en jeu dans le processus de production : le découpage du récit et la mise en page. Sur la base d’expériences menées principalement au cycle 3 de l’Ecole élémentaire, je montrerai que la BD constitue une chance pour modifier le rapport à l’écrit et révéler chez certains élèves des compétences d’écriture narrative que l’on ne soupçonnait pas. Les dispositifs que je vais présenter sont tirés de séquences d’enseignement construites et mises en œuvre par les étudiants et professeurs stagiaires, dans le cadre de mémoires professionnels que j’ai dirigés à l’IUFM de Grenoble entre 2006 et 2009.

Eléments théoriques pour ouvrir les représentations sur la BD et son processus de création Afin d’engager lesélèves en toute confiance dans la production de BD, on gagne à ouvrir la représentation qu’ils se font du médium, en s’en tenant aux trois critères de définition exposés par Harry Morgan (2003) dans son livre Principes deslittératures dessinées. La BD se définit ainsi par :

  • la présence d’un dispositif spatio-topique, c’est-à-dire d’une mise en page spécifique qui distribue les images,avec ou sans texte, pour en faire l’ancrage permanent de la lecture ;
  • le caractère volontiers narratif des images, lorsque celles-ci induisent en elles-mêmes un avant et un après, un lien de causalité et de consécution ;
  • enfin, la séquentialité, c’est-à-dire la présence de ce même lien de causalité et de consécution dans uneséquence imagée. Le seuil à partir duquel le dispositif bascule

dans celui de la BD, note Harry Morgan, semble être la séquence d’au moins trois images par page. En effet la triade constituée par la vignette en train d’être lue, celle qui précède et celle qui suit, constitue une micro-chaîne qui se déplace tout au long de la lecture.

Cette définition très simple de la bande dessinée est particulièrement opérante. Elle permet d’évacuer tout à la fois la bulle, la forme et le contour de vignette, le style graphique, les onomatopées, les signes idéographiques et le rapport texte-image, comme des caractéristiques secondaires, certes importantes, mais non définitoires du médium.

Les conséquences pédagogiques sont fructueuses. Ainsi, la réalisation d’une petite histoire séquentielle en images devient rapidement à la portée de tous, quand bien même on ne sait pas dessiner. On peut par exemple transformer et réinterpréter une œuvre picturale sous la forme d’une BD. C’est le travail que nous avons mené avec une classe de CM2, à partir du tableau de Georges de la Tour, intitulé Le Tricheur à l’as de carreau 2. (image 1) Après avoir identifié les personnages et étudié les attitudes et les regards, les élèves ont été invités à une lecture interprétative : « à votre avis qui triche et qui est avec qui ? ». La multiplicité des réponses et des inter-relations imaginées entre les personnages a donné lieu ensuite à un réinvestissement sous la forme d’une BD, (images 2a, 2b, 3a et 3b) à partir d’une banque d’images proposée par le maître, constituée de fragments du tableau, reproduits, agrandis, grossis,inversés, réduits, que les élèves ont sélectionnés, enchaînés, collés, complétés, enrichis graphiquement et textuellement, afin de reconstituer l’histoire telle qu’ils l’imaginent. La mise en page a été laissée complètement libre. Le seul critère était de raconter et réinterpréter la scène sous la forme d’une suite d’images accompagnée de texte. Le tableau Le Tricheur à l’as de carreau s’y prête particulièrement, car il est narratif en lui-même et construit pour être polysémique.

Sans le savoir, les élèves mettent en œuvre, dans ce processus de création, deux opérations différentes essentielles, constitutives de l’art de la BD. La première relève de ce que Thierry Groensteen (1999) appelle l’arthrologie, à savoir la capacité à enchaîner, articuler, mettre en relation des vignettes ou des dessins, du point de vue du sens, pour créerune suite narrative. La

2 Huile sur toile, 106 x 146 cm (vers 1635), Musée du Louvre, France.

seconde opération relève de la spatio-topie : en disposant à leur gré, sur la page, des images de taille et de format différents, les élèves créent un effet de composition qui ne se réduit pas à un simple parcours de lecture linéaire. Certaines vignettes sont en effet choisies par les élèves pour leur caractère spectaculaire – qu’il s’agisse de la taille, du format ou du plan proposé – et mises en valeur comme telles, à une place concertée. Parfois, la logique de monstration tend même à l’emporter sur la cohérence narrative. La tension entre arthrologie et spatio-topie a ainsi conduit certains théoriciens comme Benoît Peeters (1998) à distinguer quatre conceptions de la planche :

« conventionnelle » lorsque le récit s’enchaîne sans souci de la mise en page, « décorative » lorsque la recherched’effet esthétique tabulaire l’emporte sur la conduite linéaire du récit,

« rhétorique » lorsque la mise en page est au service d’un récit préalable dont elle a pour fonction d’accentuer les effets, et « productrice » lorsque les trouvailles de mise en page semblent engendrer le récit lui-même.

Penser une didactique de la BD sur le versant de la production passe prioritairement par un travail spécifique autour de ces deux composantes que sont l’arthrologie et la spatio-topie. Voilà qui nous éloigne des stéréotypes scolairesautour de la complémentation de planches à trous. Non pas que cette activité soit inutile : effacer le contenu iconique ou textuel d’une ou plusieurs vignettes, afin de les compléter, peut faire sens et s’avérer une activité constructive pour l’acculturation à la BD, la compréhension du récit, ou encore l’amorce d’une plus ample activité de production. Mais il s’agit pour nous de développer ici des compétences qui s’apparentent davantage à l’activité scénaristique.

Les compétences qui relèvent de l’arthrologie

Comme l’indique Thierry Groensteen (1999), l’opération essentielle de l’arthrologie est le découpage : la séparation du contenu narratif en paquets et la conversion de ces derniers en vignettes, dont le contour du cadre a une fonction à la fois séparatrice et lecturale.

Partir d’un récit préexistant et apprendre à le découper pour en faire une BD

Partir d’un récit préexistant, comme la fable de La Fontaine, « Le Renard et le Bouc », peut s’avérer un choix judicieux en classe de CM1-CM23. Le texte propose en effet un récit vivant et ne comporte pas de difficulté linguistique majeure qui entraverait la compréhension globale de l’histoire. L’astuce du renard, qui propose de grimper sur le dos de son compère pour sortir du puits où ils sont tombés, fait particulièrement image et prend un tourcomique dans la narration et les dialogues. Après avoir explicité le sens de quelques expressions du texte et posé desquestions de compréhension très générales afin de s’assurer que l’anecdote est bien comprise, l’enseignant répartit les élèves par groupe avec la consigne de « découper » au sens propre, ciseaux et page de texte à la main, la fable en différentes parties et de donner un titre à chacune. Les élèves négocient entre eux pour s’entendre sur un découpage commun, puis les rapporteurs de chaque groupe viennent proposer leur suite de scènes, dont les délimitations et les intitulés sont à nouveau discutés. Les découpages obtenus restent affichés au tableau, et il est alors demandé individuellement à chaque élève de dessiner une case correspondant à un moment du récit de leur choix. Ces productions dessinées sont ensuite affichées au tableau, observées, commentées et regroupées par « étapes » du récit. Chaque groupe se voit alors doté d’un dessin correspondant à chacun de ces « moments » et doit reconstituer une frise chronologique de l’histoire, (image 4) sous forme de séquence narrative en image. Les frises sont affichées, comparées et commentées, dans le but d’être enrichies mutuellement, par des bulles de texte et des moments narratifs intermédiaires, afin de constituer une frise unique, lisible comme une bande dessinée. Ce dispositif, qui est très efficace dans une perspective d’appropriation du récit et de construction structurale, constitue une étape décisive si l’on poursuit l’objectif de faire créer à terme une bande dessinée par les élèves.

