Volume 6 / Didactique de la création-réception

Du commentaire pictural au commentaire littéraire : mettre en mots une expérience esthétique

Marie-Sylvie Claude
CNRS, Université Grenoble Alpes

Résumé

Les programmes de français, en France, évoquent le passage par le commentaire pictural pour apprendre le commentaire littéraire. Or les écarts entre les deux arts sont tels que le transfert de l’un à l’autre ne peut aller de soi. Cet article s’attache à montrer que la description de l’expérience esthétique par Schaeffer (2015) peut fournir un modèle de l’activité attendue des élèves. Leurs commentaires picturaux, comme l’illustrent ici quelques exemples, sont plus souvent analysables comme la mise en mots d’une expérience esthétique que leurs commentaires littéraires. Ceci confirme l’intérêt d’un détour par la peinture mais permet aussi de penser que les catégories de Schaeffer, adaptées au cadre scolaire, peuvent aider les enseignants à accompagner leurs élèves du commentaire d’un art à l’autre.

Abstract

French secondary school curricula encourage linking the analysis of paintings with an analytical reading of literary texts. However, the semiological specificities of the two arts allow one to think that knowledgetransferred from one to the other is obvious. This paper will show that Schaeffer’s description of aesthetic experience could help teachers understand what is expected from students. Indeed, students’ analysis of paintings confirms that they can manage to express an aesthetic experience more than in their analysis of literary texts. This confirms the validity of linking an analysis of paintings with literary texts and allows us to consider that Schaeffer’s categories could assist teachers develop methods to help their students transfer knowledge from one to the other.

Mots-clés
peinture, littérature, expérience esthétique, transfert des connaissances

Keywords
paintings, literature, aesthetic experience, knowledge transfer

Introduction

Nous nous proposons dans cet article d’interroger des conduites d’élèves invités à commenter des œuvres littéraires et picturales en nous appuyant sur la définition de l’expérience esthétique par Schaeffer (2015).Nous articulerons notre réflexion sur une recherche beaucoup plus ample que nous avons consacrée à la scolarisation du commentaire pictural, en parallèle au commentaire littéraire1, dans le cadre du cours de français (Claude, 2015). Nous résumerons d’abord rapidement les résultats de cette recherche, avant de proposer une relecture partielle de notre corpus à la lumière des propositions de Schaeffer.

Cette recherche sur laquelle nous nous appuyons interroge la recommandation, dans les programmes de français, en France (MEN 2010 et 2015), d’un détour par les autres arts, dont la peinture, pour faciliter l’acquisition de compétences susceptibles de bénéficier à la lecture littéraire2. Les enseignants que nous avons interrogés confirment une pratique du commentaire pictural finalisée par l’apprentissage du commentaire littéraire, en classe de français (Claude, 2014). Or, il nous semblait que certains types de peinture, comme la peinture non figurative ou celle qui fait appel à des conventions iconographiques savantes (Panofsky, 1969), étaient difficiles d’accès pour les élèves, du moins pour ceux qui n’y avaient pas été familiarisés dans leur milieu familial. Nous doutions par ailleurs que, compte tenu des différencessémiotiques entre la peinture et la littérature (notamment Marin, 1971), la pratique du commentaire picturalpuisse permettre de faciliter l’apprentissage du commentaire littéraire.

Pour en savoir davantage, nous avons obtenu de 350 élèves de troisième et de seconde de l’académie de Créteil, scolarisés dans des établissements de recrutement socialement contrasté, qu’ils rédigent un commentaire sur un extrait littéraire et un autre sur une reproduction picturale. Les modalités d’exécution du travail étaient les mêmes pour les deux exercices et la consigne était rédigée semblablement : « écrivez dix lignes (au minimum) pour commenter (donnez quelques-unes de vos impressions) ». Nous avons mené une double analyse comparative du corpus obtenu, d’une part selon les objets (commentaire pictural ou littéraire) et d’autre part selon les établissements. Pour référence de l’activité attendue des élèves, nous nous sommes appuyée sur le modèle de la lecture littéraire comme « va-et-vient dialectique » (Dufays, Gemenne et Ledur, 2015, p. 93) entre, d’une part, la participation du lecteur, le plein exercice de ses droits (Rouxel et Langlade, 2004), et d’autre part, la lecture distanciée, attachée à la ressaisie du matériau obtenu eu égard aux droits du texte, l’intentio operis (Eco, 1985) ; modèle que nous avons élargi à la peinture, comme Chabanne et Dufays aux autres arts (2011).

Nos résultats montrent que les conduites cognitivo-langagières des élèves sont nettement différenciées, alors que la tâche pourrait sembler équivalente : les écrits des élèves sont majoritairement plus proches des normes scolaires quand ils écrivent sur le tableau que quand ils écrivent sur le texte littéraire, et cette différence s’accroît dans les établissements recrutant majoritairement des élèves de milieux défavorisés, ce quiconfirmerait le bien-fondé du détour suggéré par les programmes. Mais nous montrons aussi que la possibilité d’un transfert des compétences acquises d’un exercice à l’autre est subordonnée à un accompagnement spécifique de la part des enseignants, qui doivent être en mesure d’aider les élèves à identifier ce qu’ils réussissent dans un exercice pour le transposer à l’autre, ce qui suppose que ces enseignants aient des outils leur permettant d’analyser finement les productions de leurs élèves.

Certains appuis théoriques nous paraissent susceptibles de leur fournir un appui : parmi d’autres ressources, c’est un rôle que pourrait jouer, nous semble-t-il, l’analyse que fait Schaeffer (2015) de l’expérience esthétique, d’autant qu’elle peut les aider à s’approprier certains choix des programmes. Par exemple, l’une des six finalités de l’enseignement du français au lycée (MEN, 2010) est définie comme « le développement d’une conscience esthétique permettant d’apprécier les œuvres, d’analyser l’émotion qu’elles procurent et d’en rendre compte à l’écrit comme à l’oral. » (p. 2) ; dans le programme d’histoire des arts (MEN, 2015), il est précisé que « l’expérience esthétique et l’étude des œuvres sont à la source de la démarche pédagogique » (p. 287).

