Un dispositif d’approche multimodale de la lecture littéraire


Hélène Cuin Université de Bordeau 4

Lecture spectature et lecture littéraire en classe de seconde

Résumé

Notre communication concerne la lecture littéraire en classe de seconde au lycée et s’ancre dans le constat d’un rapport problématique des élèves à la lecture littéraire et aux œuvres patrimoniales. Dans le cadre d’une recherche exploratoire, nous avons fait le choix d’associer et de conjuguer l’actualisation (Citton, 2007) des textes selon une approche multimodale et des activités régulières mettant en jeu le sujet lecteur et avons fait aboutir notre démarche sur la production d’un texte de lecteur (Mazauric, Fourtanier et Langlade, 2011) multimodal. Dans le cadre d’un enseignement ordinaire (une séquence de lecture en seconde consacrée à l’étudede Tartuffe en œuvre intégrale), comment la production d’une écriture de commentaire sous forme multimodale est-elle susceptible de manifester certaines compétences de lecture littéraire ? Dans cette perspective, nous avons convoqué la notion de lecture littéraire (Dufays, Gemenne et Ledur, 2009) et avons émis l’hypothèse que l’introduction à l’école des pratiques sociales de référence des élèves dominées par la multimodalité (Donnat, 2008 ; Lebrun, Lacelle et Boutin, 2012) serait susceptible de favoriser le rapport à la lecture littéraire et aux œuvres patrimoniales.

Les premiers résultats semblent confirmer cette hypothèse et ouvrent des pistes sur la question du sujet de lecture spectature (Lacelle, 2009).

Mots-clés : didactique du français, littérature, multimodalité, sujet lecteur-scripteur, interactions lecture-écriture.

Problématique

Notre recherche concerne la lecture littéraire au lycée, et plus spécifiquement en classe de seconde. Le point de départ a été le double constat de la difficulté et de la réticence croissantes que représentait la lecture des œuvres patrimoniales pour de jeunes lycéens. L’analyse de cette résistance a mis au jour deux axes de réflexion.

Tout d’abord, d’un point de vue curriculaire, la lecture littéraire est marquée par une sorte de rupture entre le collège et le lycée, non que les pratiques de lecture diffèrent foncièrement, mais la prise en compte de la préparation aux épreuves certificatives de français dans l’approche des textes demande aux élèves des productions écrites et orales dont les normes impliquent un changement dans la façon d’aborder le texte littéraire. C’est cette tension que souligne Denizot à travers l’analyse des programmes de français. Ainsi, l’argumentation change de paradigme entre le collège et le lycée, passant du statut de discours à celui de genre. Pour Denizot, la question de la progression curriculaire renvoie à la place et au statut de la littérature au sein de la discipline (Denizot, 2012, ). La conclusion de son article met en évidence l’ambigüité qui caractérise lepassage du collège au lycée. Ensuite, d’un point de vue psycho-cognitif, l’entrée en seconde constitue également dans le développement des processus cognitifs et du rapport au symbolique une étape singulière ; les processus d’individuation et de socialisation caractérisent majoritairement cette étape de l’adolescence (Florin, 2003).

De plus, l’omniprésence de la littératie multimodale, manifeste dans les pratiques culturelles des jeunes lycéens (Donnat, 2008) a également modifié la façon de lire des jeunes élèves (Kress, 2009) mais aussi la culture, et de façon générale, le rapport à la littérature dans la société contemporaine (Serres, 2012). C’est d’ailleurs ce changement qu’évoque Michel Serres dans le rapport métonymique de son titre, Petite Poucette, en soulignant également un autre changement qui lui est subséquent : pour lui, le public silencieux est devenu bavard, connectéet surtout n’est plus à la place du « passager ». « Petite Poucette » est désormais

« pilote ». Cette réflexion sur la posture de ce nouveau public qui désire, ou semble vouloir être acteur, rejoint celle de la recherche en didactique de la littérature, à travers laquelle la question du sujet est aujourd’hui devenue incontournable.

En effet, de façon relativement récente, en ce qui concerne la lecture littéraire, la recherche en didactique du français a mis l’accent sur la question du sujet lecteur (Rouxel et Langlade, 2004) puis, avec les apports des sciences du langage, sur celle du sujet lecteur-scripteur. S’impose aujourd’hui la notion de sujet lecteur-scripteur (Massol et Rannou, 2013) qui prend en compte l’acte de lecture conjugué aux activités d’écriture.

Cependant, parallèlement, la question de l’inflexion des pratiques culturelles de nos jeunes élèves et de sa nécessaire prise en compte dans l’enseignement de la lecture littéraire a rendu urgente une réflexion autour de lamultimodalité, question autour de laquelle travaille l’équipe de Lebrun, Lacelle et Boutin (2012). Ces derniers soulignent en s’appuyant sur les travaux de Bearne et Wolstencroft (2007) 1

[l’]obligation […] d’enseigner enfin et systématiquement aux nouvelles générations la multimodalité, et ce, dans une perspective critique […l’] émergence actuelle d’une littératie médiatique résolument multimodale – et idéalement critique impose notamment à l’institution scolaire une médiation tout à fait métamorphosée de la communication humaine et du lire/dire/écrire » (Lebrun et al., 2012, p. 4).

Ainsi, à la lumière de ces remarques, on peut poser plusieurs pistes de réflexion. Comment articuler multimodalité et lecture littéraire des œuvres patrimoniales ? Comment prendre en compte le sujet lecteur dans une configuration nouvelle du dire-lire-écrire dans laquelle ce lecteur puisse être le pilote évoqué par Michel Serres ?

Cette problématique nous amène à penser que la lecture littéraire d’œuvres patrimoniales pourrait s’articuler avec les pratiques culturelles de référence des jeunes élèves, majoritairement multimodales. Il s’agirait d’utiliser des textes multimodaux en amont de la lecture littéraire (par la contextualisation notamment), mais aussi en aval (pour la production écrite d’un commentaire).

Dans le cadre d’un enseignement ordinaire (une séquence de lecture en seconde consacrée à l’étude de Tartuffeen œuvre intégrale), comment la production d’une écriture de commentaire sous forme multimodale est-elle susceptible de manifester certaines compétences de lecture littéraire ?

1 Bearne, E. et Wolstencroft, H. (2007) Visual approaches to teaching writing. Multimodal Literacy (5-11), Londres, Sage publications : voir Lebrun, Lacelle et Boutin (2012, p. 4)

Cadre théorique

Lecture littéraire scolaire

Dans la perspective de notre travail, nous avons envisagé la notion de lecture littéraire comme une dialectique entre participation et distanciation (Dufays, Gemenne et Ledur, 2005), conception qui fait aujourd’hui l’objet d’un large consensus.

Deux aspects de cette définition évoqués par Dufays comme des conditions nous semblent intéressants. D’une part, cette notion permet d’envisager le rapport entre lecture « ordinaire » et « lecture littéraire » sur le mode du continuum (Dufays, Gemenne et Ledur, 2005). D’autre part, Dufays souligne que

« cette définition se doit d’aller de pair avec une pratique d’enseignement elle-même dialectique, axée sur différentes activités complémentaires, les unes relevant de la participation, les autres privilégiant la distanciation (réflexion sur le fait littéraire, transmission des connaissances littéraires utiles, développement des compétences interprétatives), d’autres encore (axées sur le liseur de Picard) privilégiant les appropriations sensorielles ». (p. 97)

Le sujet lecteur scolaire : vers l’apprenant et ses entours

Cette conception de la lecture nous amène alors à envisager l’acte de la lecture dans la perspective d’un sujet lecteur scolaire compris dans toutes ses dimensions. Nous nous appuierons sur l’approche transversale du sujet proposée par Daunay (2010) à travers la question du sujet apprenant. Il souligne en effet la difficulté à penser le sujet à la fois en didactique, mais aussi en didactique du français. Tout d’abord, il met en évidence le nécessaire croisement de deux dimensions (socioculturelle et extrascolaire) pour penser un sujet qui ne soit plus seulement le sujet épistémique. Ensuite, en évoquant la spécificité de la question du sujet dans la perspective des sous-domaines du français, il ouvre la question en croisant également la triple dimension du sujet parlant, de l’enfant créateur, mais aussi du sujet lecteur. Cette réflexion et cette ouverture nous semblent capitales pour penser la production d’un texte multimodal qui soit un discours sur le texte patrimonial.