La frise obtenue peut ainsi être transformée en une planche sous forme de gaufrier. On désigne par ce terme une planche quadrillée de vignettes au format identique. Chacune des images produites par les élèves est scannée et vient s’insérer en direct, sous leurs yeux, grâce au tableau blanc interactif, dans les cases d’une planche pré-découpée.

3 Ce travail s’inscrit dans une séquence d’enseignement détaillée plus largement dans : Gondrand, H., Mastrot, G., et Rouvière, N. (2006). Comment rendre les fables de La Fontaine accessibles à des élèves de cycle 3 en REP. In H. Gondrand et A. Vibert (coord.), Adapter des œuvres littéraires pour les enfants. Grenoble : Sceren / CRDP.

Un objectif plus ardu consiste à découper un récit préexistant en assurant soi-même la conversion des segments narratifs en une pluralité de vignettes que l’on a soi-même pris soin de dessiner. Il ne s’agit pas alors de pré-visualiser seulement un instantané du récit à travers une case unique, mais bien de penser l’enchaînement de plusieurs segments icono-textuels, autrement dit de prendre en charge entièrement la séquentialité en image du récit. On entre ici véritablement dans le travail de l’adaptation. Afin que celle-ci soit facilitée, il convient de choisir un texte narratif comportant beaucoup de dialogues.

L’exemple présenté ici est tiré d’une séquence d’enseignement construite et mise en œuvre par Claire Simon, détachée au service pédagogie de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image d’Angoulême. Il s’agit d’un travail qui a été mené avec une classe de 4e « ambition réussite » autour de la nouvelle fantastique « Le portable noir» de Jean Molla. Cette dernière raconte l’usage qu’une jeune fille prénommée Pauline fait d’un téléphone portable étrange et noir, qu’elle trouve par hasard, et qui a le pouvoir de causer la mort des personnes que l’on appelle. Les élèves ont tout d’abord travaillé sur les lieux, les personnages et leurs caractéristiques, puis ils ont choisi d’adapter en une planche BD la chute de la nouvelle, lorsque Pauline reçoit un coup de fil funeste de son amoureux, qui l’appelle avec le portable noir qu’elle a malencontreusement oublié. La planche prend la forme d’un gaufrier de 9 cases. Ce choix est volontaire de la part de l’enseignante afin de concentrer le travail sur la problématique du découpage et non celle de la mise en page, et pour faciliter la comparaison entre les différents découpages proposés par les élèves.

Le texte est tout d’abord divisé par des traits en segments numérotés de 1 à 9. (image 5) Le travail est effectué en binôme, puis une mise en commun permet de comparer les découpages. Cette phase est très intéressante sur le plan de la justification. Elle permet en particulier de repérer deux types de procédures chez les élèves : ceux qui raisonnent par cohérence textuelle, et ceux qui découpent le texte parce qu’ils pré-visualisent la case qui pourrait correspondre.

Chaque binôme découpe ensuite au ciseau les parties qu’il a délimitées ; dans chaque fragment, les paroles audiscours direct de chaque personnage sont surlignées d’une couleur différente afin

d’être distinguées et séparées des passages narratifs. Chaque nouveau fragment ainsi obtenu est collé dans un tableau à deux colonnes.

NarrationParoles des personnages
Case n°1
Case n°2
Etc.

Le tableau ainsi complété et validé par le professeur constitue une première ébauche de scénario (image 6). Se pose alors la question de savoir ce que l’on va représenter visuellement dans les cases. Quels personnages va-t-on voir ? Pauline ou Sébastien ? Où se trouvent-ils ? Quels sont les éléments du décor ? Comment les personnages ou les éléments du décor sont-ils représentés ? De près (plan rapproché et gros plan) ? En pied ? De loin, voire très loin (plan d’ensemble) ? De face, de dos, de profil ? Ces questions sont discutées collectivement afin de donner des idées à l’ensemble des élèves, puis une fiche est distribuée à chaque binôme, afin qu’il décrive plus spécifiquement le contenu des images (éléments figuratifs, type de plan).

Contenu des images : éléments figuratifs / types de plan
Case 1
Case 2

Une fois le tableau rempli, les élèves peuvent alors passer à la phase dessinée (image 7). Plusieurs jets sont nécessaires, en particulier pour l’insertion des bulles qui nécessite parfois de retrancher certains éléments du texte, comme c’est le cas ici case 5. La surcharge textuelle peut impliquer aussi parfois de revoir le découpage.

Ecrire soi-même un synopsis et apprendre à le découper

Ecrire soi-même un synopsis et apprendre à le découper, pour former une séquence narrative en image, constitue undegré supplémentaire dans la production de bande dessinée. Une première

étape facilitante consiste à produire dans un premier temps une BD avec récitatifs, directement tirés du synopsis, dans une planche pré-cadrée, en laissant les bulles de dialogue en option. C’est le choix qui a été fait lors de l’étude de l’album Petit vampire va à l’école de Joann Sfar. L’un des objectifs d’apprentissage de la séquence était de mettre envaleur la double tonalité du récit, à la fois humoristique et inquiétante. La production d’une double planche a permis de construire un peu plus ces notions. Que va-t-il se passer en effet lorsque Michel est conduit au château des vampires ? La première case montre que le garçon n’en mène pas large, tandis que la dernière le représente quittant la bâtisse en courant, le sourire aux lèvres. « Au revoir mes petits amis » dit- il; s’enfuit-il en narguant les monstres auxquels il échappe ? Ou bien se réjouit-il de s’être fait de nouveaux amis ? Pour laisser planer le mystère, nous avons volontairement choisi de dissimuler la phrase d’au revoir de Michel, car elle fait pencher l’interprétation dans le sens d’une joyeuse amitié avec les monstres.

L’objectif est de voir quelle tonalité du récit est actualisée par les élèves, s’ils privilégient le comique, l’effet de peur ou parviennent à concilier les deux. Les élèves commencent par énoncer oralement leurs idées, qui sont consignées au tableau afin de favoriser l’entrée dans l’écriture :

  • Michel joue avec Petit Vampire
  • Ils prennent un goûter avec du sang
  • Ils jouent à cache-cache
  • Les monstres veulent manger Michel mais Petit Vampire les en empêche
  • Michel est transformé en vampire
  • Petit Vampire aide Michel à faire ses devoirs
  • -etc.