C’est pourquoi, dans cet article, nous nous demanderons dans quelle mesure le modèle de Schaeffer peut fournir aux enseignants un outil pour analyser les productions de leurs élèves et les aider à repérer ce qu’ils peuvent transposer d’un commentaire à l’autre. Après avoir rappelé la définition par Schaeffer de l’expérience esthétique, nous chercherons à faire apparaître des caractéristiques langagières qui en sont une trace dans des commentaires issus de notre corpus et à en comparer les occurrences dans les deux types de commentaires, littéraire et pictural. Pour ce faire, nous avons sélectionné six commentaires qui nous semblaient représentatifs de certaines caractéristiques saillantes de l’ensemble du corpus : les commentaires de deux élèves de troisième, que nous nommerons Aurélie et Laura, scolarisées dans des collèges au public majoritairement défavorisé, et ceux d’une élève de seconde, Solveig, scolarisée dans un lycée de recrutement plutôt favorisé. Ces commentaires (voir annexe 1) portent sur un tableau de Kandinsky (1913) (voir annexe 2) et sur un texte de Colette (1929) (voir annexe 3). Nous donnerons également, pour mieux situer ces commentaires, un aperçu des résultats de l’analyse du corpus global.

Cadre théorique : l’expérience esthétique selon Schaeffer

Schaeffer (2015) situe l’expérience esthétique du côté de la réception et non du côté de l’objet — comme Genette avant lui dans L’œuvre de l’art : La relation esthétique (1996) ; et à la différence de Goodman dans Langages de l’art (1990), qui tient compte aussi des spécificités sémiotiques de l’objet. Il importe, selon Schaeffer, de ne « pas lier les symptômes de l’esthétique aux systèmes sémiotiques mais à des stratégies de réception » (2015, p. 53). Pour lui, on peut vivre une expérience esthétique d’un objet d’art, certes, mais aussi d’un autre objet. Cette expérience est selon Schaeffer à trois ressorts : elle est attentionnelle, émotive et hédonique. Mais il n’y a pas d’attention, d’émotion ni de plaisir spécifiquement esthétiques : en effet, l’expérience esthétique « exploite le répertoire commun » de nos ressources dans ces domaines, « mais en leur donnant une inflexion non seulement particulière, mais bien singulière » (p. 12). Pour le premier ressort, l’attention en mode esthétique, Schaeffer le définit comme ayant, par rapport au mode standard, trois spécificités : premièrement, elle ne se donne pas un but unique, elle est finalisée de façon ouverte ; deuxièmement, elle est plus dense et prend en compte des caractéristiques plus fines de l’objet ; troisièmement, elle traite simultanément des caractéristiques qui seraient ordinairement envisagées successivement. Le sujet consacre donc plus de temps à son objet et l’envisage de façon plus minutieuse et plus cohérente, faisant interagir différentes sources d’information. En ce qui concerne son second ressort, l’émotion, l’expérience esthétique se distingue d’une autre expérience par son caractère émotivement saturé.D’une part, ceci est lié aux spécificités de l’attention esthétique : « toute émotion est le produit […] d’une évaluation cognitive » (p. 141), donc l’attention aiguisée qu’elle génère est susceptible de produire davantage d’émotions ; d’autre part, l’affectivité du sujet est entièrement engagée : les émotions produites ont un «caractère réel » (p. 160), il n’y a pas de mise à distance de l’objet (même si l’expérience n’a pas d’incidence directe sur le sort du sujet). Enfin, l’expérience esthétique doit, pour exister, procurer du plaisir : c’est son troisième ressort, nécessaire pour compenser le caractère énergivore de l’attention et de l’émotion en mode esthétique, bien plus intenses qu’en mode standard, alors que cette expérience n’a pas d’utilité instrumentale. Quelle est la spécificité de ce plaisir ? Schaeffer explique qu’il existe une « valence hédonique […] qui sous-tend notre commerce avec le monde, avec autrui et avec nous-mêmes » (p. 194). C’est cette valence qui nous conduit à mettre fin ou à poursuivre nos différentes expériences, esthétiques ou non ; en mode standard, elle est liée non à l’action elle-même, mais à ses résultats, qui nous satisfont plus ou moins ; ce qui est spécifique à l’expérience esthétique, c’est que la valence hédonique se déplace vers le processus même, au cours duquel elle est évaluée par un « calculateur hédonique » (p. 197). Schaeffer définit ce dernier comme un retour métacognitif sur l’expérience.

Il faut cependant impérativement, si l’on veut mobiliser cette notion pour comprendre des prestations scolaires, tenir compte d’une caractéristique importante de l’expérience esthétique selon Schaeffer : «l’instauration de la relation esthétique implique toujours la constitution d’une enclave pragmatique protégée» (p. 203). C’est-à-dire que l’expérience esthétique doit exister pour elle-même, sans autre finalisation qu’elle-même, et donc constituer une suspension de nos interactions ordinaires avec l’environnement réel : c’est la condition pour qu’existe le mode d’attention et d’émotion particulier qu’elle exige, régulé par le bénéfice hédonique. Or, une tâche scolaire, surtout si elle est évaluée, ne peut le permettre. En contexte scolaire, l’expérience est nécessairement contrainte, même dans le cas de notre enquête qui, bien que n’étant qu’une expérimentation ne s’inscrivant pas dans une séquence d’enseignement, s’insérait toutefois dans le cadre scolaire : la durée de la passation était limitée (1h30 pour les deux exercices) et le professeur de français de la classe était présent.