Par ailleurs, ce sujet lecteur scolaire que nous envisagerons dans le cadre plus large de l’apprenant défini par Daunay prend également corps en se frottant par le biais des interactions et des pratiques langagières à la fois à la communauté discursive et à la communauté interprétative. La notion de communauté discursive formalisée pourla première

fois en 2002 par Bernié nous intéresse ici pour penser la façon dont l’élève va s’instituer

« comme le sujet d’un discours pertinent dans une discipline ». (Daunay, 2012, p.33) Quant à la communauté interprétative, elle concerne plus spécifiquement l’ancrage du sujet dans le champ disciplinaire.

La multimodalité et la littératie médiatique multimodale

Nous avons choisi de nous appuyer sur les conceptions suivantes de la multimodalité, synthétisées dans l’ouvrage de Lebrun, Lacelle et Boutin (2012). Premièrement, Kress et Van Leuwen (2001, dans Lebrun, Lacelle et Boutin, 2012, p.3) définissent la multimodalité comme « l’usage, en contexte réel de communication médiatique, de plus d’un mode sémiotique pour concevoir un objet ou un évènement sémiotique ».Deuxièmement, dans une perspective plus pragmatique, Buckingham (2003, dans Lebrun, Lacelle etBoutin, 2012) avance que l’ensemble des possibilités techniques de communication médiatique (langue écrite, images fixes ou mobiles, musique, sonorités et paroles) constitue la multimodalité. Enfin, pour Bearne et Wolstencroft (2007, dans Lebrun, Lacelle et Boutin, 2012, p.3), l’idée d’interaction s’avère fondamentale : « la multimodalité articule dans un tout cohérent, le croisement original et complexe du mot, de l’image, du geste/ du mouvement et de la sonorité qui inclut la parole, par le truchement d’outils médiatique de tout acabit ».

De ces trois conceptions, que nous convoquerons tour à tour ou conjointement, nous retenons que la mise enœuvre de la multimodalité engage en premier lieu plusieurs modes sémiotiques qui sont déjà utilisés dans les pratiques ordinaires. En second lieu, elle engage également un contexte de communication médiatique.

Ainsi, la conséquence en est que nous envisageons la lecture littéraire scolaire dans une dimension globale susceptible de prendre en compte la complexité du sujet. Dans cette perspective, la notion de multimodalité peut s’avérer fructueuse dans la conception d’un dispositif de lecture, car les pratiques multimodales et médiatiques sollicitent particulièrement les sens auditifs et visuels (Kress, 2009 dans Lebrun, Lacelle et Boutin, 2012) qui sont les sens prédominants dans les pratiques culturelles extrascolaires essentiellement multimodales de nos élèves (Donnat, 2008). Ainsi, on pourrait supposer que l’entrée dans les textes littéraires par ce biais2permettrait en premier lieu d’estomper l’écart entre les pratiques

2 Utilisation de cartes mentales, de supports vidéo, de captations de mises en scène, de documents iconographiques

culturelles extrascolaires et les pratiques culturelles scolaires, pouvant par-là, modifier un rapport à la littérature, marqué par la distance. Cette dernière vient à la fois des élèves eux- mêmes, mais aussi des pratiques d’enseignement qui n’intègrent pas encore le changement de paradigme de la culture évoqué par Serres et constaté par Donnat.

Nous avons également convoqué la notion de littératie médiatique multimodale (Lebrun, Lacelle et Boutin, 2012), qui reste problématique. En effet, l’O.C.D.E. définit la littératie comme « l’aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante, à la maison, et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d’étendre ses connaissances et capacités » (2000). Seulement, la double révolution médiatique etnumérique a métamorphosé les pratiques culturelles ; la littératie médiatique multimodale « reconnu[e] dans lemilieu de la recherche » (Lebrun, Lacelle et Boutin, 2012) implique un changement de paradigme de la communication. Située à la frontière de la didactique et du socioculturel, la notion de littératie médiatique multimodale pose une question essentielle : « comment accepter de passer du paradigme de l’écrit classique à celui de l’écrit multimodal » (Lebrun, Lacelle et Boutin, 2012, p.5) ? Dans le cadre de l’enseignement du français au lycée, cette notion interroge plus particulièrement l’articulation de la littératie médiatique multimodale et de la littérature traditionnelle. Nous formulons l’idée qu’un corpus de textes multimodaux en lecture et en écriture est susceptible de développer des habiletés en lecture littéraire en posant aussi la nature multimodale de la lecture littéraire.

La multimodalité pour favoriser la lecture subjective

Si nous nous plaçons dans la perspective de la lecture-spectature, Lacelle et Langlade (2007) nous permettent également de penser que l’interaction des processus enclenchée par l’utilisation d’outils didactiques multimodaux est susceptible de favoriser l’émergence d’une lecture subjective, notamment parce que le sujet est affecté différemment par une œuvre littéraire ou filmique.

« La lecture subjective concerne le processus interactionnel, la relation dynamique à travers laquelle le lecteur ou le spectateur réagit, répond et réplique aux sollicitations d’une œuvre, en puisant dans sa personnalité profonde, sa culture intime, son imaginaire. » (p.55)

Ainsi, solliciter le déjà-là du lecteur, à savoir les pratiques culturelles multimodales extrascolaires (séries, internet, utilisation des réseaux sociaux), permettrait d’impliquer davantage le lecteur en tant que sujet. Ce qui nous intéresse est alors de voir l’activité de ce lecteur, à savoir la façon dont ce dernier

« investit, transforme et singularise le contenu fictionnel de l’œuvre (concrétisation imageante ou auditive), réagit à ses caractéristiques formelles (impact esthétique), établit des liens de causalité entre les évènements ou les actions des personnages (cohérence mimétique), rescénarise des éléments d’intrigue à partir de son propre imaginaire (activité fantasmatique), porte des jugements sur les actions et la motivation des personnages (réaction axiologique) » (Lacelle, Langlade, 2007, p.55).

C’est dans la possibilité offerte par les textes médiatiques multimodaux (captations, vidéos, documents iconographiques, cartes mentales, diaporamas) de toucher/ d’affecter différemment le lecteur en tant que sujet, que nous avons posé l’hypothèse selon laquelle la mise en œuvre d’un dispositif multimodal pour entrer dans les textes littéraires permettrait d’impliquer3 davantage les élèves, et ce, dans la mesure où la multimodalité fait partie intégrante de leurs pratiques culturelles. En effet, un dispositif intégrant des textes médiatiques multimodaux nous semble offrir la possibilité de toucher/ d’affecter différemment le lecteur en tant que sujet.

Dans quelle mesure l’activité de concrétisation auditive ou imageante manifeste dans les pratiques culturelles sociales de référence faciliterait-elle l’implication du sujet dans la pratique de la lecture littéraire en classe ? A terme, l’enclenchement de ces processus pourrait non seulement impliquer, mais aussi engager le lecteur, notamment dans son rapport à la lecture littéraire, mais aussi dans son rapport aux textes patrimoniaux. Cela pose la question de l’articulation de la Mother litteracy avec la littératie médiatique multimodale.

Par ailleurs, le rapport à la multimodalité bénéficierait d’une plus-value que le texte littéraire n’a pas forcément. Cette variation des effets issue des supports numériques mais aussi et surtout du basculement vers une lecture multimodale peut sembler offrir un avantage dans cette perspective. Cette approche peut-elle favoriser l’activité de concrétisation auditive ou imageante et rendre ainsi consciente chez l’élève la nature multimodale de l’activitéde lecture littéraire ? Et surtout, en quoi la production d’une écriture de commentaire sous forme multimodale serait-elle susceptible de rendre plus consciente pour les élèves la nature multimodale de la lecture littéraire ?

3 Avec Ardoino, nous distinguons l’implication (passive) de l’engagement (actif et voulu) L’Implication (2002)

Ainsi l’articulation entre sujet lecteur-spectateur et sujet lecteur-scripteur pourrait-elle se trouver dans le potentiel offert au lecteur par la multimodalité pour investir sa subjectivité.

