Littératie et capital vidéoludique : approche systématique et textométrique d’un domaine hétéroclite

Pierre-Yves Houlmont
Haute École Albert Jacquard et Université de Liège
Bruno Dupont
Katholieke Universiteit Leuven
Damien Hansen
Université libre de Bruxelles

Résumé

Cet article offre une analyse textométrique de la mobilisation du concept de capital vidéoludique dans la littérature scientifique anglophone. Le capital ludique est un concept qui partage des similitudes avec la littératie, mais qui s’en différencie par bien des aspects, qui n’ont pas encore fait l’objet d’assez d’attention scientifique. Dans cet article, nous avons récupéré de manière systématique des productions scientifiques incluant la notion de capital ludique ainsi que des références à Mia Consalvo, dont les travaux constituent la première théorisation opératoire du capital ludique. Ensuite, grâce à la combinaison d’une analyse par mots-clés et d’une analyse factorielle des correspondances (AFC), nous avons identifié cinq sous-ensembles thématiques clés : 1) les paramètres du capital, 2) l’apprentissage et la compréhension, 3) les études des communautés, 4) les questions d’identité et d’empowerment et 5) les moyens et signes du capital. L’étude met en évidence l’évolution de la littératie, qui dépasse actuellement les enjeux d’éducation. Par l’identification des cinq sous-ensembles, nous mettons en évidence la proximité du concept de capital vidéoludique avec le concept de littératie, mais également des domaines encore en friche pertinents pour les recherches futures en littératie vidéoludique en vue d’une éducation aux médias critique, ainsi que pour une étude plus poussée du champ de recherche lui-même.

Abstract

This article offers an overview of how the concept “gaming capital” has been mobilized in the anglophone literature, through a series of textometric analyses. Although it quickly appears that this notion shares many similarities with the concept of “literacy”, both of these notions also have many diverging points which merit further scientific consideration. In this contribution, we therefore collect in a systematic way studies referring to gaming capital and to the work of Mia Consalvo, which offered the first operating definition of gaming capital. Through keywords and correspondence analyses, we then identify five key thematic ensembles, namely 1) capital parameters, 2) learning and understanding, 3) community studies, 4) identity and empowerment, and 5) instruments and signs of capital. In doing so, this study highlights the evolution of the concept of literacy, which has surpassed educational issues. By identifying these five ensembles, it also shows its proximity with the notion of gaming capital and thus potential areas of interest for game literacy, where further research could benefit critical media education, or the research field as a whole.

Mots-clés
littératie, capital ludique, multimodalité, sciences du jeu, textométrie.

Keywords
literacy, gaming capital, multimodality, game studies, textometry.
Citer
Pour citer
Houlmont, Pierre-Yves, Dupont, Bruno et Hansen, Damien (2024). Littératie et capital vidéoludique : approche systématique et textométrique d’un domaine hétéroclite. Revue de recherches en littératie médiatique multimodale, 20.

1. Littératie, jeu vidéo, capital : unifier les ilots

1.1. De la littératie à sa critique

Depuis maintenant quelques années, le jeu vidéo est venu enrichir un paysage médiatique complexe, pour ensuite devenir la première industrie culturelle mondiale (Benghozi et Chantepie, 2017). Sa multimodalité et la spécificité de ses usages en font un média parfois difficile à appréhender, sa propre complexité sémiotique et culturelle représentant un obstacle à l’apprentissage du jeu vidéo, c’est-à-dire l’acquisition de connaissances et de compétences spécifiques au jeu vidéo dans sa dimension culturelle et technique, mais également par le jeu vidéo, donc l’utilisation du jeu vidéo comme un outil de médiation du savoir (Dupont, 2020; Gilson, 2021). Jouer aux jeux vidéo, en travailler directement la substance ou les mobiliser dans des contextes professionnels variés requiert des compétences et des connaissances particulières, qui vont au-delà de la sphère technique (Gilson, 2021; Krywicki et al., 2020; Houlmont, 2023).

Aussi voyons-nous émerger des filières d’enseignement supérieur consacrées aux jeux vidéo, qui proposent une vue générale, voire holistique, de cet objet : l’acquisition d’un savoir-faire technique, l’apprentissage du jeu vidéo en tant que média culturel, ou les aspects entrepreneuriaux et systémiques nécessaires à une activité professionnelle dans l’industrie du jeu vidéo. L’omniprésence du média vidéoludique a amené nombre de chercheur·ses à se questionner quant aux possibles manières de développer une littératie du jeu vidéo et aux facteurs qui la conditionnent. Du point de vue épistémologique, ces réflexions supposent également de poser la question de ce que signifie l’érudition vidéoludique. Il convient de souligner que cette érudition peut dans certains cas s’articuler à des connaissances et à des compétences externes au domaine du jeu vidéo, comme c’est le cas par exemple pour les journalistes travaillant dans la presse vidéoludique. Les connaissances et compétences liées au domaine spécifique à l’activité professionnelle des journalistes se combinent à l’érudition vidéoludique, ce qui résulte en une valeur ajoutée pour les productions desdit·es journalistes (Krywicki et Dozo, 2022).

L’ensemble des attitudes, des savoir-faire et des acquis conceptuels constituant cet apprentissage du jeu vidéo sont souvent considérés comme relevant de la littératie, qu’elle soit spécifique à ce média ou qu’elle se conçoive dans le plus large ensemble des littératies multimodales. L’exemple des journalistes ci-dessus suggère que cette littératie est liée à une accumulation de signes spécifiques d’expertise, qui peut être réinvestie dans certaines actions, et participe à situer les acteur·rices sur une échelle de richesse – ce qu’on a coutume d’appeler un capital.

Cependant, la façon dont capital vidéoludique et littératie vidéoludique sont liés ne fait pas l’objet d’un consensus, pas plus que les implications de leurs liens. Pour contribuer à une meilleure compréhension des croisements entre la notion de capital et les recherches en littératie, notre article propose de les approcher par une analyse lexicométrique de la littérature scientifique.

Le foisonnement théorique et conceptuel concerne en premier lieu la notion de littératie elle-même dans son application au jeu vidéo, comme le montre une méta-analyse portant sur les différents types de littératies médiatique, informationnelle et numérique (Wuyckens et al., 2022). Pêle-mêle, nous retrouvons une pléthore de termes théoriques aux sens similaires, mais différant dans leurs usages (approche par compétences, connaissances, capital), comme la game literacy, la gaming literacy, la game design literacy (Marklund et al., 2020), la ludoliteracy (Aranda et al., 2016), la video game literacy (Bourgonjon, 2014).

La conceptualisation de la littératie comme un ensemble de compétences se démarque dans les théories de la littératie, (vidéo)ludique ou non, en raison de leur lien étroit avec l’enseignement (Walsh et Apperley, 2009, 2012; Gilson, 2019; Dupont, 2020; Liège Game Lab, 2019; Fastrez et Philippette, 2017; Marklund et al., 2020; Jenkins et al., 2006; Tulodziecki et Grafe, 2011; Partington, 2010; Fastrez, 2010; Wuyckens et al., 2022; Squire, 2014; Gee, 2003; Luke, 1995; Green et al., 1994; Collins, 1993; Cook-Gumperz, 2006). Historiquement, la notion de littératie se concevait comme une panacée au déclin économique de la société (Luke, 1995, p. 5), voire comme une grille de lecture de l’immobilité sociale des minorités, à une époque où cette immobilité était fortement débattue (Luke, 1995; Gee, 2015; Heath, 1983; Ogbu, 1987). L’engouement pour ce champ s’est manifesté dans un contexte de « panique morale continue causée par l’émergence de nouvelles technologies, et les pratiques de masse et la culture populaire associée » (Green et al., 1994, p. 417, notre traduction). Résultant en partie d’une forme de conservationnisme, la littératie, telle qu’elle était étudiée, avait pour rôle d’identifier les compétences clés devant être transmises lors du parcours scolaire, ce qui impliquait la sélection d’éléments considérés comme légitimes (Squire, 2014) et arborait des atours particulièrement prescriptifs (Bourgonjon, 2014) en réaction à la prise de conscience que la littératie s’avère instable, dynamique, fluide, et que ses frontières sont floues (Kress, 1997, p. 2). Afin d’apporter une réponse à l’idée d’une littératie dynamique et fluide, certains travaux proposent de se distancer d’une approche fortement polarisante et prescriptive en matière de compétences, en intégrant des activités de production médiatique partagées entre le personnel enseignant et la cohorte apprenante (Miller et Borowicz, 2006; Miller, 2007). Cette manière de faire permettrait de s’émanciper des référentiels de compétences et de suivre le rythme d’évolution rapide des pratiques numériques multimodales (Vallières, 2019), par exemple, en se recentrant sur des domaines relevant de « l’agir » plutôt que des compétences préformalisées (Gilson, 2021, p. 284–285).