Une feuille au format A3 est distribuée aux élèves, sur laquelle le maître a tracé des cases vides ondulées, sur le modèle de la double-page 8-9. Des espaces au dessus de chaque case sont réservés pour les récitatifs. Les élèves doivent, dans un premier temps, inventer une histoire sur leur cahier de brouillon, ce qui correspond au synopsis. Ils sont ensuite invités à segmenter leur texte en autant de parties qu’il y a de cases (10 cases, cinq cases par surface A4), et à recopier chaque segment textuel au dessus des vignettes. Il n’est pas question, à ce stade, de dessiner. Cette phasede découpage textuel, et d’insertion dans la page, est particulièrement intéressante,

car elle entraîne de multiples problèmes et se trouve au coeur de la complexité du récit en bande dessinée : certains élèves suivent la chronologie linéaire de leur texte et le découpent de manière aléatoire de façon à remplir la page ; d’autres écrivent une phrase au dessus de chaque case sans anticiper sur ce qu’elle va contenir ; d’autres gribouillent quelques dessins sur un brouillon afin d’organiser leur page de BD et de partager équitablement leur récit. On assiste parfois à une révision du texte, qui se modifie, s’enrichit, pour étoffer la narration. Car la pré-visualisation des cases influe sur l’invention. A l’inverse, c’est parfois la forme des cases pré-dessinées par le maître, qui est jugéeinsatisfaisante, par exemple trop petite, pour évoquer telle action et coller au récit. Les problèmes sont discutés avec le professeur, qui passe dans les rangs, en les relayant parfois à l’ensemble du groupe pour que soient trouvées des solutions : par exemple, l’invention d’étapes narratives intermédiaires, ou bien leur suppression, ou bien la création d’une nouvelle mise en page, qui est alors dessinée au brouillon par l’élève.

A ce stade, les corrections du professeur portent d’abord sur la cohérence du récit, la progression thématique et logique, la place disponible pour la figuration des actions. Il s’agit ensuite de cohérence textuelle (reprises nominales et pronominales, emploi des temps, connecteurs logiques). La priorité est clairement donnée aux récitatifs. L’écriture de dialogues, facultative, n’entre en jeu au brouillon que lorsque la première est validée. Leur insertion se fait sur le principe d’une écriture sur calque, afin que les bulles et leur contenu entrent dans les cases. Le maître valide à la fois la langue et la mise en espace, avant tout recopiage au propre.

Les planches créées par les élèves ont été affichées et ont donné lieu à des commentaires en classe sur les réussitesindividuelles et les différences de contenu, en particulier la redondance ou non entre les récitatifs et les dialogues. (images 8 et 9) Il est à noter que l’entrée par les récitatifs, si elle ne permet pas un véritable pilotage de la narration par l’image, permet ici d’obtenir des récits d’une grande cohérence narrative. Devant les productions qui sont affichées, les élèves ont été invités à déterminer si la tonalité de l’histoire était comique ou inquiétante. Micheléprouve-t- il des sentiments de joie ou d’inquiétude ? Il s’agissait alors de confronter ces mises en scène avec celles de l’album lui-même, à travers la découverte des planches concernées (p. 22-29).

Un dispositif pour fusionner synopsis et scénario : l’écriture post-it

L’écriture d’un synopsis relève de compétences d’écriture traditionnelles telles que la maîtrise des structures narratives et de la cohérence textuelle. L’étape ultérieure du scénario, quant à elle, représente bien souvent unvéritable casse-tête : les compétences requises consistent à articuler la description des images avec les éléments du texte (récitatif et dialogues). Dans sa forme classique, par exemple chez un René Goscinny, le scénario prend ainsi très souvent la forme d’un tableau à double entrée, selon le schéma suivant :

Description de l’image(taille, plan, contenu figuratif)Texte ( récitatifs / dialogues )
Case 1
Case 2

L’enchaînement synopsis-scénario pose en fait un double problème. D’une part il conduit à repousser le passage au dessin à la fin du processus, ce qui peut fortement émousser la motivation des élèves, qui n’imaginaient pas une telle lourdeur de planification ni une telle lourdeur textuelle. D’autre part, il faut que les élèves, lors du passage au scénario, aient la capacité spécifique de pré-visualiser ce qu’ils racontent et mettent en scène : la taille et la forme des images, les types de plans, le contenu figuratif, etc. Or cette compétence particulière, qui consiste véritablement à «penser en images » ne fait l’objet bien souvent d’aucun apprentissage préalable. Ainsi des élèves performants dans l’écriture du synopsis peuvent-ils se trouver totalement démunis lorsqu’il s’agit de passer à l’étape du scénario. Dès lors, comment simplifier le processus synospis-scénario-dessin, tout en développant des compétences de prévisualisation du récit ?

Afin de fusionner les étapes du synopsis et du scénario, nous avons mis en place avec les CM1 un dispositif d’écriture debout, avec des post-it sur de grandes feuilles A3 fixées à la verticale (image 10). Le principe est lesuivant : sur chaque post-it d’une même couleur, les élèves doivent écrire une action et une seule, et inventer ainsi leur histoire, en faisant progresser l’action des personnages de post-it en post-it. Ce principe a plusieurs avantages : il aide les élèves à pré- visualiser leur récit, selon l’équivalence tacite : un post-it = une case. Par ailleurs, les post-it sont provisoires, ils sont déplaçables, supprimables et désinhibent complètement les élèves par le jeu

de manipulation ludique et concret qu’ils suscitent. La position debout permet de changer le rapport à l’écrit et de travailler devant l’affiche à plusieurs, en discutant oralement de la nature et de l’orientation du récit. Aucune contrainte orthographique ni syntaxique n’est introduite à ce stade, ce n’est pas l’objectif. La contrainte « un post-it = une action » se suffit à elle-même, car elle représente une véritable difficulté conceptuelle : décomposer ainsi l’action suppose en effet qu’on la pré-visualise.

Après validation par le maître du récit ainsi construit, les élèves passent à une seconde étape, en superposant à chacune des actions déjà consignées sur post-it, des post-it de deux autres couleurs : un post-it de couleur pour le texte (récitatif, onomatopée, dialogues) et un autre post-it de couleur pour la description plus précise de l’image, envue du dessin à venir (couleurs, décors, plan, etc.).

Grâce à ce dispositif, le synopsis s’invente ou se réinvente en même temps que le scénario s’écrit, case après case. Planification, mise en texte et révision ne sont plus des étapes chronologiques, mais se fondent dans un seul et même processus dynamique. Synopsis et scénario se créent simultanément sur le même support. Non seulement on évite la lourdeur de leur enchaînement à l’écrit, mais le plaisir et l’émulation sont palpables.

Ainsi, des élèves plus en difficulté dans des productions écrites traditionnelles peuvent se découvrir un véritable talent de scénariste par leur capacité à pré-visualiser et à mettre en scène avec ces petits papiers ce qu’ils veulent raconter. C’est le cas des deux élèves dont nous allons présenter ici les productions, jusqu’à la version finale.

La création de leur planche s’inscrit dans le cadre de l’étude en classe de l’album Le Tour de Gaule d’Astérix. Les élèves devaient imaginer que les deux Gaulois passaient par leur ville (Grenoble) et raconter cet épisode. Ils ont d’abord été sollicités pour observer comment est mise en scène, dans l’album, l’arrivée des Gaulois dans une ville.Chaque groupe feuillette une section qui lui est impartie et le maître recueille les remarques des élèves qui concernent aussi bien les données de la fiction que les choix narratifs et plastiques des auteurs. Une affiche est ainsi créée, qui synthétise les informations.