Multimodalité et texte du lecteur

L’idée est qu’une approche des textes patrimoniaux qui convoque des processus de lecture multimodale puisse construire une lecture littéraire, entre participation et distanciation. A terme, il s’agit pour le lecteur-spectateur d’être davantage impliqué dans le texte littéraire. Plus encore, dans la perspective de l’enseignement du français en classe de seconde, il faut aussi que ce sujet lecteur fasse advenir le sujet lecteur-scripteur en vue des épreuves certificatives. Aussi peut-il sembler logique d’envisager la relation entre un dispositif multimodal d’entrée dans les textes et la production in fine d’un texte du lecteur (Mazauric, Fourtanier et Langlade, 2011). Ainsi posons-nous l’hypothèse que l’utilisation d’un texte multimodal du lecteur est susceptible de favoriser, dans la lecture littéraire, la dialectique entre participation et distanciation. Nous pouvons essayer d’aller plus loin en précisant cette hypothèse : en quoi des supports multimodaux rendant compte de lecture peuvent-ils constituer des « textes de lecture » (Trouvé, 2011, p. 31) ? Comment peuvent-ils influer sur cette lecture ? Quel texte de lecture multimodal pourrait-on envisager afin de faire émerger plus facilement le sujet lecteur-scripteur que convoquent nécessairement les injonctions institutionnelles pour les épreuves certificatives de français ? Est-il possible d’envisager un texte de lecture multimodal comme un des cinq degrés de texte du lecteur tels que les définit Trouvé (2011) ?

Ce qui nous parait être important dans notre démarche est de considérer la lecture littéraire, et surtout les activités afférentes dans la perspective de l’émergence d’un sujet lecteur-scripteur, champ plus large abordé par la recherche actuelle (Massol, Rannou, 2013).

Le texte du lecteur multimodal : un espace à investir pour le sujet

Le rapport à la lecture littéraire semble non seulement modifié, mais aussi problématique en ce qu’il engage d’autres enjeux, à la fois sociologiques et anthropologiques. Quel lecteur peut être aujourd’hui un jeune lycéenécartelé entre ses pratiques culturelles de référence et l’univers des œuvres qui sont envisagées en classe(Lahire, 2004) ? C’est bien dans la

perspective de Lahire et dans une démarche de transferts de concepts que Marie-José Fourtanier (2011)envisage cette question plus précisément à travers le terme de

« dislocation » qu’elle définit comme « l’état de l’individu désarticulé, incapable du fait de cette désarticulation de faire des liens, d’établir des relations et des ponts entre des objets de culture divers » (p. 49). Elle propose de dépasser cette dislocation par la dissonance qui serait alors « non pas subie, mais gérée par un individu conscient de lui-même et de ses choix, ce qui implique, non plus un éparpillement de l’être capable d’engendrer le refus et la violence, mais au contraire une construction de soi positive » (Fourtanier, 2011, p.49).

Ainsi, l’on pourrait souhaiter que l’écriture d’un texte multimodal de lecture contribue à faire émerger cettedissonance plutôt que de cultiver la dislocation. En s’appuyant sur le déjà-là des pratiques ordinaires, cette tâche serait peut-être susceptible de faire advenir le « pilote » évoqué par Serres. Est-il possible de penser à terme que l’implication de l’élève dans la lecture littéraire scolaire puisse contribuer l’engagement d’un sujet lecteur qui concilie champ scolaire et extrascolaire ?

Deux pistes de recherche s’offrent à nous : tout d’abord, nous nous demanderons comment un dispositif didactique articulant littératie médiatique multimodale et Mother litteracy est susceptible de mettre à jour des processus de lecture-spectature qui pourraient constituer des manifestations d’une lecture multimodale des textes littéraires. Ensuite, nous nous interrogerons sur les façons dont l’écriture d’un texte de lecture multimodal peut mettre en évidence des traces du sujet lecteur-spectateur. Pour cela, nous chercherons à savoir comment le contenu fictionnel peut être investi, transformé et singularisé (Lacelle, Langlade, 2007) par l’élève dans le texte de lecture multimodal.

Méthodologie

Sujets

Notre recherche a concerné un public de 35 élèves de classe de seconde, dans un lycée de centre-ville bordelais. Les catégories socioprofessionnelles majoritaires s’inscrivent dans les classes moyennes, avec des conditions d’accès à la culture globalement facilitées. Cette classe est destinée à une orientation scientifique et bénéficie de deux heures hebdomadaires d’accompagnement personnalisé en français. Concernant les profils de lecteurs, untiers sont

des lecteurs réguliers ; les autres lisent rarement, lisent peu, ou seulement les œuvres à étudier en classe.

Un questionnaire (Annexe 1) portant sur les pratiques culturelles de ces jeunes adolescents nous a permis de confirmer les conclusions de Donnat (2008). Tous sont équipés d’un téléphone portable, en grande majorité d’un smartphone (ordiphone4 ou téléphone intelligent56), et tous les foyers possèdent au moins un ordinateur (jusqu’à sept). Une forte majorité des élèves utilise les jeux vidéo comme un moyen de détente, de divertissement ou de partage. Quelle que soit la pratique des médias numériques (jeux vidéo, réseaux sociaux, SMS, navigation sur internet), chaque élève met clairement en évidence un pôle d’activité dominant qui est critérié dans le tableau ci-dessous à partir du temps consacré par semaine.

4 Terminologie posée dans le B.O. n°0300 du 27 décembre 2009

http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;?cidTexte=JORFTEXT000021530617

5 Entrée « téléphone intelligent » Grand Dictionnaire Terminologique, Office québécois de la langue française

DonnéesPossèdent ou utilisentPossèdent ou utilisentPossèdent ou utilisent
Possèdent un ordinateur personnel65 %
Equipement du foyer12%1 ordinateur37%2 ordinateurs50 %3 ordinateurs ou plus
Téléphone portable82%smartphone ou iphone15%téléphone classique3%Blackberry
Réseaux sociaux90 %compte facebook (Dont 22% Facebook et twitter)9%n’ont aucun compte
Temps consacré aux réseaux sociaux38%moins d’une heure 52 %plus d’une heure
Communication par texto43% ≤ 100 SMS37,5% + de 1003% ne savent pas
Jeux vidéo75 % (Dont 58% > à 7 h/ semaine37% < 7h / semaine)25% ne jouent pas

Instruments

La multimodalité introduite dans un dispositif pédagogique classique

Le dispositif pédagogique de notre recherche s’inscrit dans le cadre d’une séquence concernant l’objet d’étude au programme « Le théâtre au XVII° siècle : tragédie et comédie, le classicisme ». Nous avons choisi de traiter le genre de la comédie par le biais du parcours en œuvre intégrale d’une pièce de Molière, Tartuffe. Le dispositif de lecture de cette séquence centrée sur la question du personnage éponyme a fait se répondre lectures cursives et lectures analytiques7. Concernant la séquence, les étapes majeures ont été les suivantes.

Tout d’abord, la lecture cursive du Roman de Monsieur de Molière de Boulgakov (1933) a permis un parallèle avec les relations parfois problématiques et complexes de l’artiste avec un pouvoir totalitaire. Cette entrée dansle contexte de la pièce de théâtre, par le biais de la

7 « Lecture cursive » et « lecture analytique » sont deux modalités de lecture redéfinies récemment dans les I.O. des programmes du lycée applicables à la rentrée 2011(B.O. n°6 du 6/09/2010)

biographie romancée du dramaturge a été pensée dans l’objectif d’une contextualisation nécessitant de la part des élèves un tri et une hiérarchisation des éléments fournis par la narration.