Ici s’esquissent différentes postures possibles en littératie médiatique (multimodale) : une approche protectionniste, et une approche d’empowerment (Wuyckens, 2024, p. 68–73). Le protectionnisme en littératie médiatique tend à enfermer les apprenant·es dans un carcan moral prescriptif et à les dévoyer de toute agentivité face à des médias tout puissants, tant ce public est sans défense et subit des assauts cognitifs multimodaux répétés (Hobbs et Jensen, 2009, p. 3). En revanche, l’approche d’empowerment rend possible une lecture d’apport critique des recherches en littératie, où les apprenant·es ne se bornent pas à un rôle de lecture passive, mais participent activement à la production et à la circulation des contenus médiatiques (Hobbs, 2011, p. 423). Cette seconde perspective trouve un écho particulier auprès de nombreux·ses chercheur·ses en littératie médiatique et multimodale (Boutin, 2012a; Buckingham et al., 2005; Lacelle, 2012; Lebrun et al., 2012, 2013).

Dans lecontexte d’une transition de la société industrielle vers une société où l’information (circulant à travers divers médias, principalement numériques) est la denrée première (Kress, 1997), le passage de la littératie générale à la littératie médiatique multimodale que l’on connait aujourd’hui tombe sous le sens. Comprendre comment l’on construit du sens se révèle indispensable, d’où l’appel à une conception sémiotique de la littératie médiatique (Boutin, 2012a, 2012b; Kress, 1997; Lacelle, 2012). Selon cette perspective, les différents modes sémiotiques sont pris en considération dans leur fonctionnement intersémiotique : c’est ensemble qu’ils construisent le sens, des approches séparées spécifiques aux différents modes n’étant plus guère pertinentes (Kress et Leeuwen, 2001).

Dans le cas spécifique du jeu vidéo, les travaux en sciences du jeu insistent d’ailleurs sur l’importance d’une conceptualisation à la fois médiatique et multimodale du jeu vidéo afin de rendre compte de sa complexité tant systémique que sémiotique (Salen et Zimmerman, 2003). Cette demande rejoint l’une des idées principales du référentiel de compétences LMM (groupe de recherche en Littératie médiatique multimodale) d’Acerra et Lacelle (2022) : la compétence multimodale, c’est-à-dire « savoir (re)connaitre, analyser et combiner des codes, des modes et des langages ». Qu’il s’agisse de la production ou de la réception d’une œuvre vidéoludique, les jeux vidéo articulent différents modes sémiotiques généraux et spécifiques qui, s’ils ne sont pas considérés dans leurs dynamiques intersémiotiques, ne peuvent déployer leur plein sens (Houlmont, 2022, 2023).

Il convient de préciser que la production de sens, et son interprétation sont socioculturellement situées et participent à la construction des représentations mentales que les lecteur·rices se font de la société (Bucaria et Chiaro, 2007, p. 115). Faire sens, c’est faire société. Kress et van Leeuwen (2001, p. 36, notre traduction) disent d’ailleurs que, dans la société d’aujourd’hui, « toute action sociale est sémiotique, et que toute action sémiotique est sociale », puisque ni la production ni la réception d’œuvres multimodales ne se révèlent passives. Toute lecture d’un texte (au sens sémiotique du terme) entraine une « réaction », c’est-à-dire l’effet cognitif qui survient lors de l’interprétation d’un texte; une « réponse », qui implique que l’on puisse être poussé à l’action par une interprétation sémiotique (cette action pouvant tout à fait être d’ordre discursif); et, enfin, la lecture entraine des répercussions, qui sont à entendre comme les effets sociétaux de la circulation et de la consommation d’une œuvre donnée (Chesterman, 2007, p. 179).

Aussi, n’est-il pas étonnant que les théories en littératie médiatique et multimodale fassent la part belle à des compétences et dimensions sociales (Acerra et Lacelle, 2022; Fastrez et Philippette, 2017). Dans le cas particulier des jeux vidéo, ceux-ci font appel à de nombreux savoirs et référents culturels (Gilson, 2019, p. 33), les littératies ne prenant jamais place dans un vide culturel, mais bien dans un ensemble de pratiques (Consalvo, 2007; Walsh et Apperley, 2009; Gilson, 2019; Hayes et Gee, 2010; Partington, 2010). Dans une société marquée par la convergence médiatique identifiée par Jenkins et al. (2006) et par l’information comme denrée principale, la production de sens est intrinsèquement sociale et dépasse la somme des interprétations individuelles (Jenkins, 2006, p. 20). Faire du sens, c’est également souvent faire du jeu. Nombre de recherches établissent le lien entre l’engagement civique et la pratique et la littératie vidéoludique (Bashandy, 2023; Molyneux et al., 2015; Kahne et al., 2009). D’autres investiguent l’aspect éminemment social de l’apprentissage ludique basé sur le partage de connaissance en milieu informel (Contreras-Espinosa et Scolari, 2019).

Certains travaux vont plus loin dans l’intégration de la littératie à l’environnement social. Ils s’inscrivent souvent dans une perspective critique, soulignant par exemple le caractère situé de la littératie, les déterminants socioéconomiques qui la sous-tendent, ou encore son idéologie implicite. Partington (2010) nous montre par exemple qu’amener les étudiant·es à effectuer des comparaisons dans deux « domaines sémiotiques » (cf. Gee, 2003, p. 17) différents, comme les films et les jeux vidéo, leur permet d’établir des liens critiques entre les pratiques culturelles et médiatiques. Développer la littératie vidéoludique permet une lecture et une exploration critiques de l’environnement médiatique vidéoludique contemporain, mais aussi de resituer le jeu vidéo dans le paysage médiatique global (Gilson, 2021, p. 124). Certains travaux proposent quant à eux une vision de la littératie critique non pas comme une capacité à répondre à des questions grâce à des connaissances et compétences préalables, mais bien comme une aptitude à en poser (Wuyckens, 2024, p. 20). La « criticalité » relèverait ainsi davantage d’une attitude que d’un ensemble de compétences évaluables (Wuyckens, 2024, p. 86). Ceci cadre avec les postures en littératie du jeu vidéo, où certaines recherches affirment que disposer de compétences en lecture et en écriture relatives à un média donné (ici, le jeu vidéo), n’entraine pas de facto une posture critique (Gee, 2003; Bourgonjon, 2014; Partington, 2010). Des joueur·ses peuvent présenter une forte érudition vidéoludique du point de vue des connaissances et des compétences nécessaires à la lecture et l’écriture du jeu vidéo, mais ne pas adopter une attitude critique dans leurs considérations du jeu vidéo, puisque l’on note une forme de confusion entre disposer d’une bonne maitrise technique des jeux vidéo et l’érudition vidéoludique1 (Zagal, 2010). Sans surprise, ces conceptions sociopolitiques de la littératie s’inspirent particulièrement de la sociologie et des sciences sociales en général.

Pour synthétiser, il apparait que la littératie vidéoludique, par sa complexité et ses multiples dimensions, nécessite une conceptualisation à la fois technique, culturelle et critique. La prise en considération croissante des jeux vidéo comme média culturel et comme instrument d’apprentissage souligne l’importance de combiner savoir-faire technique, compréhension des enjeux culturels et capacité d’analyse critique. Les théories contemporaines sur la littératie médiatique insistent sur l’importance de dépasser une vision prescriptive et statique des compétences pour embrasser une perspective dynamique, centrée sur l’agir et l’engagement social. En ce sens, développer une littératie vidéoludique implique non seulement d’acquérir des compétences et connaissances spécifiques, mais aussi d’adopter une attitude critique qui permet de questionner et d’analyser les pratiques culturelles et médiatiques contemporaines. À notre sens, revisiter la littératie vidéoludique à travers le prisme de notions intrinsèquement dynamiques, comme le capital (Bourdieu, 1979) permettrait d’emboiter le pas à la transition des compétences fixes déconnectées des pratiques médiatiques et culturelles vers les positionnements plus nuancés que l’on constate aujourd’hui.