Il nous semble cependant qu’à la condition de tenir compte de cette précision, les catégories définies parSchaeffer peuvent fournir des éléments de compréhension de l’activité des élèves, même si la situation scolaire ne peut permettre de vivre exactement l’expérience que décrit Schaeffer. Nous allons tenter de le montrer dans les six commentaires que nous avons sélectionnés en envisageant dans un premier temps l’expérience attentionnelle, dans un second temps l’expérience émotionnelle et dans un troisième temps l’expérience hédonique.

1. L’expérience esthétique comme expérience attentionnelle spécifique

Comme nous l’avons précisé, l’attention esthétique, premier des trois ressorts de l’expérience esthétique selon Schaeffer, a trois spécificités qui la distinguent de l’attention ordinaire : sa finalisation est plus ouverte, elle est plus dense et elle se nourrit simultanément de plusieurs sources. Qu’en est-il de ces trois spécificités dans les commentaires des élèves ?

1.1. La finalisation ouverte de l’attention esthétique

Pour Schaeffer, l’attention esthétique accepte les « focalisations multiples », alors que l’attention ordinairese caractérise par la « monofocalisation » (p. 76) sur une « tâche assignée » (p. 317). Alors que dans l’exercice ordinaire de l’attention le but est d’aboutir, par le chemin le plus économique et le plus sûr, à lacatégorisation de ce qui est lu, entendu ou vu, dans l’expérience esthétique, l’exploration se poursuit pluslongtemps et se donne des finalités diverses.

Dans leur commentaire littéraire, Aurélie et Laura s’assignent pour tâche de saisir ce qu’elles considèrent, d’après les mots qu’elles utilisent, comme le sens univoque du texte. Cette finalisation apparaît en creux,puisqu’elles disent ne pas y parvenir : « ce texte est très difficile à cerner et à décrire »3 (Laura) ; « je ne vois pas très bien non plus où ce texte peut en venir » (Aurélie). La détermination du type de texte est une autre finalité que se donne Laura : « tout le texte est fait dans la description ». Classer le texte dans un type est aussi une tâche assignée ponctuelle, dont on peut penser qu’elle découle de l’intégration d’une procédure scolaire apprise pour présenter un texte.

Concernant le tableau de Kandinsky en revanche, ni l’une ni l’autre des deux élèves ne finalise son attention par un but précis. Par exemple, le commentaire de Laura montre qu’elle ne s’attache pas à déterminer ce qui serait le référent incontestable de la figuration, puisqu’elle propose des identifications iconiques qu’elle présente explicitement comme personnelles et possiblement diverses : l’expression de l’alternative est récurrente (« un animal ou quelque chose d’effrayant », « à de l’eau […] ou aussi au ciel ») ; des syntagmes comme « me fait penser », « le peintre devait être… », « mais cette idée me fait voir… » montrent la conception du tableau comme ouvert à des possibles interprétatifs variés, ceux qu’elle propose n’épuisantpas l’objet, elle-même en assumant plusieurs simultanément.

Aurélie, quant à elle, explique qu’il serait vain de chercher à assigner un sens à valeur universelle à cetableau puisque « chaque personne qui le regarde voit des choses différentes », elle-même comme les autres : « moi j’y vois… ». En écrivant « en réfléchissant bien on peut trouver plein de sens », elle explicite son appréhension du tableau comme un « univers polyphonique » (Schaeffer, 2015, p. 90) et, par rapport à l’expérience qu’elle faisait du texte, elle en perçoit mieux la richesse signifiante potentielle.

Seule Solveig nous semble finaliser son attention de façon ouverte, pour le texte aussi bien que pour le tableau. À propos de Kandinsky, la modalisation, qui permet à l’énonciateur de signaler l’énoncé comme subjectif, marque cette ouverture :« ces formes étranges peuvent montrer que la pluie… » C’est finalement «le trouble, la confusion des choses » qui l’emportent, donc la polyphonie. C’est aussi le cas à propos du texte de Colette au travers des formules « on peut voir que », « on a l’impression que » (répétée deux fois), «mais lorsqu’elle parle, à la fin […] on s’aperçoit que ». L’attention n’est visiblement pas à la recherche de la fixation d’un sens univoque ni d’un phénomène stylistique précis.

Donc, l’attention s’ouvre à une finalisation plurielle dans les trois commentaires picturaux et dans un seul des commentaires littéraires. Les analyser ainsi peut permettre à l’enseignant de faire repérer aux élèves cette différence et de leur expliquer que leurs commentaires picturaux sont en ceci plus proches de ce qui est attendu, afin de les aider à reprendre leurs commentaires littéraires.

1.2. La densification attentionnelle

Pour Schaeffer, toute expérience attentionnelle, esthétique ou pas, est composée à la fois de traitements ascendants, soumis aux stimuli créés par l’objet, et de traitements descendants, c’est-à-dire les traitements conscients de certaines caractéristiques de l’objet. Dans l’expérience standard, seuls sont traités ainsi les traits de l’objet qui sont significatifs eu égard à la tâche assignée. L’expérience esthétique s’en distingue par la prise en compte descendante d’éléments qui, dans une expérience standard, auraient été laissés de côté comme non significatifs. Par exemple, pour une expérience esthétique visuelle, « les couleurs et leurs nuances font l’objet d’une discrimination plus fine et plus soutenue que dans le cas de l’expérience courante » (p. 56).

Nous prendrons ici l’exemple du commentaire d’Aurélie sur Kandinsky (nous pourrions faire le même type d’analyse pour les deux autres commentaires picturaux) : la commentatrice porte son attention sur les signesiconiques, « village », « colline », « forêt », « chemin », mais aussi sur les indices plastiques : réinvestissant sans doute des compétences cognitivo- langagières acquises en arts plastiques ou en histoire des arts, elle trouve les mots pour parler des teintes (« rouge », « jaune », etc.), de leur saturation (« très vives »), deleur système (« pas bien accordées »), de la texture de la couche picturale (« ont déteint »), mais aussi du dessin, plus précisément du détourage (« contours très épais », « pas très nets »), et enfin de l’organisation de la surface picturale (« le coin en bas à gauche »), de sa plus ou moins grande densité (« rempli »).

