L’humain n’a jamais cessé de se déplacer, son imaginaire nourri par des représentations ou la promesse d’un ailleurs prometteur ou enrichissant (Azaoui & Blanvillain, 2023). La mobilité s’est accélérée et amplifiée par les crises géopolitiques ou par la massification des moyens de transport à bas coûts (Rosa, 2010). Depuis peu, la mobilité a connu des évolutions profondes dans ses usages : quand elle n’est pas partagée ou verte, elle se réalise de manière virtuelle. Ainsi, installé sur son siège, l’étudiant Erasmus+ 2.0 peut voyager et vivre « une expérience européenne sans quitter sa salle de classe1 ». L’étudiant international est d’ailleurs devenu la figure de l’individu mobile et connecté (Guichon, 2020). Bien sûr, les outils connectés (téléphones, montres, tablettes) sont devenus des agents indispensables de nos déplacements et ils s’intègrent dans la texture même de nos vies mobiles en devenant des extensions de nos corps (Purkarthofer, 2019). Ainsi, à travers la personne du « migrant connecté », Diminescu et Loveluck (2014) se sont intéressés à la complexification sociale et temporelle de l’expérience des migrants induite par les outils numériques, en particulier le téléphone intelligent.
À la suite des chercheurs en géographie sociale, un « mobility turn » (Sheller & Urry, 2006) a été invoqué dans la recherche en sciences sociales, impliquant une conception renouvelée de ce que peut être la rencontre avec l’autre et de l’étonnement interculturel (Barbot, 2010). Ce changement de paradigme donne lieu à un nouvel imaginaire de la mobilité, si ce n’est à une mobilité imaginaire qui invite, d’une façon ou d’une autre, à repenser tout à la fois les motivations à l’apprentissage des langues ainsi que les modalités d’appropriation et d’enseignement, voire d’utilisation. En effet, si la mobilité construit les espaces traversés (de Certeau, 1990), elle a également une incidence à la fois sur la façon dont nous élaborons et interagissons avec/dans un nouvel environnement sémiotique. À un autre niveau, la mobilité impacte nos pratiques littéraciques multimodales (Canagarajah, 2017), c’est-à-dire la façon dont nous construisons et mettons en œuvre des ressources plurilingues et plurisémiotiques qu’Azaoui (2024) réunit dans un répertoire pantosémiotique. Aussi, nous proposons de parler d’une littératie mobilitaire multimodale, qui recouvre la capacité d’un individu à construire du sens tandis qu’il se meut (et s’émeut) dans un nouvel environnement, à interpréter celui-ci en prenant en compte les degrés d’étrangeté qu’il comporte, de sémiotiser les déplacements identitaires qu’il occasionne, et de mobiliser les ressources culturelles, numériques et langagières multimodales aux moments opportuns (Guichon et al, 2021).
Quelles que soient les formes et motivations de la mobilité, le numérique intervient, pour faciliter, augmenter ou gêner, et questionne le rapport des individus et des groupes aux environnements sémiotiques dans lesquels ils évoluent et qu’ils ont à interpréter et à produire.
Dans cette perspective, ce volume de Multimodalités rassemblera un ensemble de textes qui traitent de la question de la littératie mobilitaire multimodale. Dans l’esprit de ce volume, le terme « mobilité » sera entendu comme hyperonyme de tout phénomène de déplacement d’individus ou de groupes, virtuel ou physique. La mobilité sera comprise « comme un imaginaire articulant un rapport au temps, à l’espace [géographique et social], et la recherche d’une transformation existentielle » (Barrère & Matuccelli, 2005, p. 56). Elle pourra être envisagée à différentes échelles : migrations nationales ou transnationales, sorties dans la ville ou au musée (Ouellet et al, 2019). Elle considérera diverses formes de déplacement : de l’immobilité subie (le confinement dû à la pandémie), à la mobilité choisie (les études internationales) ou contrainte (la migration économique, politique, climatique, etc.). Le traitement des mobilités imaginaires et imaginées aura également toute sa place dans le volume pourvu que cela croise la question de la littératie multimodale, et plus largement de la multimodalité.
Dans le cadre de ce volume, les auteurs pourront prendre appui sur toute méthodologie propice à l’étude des mobilité(s) et de la littératie multimodale, quel que soit l’ancrage théorique ou épistémologique. Cela inclura potentiellement, sans pour autant s’y limiter : des captations de données multimodales et leurs représentations visuelles, des méthodologies mobiles (wearable cameras, walking interviews), ou encore des méthodologies utilisées pour étudier/rendre compte de la mobilité (questionnaires, entretiens, schématisation des déplacements, cf. map my walk…).
Les personnes intéressées par cette thématique sont invitées à faire parvenir à revuemultimodalites@gmail.com une proposition de contribution d’une longueur comprise entre 250 et 500 mots, auxquels s’ajoutera une courte bibliographie (env. 5-10 références).