Ensuite, trois lectures analytiques ont ponctué la séquence consacrée à l’étude de la pièce en œuvre intégrale, en portant sur les extraits suivants : la scène d’exposition (Acte I, scène 1, l’arrivée/ sortie de Madame Pernelle), l’arrivée de Tartuffe (Acte III scène 3, tentative de séduction d’Elmire) et la « scène de la table » (Acte IV scène 4, le guet-apens d’Elmire). Ce choix a notamment axé les problématiques des parcours de lecture analytique sur la complexité et la diversité des conflits familiaux, dans l’univers très fermé, mais à forte charge symbolique de la maisonnée d’Orgon. Les stratégies8 d’entrée dans les textes étudiés en lecture analytique et en lecture cursive (en référence à Buckingham, 2003 ; Bearne et Wolstencroft, 2007 dans Lebrun, Lacelle et Boutin, 2012) s’inscrivent dans une approche multimodale (son, image, texte) assez classique dans les pratiques actuelles del’enseignement du français. A la lecture professorale du début du Roman de Monsieur de Molière (Boulgakov, 1933) utilisant le seul support de la voix, nous avons ajouté des mises en jeu9 systématiques pour faire émerger les hypothèses de lecture lors des trois lectures analytiques de Tartuffe. Chacun de ces trois extraits a été confronté à au moins une, voire trois mises en scène10. Dans une séance intermédiaire de synthèse, le rôle de la servante a été mis en perspective grâce à l’interview d’Ariane Mnouchkine11 qui rend compte des cheminements de son travail dans la construction du personnage de Dorine. Face à sa troupe, elle essaie de définir le costume et le jeu de Dorine face à Orgon en s’appuyant à la fois sur la photographie d’une vieille femme thaïlandaise et sur la référence à un documentaire animalier opposant un petit singe et un tigre. Enfin, afin que les élèves puissent étayer eux-mêmes leur construction du personnage de Tartuffe, ont été visionnés plusieurs extraits du film, Ausoleil même la nuit, qui retrace la genèse de la mise en scène par le Théâtre du Soleil.

8 Nous entendons ici les stratégies de l’enseignant.

9 La mise en jeu d’un texte consiste à éprouver le texte par une mise en scène en classe, conçue non comme un produit fini mais dans la perspective d’un work in progress qui questionne le texte théâtral et permet de faire émerger des hypothèses de lecture, première étape de la lecture analytique. (voir Delibine,C., Grosjean,B., Coups de théâtre en classe entière, Sceren, 2004)

10 Jacques Charon, 1973 ; Georges Bensoussan, 1997 © DVD 2008 Editions Montparnasse ; Jacques Lassalle, 1984, lien :http://www.youtube.com/watch?v=501hEGGHxZg

11 Extrait d’Au soleil même la nuit © Agats Film & Cie, Théâtre du Soleil, La sept ARTE – 1997 DVD © Bel Air Classiques – 2011

L’actualisation12 faite par Mnouchkine de la pièce de Molière dans un contexte méditerranéen et dans des problématiques de fanatisme religieux a pu faire apparaitre aux élèves la liberté possible des interprétations de cette pièce.

Dans le cadre de cette séquence, somme toute très classique dans l’enseignement du français, nous avons pris le parti de finaliser ce parcours de séquence par la production et la présentation orale d’un diaporama. Nous avons inscrit ce diaporama dans une pédagogie de projet et annoncé cette finalisation du discours sur le texte classique dès le début de la séquence. Ainsi, c’est dans la forme que le texte de lecture est moins classique : en effet, l’approche du texte de lecteur passe par une expression multimodale qui se distingue du texte monomodal du commentaire traditionnel.

Etapes du dispositif dans une approche multimodale du texte de lecture

Au début de la séquence, les élèves avaient reçu des consignes concernant la réalisation d’un diaporama (Annexe 2), support d’un compte-rendu de lecture de la pièce, calibré sur une prestation orale d’une dizaine de minutesenviron. La consigne volontairement générale (« présentez votre mise en scène de la pièce Tartuffe), était néanmoins développée dans les contraintes de l’exercice : une page de présentation du projet, une autobiographie de Molière (« Moi, Molière ») se basant sur une lecture sélective de la biographie de Boulgakov (1933), un résumé de la fable construit avec un organigramme ou une carte mentale, le « casting » des personnages principaux justifié et argumenté à partir du texte, la sélection de trois extraits marquants et une interprétation générale de la pièce, également à justifier à partir du texte. Etaient obligatoires l’utilisation d’un diaporama et d’au moins une carte mentale.

Ce dispositif a également été conçu dans le but de faciliter l’émergence du sujet de lecture-spectature dans la perspective de Lacelle et Langlade (2007) : nous avons essayé de chercher à savoir comment despratiques (mises en jeu, captations, interview filmée) et des

12 Nous entendons ici l’actualisation telle que Citton la conçoit : «Une interprétation littéraire d’un texte ancien est actualisante dès lors que a) elle s’attache à exploiter les virtualités connotatives des signes de ce texte, b) afin d’en tirer une modélisation capable de reconfigurer un problème propre à la situation historique de l’interprète, c) sans viser à correspondre à la réalité historique de l’auteur, mais d) enexploitant, lorsque cela est possible, la différence entre les deux époques (leur langue, leur outillage mental, leurs situationssociopolitiques) pour apporter un éclairage dépaysant sur le présent.» (Citton, 2007, p. 265). Toutefois, en 2012 Citton est revenu sur laquestion de l’actualisation dans un article publié sur Fabula (Séminaire “Anachronies – textes anciens et théories modernes” (2011-2012)Séance 6 (9 mars 2012): Actualiser?) en concluant que la « principale fonction actuelle de la littérature consisterait en une double tâche apparemment contradictoire mais parallèle : raffiner nos traductions et cultiver les intraduisibles ». [http://www.fabula.org/atelier.php?Limites_des_lectures_actualisantes]

Nous maintenons toutefois sans réserve le choix de la définition initiale pour le travail de Mnouchkine.

outils multimodaux (diaporamas, cartes mentales) pouvaient être en mesure de favoriser la concrétisation imageante ou auditive, l’impact esthétique, la cohérence mimétique, l’activité fantasmatique et la réaction axiologique.

Le potentiel de ce dispositif didactique pour l’investissement/ la transformation / la singularisation du contenu fictionnel par le sujet lecteur-spectateur tient à :

  • la production des images (le « casting », l’investissement iconographique de la présentation) et du son (la voix de l’élève) en complément de l’œuvre (concrétisation imageante ou auditive) susceptibles de témoigner de l’investissement du lecteur ;
  • la cohérence mimétique mise en jeu, notamment dans la reformulation de la fable à partir d’une carte mentale ;
  • la re-scénarisation des éléments d’intrigue à partir du propre imaginaire de l’élève, à laquelle il faut ajouter le fait que cet imaginaire se fonde sur une culture personnelle, non scolaire ;
  • la réaction axiologique éventuelle dans la prise en compte des personnages (envisagée comme un postulat).

Nous considérons le diaporama réalisé et présenté par l’élève comme un « texte de lecture » (Trouvé, 2011, p. 35) correspondant à deux degrés possibles parmi les cinq cités par Trouvé :

– (2) le compte rendu oral, partiel ou partial, première forme d’énoncé personnel élaboré à partir du texte d’autrui ;

-(3) la critique écrite, plus ou moins savante, institutionnelle ou journalistique : dans cette catégorie sont à classer les exercices scolaires, études, critiques et notes de lecture.

Nous pourrions ainsi envisager le diaporama comme une sorte d’étape intermédiaire (entre lecture littéraire et retour à la production d’un texte monomodal comme l’est celui du commentaire littéraire), intégrant la multimodalité et la convoquant d’ailleurs dans le cadre des trois conceptions précédemment évoquées : premièrement, celle de Kress et Van Leuwen (2001, dans Lebrun, Lacelle et Boutin, 2012) pour le contexte réel de communication médiatique de plus d’un mode sémiotique pour concevoir un objet ou un évènement sémiotique ; deuxièmement, celle de Buckingham (2003, dans Lebrun, Lacelle et Boutin, 2012) pour l’ensemble des possibilités de communication médiatique (langue écrite, images fixes ou mobiles, paroles) ;troisièmement, celle de Bearne et Wolstencroft (2007, dans

Lebrun, Lacelle et Boutin, 2012) pour l’aspect fondamental de l’interaction, ici à tous les niveaux entre l’élève, le texte littéraire, son texte de lecture, et la classe à laquelle il s’adresse.