Le maître demande aux élèves quelle est la mise en scène qu’ils préfèrent, c’est ainsi qu’ils retiennent le modèle de deux cases de taille différente avec le panneau de la ville dans l’une et le décor dans l’autre. Le second point concerne la sortie de la ville. Le départ des Gaulois n’est pratiquement jamais représenté, sauf au sortir de Lugdunum, p. 26, dans une grande case spectaculaire, à la fin de la planche. Celle-ci est très vite repérée par les élèves, et, d’un commun accord, ces derniers décident que le site de leur dernière case sera également réservé pour cette action. L’ossature de la future planche se met donc en place avec l’emplacement et le tracé des cases de début et de fin. Au cours de laséance, le maître sollicite d’autres analogies de structure : les élèves font remarquer que les Gaulois achètent une spécialité (ex. de Reims, de Lutèce, de Cambrai) ou qu’on la leur offre (Lyon, Agen) ; que certains personnages les aident (Beaufix à Lyon, César Labeldecadix à Marseille…) et que d’autres veulent les arrêter (les Romains, le traître Odalix à Agen). On complète ainsi l’affiche pour créer la planche :

Ce travail qui pré-cadre l’activité scénaristique (image 11) permet de dégager implicitement quelques invariants du schéma actantiel (adjuvant / opposant) ainsi que du schéma narratif (situation initiale / élément perturbateur / péripétie / résolution / situation finale), d’où l’intérêt d’un tel dispositif. Il est à noter que la pédagogie de projet joue ici un rôle déterminant, pour porter la dynamique des élèves et donner du sens à leur recherche. L’objectif de produire individuellement une planche de BD, pour constituer collectivement un album-recueil ou une exposition, modifie complètement le rapport à l’activité, qui n’est plus perçue comme purement scolaire.

Les élèves passent ensuite par binôme à la phase de « l’écriture post-it ». (images 12-13) Les post-it verts, dans une première séance, correspondent ici à la phase « un post-it = une action », contrainte difficile (beaucoup d’élèves ontnarré beaucoup d’actions sur le même post-it) mais ici parfaitement respectée. Il est significatif que les élèves, sans qu’on le leur demande, tracent des gouttières entre les post-it, et précadrent ainsi des vignettes de longueur différente ; c’est le signe que l’équivalence tacite « un post-it = une case » fonctionne parfaitement, et qu’ils commencent à pré-visualiser la vignette en même temps qu’ils élaborent l’histoire. Ceci est confirmé par la mention d’un « plan » (post-it 4, planche 1.a) et la présence de notations purement descriptives (dalles de pierre, maisons resserrées, multitude de vendeurs). Un fragment de dialogue vient déjà prendre place au post-it 5 (planche 1.a), signe supplémentaire que le récit prend vie comme un petit théâtre. A la planche 1b les post-it se focalisent uniquement sur l’action, ce qui correspond à la scène de bagarre, mais aussi à l’appropriation du dispositif par les élèves. De fait, dans les séances ultérieures, après validation par le maître de cette première version, la distinction entre action des personnages, texte et description figurative est bien installée et peut se décliner sous trois couleurs de post-it différentes, qui sesuperposent pour chacune des cases (

-ici jaune pour l’action, vert pour le texte, rose pour le décor). (images 14-15) Les post-it apportant les notations descriptives interviennent en dernier lieu dans le dispositif pour préparer la réalisation graphique. Les deux exemples présentés ici plus en détail pour les cases 4 et 8 (image 16) montrent la clarté et l’efficacité du dispositif, alorsqu’il s’agit de deux contenus

complexes : un plan d’ensemble (le supermarché) avec beaucoup de personnages à la case 4 et une scène de bagarre entre Obélix et les Romains à la case 8.

Les planches ainsi scénarisées sous forme de post-it constituent des productions d’écrit parfaitement évaluables en cours de français, indépendamment de toute réalisation graphique. Les critères à privilégier ne portent pas prioritairement sur la correction de la langue, mais plutôt sur les points suivants :

  1. une action seulement par post-it « action »
  2. un enchaînement clair et cohérent des post-it « actions » sur le plan logique et chronologique sans ellipse trop problématique.
  3. la présence des éléments structuraux de l’histoire élaborés collectivement sur l’affiche.
  4. une dissociation claire entre post-it « action », post-it « texte » et post-it « figuration »
  5. l’anticipation de la taille des cases en fonction du contenu des trois types de post-it.

Cette approche différente de la production d’écrit permet de révéler des compétences narratives que l’on ne soupçonne pas toujours. Certains élèves peinent à rédiger des textes narratifs qui satisfont les critères attendus demaîtrise de la langue et de cohérence, alors qu’une approche pré- visuelle du récit, par le scénario, peut les débloquer et révéler de véritables compétences dans la conduite du récit, dès lors qu’il s’agit d’une histoire non pas seulement à lire mais à voir.

La réalisation graphique de la planche (image 17) est conforme au scénario des post-it et témoigne de l’efficacité du dispositif. Elle peut faire l’objet d’une évaluation séparée en arts plastiques. La dissociation scénario/illustration me semble salutaire pour l’évaluation, car elle clarifie grandement les domaines de compétences disciplinaires, à la fois pour les élèves et pour le maître.

Raconter directement à partir du crayonné : le découpage dessiné

Il est frappant, au cours de la phase d’écriture « post-it », que certains élèves aient recours simultanément au dessin, le plus souvent caché sous les post-it (images 18-19). Celui-ci peut intervenir juste avant la mise en mots de l’action, comme pour engendrer l’histoire en cours d’invention, ou bien juste après, comme pour la matérialiser, ou bien justeavant d’introduire le

post-it descriptif. Le dessin est un incontestable embrayeur narratif qu’il faut pouvoir accueillir, légitimer et intégrer au dispositif lorsqu’il se manifeste.

Ce fait conduit du reste à envisager la possibilité scolaire d’un autre dispositif scénaristique : celui du découpage dessiné, qui consiste à assumer pleinement qu’une histoire puisse se créer de toute pièce à partir de dessins rapides et brouillons qui s’enchaînent. En effet, c’est un principe constitutif de la BD, dès l’origine, qui l’affranchit de la prééminence du littéraire. Benoît Peeters (1994) rappelle ainsi que l’idée du scénario tel que nous l’entendonsaujourd’hui était étrangère à l’inventeur de la bande dessinée Rodolphe Töpffer, car il avançait d’image en image, poussé par le mouvement de sa plume.