Les commentaires littéraires présentent moins souvent les marques de cette densification de l’attention telle que la décrit Schaeffer, en donnant notamment l’exemple, dans la réception poétique, de la « reconcrétisationdu matériel sonore » (p. 106), c’est-à-dire la prise en compte des phénomènes sonores selon un mode acoustique et pas seulement linguistique. Aucun des trois commentaires sur le texte de Colette ne fait étatd’un tel traitement de la réalité sonore du texte (pourtant, certaines allitérations nous semblent très visibles, comme l’allitération en [s] dans « L’autre source, presque invisible, froissait l’herbe comme un serpent, s’étalait secrète au centre d’un pré où les narcisses… »). En évoquant la densité des adjectifs à l’appui de la caractérisation du texte comme descriptif, Laura appréhende certes la nature des mots comme significative, mais de manière très ponctuelle (et d’ailleurs, le texte présente peu d’adjectifs, de sorte qu’on peut faire l’hypothèse qu’elle plaque un savoir scolaire plus qu’elle ne donne du sens au texte). En revanche, quand Solveig écrit, dans son commentaire sur Colette, « on peut sentir qu’elle a été écrite avec mélancolie […] on a l’impression qu’elle les vit en même temps qu’elle les raconte », il nous semble qu’elle porte attention aux choix d’écriture, au registre qu’ils produisent et au rapport entre temps du récit et temps de la narration. Cela pourrait s’interpréter comme une première diversification des sources attentionnelles. Est-ce parce qu’elle a été initiée aux méthodes du commentaire littéraire (au sens de l’exercice scolaire), en tant qu’élève de seconde, que Solveig a, par rapport aux deux élèves de troisième, une approche différente du texte ?

1.3. Le traitement simultané de plusieurs sources informationnelles différentes

L’attention esthétique, selon Schaeffer, se distingue enfin par « le traitement parallèle de plusieurs sources informationnelles différentes » (p. 317). Le sujet prête attention « simultanément à des phénomènes dont les sources, la nature et la signification éventuelle sont très diverses» (p. 71). Il les fait interagir alors que, d’ordinaire, ils seraient traités successivement et indépendamment.

Le commentaire de Solveig sur le tableau Kandinsky illustre cette caractéristique de l’attention. Le titre du tableau constitue une première source informationnelle. Elle l’interprète comme une mise en abyme du processus de création : le peintre « aurait littéralement fait un paysage sous la pluie ». La visibilité atténuée des lignes délimitant les ensembles figuratifs, qu’« on distingue malgré tout », évoque de l’eau ayant coulé sur un paysage. De surcroît, Solveig donne des effets de sens à ce processus de création affiché puisque l’effet de pluie venant brouiller le tableau est interprété comme le lieu d’une vision spécifique du monde : le quotidien rassurant reste perceptible comme en filigrane, tandis qu’est représenté ce qui, le désordonne, le menace. La seconde source mobilisée par Solveig est constituée de connaissances en histoire de l’art : elle sait que le mot paysage ne désigne pas seulement le spectacle d’un lieu réel, mais aussi un genre pictural. Ceci lui permet d’appréhender les écarts de ce paysage de pluie avec les normes du genre : « en revanche, le tableau est vif en couleurs, en opposition aux tableaux souvent sombres quand ils représentent un orage ». Elle perçoit donc un horizon d’attente avec lequel le tableau entretient un jeu dialectique de conformité (on devine encore les maisons ou la montagne) et d’écart (puisque la pluie est présente par sa figuration, mais aussi par le traitement même de la couche picturale, qui rend ses effets presque tangibles, alors que les teintes restent vives). Le tableau montre simultanément le paysage tel qu’attendu dans la tradition picturale, et sa déformation (« formes étranges ») ; il déconcerte ainsi le spectateur dont il bouscule les attentes. Une troisième source informationnelle sous-tend les deux premières : l’observation fine des lignes, formes, teintes, textures.

La commentatrice trouve donc les mots pour exprimer une expérience esthétique très spécifique, et en cela, «difficile à dire » (Chabanne et Dufays, 2011, p. 16) : elle passe par un jeu de mots (« il aurait littéralement fait un paysage sous la pluie ») en utilisant le conditionnel dans une valeur modalisante, ce qui lui permet de prendre de la distance avec l’acceptation littérale du titre, qu’elle comprend comme la description d’un processus de création allégorique et non réel, puisque justement la vivacité des couleurs échappe au processus de dilution. Par ailleurs, son commentaire laisse palpable la tension, le tâtonnement pour trouver le mot juste, par la formule « une sorte de désordre », mais aussi par la juxtaposition de deux mots quasi synonymes, « le trouble, la confusion des choses ». L’effort de dire l’indicible est perceptible, comme pour laisser au langage pictural son étrangeté constitutive, caractéristique langagière qui nous semble relever d’un discours expert sur l’art. Quant à l’appréhension que Solveig a du texte de Colette, elle apparaît à l’analyse comme différente : même si nous avons remarqué qu’elle prête attention à l’écriture, il ne s’agit pas, selon nous, d’un traitement descendant aussi fin que celui qu’elle opère sur le tableau ; elle ne met pas en mots une déconstruction des moyens du dire qui générerait son ressenti de mélancolie. Donc, même si, par rapport aux deux autres élèves, Solveig nous a semblé avoir une conception du texte plus propice à l’expérience esthétique telle que la définit Schaeffer, il semble qu’elle va plus loin aussi, dans cette expérience, avec le tableau de Kandinsky.