Déroulement

Les diaporamas ont été recueillis à l’issue des présentations orales, puis les élèves ont été invités à opérerune démarche réflexive sur leur production à travers un questionnaire (Annexe 3). Les questions posées concernent les modalités d’élaboration du diaporama et de son contenu afin de savoir si les élèves s’étaient emparés du diaporama comme d’un artefact (Rabardel, 1995) et si les compétences techniques et compétences multimodales étaient liées. Nous avons également interrogé la concrétisation imageante et nous nous sommesdemandé si la réalisation du diaporama, et notamment celle du « casting » était susceptible de l’avoir favorisée, ou même modifiée. Concernant les autres propositions de « casting » auxquelles les élèves ont eu accès par le biais des exposés oraux, l’impact sur leurs représentations mentales de Tartuffe, mais aussi des autres personnages a été également questionné. Par confrontation, nous nous sommes demandé quand apparaissait(lorsque cela s’avérait l’être) l’image au cours de leur lecture), et ce dans le souci de définir des types delecteurs. Enfin, nous avons demandé quels avaient été les supports sollicités pour l’élaboration du diaporama : le cours, la lecture des textes abordés en classe, la lecture ou relecture du livre, les extraits de mise en scène ou d’autres supports.

Enfin, il nous a semblé nécessaire de recouper ces réponses, car les biais très nombreux en situation scolaire risquaient de fausser les résultats.

Après une première analyse des questionnaires, nous avons décidé de mener huit entretiens concernant des profils de lecteurs qui nous semblaient intéressants dans le cadre de notre recherche.

Méthode d’analyse des résultats

Nous avons choisi d’adopter le cadre d’une recherche exploratoire et de mettre en place une méthodologie de type qualitatif misant sur l’utilisation de la multimodalité, classique pour l’entrée dans les textes, mais plus spécifique pour la production de textes de lecture.

Parmi la dizaine des diaporamas (14) que nous avons pu recueillir, nous avons opté pour l’analyse du mode dominant de ces supports (texte ou image, inclusion éventuelle de son), et du degré d’élaboration et de finalisation de chacune des rubriques exigées. Les diaporamas ont également fait l’objet d’une analyse des sources culturelles exploitées dans le cadre de la réalisation du « casting ».

Un questionnaire portant sur la réalisation du diaporama et son impact éventuel sur la lecture littéraire a été mis en place après la présentation des exposés. Ont été interrogées les étapes du travail, la mentalisation présente ou non avant la réalisation du diaporama, l’évolution de la conception du personnage de Tartuffe avant ou après la séance collective des exposés, la nature des supports utilisés pour la réalisation du diaporama, et enfin, l’efficience ou non de la carte mentale, si oui, pour quoi.

Des entretiens avec huit élèves choisis pour la variété des profils de lecteur-scripteur survenant après analyse des données précédemment citées nous ont permis de présager de l’impact ou de l’absence d’impact de la production d’un texte multimodal de lecture, sur la compréhension/interprétation, et sur les pratiques de lecture extrascolaires. Il nous faut toutefois nuancer cette perspective, dans la mesure où le nombre de variables influant sur la situation du milieu scolaire est à ne pas négliger.

Dans un premier temps, nous avons analysé chacune des catégories de données, puis nous avons opté pour un croisement des résultats. En effet, concernant la réalisation des diaporamas, par exemple, certains travaux pouvaient manifester un investissement à priori du sujet : marques de subjectivité présentes dans la formulation des rubriques (notamment par l’emploi récurrent du possessif : « ma mise en scène », « mon interprétation ») ou bien de pistes d’interprétation originales formulées lors de l’étape de l’interprétation. Toutefois, nous savons le pouvoir des savoirs de seconde main et avons confronté ces données à la fois à un questionnaire portant sur l’impact du travail de réalisation de ce diaporama (Annexe 3) et aux entretiens d’explicitation. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de resserrer notre analyse autour des données de huit élèves dont nous avons croisé le diaporama, le questionnaire sur l’impact éventuel de ce dernier et l’entretien.

Résultats

L’analyse du texte multimodal de lecture

Quelle multimodalité ?

Comment les élèves se sont-ils emparés de la multimodalité dans le cadre de la production d’un texte multimodal de lecture ? Si nous reprenons la définition de Kress et Van Leuwen (2001, dans Lebrun, Lacelle et Boutin,2012) qui conçoivent la multimodalité comme

« l’usage en contexte réel de communication médiatique, de plus d’un mode sémiotique pour concevoir un objet ou un évènement sémiotique », comment les différents modes ont-ils été utilisés dans les diaporamas ?

Nous avons choisi d’étudier la mise en œuvre de la multimodalité à travers la réalisation d’un texte multimodal de lecture en interrogeant la gestion des modes et leur articulation effective, d’abord dans le cadre stricto sensu du support, puis dans l’exploitation de l’outil lors de l’exposé. Concernant tout d’abord la composition des diaporamas, un tiers des supports est dominé par le mode textuel, l’image intervenant alors de façon sporadique et plus illustrative ou ornementale que s’intégrant réellement dans le discours ; force est de constater que ces textes souvent peu élaborés et issus de techniques de copié-collé sont lus tels quels, c’est-à- dire que le diaporama sert simplement de support de la prestation. Les élèves concernés manifestent par ailleurs des difficultés dans la formulation, qu’elle soit écrite ou orale. Les traces écrites sont peu élaborées, tant du point devue de la forme que du point de vue du fond. Pour un deuxième tiers, l’utilisation de deux modes se révèle être assez hétérogène : en effet, ces productions ne parviennent pas à articuler le texte et l’image. Soit le texte est lu etl’image n’est guère exploitée, soit l’image est le support de la parole, mais ne révèle que peu de liens avec le texte proposé. La production n’est un multitexte que pour la forme, et le discours accompagnant le diaporama trouve difficulté à construire une réelle cohérence. Enfin, un dernier tiers des élèves articule texte, image et voix, et dans ces prestations, la démarche de lecture de l’œuvre est non seulement effective mais aussi efficace en termes de construction du sens et de l’interprétation.

Ces deux analyses corroborent une première piste : lorsqu’il y a maitrise de la multimodalité, elle se fait prégnante à la fois dans le support diaporama, mais aussi dans la capacité à conjuguer oral et support.

Quelles ressources ?

Nous avons procédé à une analyse des sources utilisées pour la réalisation du multitexte de lecture et avons constaté que ce type de tâche entraine une diversification des supports et une mise en relation des sources. A titre d’illustration, voici un tableau indiquant la nature des sources exploitées.

Ci-dessous un échantillonnage des supports utilisés pour la réalisation du diaporama.

ITEMNombred’élèvesPourcentage de l’échantillon
Cours1285%
Internet535%
Captations964%
Textes lus en classe535%
Biographie de Boulgakov17%
La pièce de théâtre964%
Autres17%

Nombre de supports différents utilisés pour réaliser le diaporama.

Nombre de supports utilisésPourcentage d’élèves
350%
428%
522%

A priori, la réalisation du multitexte a exigé et entrainé l’exploitation de plusieurs sources et a amené pour plus de la moitié un retour sur le livre. Le questionnement mené en entretien a confirmé cette relecture du texte et témoigne ainsi du fait que le multitexte et l’utilisation des compétences techniques ne détournent pas du texte littéraire. Par ailleurs, les lectures analytiques menées en classe restent de loin la référence la plus citée, et il nous faut aussi mentionner le rôle des captations dans la concrétisation imageante. Concernant l’utilisation des supports scolaires, la production d’un multitexte révèle également qu’il favorise une démarche de mise en relation de sources diverses.