Il n’est que de relire Dr Festus, Mr Pencil ou Mr Cryptogramme pour se rendre compte que le récit procède par enchaînements visuels, une image appelant l’autre (…). La fiction se développe comme une improvisation feuilletonnesque, guidée bien plus par les trouvailles du dessinateur que par le plan d’un scénariste. Sur les pages de gauche du manuscrit de Mr Pencil, des notes au crayon envisagent régulièrement la suite de l’histoire, comme pour recadrer les éléments impulsés par le dessin. (p. 27)

Hergé et Moebius évoquent le même processus. Hergé déclare en 1952 ( Peeters, 1994) que l’histoire n’est qu’un fil d’Ariane autour duquel il « brode des gags qui naissent des erreurs du crayon » (p. 27). Moebius (1990) a évoqué de façon presque similaire la naissance de son album Sur l’étoile : « j’ai commencé à réaliser des croquis et quelque chose d’étrange s’est produit : l’histoire est venue d’elle même […]. Les images se sont succédé les unes aux autres comme si je visionnais une histoire déjà faite.» (p.91) De fait, il existe une forme de pensée-dessin. C’est ainsi que Töpffer théorise et défend le principe d’un trait maladroit et spontané, en tant qu’il reflète l’intention de pensée, plutôt que l’intention imitative. On peut raconter en images, sans posséder réellement aucun savoir acquis d’imitation graphique. Dans Réflexions et menus propos d’un peintre genevois (1865), il insiste sur la force expressive des graffitis, où l’idée prime sur l’exécution :

J’en ai rencontrés, qui tout gauches et mal taillés qu’ils sont, reflètent vivement, à côté de l’intention imitative, une intention de pensée, à tel point que cette dernière y est toujours, à cause même de l’ignorance graphique du dessinateur, infiniment plus marquée que la première. En effet, pendant qu’on ne voit que des membres à peine reconnaissables considérés un à un, un visage fabuleux, une panse mal bâtie, et deux quilles de jambes, on discerne néanmoins, et d’emblée, une intention voulue d’attitude, des traces non équivoques de vie ; dessignes d’expression morale, des symptôme d’ordonnance et

d’unité, des marques surtout de liberté créatrice qui prévalent hautement par dessus le servage d’imitation. (p.265)

Afin de désinhiber les élèves sur ce plan, il est bon de leur montrer la version « crobardée » de certains scénarios, comme ceux de Raoul Cauvin, ( image 20) ou encore l’existence de planches de BD au style schématique minimaliste, comme celles de Calpurnio (image 21). Le découpage dessiné pose cependant une difficulté scolaire de taille, celle de la lisibilité des productions. Il oblige à faire verbaliser les élèves sur la conduite du récit, ce qui rejoint au final l’objectif d’élaboration des post-it, mais l’explicitation orale se donne sous une forme souvent moins claire et moins analytique. Le découpage dessiné peut donc constituer une première étape, mais gagne à être suivi malgré tout par la phase d’écriture post-it, quitte à ce que celle-ci prenne la forme d’une écriture en commun, sous forme de dictée à l’adulte. Cette phase clarifie le plus souvent le récit aux yeux des élèves eux-mêmes et les incite à reprendre plus tard sous une forme différente leur version dessinée. A contrario, il est très difficile d’obtenir des élèves qu’ils redessinent leur planche, si celle-ci est déjà entièrement « crobardée ». La phase d’écriture post-it, qu’elle intervienne d’emblée dans le dispositif ou après un premier découpage dessiné semble donc incontournable.

Contourner la difficulté du dessin

Si la perspective du dessin peut enthousiasmer certains élèves, d’autres en revanche considèrent qu’il s’agit d’un obstacle insurmontable et montrent une grande inhibition. Cette difficulté cependant peut-être assez facilement contournée, grâce à des fiches spécifiques élaborées pour apprendre à dessiner les principaux personnages en huitétapes à partir de formes simples. (image 22) Il s’agit de représenter d’abord la silhouette générale du corps, décomposées en trois ou quatre éléments rappelant des figures géométriques (rond, ovale, carré, triangle, rectangle), avant de passer aux éléments d’expression du visage (yeux, bouche, nez), puis aux extrémités des membres et aux détails du costume. Le professeur quadrille pareillement le tableau en huit cases et trace le contenu de la case 1 devant les élèves (par exemple une forme ovale pour la tête de Michel ou de Petit vampire). Tous les élèves, sur une feuille quadrillée à l’identique, tracent à leur tour la même forme, avant de passer à la case 2. Le professeur répète au tableau le même tracé dans la nouvelle case et ajoute un nouvel élément de la silhouette corporelle. Tous les élèves l’imitentsur leur feuille, avant de passer à la case 3 où un nouvel élément va venir

s’ajouter, jusqu’à obtenir à la fin de l’exercice l’ensemble du personnage. Ce dispositif a plusieurs avantages. Toutd’abord, la décomposition en formes simples rend l’acte graphique tout à fait à la portée des élèves. Par ailleurs la répétition des formes déjà tracées dans les cases précédentes, rend le tracé progressivement plus sûr. Il est essentiel que le professeur accomplisse le geste au tableau devant les élèves, et qu’il verbalise le tracé, afin d’offrir un exemple vivant et de permettre une intériorisation de la forme et du geste. Une variante, sur le même principe, consiste à dissocier la figuration progressive du corps, puis celle de la tête, avant l’assemblage (images 23-24). Le résultat final constitue une véritable révélation pour les élèves, qui découvrent avec étonnement qu’ils savent dessiner avec beaucoup de ressemblance les personnages du livre. Reste alors à intégrer ces figures dans les planches en cours de réalisation.

Un autre point de taille concerne l’intégration des bulles et des cartouches dans la planche. Après avoir dessiné les personnages, le plus simple consiste à superposer une feuille de papier calque, afin de pouvoir effectuer un premier jet où les contours des bulles et cartouches seront tracés et complétés du texte correspondant (image 25). Ce support permet une correction par le maître à même la feuille de calque, autour de critères de spatialité, de lisibilité, de cohérence, de syntaxe et d’orthographe, avant insertion sur la planche (images 26-27).

Un autre moyen de contournement des difficultés graphiques consiste à utiliser l’outil numérique. Parmi les logiciels disponibles, l’un semble particulièrement efficace, intuitif et à la portée des élèves. Il s’agit du module « Bidule », proposé par les éditions Milan dans les CD interactifs Mobliclic, pour les enfants de 7 à 13 ans ( image 28). Mobiclic propose de réaliser une planche de BD à partir d’une série bien connue (Eddy Milveux, Gaston Lagaffe, Nino et Rebecca…), en proposant un gaufrier pré-cadré (image 29). Différents menus déroulants déclinent les personnages principaux dans toutes les attitudes, ainsi que différents éléments du décor. Il suffit de cliquer sur une case et d’y faire glisser les éléments figuratifs de ces différents menus. Idem pour le texte. Un menu déroulant propose différentes formes de bulles. Il suffit de cliquer pour écrire à l’intérieur en choisissant sa police et sa taille de caractère, puis de faire glisser le tout dans la case. Le dispositif de création d’histoire, sans plan préconçu, par enchaînement d’image, pourrait se faire directement par ce biais, et se substituer au découpage dessiné, en évitant tout problème de lisibilité.Cependant l’attirance des élèves pour la banque

d’image, les conduit très souvent à composer une suite de cases, plutôt qu’une histoire cohérente ( image 30). C’est pourquoi il est préférable de mener un important travail de planification, où l’écriture post-it peut retrouver une fois encore tout son rôle. Cela n’empêche pas d’initier entre- temps les élèves à la manipulation de l’outil proposé par Mobiclic, pour donner plus de sens encore à leur travail d’écriture.