1.2. Penser la littératie vidéoludique à la lumière du capital

Si l’on s’éloigne un instant des recherches en littératie vidéoludique pour s’intéresser aux approches de la culture ludique en général, on constate que plusieurs auteur·rices soulignent l’importance de penser l’acquisition de capitaux sociaux, culturels et économiques (tels que théorisés par Bourdieu en 1979) liés au jeu vidéo. Cette perspective est centrale si l’on souhaite pleinement comprendre comment les utilisateur·rices gagnent en aisance dans ce média et sa culture. Dans ce domaine, les considérations de Consalvo (2007) autour de la triche vidéoludique sont pionnières, à la fois en tant que vraisemblable première expression scientifique du concept de gaming capital ainsi que de réflexion sur les moyens de l’accumuler, notamment via les paratextes2 entourant les jeux eux-mêmes. Dès le départ, la question des stratégies d’apprentissage et de la mobilisation d’articulations de signes spécifiques en vue de l’intégration socioculturelle, centrale dans la littératie, est donc sous-jacente aux réflexions sur le capital vidéoludique. Ceci rejoint les questionnements en littératie médiatique multimodale qui se centrent sur une lecture sémiotique (Boutin, 2012a, 2012b; Fastrez et De Smedt, 2012; Kress, 1997; Lacelle, 2012) et les travaux dans le domaine de l’audiovisuel en général (Baldry et Thibault, 2006; Desilla, 2019; Gambier, 2006; Soffritti, 2019; Taylor, 2013).

La plupart des travaux ultérieurs sur ce capital se basent sur ceux de Consalvo et continuent d’être traversés par cette question, avec généralement deux positionnements : la maitrise technique d’une part, au sein de laquelle il convient de différencier la technique de conception et la maitrise des jeux en tant qu’aptitude à battre le jeu (capital psychomoteur), et la capacité d’interprétation des articulations de signes spécifiques du jeu vidéo d’autre part (Krywicki et Dozo, 2022). Les différents types de capitaux sont généralement considérés comme poreux et dynamiques, et les transferts s’avèrent saillants. La prouesse vidéoludique peut par exemple rendre accessible toute une série de connaissances comme dans le cas du jeu Half-Life 2 (Valve, 2004), où terminer le jeu donne accès à du paratexte sous la forme de commentaires des développeur·rices pendant la partie (Glas, 2016, p. 8), ou même des cas où le capital vidéoludique sous forme de connaissances culturelles entraine l’acquisition de davantage de connaissances, comme dans le cas du jeu Star Wars: Battle for Naboo (Lucasfilm, 2000), où les commentaires des équipes de développement ne sont accessibles qu’aux personnes connaissant un code à introduire (Glas, 2016, p. 8.). Ces connaissances culturelles spécifiques constituent une porte d’entrée dans les communautés qui se construisent autour des littératies de chacun·e (Jenkins, 2006, p. 29). Bourgonjon et Soetaert (2013) soulignent même explicitement que la prise de conscience par les apprenant·es de ces déterminants socio-économico-culturels du jouer est nécessaire à un apprentissage critique, rejoignant l’idée sartrienne selon laquelle c’est précisément la perception et la conscientisation des contraintes préexistantes qui permet de s’en émanciper (Sartre, 1943, p. 163). Dans ce contexte, il est symptomatique que les travaux sur le capital vidéoludique débutent par une étude de la triche, soit un moyen détourné de s’approprier un savoir, une position ou des richesses, qui se déploie particulièrement (même si pas toujours) dans un contexte de relation de pouvoir déséquilibrée (comme l’espace scolaire ou l’industrie du jeu vidéo). Connaitre lesdits déterminants socio-culturels et, plus précisément, développer un métalangage quant à leurs significations et dynamiques est une condition sine qua non de considérations critiques (Gee, 2003; Partington, 2010; Buckingham, 2003). Il est intéressant de noter que ce métalangage peut naturellement être développé dans le cadre d’un apprentissage formel d’éducation aux médias, mais émerge parfois spontanément dans les communautés de pratique (Contreras-Espinosa et Scolari, 2019, p. 56).

Cependant, d’une part, un tel niveau d’explicitation reste rare; d’autre part, même quand il est atteint, l’articulation effective entre capital et littératie reste à opérer. Ainsi Bourgonjon et Soetaert en restent-ils au niveau de l’appel à ladite prise de conscience. Les exceptions sont sans doute à chercher dans les travaux de Houlmont (2021), qui conjugue littératie et capital vidéoludique pour redéfinir la posture des localisateur·rices de jeux vidéos, les compétences en littératie permettant de rendre compte à la fois de savoir-faire médiatiques et techniques multimodaux, et de la manière dont ces savoir-faire interagissent avec le capital ludique dans la pratique de la localisation. Ensuite, sur le sujet spécifique et premier de la littératie, Walsh et Apperley (2009) constituent un autre exemple de combinaison des deux concepts. Ils considèrent la notion de capital vidéoludique comme un moyen de repenser la littératie dans le domaine scolaire. Sur cette base, ils développent tout d’abord un cadre méthodologique permettant d’étudier en détail les échanges des capitaux bourdieusiens dans le domaine du jeu vidéo, puis proposent des pistes pour adapter les cours d’anglais et d’alphabétisation aux pratiques vidéoludiques recensées (Walsh et Apperley, 2012). La démarche de Walsh et Apperley est capitale tant pour l’étude de la culture vidéoludique que pour penser l’éducation dans un monde ludicisé (Bonenfant, 2023). Toutefois, son objectif suppose une perspective utilitariste sur le jeu vidéo : celui-ci est étudié comme déterminant d’une littératie non numérique et non pour lui-même. Dès lors, elle laisse ouverte une question importante et plus fondamentale : quel est le rapport entre le capital vidéoludique et la littératie vidéoludique en et pour elle-même ?

Pour répondre à cette question, il nous semble primordial de passer par une première étape, celle de prendre la mesure de l’existant. En effet, la diversité croissante des concepts liés à la littératie vidéoludique, d’une part, ainsi que l’incomplétude des réflexions croisant apprentissage et capital, d’autre part, empêchent une vision d’ensemble. Au contraire, l’état de la recherche sur ces sujets consiste en des ilots de perspectives spécifiques, qui ne convergent pas en une conceptualisation cohérente. Pour dépasser le stade d’une question sans cesse répétée, donnant lieu à des ébauches intéressantes, mais orphelines, nous proposons un défrichage théorique – dans la lignée de celui opéré par Wuyckens et al. (2022) pour la littératie médiatique – des points de rencontre entre littératie en jeu vidéo et la notion de capital au sens inspiré de Bourdieu. Il s’agit donc non seulement d’explorer les intersections explicites, mais également d’explorer des travaux conceptuellement proches usant d’autres terminologies.

Ce faisant, nous poursuivons trois objectifs : tout d’abord, cartographier les différents usages actuels relatifs au lien entre capitaux et littératie en jeu vidéo; ensuite, catégoriser ces usages, et présenter les caractéristiques distinctives de chaque catégorie ainsi que leurs connexions; pour finalement réfléchir à des pistes pour l’articulation théorique du rapport entre capital et littératie vidéoludique. Par cet état des lieux d’un domaine central à l’enseignement du jeu vidéo et par le jeu vidéo, nous espérons contribuer au renforcement de l’éducation aux médias dans une visée de littératie critique. Pour guider notre construction de corpus, puis les analyses faites sur celui-ci, nous avons élaboré trois questions de recherche, chacune découlant de la précédente :

  • Q1 : Quelles sont les caractéristiques principales de la littérature scientifique sur le capital ludique ?
  • Q2 : Au sein de la diversité de cette littérature scientifique, peut-on discerner des tendances ou sous-ensembles ?
  • Q3 : Si tel est le cas, quelle est la place de la littératie et de l’apprentissage dans ces tendances ?

2. Aspects méthodologiques

2.1. Choix des bases de données

La première difficulté de toute revue de la littérature à visée systématique est de décider de quelles bases de données scientifiques explorer pour constituer le corpus à étudier. En effet, les principales bases de données agrégeant des journaux scientifiques diffèrent par leur degré de couverture de l’ensemble des publications disponibles. Ce degré de couverture, qui plus est, évolue au fil du temps en fonction des nouvelles indexations, et est très dépendant des disciplines ou groupes de disciplines considérés. Dès lors, de nombreux travaux procèdent en explorant plusieurs bases de données selon un principe de cout-bénéfice. L’idée générale est qu’ajouter des bases de données aidera à obtenir plus d’articles et combler progressivement les biais des bases déjà présentes, mais que chaque ajout coute du temps. En conséquence, il s’agit d’arrêter une liste de bases de données dont on sait qu’elles ne couvriront sans doute pas toute la recherche dans un domaine, mais en donneront une image assez fidèle tout en restant humainement traitables.