Par ailleurs, trois postures d’élèves méritent d’être soulignées. Premièrement, les références au roman de Boulgakov, par croisement avec l’entretien ont été données comme une preuve de lecture de Boulgakov, mais aussi comme la reconnaissance d’une absence de lecture effective de la pièce de Molière. Pour autant, le travail présenté se révélait de teneur correcte en apparence et pouvait faire illusion. Ainsi le diaporama révèle-t-il la posture de l’élève qui accomplit la tâche demandée sans pour autant recourir à la fréquentation du livre, pourtant priorité affichée du projet par l’enseignant. Deuxièmement, deux élèves ont théâtralisé leur prestation, proposantainsi leur mise en scène de la pièce dans une sorte de mise en abyme

(Annexe 4). Force est de noter que ces élèves sont les deux seuls à fréquenter le cinéclub du lycée et qu’ils s’inscrivent également dans un contexte socioculturel très favorisé. L’un d’eux a d’ailleurs basé tout son travail sur un parallèle entre l’œuvre de Molière et la série Game of Thrones (Annexe 5) ; l’affichage des pratiques culturelles ordinaires sur le support diaporama tout comme la mise en scène présentée dans l’autre cas semble constituer des marques d’un sujet lecteur-spectateur qui investit le « déjà-là » pour construire une lecture à la fois de participation et de distanciation. Troisièmement, il nous semble important d’évoquer le cas d’un élève ayant un rapport particulier à la culture (notamment patrimoniale), dans le sens où la valeur de cette dernière, construite par l’éducation est nettement liée à des questions d’intégration. La tâche de production d’un multitexte et son oralisation ont été l’occasion d’une véritable conférence où les enjeux de maitrise de l’outil se sont ajoutés à ceux d’une maitrise des références culturelles patrimoniales. La posture affichée par l’élève est nettement celle du discours savant qui procède à l’éloge des références du patrimoine. Les termes attachés aux différentes rubriques de l’exposé en témoignent (Annexe 6).

Ces trois cas témoignent de la manière dont le multitexte permet au sujet de trouver place en exploitant notamment des éléments appartenant à la double dimension extrascolaire et socioculturelle évoquée par Daunay (2010).

Toutefois, force est de constater que la conjonction des supports scolaires et des éléments extrascolaires et socioculturels susceptible de faire émerger ce que Fourtanier évoque à travers le terme de dissonance ne semble à priori concerner que des élèves manifestant déjà par ailleurs des habiletés et un contexte socioculturel favorisé.

Analyse de l’autobiographie de Molière

L’autobiographie de Molière s’inscrit dans la perspective de l’écriture d’invention : il s’agissait en effet, derendre compte de la lecture du roman de Boulgakov en sélectionnant des éléments à mettre en relation avec lereste du diaporama pour le mettre en lien avec le contenu du diaporama. Par ailleurs, la dimension autobiographique relève à la fois d’une réécriture du résumé, mais aussi d’une dimension impliquante de l’exercice. Toutefois, force est de constater que peu d’élèves se sont emparés de la liberté offerte par l’exercice, mais en cela, ces résultats s’inscrivent dans une continuité au regard de ce que l’on constate dans la façon d’aborder l’écriture d’invention, notamment dans les filières scientifiques. Trois prestations

originales et cohérentes ont mené à bien la double difficulté du choix des éléments, de leur hiérarchisation et des modalisations. Or ce sont les trois élèves qui témoignent de capacités à conjuguer les modes.

Le résumé de la fable

L’exercice du résumé d’une œuvre, compétence nécessaire en vue des épreuves certificatives orales de français reste souvent difficile et peu maitrisé, souvent envisagé par les élèves comme un exercice scolaire purement formel. Ici, il se justifiait par le contenu qu’il fallait repenser dans le cadre d’un projet de mise en scène. Cependant, ce sont les compétences techniques qui ont constitué dans cette étape du travail un attrait indéniable. Lors de la séance consacrée au lancement du projet, quelques cartes mentales avaient été présentées. Dans les prestations, la diversité des cartes témoigne de la volonté d’appropriation de ce nouvel outil (Annexe 7). Aucun des élèves n’avait utilisé cet outil jusque-là. Le résultat se révèle intéressant à plusieurs titres. Certains ont utilisé l’outil sans se l’approprier et l’étape du résumé s’est déroulée sur deux plans : d’un côté une carte purement illustrative d’une compétence technique, de l’autre un résumé oral déroulé à partir d’un support intégralement rédigé et manuscrit. D’autres ont tenté d’élaborer une carte mentale qui témoigne d’une lecture de la pièce, mais ont eu des difficultés à conjuguer ce nouvel outil dans une articulation avec la prise de parole. Enfin, certains ont élaboré des cartes qui correspondaient à des finalités différentes. Ou bien la réalisation de la carte les a aidés à mieux comprendre l’œuvre et le rôle de chacun des personnages, faisant en cela la découverte de la carte cognitive (Annexe 8), ou bien certains ont tenté de mettre à plat leur appréhension de la complexité de l’œuvre théâtrale (Annexe 7). Dans ce dernier cas de figure, ils ont réussi à en rendre compte oralement, ou ont élaboré un discours indépendant mais totalement en accord avec le support. Enfin, pour environ un tiers de la classe, la carte mentale a constitué un révélateur d’absence de lecture effective de l’œuvre : la multimodalité ajoute à la difficulté et met en lumière de façon évidente l’absence de lecture effective (prise de conscience pour certains, croyance en son pouvoir de couverture et de dissimulation pour d’autres)

« Casting »

Pour le « casting », l’analyse du choix des acteurs ou comédiens fait ressortir une majorité de personnalités du cinéma français et l’utilisation du diaporama, en cela, témoigne d’un réel souci de s’inscrire dans la représentation d’une culture patrimoniale.

PersonnagesActeursfrançais plébiscitésActeurs américains plébiscités
Tartuffe57%43%
Orgon93%7%
Elmire93%7%

Un seul élève a bâti l’intégralité de son « casting » sur les acteurs de la série Game of Thrones, mettant en parallèle la pièce de théâtre avec la série dans la présentation du diaporama.

Les autres rubriques suggérées comme le choix des costumes et le choix de trois scènes importantes ont étépeu exploitées, voire parfois totalement délaissées. Visiblement, le

« casting » constitue l’étape du multitexte où l’investissement des élèves s’est réellement manifesté, à la fois dans la précision des justifications, et dans le soin mis à l’organisation des photographies entre elles. En revanche, l’interprétation de la pièce ou la vision du personnage a souvent été développée en guise de conclusion. Toutefois, plusieurs prestations ont témoigné d’une réelle cohérence entre le choix des acteurs (étayé par la filmographie qui semblait constituer un univers pour les élèves), les costumes et l’interprétation de la pièce. Ainsi, la pièce a été interprétée comme la manifestation d’un gourou de secte prenant possession matérielle et spirituelle de toute une maisonnée, dans le prolongement de l’actualisation faite par Mnouchkine. Le choix de Tom Cruise et la référence à son appartenance à l’Eglise de la scientologie ont fondé l’argumentationde l’élève. Le personnage a été également imaginé comme un « parasite » machiavélique (« qui a des plans ») ou un directeur de conscience sans limite.

Cette étape du diaporama témoigne assez clairement selon nous de l’émergence du sujet lecteur-spectateur (Lacelle et Langlade, 2007) dans la mesure où la concrétisation imageante s’est exprimée dans la justification toujours assez nette de la part des élèves. En effet, la présentation des acteurs s’est nettement détachée du reste du support à la fois par l’enthousiasme manifesté, mais aussi par la précision des justifications qui se référaient au texte. Par ailleurs, le « casting » a également montré que son élaboration a nécessité une compréhension des liens qui unissaient les personnages. En effet, la consigne très ouverte n’avait pas demandé de construire une organisation manifeste dans la forme (l’organigramme ne concernait que le résumé de la fable). Or de nombreux supports ont agencé les photographies des acteurs soit par une arborescence, soit par des cartes mentales(Annexe 8),

expliquant à la fois les relations entre les personnages, mais liant par là-même deux modes, le texte et l’image. En cela, nous avons constaté que les élèves s’étaient emparés de la multimodalité sans qu’on le leur demande, et cela, dans le but de construire un sens qui posait leur vision de la pièce, à la fois entre participation et distanciation. En effet, force est de constater que les personnages positifs ont été associés à des critères de beauté physique (Elmire ou Dorine), mais ce, surtout par les jeunes filles. Les garçons ont quant à eux mis en avant la prestance et la force de caractère pour les personnages résistant à Tartuffe, comme Damis, jeune fils rebelle de la famille. Enfin, des interprétations assez distanciées des pistes qui avaient été données en classe (par exemple le gourou de la secte cité ci-dessus, ou le tableau d’une famille déchirée par la discorde et fragilisée) nous ont paru être des manifestations d’une activité fantasmatique impliquant une rescénarisation de l’intrigue à partir d’un imaginaire singulier. Enfin, les conclusions des prestations orales ont en majorité posé des jugements sur les actions et la motivation du personnage principal.