Ainsi, nos exemples démontrent que les trois spécificités attentionnelles de l’expérience esthétique selon Schaeffer se trouvent davantage dans les trois commentaires picturaux que dans les trois commentaires littéraires. Or, si nous nous référons au corpus global de la recherche dont nous tirons ces six commentaires (Claude, 2015), cette tendance est également confirmée. Nous avons repéré, dans les 700 commentaires recueillis, certaines opérations cognitivo-langagières qui croisent celles que nous venons de définir en référence à Schaeffer. Elles sont plus favorables à la peinture qu’à la littérature : ainsi, 39 % des élèves conçoivent- ils différentes directions de sens du tableau, ce qui peut renvoyer à la focalisation multiple de Schaeffer, contre 22 % pour la littérature. 52% des commentaires picturaux sont appuyés sur des caractéristiques formelles de diverses natures, ce qui est un élément de densification attentionnelle, contre 18,5 % pour la littérature. Enfin, 27,5 % des commentaires picturaux appréhendent le tableau comme un système signifiant complexe, ce qui signifie qu’ils font interagir des sources informationnelles différentes, contre 7,5 % pour les commentaires littéraires. Pour tous ces critères, l’écart de réussite entre commentaire littéraire et commentaire pictural s’accroît, en faveur de ce dernier, dans les établissements de recrutement défavorisé.

Les catégories de Schaeffer peuvent être utiles aux enseignants de français, s’ils souhaitent pratiquer ledétour par le commentaire pictural pour travailler le commentaire littéraire, un outil pour analyser les productions de leurs élèves et pour aider ces derniers à repérer leurs réussites en commentaire pictural et à les transposer d’un commentaire à l’autre.

2. L’expérience esthétique comme expérience émotionnelle spécifique

Comme nous l’avons précisé, Schaeffer définit deux spécificités de l’émotion en mode esthétique : d’abord, comme elle est liée à l’attention, qui est plus intense que dans l’expérience ordinaire, elle est elle-même plus intense. Ensuite, elle engage pleinement le sujet. Ces deux spécificités concernent, selon notre analyse, les trois commentaires picturaux et un seul des commentaires littéraires.

2.1. Une évaluation cognitive produisant l’émotion

Les deux commentaires d’Aurélie relèvent d’une évaluation très différenciée de leur objet. Le commentairepictural se clôt sur une appréciation (« on peut trouver plein de sens à ce tableau ») alors qu’il s’ouvrait sur la dépréciation (« pas très joli à première vue »). Au contraire, pour le commentaire littéraire, tout se passe comme si Aurélie s’apprêtait à jouer le jeu, comme elle l’a fait avec le tableau : « on s’imagine très bien le paysage ». Cette première impression favorable du texte pourrait se poursuivre par ce que Schaeffer nomme « l’attitude esthétique » (p. 147), c’est-à-dire une activité attentionnelle fine qui produit une émotion appréciative qui elle-même relance la dynamique attentionnelle. Mais on ne peut pas produire intentionnellement une émotion appréciative4. C’est pour Aurélie lectrice de Colette l’émotion dépréciative qui prend le pas sur l’émotion appréciative et lui fait interrompre, avec ce qui semble presque être du ressentiment, son expérience esthétique : récurrence des phrases négatives, « on ne comprend pas très bien », « je ne vois pas très bien non plus » — incrimination qui pourrait d’ailleurs porter sur la forme scolaire davantage que sur le texte, comme si elle pressentait que n’avoir accès qu’à un extrait (« un tout petitmorceau de texte ») pouvait l’empêcher de profiter de sa lecture.

2.2. De « véritables émotions »

Les émotions en contexte esthétique ne sont pas, selon Schaeffer, « des quasi-émotions, des émotions feintes ou des semblants d’émotion » (p. 150) ; l’affectivité du sujet y est véritablement engagée. C’est visiblement le cas pour le commentaire pictural de Laura, saturé par des marques grammaticales de la première personne et par des modalisateurs. De l’idée d’un « peintre triste ou encore énervé », elle glisse vers un retour sur soi, s’appropriant ces affects : « cette idée me fait voir dans le tableau la mort par le rouge du tableau » ; les sentiments d’abord prêtés au peintre deviennent ceux de la commentatrice. Par opposition, son commentaire littéraire ne présente aucune marque explicite de la subjectivité, aucune occurrence de la première personne. Le traitement de l’enfance « d’une manière que seuls les adultes peuvent évoquer » — et sans doute que seuls les adultes peuvent comprendre — lui apparaît comme inadéquat à sa magie : le conditionnel, « le texte pourrait parler de cette période », est une expression de l’irréel, auquel s’oppose le présent, qui définit la réalité décevante de ce texte. On peut y lire le refus de jouer le jeu d’un texte qui trahit l’enfance en l’évoquant de façon incompréhensible pour les enfants.

Les commentaires de Laura et d’Aurélie sur Kandinsky nous semblent relever de l’attitude esthétique que décrit Schaeffer : l’activité attentionnelle donne lieu à l’évaluation favorable qui fait naître l’émotion, engageant pleinement le sujet dans son expérience et relançant en retour une dynamique attentionnelle saturée. Au contraire, ce qu’elles écrivent sur l’extrait de Colette montre le désengagement de ce processus. Seuls les deux commentaires de Solveig apparaissent comme équilibrés sur ce plan.

Qu’en est-il dans le corpus global ? L’un de nos critères concerne l’engagement du sujet dans son commentaire, ce que nous évaluons par le biais de diverses marques langagières (par exemple, présence du sujet de l’énonciation, modalisations, jugements de valeur explicite, indices d’une activité interprétative…). 60,5 % des commentaires picturaux contre 45,5 % littéraires sont concernés par cet investissement subjectif qui, même s’il ne suffit pas à garantir la présence de l’émotion, en est pour Schaeffer une condition : ce qui confirmerait les conclusions que nous tirons de nos trois exemples. Les effets de l’engagement de soi dans le commentaire pictural pourraient donc être rendu visibles aux élèves par le biais de leur commentaire pictural, qui en porte plus souvent la trace, et les moyens de sa transposition au commentaire littéraire être proposée à leur réflexion.