La spatio-topie : apprendre à mettre en page

La spatio-topie, que Thierry Groensteen (1999) définit comme la distribution spatiale des images (dessins ou vignettes) et l’agencement compartimenté de la planche, a pour opération principale la mise en page. S’il est nécessaire d’un point de vue théorique et didactique de la distinguer de l’autre opération qu’est le découpage, dans les faits, il s’avère qu’elle est déjà en germe dans l’esprit des élèves (et des scénaristes) lorsqu’ils élaborent leur scénario, comme le montre précédemment le tracé des gouttières entre les post-it et la délimitation de vignettes de formes et de tailles différentes. L’initiation spécifique à la spatio-topie consiste à travailler deux notions principales : celle de multicadre (Groensteen, 1999), qui désigne l’ensemble des sites et contours de cases d’une même planche, indépendamment de leur contenu, et celle d’enchaînement de plans entre les vignettes.

La pratique du puzzle

L’activité de puzzle, où chaque pièce correspond à une vignette, permet de reconstituer une planche donnée, avec son multicadre et ses enchaînements de plans ainsi que d’angles de vue. Lorsque l’on poursuit cet objectif, on gagne àchoisir une planche offrant une grande variété dans ce domaine. C’est le cas, par exemple, de la scène d’action qui se déroule dans les pages 22 à 25 de l’album Octave et le cachalot de Yoann et Omond (2003).4 Pour secourir le cétacé échoué sur la plage, Octave, malgré sa peur de l’eau, navigue en direction d’un petit îlot rocheux pour aller quérir l’aide d’un farfadet. L’accostage, puis l’escalade de la falaise, laissent place au face à face étonnant avec la créature merveilleuse, dont l’incantation déchaîne soudain les éléments. Ces quatre planches, qui correspondent structurellement aux épreuves traversées par le héros, représentent une suite d’actions enchaînées avec uncaractère visuel très marqué : la grande

4 Cet album fait partie de la liste des albums BD recommandés par le Ministère de l’éducation nationale pour le cycle 3 de l’école élémentaire.

variété d’échelles de plan, du plan d’ensemble au gros plan, l’alternance d’angles de vue en plongée et contre plongée, de cases-bandeaux horizontales et verticales, et de champs contre- champs dynamisent à l’évidence le récit, piloté principalement par l’image, en dépit du récitatif qui ponctue le début de la scène.

Les élèves de CE2, lors d’une séquence d’étude de l’album, ont été répartis par groupe de quatreavec une enveloppe de 19 pièces correspondant aux 19 vignettes des quatre planches. La consigne était de reconstituer le cours du récit, enles disposant sur quatre feuilles A4 numérotées (image 31). Les indices possibles étaient de plusieurs ordres : linguistique, à travers le cours logique des récitatifs et des dialogues ; iconiques, à travers la représentation enchaînée des actions que séparent de très courtes ellipses temporelles et enfin plastiques, à travers le format et la taille des cases, qui viennent pré-cadrer les possibilités de mise en page. Selon leur sensibilité, les élèves peuvent ainsi puiser dans l’un ou l’autre aspect du langage BD les arguments qui justifient leurs choix narratifs. C’est bien cette confrontation qui est recherchée, pour que s’enrichissent mutuellement les lectures des planches. Ces phases de justification sont extrêmement riches et permettent d’apporter des éléments de structuration de tous ordres. Il appartient tout d’abord à l’enseignant de faire expliciter chacune des stratégies de lecture utilisées par les élèves, puis de les noter sur une affiche.

Indices dans le texteContenu des imagesForme, taille et emplacementdes cases dans la planche

Il s’agit ensuite de creuser chacun de ces axes de lecture afin d’en tirer des éléments de structuration (par exemple sur la complémentarité entre bulles et récitatifs, sur l’ordre de lecture des cases, sur la logique des ellipses, sur la légitimation d’une grande case verticale pour un décor en hauteur, sur la place stratégique de la dernière case, etc.). C’est dans cette phase d’échange, où les conditions de l’appropriation sont optimales, que peuvent être introduits les termes techniques du langage BD (case verticale, horizontale, gros plan, plan moyen, plan d’ensemble, vue en plongée, en contre plongée) et posés les éléments de structuration en vue d’une institutionnalisation ultérieure des savoirs.

Choisir des multicadres

La notion de multicadre est sans doute celle qui a fait le plus longtemps défaut à la théorie sémiotique du médium BD. Le choix d’un multicadre implique une géométrie du regard, un ordre de lecture vectorisé, qui pré-cadre le sens. Il est très important de faire prendre conscience aux élèves combien le choix d’un multicadre est signifiant en termes de composition d’ensemble et d’effet.

Il est toujours possible d’étudier les types de cadre de façon isolée et successive. On observera ainsi avec les élèves que les cases horizontales se prêtent volontiers aux effets d’étalement dans l’espace (décors panoramiques, cortège, course poursuite, etc.) mais aussi parfois d’étalement temporel. Que les cadres verticaux permettent par exemple de représenter des objets et décors aux lignes verticales, ou bien des déplacements dans une logique dynamique et expressive d’ascension ou de chute, et se combinent souvent avec les effets de domination ou d’écrasement des angles de vue en plongée et contre-plongée. De même, on pourra étudier le rôle des cases enchâssées, qui attirent l’attention et renforcent l’intensité dramatique, en particulier lorsqu’elles se combinent avec un gros plan. Mais l’on n’est pas obligé de procéder par étape. On peut travailler directement l’enchaînement de cases et la mise en page, en plaçant les élèves en situation de production, afin qu’ils s’approprient les différents effets des types de case lorsqu’elles sont en co-présence dans une composition d’ensemble.

Voici une proposition pédagogique en ce sens, que je n’ai pas encore testée. Il s’agit de proposer un court synospsis aux élèves, correspondant à une planche extraite d’un album, et de leur demander par groupe de choisir entre différents multicadres pour trouver selon eux celui qui conviendrait le mieux et pourquoi. A eux de faire des essais, de décrire le contenu possible de chaque case, de découper le synopsis en fragments ou bien de le dessiner schématiquement et d’inscrire récitatif et bulles à l’intérieur quand c’est nécessaire. Voici un exemple de synopsis, librement inspiré d’une planche de de Bercovici et Corteggiani (1984) :

Robinson et son oiseau Zoé se réveillent un matin et découvrent que, pendant la nuit, la tempête a ravagé leur îledéserte. « Bon sang…quelle nuit ! Cette tempête a tout ravagé… », dit

Robinson catastrophé, en voyant les arbres arrachés ou pliés. « Tu l’as dit… », acquiesce Zoé, lui aussi attristé. Ils avancent pour voir l’étendue des dégâts. « Regarde moi ce désastre… », dit Robinson. « Et là… », dit Zoé, tandis qu’ils découvrent la végétation flétrie et les arbres couchés. « Et là… », répète Robinson, « Et là… » répète Zoé, tous les deux de plus en plus abattus. Lorsque tout à coup ils s’arrêtent net de surprise et s’exclament : « OH ! ».