À cette considération générale s’ajoute la difficulté spécifique de notre recherche. Elle articule en effet deux domaines interdisciplinaires : la recherche en littératie (Basu et al., 2009) et les sciences du jeu ou game studies (Deterding, 2017). Au sein des travaux que nous abordons, on peut ainsi reconnaître des aspects et influences des sciences de l’éducation, de l’éducation aux médias, de la sociologie des pratiques, ainsi que des humanités numériques. Cette interdisciplinarité complique encore la tâche de la constitution du corpus, puisque les indications liées à la pertinence de telle ou telle base de données pour une certaine discipline ou un groupe de disciplines ne sont pas utiles dans le cas qui nous occupe.

Pour constituer notre corpus, nous avons donc recouru à une approche pragmatique : nous avons identifié des démarches comparables à la nôtre et considéré les recommandations qu’elles produisaient. Ainsi, Korkeila (2023), dans une scoping review de la notion de capital social au sein des jeux vidéo, utilise-t-il Web of Science et Scopus. O’Donnell et al. (2017), travaillant sur l’aspect multidisciplinaire de la gamification, identifient onze bases de données pertinentes ACM EBSCO Host, IEEE Xplore, Informit, Infosci, ProQuest, ScienceDirect, Scopus, SpringerLink, SpringOpen et Web of Science. Dans le domaine de la littératie médiatique, Bapte (2021) se concentre sur Web of Science, tandis que Wuyckens et al. (2022) considèrent ScienceDirect, SAGE Journal Online, SpringerLink, EBSco, ERIC, Scopus et JSTOR.

Parmi cet ensemble, nous avons supprimé les bases de données qui étaient déjà reprises au sein de bases plus larges, pour finalement conserver SpringerLink (n = 45), Scopus (n = 53), Web of Science (n = 1), JSTOR& (n = 10) et EBSco (n = 20). Les résultats obtenus sur ces bases de données découlent de notre hypothèse de départ, qui est que Consalvo, en tant que pionnière de l’utilisation de la notion de capital ludique (gaming capital), a pavé la route à des recherches interdisciplinaires impliquant ce concept. Ainsi avons-nous effectué des recherches systématiques alliant la mention de Consalvo et les variations terminologiques que nous connaissons ou suspections, comme « gaming capital », « game capital », « ludic capital » et « videoludic capital ».

Les mêmes recherches ont été effectuées sur Google Scholar, ce qui nous a donné une liste de plus de 500 références. La liste des 129 références précédemment obtenues et celle de Google Scholar ont été compilées sur des fichiers Excel séparés, ce qui en a permis la comparaison grâce à ChatGPT (v4), auquel nous avons demandé de comparer les fichiers et d’en établir une liste de doublons. Cette dernière s’élève à 89 références. Une fois ces doublons enlevés de la liste Google Scholar, nous avons procédé au téléchargement systématique des références dans l’ordre de pertinence établi par Google Scholar, jusqu’à parvenir à un échantillon de 200 articles, échantillon alliant les deux qualités d’être représentatif et humainement exploitable3. Une fois ces articles téléchargés, ils ont dû être nettoyés au maximum de toute information pouvant constituer un bruit, comme les bibliographies, ou les sous-titres répétés en entête ou en pied de page, et ce, afin d’avoir un texte le plus propre possible pour l’analyse textométrique.

2.2. Critères d’inclusion et d’exclusion

Au sein de ces bases et de ce moteur, nous avons cherché à identifier les publications scientifiques liées à la notion de capital vidéoludique. Pour éviter les nombreux faux positifs qui pouvaient apparaitre à cause de la grande polysémie du mot « capital4 », nous avons restreint notre recherche aux articles qui faisaient référence aux travaux de Mia Consalvo, et étaient donc beaucoup plus susceptibles de couvrir l’acception que nous recherchions.

Par ailleurs, au vu de la variation terminologique liée au capital vidéoludique, nous avons recherché plusieurs expressions (potentiellement) en usage, mentionnées en amont : « gaming capital »; « game capital »; « ludic capital » et « videoludic capital ». Parmi ces expressions, seules les deux premières se sont avérées en usage dans la littérature scientifique anglophone5.

Pour considérer uniquement des écrits ayant circulé au sein de la communauté scientifique et ayant été validés par elle, nous avons exclu les textes non évalués par les pairs (éditoriaux, textes de conférences, réponses à des articles parus précédemment) ainsi que ceux dont le statut de révision était douteux – notamment les mémoires de fin d’études, qui sont parfois évalués uniquement à la fin du parcours universitaire, ce qui empêche alors les considérations critiques des relecteur·rices d’être intégrées au document final6.

3. Analyses

Dans le cadre de cet article, nous avons recouru à des procédés hérités du champ de la linguistique de corpus, comme la textométrie, qui est également utilisée en humanités numériques. Nous avons procédé en deux temps. Premièrement, nous avons utilisé le logiciel d’analyse de corpus Sketch Engine (Kilgarrif et al., 2014). Ce logiciel nous a permis d’opérer non seulement une analyse par mots-clés, mais également de les approcher selon un indice de spécificité7 par rapport à un corpus généraliste. Cette première analyse textométrique permet de formuler une série d’hypothèses quant à la manière dont les textes scientifiques sélectionnés pour l’étude mobilisent la notion de capital.

Ensuite, pour confirmer ou infirmer nos hypothèses, nous avons recouru au logiciel d’analyse textométrique Hyperbase (Vanni, 2024), qui nous a par exemple permis d’opérer des analyses factorielles de correspondance, afin d’identifier des groupements de termes utilisés au sein de notre corpus considérés comme particulièrement représentatifs par le programme. Enfin, nous avons procédé à une relecture interprétative de ces groupements dans la perspective d’identifier des voies restant à explorer – ou à aborder davantage – pour la littératie vidéoludique.

3.1. Considérations générales sur le corpus

Dans le but de décrire les spécificités de notre corpus (que nous appellerons Capital ludique ou CL) dans son ensemble et de répondre à la Q1 (« Quelles sont les caractéristiques principales de la littérature scientifique sur le capital ludique ? »), nous avons tout d’abord procédé à une analyse par mots-clés via le logiciel d’analyse de corpus Sketch Engine (Kilgariff et al., 2014). Cette fonction permet de comparer un corpus donné, en l’occurrence notre sélection d’articles, à un corpus généraliste en langue anglaise : English Web 2021. Elle met ainsi en exergue les différences sous la forme de mots-clés apparaissant plus fréquemment dans le corpus étudié que dans le corpus de référence (table 1). De façon logique, le corpus étudié se caractérise tout d’abord par une forte présence de mots-clés liés au jeu vidéo (« videogame », « ludic », « gaming », etc.). Ensuite, d’autres éléments liés à une surreprésentation de certains termes dans des articles spécifiques (« Faunasphere », « Whyville »). Enfin, on note la présence d’éléments théoriques et de concepts liés aux travaux de Consalvo sur le capital dans le jeu vidéo (« paratext* », « Bourdieu », « Genette », « modding », « cheating », etc.). Il est intéressant de noter que les termes spécifiques ou fortement liés aux jeux vidéo semblent se concentrer sur le point de vue du jeu en tant que pratique (play), avec des références au modding, à l’e-sport, à la triche, etc. Cette observation est cohérente avec l’orientation première des travaux de Consalvo8, mais également avec l’origine sociologique du concept de capital. L’objet-jeu (game) est également présent dans une moindre mesure, avec les notions de paratexte et le nom de jeux spécifiques, comme Whyville (Numedeon, 1999) et Faunasphere (Big Fish Hames, 2009).

Pos.Mot-cléScorePos.Mot-cléScore
1Consalvo352,3911Gaming122,27
2Paratext328,4412Playfulness118,96
3Videogame211,9613Gamer117,47
4Faunasphere184,1314Esport104,95
5Bourdieu178,915Modding87,667
6Paratextual150,2216Genette85,953
7Whyville137,2917Affordance79,533
8Gamergate133,7318Cheating78,452
9Streamer127,2719Bogost78,414
10Ludic125,1420Otome77,915
Tableau 1. Mots-clés caractérisant le corpus Capital ludique

L’importance des éléments liés au capital vidéoludique devient plus claire lorsque l’on considère comme mots-clés non plus uniquement des termes isolés, mais des constructions de plusieurs mots, ce qui correspond mieux à la façon dont se construisent les concepts académiques (table 2). « Cultural capital », « social capital », « symbolic capital » font ainsi directement référence aux travaux de Bourdieu, tandis que « gaming capital », « game culture » et « gaming culture »9 marquent la connexion de ces travaux avec les sciences du jeu, caractéristique des recherches effectuées à la suite de Consalvo.