3. L’expérience esthétique comme expérience hédonique

Schaeffer précise que le plaisir trouvé à l’expérience esthétique est déterminant pour le spectateur de la peinture, car, car, contrairement à la littérature, au cinéma ou à la musique, la durée que lui consacre le récepteur ne dépend que de lui5. Deux facteurs interfèrent pour définir ce qu’il nomme la « valencehédonique » : la fluence et la curiosité. La fluence désigne l’impression de facilité, de fluidité ; certains traits de l’objet comme la simplicité, la symétrie et la cohérence peuvent la favoriser. Mais en fonction des arrière-plans cognitifs et culturels dont dispose le récepteur, elle peut aussi générer l’ennui : la curiosité est alorsnécessaire pour que le spectateur poursuive son expérience esthétique, c’est l’aiguillon qui maintient son contact avec l’objet.

Les commentaires des élèves nous semblent se situer diversement entre les deux pôles de l’ennui et de la curiosité. Dans le commentaire de Laura sur le tableau de Kandinsky, les liens de coordination ou de subordination sont denses, comme si le discours ne se satisfaisait pas d’une proposition, mais avait toujours besoin de se préciser ; les formules « me fait penser à… », « il y a aussi », « mais cette idée me fait voir », «on dirait aussi » confirment cette dynamique de l’activité attentionnelle qui correspond à ce que Schaeffer définit comme la curiosité. Sur l’extrait de Colette, en revanche, le constat d’incompétence ouvre et clôt le commentaire : la curiosité ne prend pas, l’ennui prend le dessus, car le texte est jugé trop difficile.

Dans le commentaire littéraire d’Aurélie, l’ennui semble au contraire venir de trop de facilité : « on ne voit que ce qui est en surface », « on ne sait rien d’elle à part sa description physique », « on ne voit pas les sentiments des personnages ». On peut émettre l’hypothèse que la commentatrice aurait souhaité que le texte lui donne un accès à l’intériorité des personnages, et peut-être, par procuration, d’elle-même : « le texte ne parle que du “physique” des personnages » (mentionné à deux reprises), ce qui fait que la curiosité est en berne et que l’expérience esthétique s’interrompt – « ce livre ne me plairait pas ».

Quant aux deux commentaires de Solveig, les connecteurs (« c’est-à-dire », « mais (on distingue malgrétout) », « en revanche ») et les verbes explicitant l’activité interprétative (« on a l’impression que », «peuvent montrer », « on peut voir que ») signalent une attention qui s’approfondit, se réajuste, ce qui marque la curiosité. Pour autant, cette curiosité ne relance pas l’activité attentionnelle : arrivée à la fin de l’extrait, la commentatrice s’arrête, se soumettant donc à la temporalité propre du texte. Pour le tableau, tout se passe comme si elle mettait fin à son investigation parce qu’elle aurait l’impression d’avoir élucidé le mystère de ce tableau atypique («montrer le trouble, la confusion des choses »). Comment l’expliquer? Le plaisir qu’elle tire de son expérience est-il trop faible pour que se poursuive le processus par lequel l’attention et l’émotion s’intensifient réciproquement ? Considère-t-elle qu’elle a fait ce qu’on lui demandait et que cela suffit ?

L’analyse de notre corpus global ne prévoyait pas d’indicateurs de la valence hédonique de l’activité, mais la consigne autorisait les élèves à omettre l’un des deux exercices : or, ils le font plus souvent pour le texte (30,5 %) que pour la peinture (5,5 %), l’écart étant plus net encore pour les élèves scolarisés dans des collèges de recrutement défavorisés (1,5 % ne traitent pas la peinture et 47,5% le texte). On peut doncpenser que le « calculateur hédonique » de ces élèves est a priori plus favorable à la peinture qu’à la littérature. Mais, en contexte scolaire, peut-on considérer cette valence hédonique comme une condition sans laisser aux élèves le choix des œuvres qu’ils commentent ? Nous avons par ailleurs remarqué que Solveig semblait mettre fin à son expérience esthétique face au texte de Colette une fois la tâche scolaire accomplie. Nous retrouvons ici la réserve que nous avons formulée dans le cadre théorique. Le contexte scolaire n’autorise pas, pour les élèves, la suspension des préoccupations autres qu’esthétiques, notamment celle de s’acquitter d’une tâche imposée dans un temps limité. En ceci, on peut penser qu’il ne permet pas exactement une expérience esthétique selon la définition de Schaeffer. Il est en ceci nécessaire, comme nous avons tenté de le faire, de transposer les éléments de sa réflexion à ce contexte spécifique.

Conclusion

Nous avons tenté de montrer, à travers quelques exemples, que des commentaires d’élèves peuvent être analysés comme la mise en mots d’une expérience qui s’apparente, de plus ou moins près, à l’expérience esthétique telle que la définit Schaeffer (même s’il faut tenir compte du contexte scolaire, qui ne permet pas d’en faire une « enclave pragmatique ») : attention descendant à un grain de détail fin, multipliant les sources informationnelles et s’ouvrant à des finalités diversifiées ; attention et émotion se nourrissant l’une l’autre ; aiguillon de la curiosité entretenant ce cercle vertueux. Une telle expérience permet que soient produits des commentaires qui s’approchent des attendus scolaires. L’analyse de certaines caractéristiques langagièresdes commentaires picturaux des trois élèves permet de penser qu’ils résultent d’une expérience qui en est assez proche, alors que c’est le cas d’un seul des commentaires littéraires, celui de Solveig. Ceci croise les résultats de notre analyse comparative du corpus global : par rapport au commentaire littéraire, nous avons constaté une meilleure réussite du commentaire pictural, notamment dans les collèges recrutant majoritairement dans les milieux défavorisés.