Coincée au sommet d’un piton rocheux, ils découvrent alors l’arche de Noé, remplie d’animaux, qui s’est échouéesur leur île pendant la tempête. Robinson en colère leur fait signe de partir :

« JE NE VEUX PAS LE SAVOIR !… FICHEZ LE CAMP DE MON ILE IM-ME-DIA-TE-

MENT !! ». « Mais ! », répond Noé coincé sur son arche perchée, désolé et impuissant à faire quoi que ce soit.

Plusieurs multicadres sont proposés aux élèves, (images 32 et 33) qui négocient entre eux, découpent le synopsis, s’entraînent à pré-visualiser le contenu des cases, inscrivent à l’intérieur textuellement ou graphiquement la façon dont ils voient la scène. Puis, les rapporteurs de chaque groupe viennent exposer leur choix et le justifier devant la classe. La justification conduira sans doute à convoquer d’autres notions, comme les ellipses, les plans ou les angles de vue, qui peuvent être rappelées ou découvertes à cette occasion. Puis il s’agit de confronter le choix des élèves à celui des auteurs, et d’analyser de façon comparative les effets de sens qu’ils obtiennent (image 34).

Le dispositif est voué à être répété en ménageant une progression dans les différents types d’effets rencontrés : on peut ainsi découvrir l’effet d’exposition d’une grande case en début de planche, l’effet spectaculaire de surprise ou de chute d’une grande case en fin de planche, des effets de fragmentation dans une scène d’action ou d’étalement dans une scène d’atmosphère, les effets de dramatisation ou de simultanéité de cases enchâssées, etc. La répétition de ce dispositif peut conduire à découvrir des effets de composition et de mise en page toujours plus inventifs et inattendus,par exemple ceux d’un Windsor Mc Cay dans « Little Nemo », d’Alain St Ogan dans « Zig et Puce », ou de Fred dans « Philémon ».

Une seconde étape consiste à proposer le court synopsis d’une planche aux élèves, et de leur demander non plus dechoisir mais d’inventer le multicadre et la mise en page. Le travail peut se

faire en groupe et se poursuivre selon le même dispositif. Voici un exemple de synopsis, librement inspiré de la page 6 de l’album « Le Vent sauvage », de la série Buddy Longway :

Un chariot conduit par deux fermiers, un mari et sa femme, roule à toute allure dans un sous- bois, emporté à toute vitesse par le galop incontrôlé des deux chevaux de l’attelage. Les deux bêtes sont affolées par la bourrasque du vent et le fermier tire en vain sur les rennes pour essayer de les freiner. Tout à coup, une roue de la calèche heurte un gros bloc de pierre sur le chemin. Le chariot vacille sur le côté, les sangles de l’attelage se rompent brutalement, lamontre de la fermière se brise sur le sol, le chariot bascule et se fracasse. Ne reste plus qu’un essieu dressé au bout duquel une roue tourne dans le vide.

Cette scène d’action induit des déplacements horizontaux, des temporalités différentes (sous forme durative puis d’instantanés qui se succèdent), d’éventuels gros plans (la sangle, la montre, l’essieu) ou encore peut induire un plan général sur les effets du choc. Les propositions de mise en page pourront être exposées sous forme de multicadre et justifiées oralement avec, pour chaque case, la ressource explicative de croquis à l’intérieur des cases ou de post-it sur une affiche annexe. Les propositions de chaque groupe seront comparées entre elles, leur lisibilité et leur effet seront discutés et débattus en commun. A l’issue de ce travail, la découverte de la mise en page de Derib, dans Buddy Longway, ne manquera pas de surprendre et sera l’occasion d’une analyse supplémentaire, pour cerner tout l’art de la mise en scène (image 35).

Créer des enchaînements de plan

La notion d’échelle de plan, au même titre que celles de cadres, de multicadre et d’angle de vue, est essentielle en bande dessinée. Si ces notions sont tout à fait distinctes sur le plan théorique, dans les faits, il s’avère difficile de réfléchir au multicadre sans avoir simultanément en tête les types de plans qui correspondent, comme nous venons à l’instant de le voir. Avant d’exercer les élèves à produire des enchaînements de plans, croissants ou décroissants, des pré-requis sont nécessaires. Il faut en effet commencer par étudier séparément les types de plans et leurs différents effets, du plan d’ensemble au gros plan, à travers l’étude de planches.

L’appropriation de ces notions passe par la lecture d’images, isolée ou en contexte. On peut faire collecter par les élèves des vignettes de BD représentant des personnages et des objets vus de plus ou moins près, ou de plus ou moins loin, en les articulant avec les planches dont elles sont extraites.

Dans un second temps, il est intéressant d’étudier des planches construites sur des progressions classiques du plan d’ensemble au gros plan. A partir de différents exemples (Yoko Tsuno, Alix, Les Naufragés du temps5 ) nous avons ainsi donné aux élèves de CM2 la consigne suivante ( images 36 et 37) :

Observez la planche ci-dessous. Examinez les différents plans utilisés par le dessinateur : le décor et les personnages sont-il vus de près ou de loin ? Mettez des initiales dans les cases pour désigner les plans utilisés.

Dans un second temps, il s’est agi de s’interroger sur les raisons pour lesquelles les plans étaient de plus en plus rapprochés, du plan d’ensemble au gros plan. De fait, ce type d’enchaînement, très fréquent en début de récit, a souvent une vertu d’exposition pour découvrir progressivement le cadre et les personnages et introduire un effet de dramatisation final par un gros plan pour stimuler les enjeux de la lecture autour d’un problème.

Selon le même principe, un autre type de planche, à l’échelle de plan cette fois-ci décroissante (du très gros plan au plan d’ensemble), leur a été soumis, avec la même consigne. Il s’agit de la première planche d’Octave et le cachalot de Yoann et Omond (image 38), caractéristique par l’effet de dégonflement comique qu’elle met en scène : le caractère vindicatif et ronchon d’Octave vu en très gros plan, laisse place progressivement à une représentation qui rapetisse le personnage, l’isole sur son rocher de bord de mer, dans un cadre qui le dépasse, et le met à distance au sens propre.

5 Leloup R. (1983). Les Archanges de Vinéa. Bruxelles : Dupuis. p 1 ; Martin, J. (1980). L’Enfant grec. Tournai : Casterman, p. 3 ; Gillon. (1979). Le Sceau de Bésélek. Paris : Les Humanoïdes associés, pl. 24.