Pos.Expression cléScorePos.Expression cléScore
1Gaming capital616,2111Casual game119,93
2Digital game594,1612Game player114,36
3Game study281,9813Social capital105,09
4Professional gaming227,2514Game world103,75
5Game culture220,5715Gaming community99,599
6Gaming culture190,5116Game design97,729
7Game industry157,7817Literacy practice93,697
8Cultural capital156,5718Type of capital90,648
9Games culture122,819Symbolic capital87,823
10Female player120,7120Magic circle82,688
Tableau 2. Expressions-clés caractérisant le corpus Capital ludique

La recherche par expressions permet de confirmer l’observation faite en amont sur la surreprésentation du jeu en tant que pratique, exemplifiée par les notions de jeu professionnel, de communauté de jeu, ou même du cercle magique de Huizinga (1951, p. 40). Celle-ci permet également de faire apparaitre la première expression indubitablement liée à la littératie, « literacy practice », parmi les 20 expressions clés. Toutefois, lorsque l’on considère les termes individuellement, il est à noter que « literacy » n’apparait qu’en 79e position des mots-clés du corpus. On peut donc dire que le lien à la littératie semble présent dans le corpus, mais qu’il n’y est aucunement central.

Toutefois, plusieurs éléments pourraient nuancer cette position. D’une part, la présence forte d’expressions ou de mots-clés liés à la « culture » du jeu vidéo (voir plus haut), aux communautés de joueur·ses (« gaming community ») ainsi qu’à des éléments comme le paratexte (« paratextual ») ou les « affordance[s] », dont Consalvo souligne l’intérêt pour l’acquisition d’expertise en jeu vidéo, laisse penser que les articles pourraient présenter des phénomènes d’apprentissage sans pour autant recourir au lexique de la littératie. D’autre part, la mention de groupes à haute littératie vidéoludique ou dotés d’un pouvoir symbolique dans la définition de celle-ci, comme les joueur·ses professionnel·les (« professional gaming ») ou les « streamer[s] », ainsi que d’activités requérant une littératie élevée (comme l’e-sport et le « modding ») suggère également qu’une analyse en termes de compétence(s) et de littératie est sous-jacente à une partie de notre corpus. Dès lors, les développements ultérieurs de notre article vont être consacrés à vérifier cette hypothèse, ce qui nécessite de diviser notre corpus en sous-ensembles d’une part, et de s’intéresser aux éventuels sous-ensembles marqués par des concepts liés à la littératie et l’apprentissage dans sa globalité d’autre part.

3.2. Quels sous-ensembles du capital vidéoludique ?

Analyse des corrélats

Pour répondre à notre deuxième question de recherche (« Au sein de la diversité de cette littérature scientifique, peut-on discerner des tendances ou sous-ensembles ? »), nous avons procédé à une analyse des corrélats. Pour cela, nous avons introduit notre corpus dans un autre programme d’analyse textométrique : Hyperbase (Vanni, 2024). Entre autres fonctionnalités, celui-ci permet de procéder à une analyse factorielle des correspondances10 entre les termes (ici des substantifs lemmatisés)11 du corpus (Figure 1).

Figure 1. Représentation des corrélats au sein de CL

Quatre sous-ensembles

Cette analyse des corrélats nous permet d’identifier quatre pôles entretenant des corrélations privilégiées au sein du corpus CL : en orange à gauche du graphique, une série de termes liés principalement aux moyens d’augmenter son capital vidéoludique. On y retrouve notamment « cheat »12, « site », l’usage d’un « guide » ou de « magazine[s] », les achats sur le « market », ainsi qu’aux signes visibles de ce capital (les « items » que l’on peut accumuler, l’apparence de son « avatar », l’ostentation des « achievements »).

Une partie de cet ensemble moyens et signes du capital est liée à un sous-ensemble central qu’on peut nommer les paramètres du capital (en vert), en tant qu’ils contiennent principalement les endroits où ce capital est échangé, mis à profit ou accumulé (« event », « esport », « industry », « game », « forum », « playing »), les rôles qu’on peut exercer (ou la « position » qu’on occupe) en fonction de sa possession plus ou moins élevée de capital (« streamer », « friend », « member »), ainsi que les collectifs qui reconnaissent ces capitaux (« group », « team », « people »).

De façon intéressante, un petit sous-ensemble (en pourpre, à l’extrême droite du graphique) est particulièrement peu lié avec les autres : celui relatif aux notions de genre et identité (« identity », « woman », « man », « gender », « gamer »). Bien que restreint, cet ensemble se caractérise par sa pertinence : l’ensemble de ses termes contribuent fortement à la factorisation (Figure 2).

Figure 2. Les corrélats contribuant le plus à la factorisation au sein de CL

Dans la perspective d’une approche critique du capital – et probablement également de la littératie –, ce pan mériterait d’être étudié en détail. Néanmoins, il faudrait pour cela probablement agrandir sa représentation au sein du corpus pour mieux saisir ses spécificités et ses connexions potentielles avec les autres sous-ensembles13. Ces deux pôles permettent toutefois de dégager un premier axe thématique (le facteur contribuant le plus à cette répartition du corpus), opposant des termes plutôt liés au jeu en tant que système (avec la triche comme prise maximale sur ce système) à des termes renvoyant principalement aux joueur·ses (où les questions identitaires prennent toute leur importance). Le terme game, dans toute son acception polysémique, y occupe d’ailleurs une place centrale, tout comme le reste des éléments placés par l’AFC à l’origine des axes, qui constituent en quelque sorte le socle du capital ludique communément partagé par les documents de notre corpus. On trouve ensuite un second facteur avec, à un extrême, des concepts plutôt périphériques au jeu (« book », « magazine »« production ») et à l’opposé, ceux qui mettent en évidence son aspect communautaire (« group », « friend »« money »), respectivement répartis le long d’un second axe qui occupera maintenant notre attention.

Apprentissage, compréhension – et littératie

Si l’on revient au centre du graphique, tant le pôle moyens et signes du capital (pour la partie centrale de celui-ci, puisque nous avons vu que sa périphérie est isolée des autres pôles) que le pôle paramètres du capital sont connectés à un troisième sous-ensemble, en haut du graphique et en bleu. C’est celui sur lequel nous centrerons nos réflexions, puisqu’il répond à la Q3 : « Quelle est la place de la littératie et de l’apprentissage dans les tendances du corpus ? ». En effet, le quatrième pôle de la visualisation peut être nommé apprentissage et compréhension. Il contient des termes liés à des publics apprenants (« student », « child », « scholar »), des lieux d’apprentissage (« school », « education »), des manières d’apprendre (« study », « research », « analysis », « practice »), ainsi que des catégories conceptuelles permettant de penser ou décomposer les médias (comme « medium » en tant que tel, « culture », « story », « structure »). Ce sous-ensemble contient également des opérations cognitives, des déterminants et des mesures de l’apprentissage (« understanding », « definition », « process ») cohérents avec l’un des paradigmes principaux en littératie médiatique, l’approche cognitiviste (Wuyckens, 2024, p. 61–62) portée notamment par Potter (2004).

Parmi ceux-ci figure le lemme qui retient particulièrement notre attention : « literacy ». C’est d’ailleurs un des lemmes structurants de la factorisation (voir Figure 2). Cependant, c’est également le terme le plus isolé graphiquement au sein du pôle, ce qui visualise le fait qu’il corrèle moins avec le reste du sous-ensemble que les autres termes que celui-ci contient. À distance respectable, mais néanmoins plus proche que les autres lemmes du pôle, on trouve « text ». Ceci suggère potentiellement deux choses : premièrement, que le concept de littératie est plus lié, dans le corpus étudié, à des notions relevant de l’écrit puisque certains travaux recourent à la notion de capital ludique et de gaming literacy pour étudier l’apprentissage des langues par le truchement du jeu vidéo (Allington, 2016; Apperley, 2010; Apperley et Beavis, 2011; Bacalja, 2018; Beavis et al., 2015; Blume, 2019). Deuxièmement, la forte présence des termes text et reader s’explique aussi potentiellement par le tournant sémiotique des études en littératie médiatique multimodale décrit en amont dans cet article.