Dans notre recherche globale, nous en proposons plusieurs éléments d’explication, que nous ne pouvons pas développer dans cet article (pour une synthèse, voir Claude, 2016), mais dont il suffit de préciser qu’elles tiennent aux différences d’un contexte à l’autre, différences sémiologiques entre peinture et littérature, mais aussi différences du rapport aux deux objets des élèves, qui considèrent majoritairement la peinture comme un objet ouvert à l’interprétation, de forme signifiante, de sens possiblement pluriel, et le texte littéraire comme fermé à l’interprétation, de forme transparente, nécessairement monosémique. Or, la sociologie des apprentissages nous apprend que dans les différents dispositifs de détour (comme les ateliers relais où sont proposées aux élèves en difficulté des activités plus ludiques, plus proches de leurs goûts supposés), les élèves les plus éloignés des réquisits scolaires n’identifient pas toujours les apprentissages visés in fine et leur transfert possible du contexte du détour à celui du retour, car ils ne repèrent pas le lien entre les objets abordés dans chacun des deux contextes (Henri-Panabière, Renard et Thin, 2013 ; Bonnéry et Renard, 2013).

En ce qui concerne notre objet, la réussite pour tous les élèves du détour par l’œuvre picturale pour apprendre à commenter le texte littéraire est de même conditionnée à une didactisation telle qu’elle permette aux élèves de faire des liens entre les deux exercices. Il est en effet souhaitable de les aider à prendre conscience de ce qu’ils mettent en œuvre dans leur commentaire pictural et qu’ils pourraient transposer en commentaire littéraire. Il nous semble que le modèle de Schaeffer, à condition qu’on l’adapte au contexte scolaire, peut être utilisé comme un outil de compréhension de l’activité qui permet de commenter, et qu’en cela sa connaissance peut aider les enseignants à analyser avec leurs élèves les commentaires picturaux qu’ils produisent, et à y repérer les acquis qui peuvent faire l’objet d’une décontextualisation et d’une transposition au texte littéraire. C’est-à-dire de manière à accompagner le retour du détour : ce qui nous paraît constituer une piste fructueuse pour la formation des enseignants.

Annexe 1. Commentaires des élèves

Aurélie, collège Sisley (troisième)

Je trouve cette peinture assez enfantine, cette impression vient peut-être du fait que les couleurs choisies soit très viveset pas forcément acordées et que les contours soit très épais, noirs et pas très net, ce qui est bien avec ce genre de tableaux un peu abstrait c’est que chaque personne qui le regarde y voit des choses différentes.

Moi, j’y voit un village avec des toîts rouges en haut à droite et une colline avec une fôrêt dans le coin droit en haut, tout le coin en bas à gauche semble être rempli d’un chemin, on a l’impression que toutes les couleurs des maisons et du paysage on détin avec la pluie et que toutes ses couleurs se sont rassemblées sur le chemin. Les nuages semblent être rempli des couleurs de la vie et la pluie est surement là pour distribuer les couleurs des nuages sur cette ville, sur ces maison.

On à l’impression qu’il y à plusieurs soleils de plusieurs couleurs (un rouge et un jaune).

A première vu ce tableau n’est pas très joli mais en réfléchissant on peut trouver pleins de sens à ce tableau.
Ce texte est très déscriptif, on s’imagine très bien le paysage en lisant ces descriptions, par contre on ne comprendpas très bien qui sont les personnages, Colette est une petite fille mais on ne sait rien d’elle à part sa description physique.

Je ne vois pas très bien non plus où ce texte peut en venir (c’est peut-être parce-qu’il n’y a qu’un tout petit morceau du texte).

Je trouve que ce texte n’est pas « profond » on ne voit pas les sentiments des personnages, on ne voit que ce qui est en surface, les paysages, le physique des personnes etc… Je ne pense pas que ce livre me plairait, il y à trop de descriptions et on n’avance pas assez vite dans l’histoire

Laura, collège Rothko (troisième)

Vassily Kandinsky. Paysage sous la pluie. 1913.

Ce tableau est multicolore et la façon dont sont mise les couleurs me font penser à un monde horrible et étoufant. Dans ce tableau la couleur noire en haut à gauche me fait penser à un animal ou à quelque chose d’éfrayant. Il y a aussicomme des grilles qui me font penser à l’enfermement comme si le peintre pensait que la vie ressemblais à la prison et que l’on est pas libre. Le bleu me fait penser à de l’eau et le rouge au sang ou aussi au ciel lorsque nous somme près d’un volcan en éruption.

e vois dans ce tableau une ville avec plein de grille sous un ciel rouge avec la mer qui recouvre la ville et quelqu’un ou quelque chose qui approche de cette ville horrible.

Le peintre devait être dans un état d’esprit triste ou encore ennervé car quand on est souvent ennervé on voit le monde comme s’il était cruel. Mais cette idée me fait voir dans le tableau la mort par le rouge du tableau. On dirait aussi que tout détein sur les différents éléments.
Colette.

Le texte est assez difficile à comprendre, il faut le lire et le relire pour comprendre un peu mieux de quoi il s’agit. Dans ce texte Colette donne son avis sur le monde dans lequel elle vit. Tout le texte est fait dans la description, il y a beaucoup d’adjectifs qualificatif. Colette donne son avis sur tous ce qu’elle a vécu et ce qu’elle a vu comme lorsqu’elle dit « Elle se décourageait aussitôt née et replongeait dans la terre ». Elle se met à la place des choses ou des personnes autour d’elle.

Le texte pourrait parler de la période de l’enfance ou tout paraît magique mais d’un côté le texte évoque les choses d’une manière que seul les adultes peuvent évoquer.