Il existe une façon fort appropriée de réinvestir ce travail sur le versant de la production : créer un début de récit enune planche, en utilisant une échelle de plan progressive, du plan d’ensemble au gros plan, et en concluant l’exposition par un élément perturbateur. C’est la consigne qui a été donnée aux élèves de CM2, qui ont procédé àl’écriture préalable d’un scénario, en utilisant d’emblée le dispositif pré-visuel de l’écriture post-it, pour inventer l’histoire. La contrainte était donnée de ne pas dépasser dix cases. Leur forme et leur taille ont été laissées à la libre initiative des élèves. La difficulté par rapport aux seuls objectifs d’arthrologie visés dans la production de planche pour Le Tour de Gaule d’Astérix était de détailler particulièrement ici les post-it du type n° 3, concernant la description des éléments figuratifs. Ce n’est pas la forme et la taille des cases qui pose problème, car les élèves délimitent facilement eux-mêmes des vignettes en traçant des gouttières. C’est plutôt l’inscription des types de plan, qui peut constituer après-coup une surcharge cognitive. C’est pourquoi la consigne a été donnée de commencer d’emblée par les post-it « figuration », en indiquant le type de plan et ce qui était représenté à l’image, la nature de l’action venant ensuite s’inscrire sur le même post-it ou un post-it de couleur différente. Le professeur valide la progression de l’échelle de plan, la présence d’une exposition et d’un élément perturbateur dramatisé en fin de planche. Dans un second temps, les élèves peuvent introduire les post-it de texte pour les récitatifs, les onomatopées et les dialogues. Avant la réalisation graphique, les affiches post-it sont exposées, présentées et discutées lors des phases de regroupement. C’est l’occasion de faire des remarques sur la taille des cases : « là, si tu fais un paysage, il faut une plus grande case ». Ou encore de s’assurer de la cohérence logique du récit, de la lisibilité des enchaînements. Ces phases de regroupement s’avèrent fructueuses et permettent la ré-appropriation des notions vues précédemment : type de cases, type de plan, éléments du schéma narratif, ellipses, etc. Les productions finales présentées ici témoignent de la pertinence du dispositif (images 39-40-41).

Conclusion

Les objectifs des activités de production de BD qui viennent d’être présentés peuvent sembler dessiner une progression pour l’apprentissage, en cinq temps principaux :

  1. Modifier les représentations du médium en racontant une scène par simple collage de fragments visuels.
  2. Compléter une planche à trous par une case ou bien un élément iconique ou textuel.
  3. Pratiquer l’arthrologie :
    1. Partir d’un récit préexistant et le découper pour faire une BD d’abord sous forme de frise, puis de planche ;
    1. Ecrire soi-même un synopsis et apprendre à le découper sous forme de récitatifs illustrés.
  4. Apprendre à visualiser le récit de façon séquentielle.
    1. Exercer les élèves à inventer un récit en le pré-visualisant à travers l’écriture post-it.
    1. Apprendre à raconter directement sous forme de dessins séquentiels.
  5. Apprendre à mettre en page en articulant types de cadre et échelles de plan :
    1. Pratiquer le puzzle ;
    1. Choisir un multi-cadre correspondant à un synopsis puis apprendre à en créer un ;
    1. Créer une planche avec une échelle de plan croissante ou décroissante.

Ces quelques propositions, qui ne sont pas exhaustives, ne doivent pas donner l’illusion qu’il faudrait procéder selon cette démarche étapiste pour apprendre à créer une BD. En réalité, chacun de ces objectifs peut être travaillé indépendamment pour lui-même, sans suivre cette progression. L’essentiel est de savoir exactement ce que l’on fait, d’être analytique dans ses objectifs, en connaissant bien les principales compétences en jeu dans le processus de création. Il faut cesser de considérer l’objectif de production de BD comme un tout en soi, indivisible, comme s’il se suffisait en lui-même. Il faut cibler des objectifs plus précis et les compétences que l’on vise, en privilégiant à dessein l’arthrologie ou la spatio-topie. La compétence de mimésis graphique s’avère à cet égard tout à fait secondaire par rapport au découpage et la mise en page. L’entrée que je propose ici est une entrée par le scénario, dans sa double dimension textuelle et visuelle. C’est un objet d’enseignement nouveau, dans le cours de français et de littérature, et le champ qui s’ouvre en réalité est immense. Nous en avons envisagé ici quelques modalités sur l’unique versant de la production, en montrant combien cette approche pouvait modifier le rapport des élèves à l’écrit et révéler des compétences nouvelles d’écriture narrative.

Chacune de ces activités de production est bien sûr articulée avec des activités de lecture et d’analyse de planches ou d’albums BD. De surcroît, ces activités ne sont pas gratuites ; elles construisent des savoirs littéraires : sur la structure du récit, les tonalités, le schéma actantiel, la progression thématique, la cohérence textuelle, la distinction récit-discours, les dialogues, etc. Cependant la compétence principale qui est construite à travers la production de BD, outre la connaissance du médium et de son langage, me semble être le recul réflexif sur les stratégies narratives, car, pour peu que l’on exerce le regard des élèves, les procédés narratifs que sont le choix d’un multicadre, la taille, la forme et le site des vignettes de même que les jeux d’échelle de plan ou les angles de vue, pour ne citer que ceux-là, sont littéralement visibles dans la planche. La production de planches permet ainsi de mieux comprendre qu’une intention de sens est à l’œuvre, et que l’auteur raisonne en termes d’effets. Ce recul réflexif sur les stratégies narratives constitue un gain considérable, qui pourra ensuite se réinvestir dans l’approche du texte littéraire.

Références

Bercovici et Cortegiani (1984). Robinson et Zoé. Grenoble : Glénat. Derib. (1984). Le Vent sauvage. Bruxelles : Le Lombard.

Gentilhomme, P. (2006). 15 albums pour l’école. Orléans-Tours : SCEREN / CRDP. Groensteen, T. (1999). Systèmede la bande dessinée. Paris : Presses universitaires de France. Moebius. (1990). Sur l’étoile. Tournai : Casterman.

Molla J. (2007). La Revanche de l’ombre rouge. Paris : Thierry Magnier.

Morgan, H. (2003). Principe des littératures dessinées. Angoulême : éditions de l’An 2. Peeters, B. et Groensteen,T. (1994). Töppfer – L’invention de la bande dessinée. Paris :

Hermann éditeur.

Peeters, B. (1994). Le visage et la ligne : zigzags töpfferiens. In R. Töpffer. L’invention de la bande dessinée (p.1-64). Paris : Hermann éditeur.

Peeters, B. (1998). Case, planche, récit. Tournai : Casterman.

Perronnet A. (2012). L’étude d’un album BD au cycle 3 – l’exemple de Petit vampire va à l’école. In N. Rouvière(dir.), Bande dessinée et enseignement des humanités (p. 123-140). Grenoble : Ellug.

Rosier, J.-M. (2012). La BD à l’école : un leurre pédagogique en Belgique francophone. In N. Rouvière (dir.), Bande dessinée et enseignement des humanités (p. 45-53). Grenoble : Ellug.

Rouvière, N. (dir.). (2012). Bande dessinée et enseignement des humanités. Grenoble : Ellug. Sfar, J. (2005). Petit vampire va à l’école. Paris : Delcourt.

Tabuce B. (2012). Une urgence iconologique qui dure : l’enseignement de la BD dans les manuels de collège. In N.Rouvière, Bande dessinée et enseignement des humanités (p. 25- 44). Grenoble : Ellug.

Töpffer R. (1865/1858). Réflexions et menus propos d’un peintre genevois ou Essai sur le beau dans les arts. Paris : Hachette.

Yoann et Omond. (2003). Octave et le cachalot. Paris : Delcourt.

Multimodalité(s)

Multimodalité(s) se veut un lieu de rassemblement des voix de toutes les disciplines qui s’intéressent à la littératie contemporaine.

ISSN : 2818-0100

Multimodalité(s) est produit en collaboration

UQAMNT2Fonds de recherche du QuébecFonds de recherche du Québec

Multimodalité(s) (c) R2LMM 2023

Site web Sgiroux.net