Cette impression est confirmée lorsque l’on s’intéresse aux frontières entre sous-ensembles. En effet, « literacy » pris individuellement corrèle assez intimement avec « reader », « magazine » et « review », qui font partie des moyens et signes du capital. La présence des termes readermagazine et review s’explique par l’importance d’une approche par le prisme du capital dans les études sur le journalisme vidéoludique (Bootes, 2016; Tanja, 2009; Perret et Moret, 2023), prisme pleinement embrassé par certain·es chercheur·ses qui ont mis sur pied une théorie du capital ludique propre au métier de journaliste en jeux vidéo (Krywicki et Dozo, 2022). De façon générale, on constate que « literacy » est faiblement lié au corpus, mais se situe au carrefour de deux pôles : apprentissage et compréhension ainsi que moyens et signes du capital.

3.3. Quelles perspectives pour la littératie ?

Limites

Avant de mentionner les avancées que notre article souhaite recommander à la recherche, nous devons souligner certaines limites de notre travail. En premier lieu figure notre hypothèse de travail. Nous postulons en effet au départ que Mia Consalvo est à l’origine de l’essaimage du concept de gaming capital. Il est ainsi possible que nous passions à côté d’une série d’articles traitant du capital ludique, mais ne s’inscrivant pas dans la continuité des travaux de Consalvo. Il convient cependant de souligner que cette limite représente également l’un des points de force méthodologique de notre étude, puisque l’association systématique des termes « capital » et « Consalvo » permet d’éviter une pléthore de faux positifs, où des recherches porteraient uniquement sur les capitaux bourdieusiens et leur application au jeu vidéo.

Ensuite, l’orientation textométrique de notre article, bien qu’elle soit éprouvée et donne des résultats particulièrement intéressants dans le cadre de notre recherche, rend impossible toute analyse multilingue. Nous avons dû nous focaliser sur les articles en langue anglaise, et ce, afin de ne pas fausser les résultats des analyses. Ceci représente tant une limite qu’une possibilité d’ouverture. Il serait pertinent, à l’avenir, d’élargir le corpus à d’autres langues, comme le français, qui constitue un vivier très actif dans le domaine des sciences du jeu.

Une autre limite est tout simplement liée à la taille du corpus. D’une part, le corpus s’avère tellement imposant que les programmes comme Hyperbase ont du mal à traiter toutes les informations. Les analyses basées sur des métadonnées trop nombreuses peuvent représenter un obstacle certain pour ce type d’analyse. D’autre part, le corpus n’est pas exhaustif, à la fois pour la raison qui vient d’être évoquée, mais également parce qu’il faut que le corpus soit humainement traitable.

Dans le cadre de notre analyse, nous avons remarqué un phénomène non négligeable : certaines recherches ne mobilisent le capital ludique que de manière indirecte, celles-ci s’étant retrouvées dans nos résultats de recherche sur les bases de données et sur Google Scholar en raison d’un article particulièrement populaire articulant littératie vidéoludique et capital ludique, à savoir Gaming Capital: Rethinking Literacy de Walsh et Apperley (2009). Cette constatation souligne le caractère complémentaire des notions de littératie et du capital.

La corporalité de la littératie vidéoludique

En quoi une analyse du corpus Capital ludique peut-elle nous aider à esquisser des approches novatrices pour la littératie vidéoludique ? Répondre à cette question implique de prendre un peu de distance par rapport à notre objet – au sens propre également. Si l’on s’éloigne des frontières proches du concept de littératie pour s’intéresser aux extrêmes opposés, on constate tout d’abord que la littératie est très rarement utilisée en combinaison avec l’extrême gauche du sous-ensemble moyens et signes du capital, c’est-à-dire « cheat »14.

Or, les recherches de Consalvo (2007) sur les éléments paratextuels comme les trophées15 apportent un éclairage important sur des pratiques et mécaniques comme activité chez les joueur·ses dont l’intégration à l’objet-jeu est moins évidente. Les trophées et éléments paratextuels déblocables dans les jeux vidéo constituent la face visible des compétences et connaissances des joueur·ses, puisque visibles en ligne (Glas, 2016). Ainsi, la mobilisation de la notion de capital se révèle complémentaire à la littératie médiatique et multimodale. Là où ces dernières s’intéressent aux manipulations de l’objet-jeu en tant que média numérique, tant du point de vue de la production que de la réception, le capital rend tangible la littératie, qui s’apparente alors à du capital culturel objectivé, voire incorporé (Bourdieu, 1979).

Ici, la littératie vidéoludique doit encore prendre la mesure de cette forte corporalité et concrétisation des capitaux symboliques en jeu vidéo : s’ils s’intègrent dans l’avatar via les skins (des apparences à débloquer au fur et à mesure de la progression au sein d’un jeu), ils deviennent dès lors parties du corps virtuel; lorsqu’ils sont matérialisés par des trophées, ils accompagnent le·a joueur·se lors de ses déplacements au sein du jeu (puisqu’ils sont souvent visibles ou montrables en jeu) ainsi que dans l’espace social autour du jeu (puisqu’ils sont actuellement répertoriés sur les profils des joueur·ses sur les plateformes de streaming et de téléchargement de jeux vidéo). Or, ces capitaux sont partiellement le résultat d’un processus d’apprentissage ainsi que de reconnaissance de l’expertise par le système de jeu. Les joueur·ses ainsi décoré·es manifestent non seulement leur littératie, mais se retrouvent également dans une position de prescripteur·rices de ce qu’est le « savoir (bien) jouer ». Étudier les phénomènes d’acquisition des trophées sous l’angle de l’apprentissage volontaire et ciblé – je veux ce trophée, donc je vais m’investir dans les actions à maitriser pour l’obtenir – est une piste à développer, qui s’esquisse timidement dans les travaux de Sotamaa (2010) et de Glas (2016). Une seconde piste serait d’étudier le rôle prescripteur de ces joueur·ses au sein des jeux en tant que communauté d’apprentissage (Barnabé, 2015), un rôle saillant lorsque l’on se penche sur les situations d’apprentissage informel (Contreras-Espinosa et Scolari, 2019; Gee, 2004). L’enjeu dans ce contexte serait notamment de renforcer la distanciation par rapport aux référentiels scolaires prescriptifs que nous avons décrite dans la Section 1.1 du présent article (cf. Gilson, 2021; Miller et Borowicz, 2006; Miller, 2007; Vallières, 2019) et d’en comprendre les enjeux d’empowerment à l’échelle des pratiques et expériences individuées, et non plus uniquement des compétences scolaires à transmettre. Cette posture permettrait notamment une meilleure compréhension des dynamiques de mobilisation des capitaux propres des apprenant·es dans une optique de recentration sur leurs pratiques quotidiennes, dans le but d’arriver à développer des attitudes (Wuyckens, 2024) ou des agirs (Gilson, 2021) critiques, tant vis-à-vis du média vidéoludique que de leurs pratiques médiatiques.

Une littératie vidéoludique critique ?

Si l’acquisition de compétences et savoirs est fortement liée au corps dans le jeu vidéo, la question du corps nous amène aussi à celle de l’identité, particulièrement dans ses dimensions de construction et de visibilité sociales. Or, il s’avère à la lecture de nos visualisations qu’une distance s’installe également entre « literacy » (et plus largement toute une partie des termes liés à l’apprentissage) et l’extrême droite de la visualisation, à savoir « man » et « woman » ainsi que « gender » et « identity ».

Dans notre corpus, un pan des articles mobilisant le capital se penche sur les dynamiques sociales au sein des communautés du jeu vidéo. La mobilisation du concept de capital rend possible une forme d’empowerment pour les communautés souffrant de problèmes de représentation dans le monde du jeu vidéo. Ainsi, n’est-il pas étonnant de trouver des recherches faisant intervenir la notion d’identité et présentant explicitement des approches s’inscrivant en gender studies (Consalvo, 2019; Baxter-Webb, 2016; Dashiell et Phelps, 2023) ou des recherches sur l’accessibilité (Anderson et Johnson, 2022; French, 2023; Lui, 2020; Vossen, 2018). Bien qu’il existe, comme mentionné en début d’article, un courant marqué d’empowerment dans l’éducation aux médias, la littératie reste éloignée du groupement axé sur les gender and diversity studies.