Le texte est très difficile à cerner et à décrire surtout qu’il y a énormèment de mots soutenu

Solveig, lycée Alechinsky (seconde)

On dirait que pour faire ce tableau l’auteur a d’abord commencé par peindre un paysage puis à ajouter de l’eau. C’est-à-dire qu’il aurait littéralement fait un paysage sous la pluie. Toutes les couleurs sont mélangés mais on distingue malgré tout des lignes pour les maisons ou la montagne. En revanche, le tableau est vif en couleurs, en opposition aux tableaux souvent sombres quand ils représentent un orage.

Ces formes étranges peuvent montrer que la pluie sème une sorte de désordre sur le quotidien. Le tableau donne l’impression de mettre en scène le trouble, la confusion des choses.
L’auteur parle de ses souvenirs d’enfance qu’elle affectionne tout particulièrement. On peut voir que sa mère l’aime énormément car elle lui permet d’aller seule en pleine nuit. On a l’impression que Colette est plus mature que son âge, qu’elle apprécie des choses que les autres enfants n’ont pas encore réalisé. Quand elle décrit la façon dont les choses se déroulaient on a l’impression qu’elle les vit en même temps qu’elle les raconte. Mais lorsqu’elle parle, à la fin, d’une « gorgée imaginaire » on s’aperçoit que tout cela est bel et bien fini et lorsqu’on lit cette dernière phrase on peut sentir qu’elle a été écrite avec mélancolie.

Annexe 2. Peinture de Kandinsky

KANDINSKY, Vassily. (1913). Paysage sous la pluie. Peinture à l’huile sur toile 70,2 X 78,1. New York : Guggenheim Museum.

Annexe 3. Texte de Colette

Sido ou les points cardinaux (1929), Colette (1873-1954)

Car j’aimais tant l’aube, déjà, que ma mère me l’accordait en récompense. J’obtenais qu’elle m’éveillât à trois heures et demie, et je m’en allais, un panier vide à chaque bras, vers des terres maraîchères qui se réfugiaient dans le pli étroit de la rivière, vers les fraises, les cassis et les groseilles barbues.

À trois heures et demie, tout dormait dans un bleu originel, humide et confus, et quand je descendais le chemin de sable, le brouillard retenu par son poids baignait d’abord mes jambes, puis mon petit torse bien fait, atteignait mes lèvres, mes oreilles et mes narines plus sensibles que tout le reste de mon corps… J’allais seule, ce pays mal pensant était sans dangers. C’est sur ce chemin, c’est à cette heure que je prenais conscience de mon prix, d’un état de grâce indicible et de ma connivence avec le premier souffle accouru, lepremier oiseau, le soleil encore ovale, déformé par son éclosion…

Ma mère me laissait partir, après m’avoir nommée « Beauté, Joyau-tout-en-or » ; elle regardait courir et décroître sur la pente son œuvre, – « chef-d’œuvre », disait-elle. J’étais peut-être jolie ; ma mère et mes portraits de ce temps-là ne sont pas toujours d’accord… Je l’étais à cause de mon âge et du lever du jour, à cause des yeux bleus assombris par la verdure, des cheveux blonds qui ne seraient lissés qu’à mon retour, et de ma supériorité d’enfant éveillée sur les autres enfants endormis.

Je revenais à la cloche de la première messe. Mais pas avant d’avoir mangé mon saoul, pas avant d’avoir, dans les bois, décritun grand circuit de chien qui chasse seul, et goûté l’eau de deux sources perdues, que je révérais. L’une se haussait hors de la terre par une convulsion cristalline, une sorte de sanglot, et traçait elle- même son lit sableux. Elle se décourageait aussitôt née et replongeait sous la terre. L’autre source, presque invisible, froissait l’herbe comme un serpent, s’étalait secrète au centre d’un pré où des narcisses,fleuris en ronde, attestaient seuls sa présence. La première avait goût de feuille de chêne, la seconde de fer et de tige de jacinthe… Rien qu’à parler d’elles je souhaite que leur saveur m’emplisse la bouche au moment de tout finir, et que j’emporte, avec moi, cette gorgée imaginaire…

Notes
  1. L’expression « lecture de l’image », utilisée dans les programmes de français de lycée et de collège, associe deux langages hétérogènes puisque le langage pictural est constitué d’ensembles de couleurs et de traits qui font sens sans conventions productives préétablies, du moins de type linguistique (voir, par exemple, Goodman, 1990) ; nous préférons de ce fait parler de « commentaire pictural » et désignons parallèlement par « commentaire littéraire » non pas l’exercice du baccalauréat français en tant que forme rhétorique (écrit fortement normé qui présente de manière organisée une interprétation justifiée d’un extrait littéraire), mais tout discours interprétatif métatextuel (Daunay, 2004). Nous utilisons le verbe « commenter » dans le même sens. ↩︎
  2. Programmes de collège (2015) : « les images sont l’occasion de les confronter à des procédés sémantiques proches de ceuxutilisés pour les textes et de développer des méthodes d’analyse spécifiques pour chacun d’entre eux. » (p. 240). ↩︎
  3. Nous conservons l’orthographe des élèves dans les commentaires reproduits en annexe 1, mais nous la rectifions dans l’article pour en faciliter la lecture. ↩︎
  4. « Je peux certes me mettre dans une situation donnée en espérant que je vais y ressentir telle ou telle émotion, mais je ne peux pas produire intentionnellement cette émotion » (p. 147). ↩︎
  5. L’approche sémiologique souligne cette différence : contrairement à d’autres formes d’art qui s’inscrivent dans un déroulement temporel, la durée de l’appréhension du tableau reste englobée, intégrée dans l’instant d’unité de vision ; c’est-à-dire que le tableau « ne se donne que dans son achèvement, dans sa pleine et entière visibilité où rien n’est à venir » (Marin, 1971, p. 21). ↩︎
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