Ainsi, l’étape du « casting », en ce qu’elle utilise image et texte, organise ces deux modes et, en ce cas, cette articulation s’est trouvée dans la majorité des diaporamas.

Apport des entretiens

Ce dispositif en aval de la lecture littéraire s’est concrétisé comme un espace-temps du dire- lire-écrire, mais aussi comme un support, un outil de communication et de médiatisation (Kress et Van Leuwen, 2001 dansLebrun, Lacelle et Boutin, 2012) où le sujet peut se poser et trouver ancrage. L’entretien a fait émerger de la part des élèves une prise de conscience de la pluralité des interprétations possibles, parce qu’elle a été éprouvée, investie et mise en acte. Par ailleurs le contexte de communication médiatique a imposé l’investissement par le sujet d’une voix, destinée à se faire entendre, mais aussi d’autres voix à entendre. Les propos de M0 recueillis en entretien nous ont semblé significatifs à cet égard : « au sens du diaporama / j’ai appris à penser en dehors de la boite / de pas être trop scolaire/ que quelque chose de linéaire /c’est pas forcément bien / qu’il vaut mieux regrouper les idées en thèmes ». L’envie, le désir de « dire ce que l’on pense en dehors de la boite » témoigne de cette prise de conscience d’une interprétation personnelle possible du texte, mais parallèlement, deux autres élèves ont formulé ce que nous avons interprété comme une prise de conscience de la communauté interprétative: « on ne peut pas tout dire ». La question leur a été posée pour connaitre l’origine de cette impossibilité ou decette limite : « le prof, enfin des gens comme

vous ». Un autre point a aussi fait émerger l’apport des interactions entre les différentes interprétations émises et présentées à travers les diaporamas : pour une dizaine au moins, l’exposé des autres interprétations a fait évoluer ou changer la leur (analyse de l’impact du diaporama).

Discussion des résultats

Concernant la réalisation du diaporama, nous avons constaté deux éléments majeurs.

Tout d’abord, pour une dizaine d’élèves en difficulté ou inscrits dans un rapport à la lecture littéraire problématique ou difficile, la réalisation du diaporama a déclenché une réelle appétence pour l’activité en tantque telle. Un net engouement pour le casting des personnages s’est révélé dans la recherche des acteurs susceptibles d’incarner les personnages principaux de la pièce. Toutefois, force est de nuancer ce premier constat. En effet, si l’investissement subjectif a été évident, c’est parce que la réalisation de cette rubrique a permis aux élèves de tisser des liens entre les pratiques culturelles extrascolaires (notamment les séries télévisées) et les pratiques scolaires. Deux remarques s’imposent : premièrement, nous avons constaté que cetteactivité permettait à une dizaine d’élèves de mieux comprendre la pièce, de favoriser la concrétisation imageante et la cohérence mimétique dans la mesure où, à plusieurs reprises dans les entretiens et les questionnaires (Annexe 3), le « casting » des personnages a été mentionné comme favorisant la représentation mentale des personnages et la clarification des relations entre ces derniers. De plus, le « casting » a permis à certains de bâtir une interprétation personnelle : les éléments exposés ne reprenaient ni le cours, ni la vulgate des publications parascolaires. Deuxièmement, nous devons nuancer ce premier constat dans la mesure où les prestations et productions les plus denses et les plus élaborées ont été présentées par deux élèves dont les pratiques culturelles de référence s’inscrivent dans la culture dominante. Les catégories socioprofessionnelles des parents et les styles d’éducation des élèves concernés appartiennent à des classes privilégiées en termes de culture. Ces deux élèves sont les seuls du lycée à fréquenter régulièrement le cinéclub. D’un autre côté, les élèves ayant un rapport problématique à la lecture littéraire et aux œuvres patrimoniales et n’ayant pas un accès à la culture dite légitime(Lahire, 2004) ont utilisé le diaporama de deux façons : soit la distance et la réticence constatées dans le rapport à la lecture littéraire se sont trouvées confirmées par des productions pauvres et très peu élaborées, tant du point de vue formel que du point de vue du contenu ; soit, les prestations ont usé et parfois abusé des mirages offertspar les outils proposés et les élèves ont pensé dissimuler une absence de

lecture de l’œuvre par la mise en avant de compétences techniques. Aussi pouvons-nous poser une réserve concernant l’utilisation d’outils et de pratiques multimodales et nous demander si elle ne contribue pas à creuser les inégalités sociales et culturelles dans la mesure où les compétences techniques servent (consciemment ou non) à masquer des compétences de lecture non acquises ou une tâche dont la réalisation n’est pas effective. Plus que jamais, la nécessité de penser l’enseignement de la multimodalité d’un côté et des compétences techniques de l’autre côté semble cruciale.

Ensuite, les compétences techniques exigées pour la réalisation du diaporama ont facilité la démarche d’élèves généralement en retrait des textes littéraires. Pour certains, la maitrise des outils numériques a constitué un déclencheur dans l’investissement du projet de lecture. Deux rubriques du diaporama ont été particulièrement investies à ce propos : d’un côté, le casting des personnages (montage d’images et création de cartes mentales mettant en évidence les relations entre les personnages et proposition de costumes pour certains (Annexe 4) ) ; d’un autre côté, le résumé de la fable à déplier à partir d’une carte mentale a été également le lieu d’expérience pour tenter de surmonter ce qui reste en classe de seconde (et même en première) un exercice difficile. Nous pouvons alors interroger ces observations en nous demandant : si ce ne sont pas les compétences de lecture qui sont investies par les élèves, du moins, n’est-ce pas le rapport à la discipline qui est susceptible de se (re)construire positivement ? Les prestations lors des exposés ont montré les limites des savoirs de seconde main, car seuls ceux qui avaient procédé à une lecture effective de l’œuvre sont parvenus à concilier support visuel et prise de parole dans un résumé qui ne constituait pas un copié-collé de Wikipédia ou d’une quatrième de couverture

Enfin, en quoi la réalisation du texte de lecture multimodal a-t-elle pu favoriser l’entrée dans la lecture littéraire ? Nous avons envisagé comme critère la lecture effective de l’œuvre, lecture exigeante pour des élèves de seconde: texte théâtral en vers, classicisme, complexité du contexte historique et littéraire. Ce travail a-t-il favorisé ounon la lecture effective du texte littéraire ? Nous avons croisé à la fois la densité de l’exposé (prestation et contenu du diaporama) et le résultat du questionnaire portant sur la nature des supports utilisés. Concernant les élèves très en difficulté ou en voie de réorientation (environ six), seuls deux n’ont pas présenté de travail. Plus de dix d’élèves ont maintenu la pratique des savoirs de seconde main, évitant la lecture. Pour plus de la moitié d’entre eux, la pièce a été lue, voire relue. Parmi ces derniers, environ plus d’une dizaine ont réellementinvesti la lecture en

l’enrichissant des textes analysés en classe, des éléments du contexte (notamment de la lecture cursive de la biographie de Boulgakov).

Nous avons également confronté l’effectivité réelle ou illusoire de cette lecture aux pratiques antérieures de lecture de textes littéraires scolaires, par le biais notamment des entretiens, afin de mettre en évidence une éventuelle évolution. Il appert que les pratiques de lecture littéraire scolaire se basaient majoritairement sur des savoirs de seconde main, sauf dans le cas d’œuvres qui leur paraissaient courtes ou très faciles d’accès. Certains ont mentionné qu’il s’agissait, pour Tartuffe, d’une lecture effective et la posture énonciative adoptée en entretien en témoignait clairement (M0 a manifesté une indignation très nette et spontanée qui laissait peu de doute sur la fierté éprouvée d’avoir lu intégralement un « classique » tenu jusque-là pour « ennuyant »). Il semble donc qu’en termes de rapport au texte littéraire, la réalisation du diaporama a pu déclencher une lecture effective de l’œuvre pour une dizaine d’élèves qui ne le faisaient pas auparavant.