Or, la mobilisation du capital dans ce contexte ouvre une voie claire pour les études en littératie, qui emboiterait le pas au changement de paradigme observé dans les domaines numériques, également marqués par une dynamique d’empowerment (Agre, 1997; Harrison et al., 2011). Les réflexions déjà courantes au sein des sciences du jeu sur les mécanismes d’exclusion de populations minorisées (notamment les femmes, LGBTQIA+, non-Blancs et personnes en situation de handicap), mais également des stratégies mises en place par ces groupes pour affirmer leur propre capital vidéoludique, gagneraient à être mises à profit dans l’étude de l’apprentissage. Ceci permettrait notamment de vérifier quels obstacles socioéconomiques se dressent entre ces publics et la littératie vidéoludique, de développer des stratégies pour l’enrichissement de la littératie vidéoludique prenant en compte les spécificités de ces groupes, mais aussi d’étudier en détail les mécanismes de création, diffusion et validation de savoirs et savoir-faire vidéoludiques dans un contexte minorisé. Bref, de proposer non seulement une critique de la littératie vidéoludique, mais aussi une littératie vidéoludique critique, qu’il s’agisse d’une criticalité considérée comme un ensemble de compétences (Acerra et Lacelle, 2022; Fastrez et Philippette, 2017) ou comme une attitude à la manière de Wuyckens (2024).

Lieux et rôles liés à l’apprentissage

Enfin, si l’on considère l’ensemble paramètres du capital, vis-à-vis duquel l’écart est moins important que dans les deux cas précédents, la position excentrée de la littératie l’éloigne tout de même fortement de lemmes importants comme « streamer », « esport » et « event »16. Pourtant, l’étude des évènements liés à la culture vidéoludique comme espace-temps d’apprentissage est déjà bien avancée (Aurava et Meriläinen, 2022). De la même façon, l’e-sport, c’est-à-dire la branche compétitive du jeu vidéo, est fréquemment décrit du point de vue des différentes composantes de l’apprentissage de celleux qui le pratiquent de façon experte (von Gillern, 2021). Cependant, bien que ces études semblent pointer vers des modalités de littératie applicables hors du strict domaine de l’e-sport, les liens avec la littératie vidéoludique au sens large restent largement inconnus. Il serait intéressant d’étudier ce que de telles situations d’apprentissage à haut niveau nous indiquent pour la pratique quotidienne et mainstream du jeu vidéo, ainsi que les effets de modèle, d’imitation et d’inspiration que les e-sportif·ves peuvent susciter chez les spectateur·rices. De la même façon, la position prescriptrice des streamers et, dans certains cas, leur rôle d’analyse et d’explication de la culture vidéoludique sont à étudier sous l’angle, par exemple, des sciences de la formation. Établir des parallèles entre le rôle des enseignant·es dans les processus de littératie vidéoludique et les rôles de médiation des streamers est un exemple de piste concrète de recherche envisageable dans un futur proche.

Ceci étant dit, il nous reste à reconsidérer l’isolement de « literacy » au sein de sa propre sous-catégorie. En effet, cette position l’éloigne le plus de deux notions centrales du jeu vidéo : le fait qu’il s’agisse d’une « expérience » (ou d’une « situation »), mais également de sa dimension de « culture ». Commençons par le premier aspect. En tant que média à forte dimension expérientielle (Pereira et Roque, 2012), le jeu vidéo se conçoit comme un moment vécu et ressenti par ses utilisateur·rices, selon un « système de sens et de valeurs propre au [à la] joueur[se] en ligne – c’est-à-dire de manière immanente [aux joueurs et joueuses] » (Bonenfant, 2011, p. 208). La centration, dans les perspectives de littératie vidéoludique et d’éducation au média jeu vidéo, sur des méthodes relevant de l’analyse des formes utilisées et des contenus transmis (voir Waern, 2013; Dupont et Malliet, 2021) met le jeu vidéo en tant qu’expérience à l’arrière-plan. Plutôt que de penser une littératie de l’expertise pour un médium relevant de l’expérience, comme le propose Squire (2014), il faudrait dès lors aller un pas plus loin et proposer une littératie de l’expérience.

Concernant le lemme « culture », approcher le jeu vidéo comme culture est une perspective dorénavant bien établie. Cependant, tout comme l’aspect expérientiel, cette dimension doit être prise plus largement en compte dans la détermination des chemins menant à la littératie. Plus encore que les autres littératies multimodales et numériques, le jeu vidéo se conçoit pour beaucoup avant tout comme une culture de masse, englobante, dont le jeu numérique au sens strict n’est qu’un aspect parmi d’autres. Pour comprendre pourquoi le jeu vidéo est central pour de nombreux publics aujourd’hui, particulièrement chez les jeunes, il faut resituer la place privilégiée et centrale qu’il occupe au sein de la culture populaire et des cultures jeunes – et donc concevoir la littératie vidéoludique comme une acculturation complète, selon des paramètres et via des médias qui dépendent des individus et des groupes.

4. Conclusion

Dans cet article, nous nous sommes intéressés aux dynamiques complexes entre la littératie vidéoludique et le capital vidéoludique, pour illustrer les points de chevauchement des deux concepts, comme le rapport entre capital et apprentissage, mais également de disruption, comme les groupements de recherche en gender and diversity studies, dans lequel la littératie n’occupe pas encore de place prédominante. Notre analyse textométrique du corpus d’écrits scientifiques a permis de cartographier l’évolution de la littératie au-delà de sa définition traditionnelle, révélant des points de divergence et de convergence, identifiés grâce à des analyses textométriques mêlant analyses par mots-clés et analyse factorielle des correspondances.

À notre connaissance, cette étude est la première à utiliser la textométrie pour identifier des perspectives nouvelles pour les études en littératie vidéoludique. Cette approche nous a permis de traiter un grand nombre de textes de littérature scientifique mobilisant la notion de capital vidéoludique, et de classer les contextes de mobilisation en quatre sous-ensembles : 1) paramètres du capital, 2) apprentissage et compréhension, 3) genre et identité et 4) moyens et signes du capital. L’identification de ces sous-ensembles nous a permis d’en montrer la proximité avec le concept de littératie, mais surtout de mettre en exergue les domaines encore en friche pertinents pour les recherches en littératie vidéoludique en vue d’une éducation aux médias critique, promouvant une compréhension plus nuancée des médias numériques. Ces pistes sont particulièrement compatibles avec les méthodes et objectifs récents en littératie médiatique et multimodale, qui favorisent une prise de recul critique et des dynamiques d’empowerment. En définitive, le prisme du capital vidéoludique rend encore plus saillants les enjeux sociétaux des recherches en littératie médiatique et multimodale.

Malgré les avancées significatives que représente cet article (création d’un corpus de littérature pertinente, profil quantitatif de ses spécificités, cartographie de ses nœuds conceptuels, et mise en exergue de ses taches aveugles), notre étude reconnaît ses propres limites. Il s’agit notamment de l’accent mis sur des articles anglophones et la dépendance aux travaux préexistants qui privilégient certaines perspectives. Ainsi, des recherches futures devraient envisager une diversification des sources et des langues, ainsi qu’une exploration plus poussée des dynamiques de genre et d’identité dans le jeu vidéo.

L’approche textométrique, quant à elle, a permis de faire ressortir de grandes tendances. Et si le logiciel utilisé à ce titre s’est révélé aussi utile que performant, toute méthode d’analyse doit néanmoins composer avec les contraintes imposées par l’outil sur lequel elle s’appuie, et pour lesquelles il est aussi possible de programmer soi-même ces analyses ou d’utiliser d’autres programmes (voir, par exemple, la liste fournie par Poudat et Landragin, 2017, p. 25). En outre, d’autres méthodes de classification automatique permettraient de confirmer ou de prolonger les résultats présentés ici en vue d’une exploration plus fouillée encore, notamment avec l’analyse arborée proposée par Hyperbase. Dans cette même optique de prolongement et d’affinage des observations, une lecture plus détaillée des phénomènes spécifiques comme les hapax (mots uniques) ou les contextes d’occurrence des termes contribuant le plus à cette répartition de l’AFC permettrait d’affiner cette lecture du corpus, et notamment d’en savoir plus sur les frontières entre les catégories que nous avons identifiées. Enfin, bien qu’elle ne tiendrait pas compte du contenu, une étude bibliométrique (cf. Coavoux et al., 2016) pourrait venir confirmer ou nuancer les regroupements proposés par l’AFC et rendrait plus faciles les comparaisons entre différentes langues.