Une fois la proposition acceptée, l’article final comportera entre 40 000 à 60 000 caractères, incluant les espaces (entre 10 à 20 pages, sans les références et sans les annexes). Il sera précédé d’un résumé en français et en anglais, ainsi que de 5 mots-clés dans les deux langues. Ces propositions longues feront l’objet d’une évaluation en double aveugle.
Consignes complètes pour soumettre un article: https://revuemultimodalites.com/soumettre-un-article
Azaoui, B. (2024, à paraitre). Relier multimodalité et plurilinguisme en didactique des langues. L’approche socio-sémiotique au service de la diversité. Dans C. Bruley-Meszaros & L. Cadet (Dir.), Enseigner en contexte migratoire. Enjeux et pratiques de classe. Peter Lang.
Azaoui, B. et Blanvillain, C. (2023). La figure du migrant. Dans D. Mimouni & P. Laborderie (dir.), Images de migrants – Education, médiation et réception audiovisuelle (p.45-62). L’Harmattan.
Barbot, M. (2010). Voyages de formation interculturelle et étonnements. Le Journal des psychologues, 278, 44-48.
Barrère A. & Martuccelli D. (2005). La modernité et l’imaginaire de la mobilité : inflexion contemporaine. Cahiers internationaux de sociologie, 1(118), 55-79.
Bedou, S. & Hamel, M.-J. (2021). Raconter sa biographie langagière en la géolocalisant : le récit cartographique numérique comme outil de formation en didactique des langues secondes. La Revue de l’AQEFLS, 34(1). https://doi.org/10.7202/1076609ar
Canagarajah, A.S. (dir.) (2017). The Routledge handbook of migration and language. Routledge, Taylor & Francis Group.
Canagarajah, A.S. (2013). Translingual practice. Global Englishes and cosmopolitan relations. Routledge.
Certeau, M. de (1990). L’invention du quotidien. 1. Arts de faire. Paris : Gallimard.
Diminescu, D. and Loveluck, B. (2014) Traces of dispersion: Online media and diasporic identities. Crossings: Journal of Migration & Culture, 5(1): 23–39.
Guichon, N. (2020). L’étudiant international : figure de l’individu mobile et connecté. Le Français dans le monde – Recherches et applications, (68), 158–169.
Guichon, N., Grassin, J.-F., Mathian, H. et Cunty, C. (2021). Représentations du processus d’inscription dans le territoire des étudiants chinois pendant leur séjour en France. Dans L. Ouvrard & C. Brumelot (dir.), Numérique et didactique des langues et cultures. Nouvelles pratiques et compétences en développement (p. 1-22). Editions des archives contemporaines.
Guichon, N., Thiburce, J., Lascar, J. et Doulfaquar, S. (2022). Concevoir des parcours immersifs en français langue seconde pour préparer les étudiants étrangers à la mobilité. Alsic, 25(2).
Kress, G. (2019). L’apprentissage en tant que travail sémiotique : vers une pédagogie de la reconnaissance. Dans V. Rivière & N. Blanc (dir.), Observer la multimodalité en situations éducatives : circulations entre recherche et formation (p. 23‑48). ENS Éditions.
Lalonde, M., Castro, J. C. et Pariser, D. (2016). Identity Tableaux: Multimodal Contextual Constructions of Adolescent Identity. Visual Art Research, 42(1), 38–55.
Malinowski, D., Maxim, H.H. et Dubreil, S. (dir.) (2021). Language Teaching in the Linguistic Landscape. Springer.
Ouellet, K., Larouche, M.-C., Simard, D. & Prud’homme, L. (2019). Les enjeux associés à l’appropriation de ressources numériques muséales par des enseignants du secondaire du Québec : proposition d’un cadre d’analyse. Revue de recherches en littératie médiatique multimodale, 9. https://doi.org/10.7202/1062029ar.
Purkarthofer, J. (2019). Using Mobile Phones: Recording as a Social and Spatial Practice in Multilingualism and Family Research. Forum: Qualitative Social Research, 20(1), Art. 20, http://dx.doi.org/10.17169/fqs-20.1.3110.
Rosa, H. (2010). Accélération : une critique sociale du temps. La Découverte.
Sabatier, C., Moore, D. & Dagenais, D. (2013). Espaces urbains, compétences littératiées multimodales, identités citoyennes en immersion Française au Canada. Glottopol, 21, 138-161.
Schafer, M. (2010 [1978]). Le Paysage sonore. Toute l’histoire de notre environnement sonore à travers les âges. Wildproject.
Sheller, M., & Urry, J. (2006). The New Mobilities Paradigm. Environment and Planning A: Economy and Space, 38(2), 207-226.
Multimodalité(s) se veut un lieu de rassemblement des voix de toutes les disciplines qui s’intéressent à la littératie contemporaine.
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