Pour conclure, en dépit d’un attrait indéniable pour la quasi majorité des élèves, nous constatons une homologie des profils de lecteurs : ceux qui s’emparent de la multimodalité ont généralement déjà construit des compétences solides dans la maitrise du texte. Par ailleurs, il semble également que ce soient davantage les compétences techniques à mettre en œuvre qui aient séduit, plus que la multimodalité en tant que telle. En tout cas, force est de confirmer la nécessité d’un enseignement de la multimodalité, car les élèves qui se sont emparés des outils mais aussi de la multimodalité sont ceux qui ont déjà acquis des compétences en français et qui, le plus souvent, sont issus d’un milieu social favorisé. Nous souhaitons à cet égard mentionner le cas d’un élève en situation de décrochage (fort absentéisme, travail souvent inexistant, mais potentiel évident d’analyse) qui n’avait pas répondu aux deux questionnaires et qui avait renoncé à la présentation exigée. Après entretien, il amis en avant l’ « absence d’ordinateur à la maison » et a réitéré son refus malgré la possibilité d’utiliser les ordinateurs au lycée. Auto-exclusion ? Il n’en reste pas moins qu’une prestation sans diaporama a été présentée.

En bref, nous avons cru voir que l’utilisation de la multimodalité, lorsqu’elle n’est pas enseignée, génère une accentuation des inégalités et nous rejoignons en cela les conclusions de Donnat dans son rapport de 2008.

Conclusion

La prise en compte des compétences et des outils de la multimodalité a deux conséquences : d’un côté, elle induit une réalisation de la tâche et une entrée dans les textes plus impliquante, de l’autre l’émergence d’un sujet lecteur qui ne soit pas seulement l’émergence d’une simple subjectivité. L’exposition par la communication (réalisation et présentation du diaporama par exemple) confronte l’élève à la communauté discursive et interprétative.

Toutefois, nous avons cru remarquer une homologie des profils de lecteurs, qu’il s’agisse de production d’un texte de lecture classique ou d’un texte multimodal de lecture. Les seuls changements que nous avons pu mettre en évidence (notamment grâce aux entretiens) se résument à un double constat : un tiers des élèves qui ne pratiquait apparemment pas une lecture effective du texte patrimonial ont enclenché cette pratique vécued’ailleurs comme une nouveauté, et une même proportion a souligné une mise en relation facilitée de supports différents.

Pour autant, si un tel dispositif semble à priori offrir une dimension d’implication accrue de l’élève, il n’en reste pas moins que son exploitation nécessite de la part de l’enseignant une reconfiguration de son enseignement et de son rapport à la lecture littéraire. Dans tous les cas, la démarche que nous avons choisi d’adopter s’appuie sur un principe holistique qui tient compte du sujet dans sa complexité. Toutefois, le cadre limité de notre recherche exploratoire nous invite à prolonger cette réflexion vers l’étude des traces du lecteur multimodal en vue de la production du texte du lecteur scolaire (commentaire ou écriture d’invention), et vers la question du lien entre le sujet lecteur-spectateur et le sujet lecteur-scripteur. Elle pose aussi la question de la clarification de ce qu’est la littératie pour le sujet lecteur spectateur. De façon plus large, la place de la littérature, écrite par tradition et son articulation avec le nouveau paradigme multimodal ouvrent à la recherche deux champs d’application encours de français : d’une part des activités susceptibles d’exploiter la nature multimodale de la lecture littéraire, d’autre part un questionnement plus disciplinaire et culturel sur la place des textes médiatiques multimodaux.

Annexe 1 : Questionnaire sur les pratiques culturelles

  • Possédez-vous un ordinateur personnel ?
  • Combien d’ordinateurs équipent-ils votre domicile ?
  • Possédez-vous un téléphone portable ? de quel type ?
  • Quel usage en faites-vous ? (classer par ordre d’importance)

-­‐ Sms

-­‐ Téléphone

-­‐ Vidéos

-­‐ Musique

-­‐ Internet

  • Possédez-vous un compte Twitter ? Facebook ?
  • Combien de temps y consacrez-vous par jour ? par semaine ?
  • Que vous apporte cette pratique ?
  • Combien de SMS envoyez-vous par jour ?
  • Quels sont les destinataires les plus fréquents ?

-­‐ Amis

-­‐ Famille

-­‐ Autres

  • Pratiquez-vous les jeux vidéo ?
  • De quel genre ?
  • Combien de temps en moyenne y consacrez-vous ?
  • Que vous apporte cette pratique ?
  • Quelle utilisation faites-vous d’internet ?

-­‐ Réseaux sociaux

-­‐ Navigation

-­‐ Films en torrent

-­‐ You tube

-­‐ Jeux vidéo en ligne

-­‐ Téléchargements (précisez de quelle nature : films, musique, etc. 😉

  • Ecoutez-vous la radio ?

-­‐ Souvent

-­‐ De temps à autre

-­‐ Rarement

-­‐ Jamais

  • Sur quels supports écoutez-vous de la musique ? Combien d’heures y consacrez-vous ?
  • Combien de temps regardez-vous la télévision ? Par jour ? Par semaine ?
  • Que regardez-vous en majorité ?

-­‐ Des séries (précisez lesquelles)

-­‐ Des films

-­‐ Des jeux télévisés

-­‐ Des émissions de téléréalité

-­‐ Des reportages

-­‐ Des documentaires (précisez)

-­‐ Des émissions politiques, des débats

-­‐ Autres (précisez)

Annexe 2 : Consignes pour élaborer le diaporama sur Tartuffe

  • Support : un diaporama + une carte mentale ou organigramme + images fixes et mobiles
  • Eléments attendus :
  1. Une courte autobiographie de Molière s’arrêtant au moment de la production de Tartuffe
  • Votre approche de la fable

Un résumé commenté à partir d’une carte mentale

  • Votre approche des personnages :
  • un casting pour les personnages principaux justifié à partir d’un organigramme
    • le choix des costumes (contemporains ou non)
  • Les scènes les plus importantes selon vous
  • Le jeu de l’acteur principal
  • Votre interprétation de la pièce : selon moi, l’histoire de Tartuffe, c’est ….

Durée de l’exposé : 10 minutes maximum

Annexe 3 : Questionnaire sur l’impact du diaporama

  1. Décrire en quelques mots les étapes de votre travail pour élaborer le diaporama sur

Tartuffe. Comment avez-vous procédé ?

  • Ce diaporama vous a-t-il obligé à changer votre rapport au texte ?
  • Avant le diaporama, aviez-vous déjà posé une image dans votre esprit ?

-­‐ Sur Tartuffe ?

-­‐ Sur les autres personnages ?

-­‐ Sur le décor ?

  • Cette image a-t-elle été modifiée par l’étape de réalisation du diaporama ? en quoi ?
  • Après avoir assisté aux autres exposés, avez-vous modifié votre image mentale de la pièce et/ ou des personnages ?
  • De façon générale, lorsque vous lisez un livre ou un texte, quand apparait dans votre esprit l’image des personnages ?
  • Voir un personnage vous aide-t-il à mieux comprendre / interpréter le texte ?
  • L’image que vous vous forgez vous aide-t-elle à mieux comprendre le contexte de l’œuvre ? Arrivez-vous à superposer ces deux images sans que cela nuise à votre compréhension de l’œuvre ?
  • De quoi vous êtes-vous servi pour élaborer votre diaporama ?

-­‐ Du cours

-­‐ De la lecture des textes abordés en classe

-­‐ Du livre

-­‐ Des extraits de mise en scène

-­‐ D’autres supports (précisez)

Annexe 4 : Théâtralisation de la mise en scène

Annexe 5 : Parallèle entre Tartuffe et la série Game of Thrones

Annexe 6

Annexe 7 : diversité des cartes mentales


Annexe 8 : des cartes cognitives

Travaux cités

BERNIE, J.-P. (2002). L’approche des pratiques langagières scolaires à travers la notion de « communauté discursive » : un apport à la didactique comparée ? Revue française de pédagogie n°141, 77-88.

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