Il est donc clair que notre approche présente les qualités et les défauts de travaux émergents tels qu’appelés par ce numéro : elle est innovante, mais reste à affiner techniquement. Elle doit aussi se poursuivre dans le temps : il serait bénéfique à l’avenir de continuer le travail d’identification : d’une part dans la durée, en tenant compte d’évolutions en cours et pressenties en rapport avec la littératie et le jeu vidéo (Bacalja et al., sous presse); d’autre part dans la profondeur, en y adjoignant une lecture purement humaine, puisqu’une lecture fine rendrait possible l’identification des travaux où les concepts de littératie et de capital ne se disent pas de manière transparente, mais dont les cadres théoriques et les dynamiques d’analyse partagent sans aucun doute une filiation avec ces domaines. Enfin, pour conclure sur les émergences potentielles que pourrait susciter notre travail, il nous semble que celui-ci peut être étendu à tous les domaines des études en littératie médiatique multimodale. En effet, elle combine les avantages de la standardisation et de la vue d’ensemble liées à la revue systématique de la littérature avec la puissance synthétique de l’analyse automatisée, ainsi qu’avec la force suggestive de la visualisation graphique. Nous encourageons donc d’autres chercheur·ses à s’emparer de ces outils pour les confronter à d’autres contextes, hors jeu vidéo, et ainsi tester leur pertinence.

Note des auteurs

L’initiative d’ouvrir explicitement ce numéro aux voix des chercheur·ses émergent·es nous a réjouis lors de l’écriture. À ce moment, nous étions tous trois (post)doctorants, employés dans des contrats à court terme. Durant le temps de publication, nous avons eu la chance incroyable de passer à des statuts (plus) pérennes, quittant ainsi la catégorie des jeunes chercheur·ses. Nous souhaitons passer un message d’espoir à celleux qui sont encore dans ce statut et souffrent peut-être des incertitudes qui y sont liées : parfois, on finit par trouver une place… Mais, l’espoir ne fait pas tout. En inscrivant notre contribution dans ces pages, nous fixons aussi notre solidarité envers nos collègues (encore) précaires. Qu’iels nous contactent pour toute aide ou demande !

Notes
  1. L’affaire Dean Takahashi en constitue un excellent exemple. Dean Takahashi était journaliste spécialisé en économie du jeu vidéo chez VentureBeat, un site Web d’actualités technologiques. Lors de la sortie du jeu CupHead (Studio MDHR, 2017), un jeu particulièrement difficile à prendre en main d’un point de vue technique, une vidéo de Dean Takahashi est parue sur YouTube dans laquelle il ne parvenait pas à dépasser le niveau du tutoriel. S’ensuivit une campagne de harcèlement et de délégitimation du journaliste par la communauté, qui a assimilé son manque de maitrise technique à un manque d’érudition (Perret et Moret, 2023). ↩︎
  2. La notion de paratexte fait référence à tous les éléments qui entourent le jeu lui-même, mais qui ne font pas partie de son contenu ludique principal. Inspirée du concept développé par Gérard Genette (2002, p. 8), qui définit le paratexte dans le domaine de la littérature comme un seuil, une frontière entre l’intérieur du texte et le dehors. Cette notion a été adaptée aux médias numériques et aux jeux vidéo pour souligner l’importance des matériaux et des discours qui préparent, encadrent, ou influencent l’expérience de jeu sans être directement jouables. ↩︎
  3. Bien que nous souhaitions au départ utiliser des logiciels de scraping pour télécharger automatiquement les résumés des articles, puis les articles jugés pertinents à la lecture de ces résumés, nous avons constaté que cette méthode était inaccessible. Dans certains cas, parce que les bases de données n’indexaient pas toujours les résumés ; dans d’autres cas, parce qu’elles étaient dotées de paramètres empêchant le scraping. Nous avons donc dû télécharger les articles un par un, ce qui a ralenti le processus et nous a obligé à nous concentrer sur une portion [nombre / nombre total] des articles renseignés par Google Scholar. ↩︎
  4. À titre d’exemple, une recherche non restreinte sur l’expression gaming capital renseigne de nombreux articles sur la capitale du jeu (d’argent) Las Vegas, sur plusieurs endroits dans le monde ayant pu être considérés comme les capitales du jeu vidéo, ainsi que des considérations juridiques sur la réglementation des capitaux issus du jeu d’argent. ↩︎
  5. Dans un premier temps, nous avons également étendu la recherche à des dénominations non anglophones, nécessairement restreintes par nos propres connaissances : en français, allemand, néerlandais, italien et espagnol. Cependant, nous avons finalement éliminé les quelques articles identifiés par ce moyen avant de procéder à l’analyse. Nous reviendrons sur les raisons de ce choix ainsi que ses conséquences à l’occasion de la discussion des limitations de notre recherche. ↩︎
  6. Il est à noter que nous avons toutefois inclus les actes de colloques, qui constituent un équivalent de la publication par articles dans plusieurs disciplines. Ici également, nous avons éliminé les cas où l’évaluation par les pairs n’était pas certaine. ↩︎
  7. L’indice de spécificité dans l’analyse de corpus est une mesure statistique utilisée pour identifier les mots ou les expressions qui sont particulièrement caractéristiques ou spécifiques à un sous-ensemble d’un corpus par rapport à l’ensemble complet du corpus. L’objectif est de découvrir quelles sont les caractéristiques linguistiques distinctives d’un sous-corpus, en mettant en évidence les termes qui apparaissent avec une fréquence significativement plus élevée dans ce sous-corpus que dans le corpus de référence. ↩︎
  8. Une telle cohérence peut s’expliquer à la fois par une continuité dans les travaux, mais aussi simplement par une volonté des chercheur·ses ultérieur·res de mentionner précisément l’origine du concept utilisé. Dans la même intention, nous remercions le relecteur qui a porté cette deuxième possibilité à notre attention ! ↩︎
  9. Puisqu’il s’agissait de comparer des termes avec l’usage courant, les termes n’ont pas été lemmatisés. ↩︎
  10. L’analyse factorielle de correspondances (AFC) est une méthode statistique qui sert à examiner et à représenter graphiquement les liens entre les catégories de deux variables qualitatives, habituellement présentées dans un tableau récapitulatif. Le but principal de l’AFC est de convertir ces informations catégorielles complexes en un schéma de points situés dans un espace à moins de dimensions (généralement deux ou trois), rendant ainsi leur analyse visuelle plus intuitive. Cette transformation révèle des configurations cachées dans les données, comme des groupements de catégories semblables ou des relations spécifiques entre les catégories des deux variables étudiées (Vanni, 2024). ↩︎
  11. Outre la lemmatisation, nous avons également procédé à la suppression manuelle (peeling) de scories liées à la reconnaissance automatique des caractères, ainsi qu’au réglage de paramètres pour une visibilité optimale des tendances. Nous avons finalement opté pour un échantillon des 200 lemmes les plus représentés dans le corpus, avec une fenêtre contextuelle de 20 mots. ↩︎
  12. La séparation de « cheat » et « cheating » semble être due à une erreur de la lemmatisation automatique. Par ailleurs, la présence importante de l’action de ces références à la triche est sans doute liée à la primauté des recherches de Consalvo sur la triche vidéoludique, que nous avons prise comme prémisse de notre travail. ↩︎
  13. Pour le moment, en effet, seul le lemme « gamer » semble être proche d’autres sous-ensembles. On sait à ce propos l’aspect cristallisant de l’appellation et de la reconnaissance en tant que gamer comme marqueur d’identité – parfois dans une perspective d’exclusion de catégories minorisées, comme l’a montré la polémique du Gamergate (voir Todd, 2015). ↩︎
  14. Pour en revenir à la regrettable erreur de lemmatisation ci-dessus : l’alter ego de « cheat », « cheating », s’en sort à peine mieux, ce qui ne remet donc pas en cause notre argumentation. ↩︎
  15. Les trophées dans le monde du jeu vidéo sont des récompenses virtuelles que l’on peut gagner en accomplissant des tâches spécifiques ou en atteignant certains objectifs au sein d’un jeu. Ces trophées, souvent hiérarchisés par niveaux de difficulté (par exemple, bronze, argent, or et parfois platine), servent à marquer les progrès des joueur·ses dans la complétion d’un jeu donné. ↩︎
  16. Pourtant, certaines recherches montrent un rapport entre les vidéo en ligne de parties de jeux vidéo et l’apprentissage informel chez les jeunes, par exemple (Contreras-Espinosa et Scolari, 2019). ↩︎
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