Dès son tout premier volume, publié en 2015, la Revue de recherches en littératie médiatique multimodale, maintenant intitulée Multimodalité(s), revue de recherches en littératie médiatique multimodale, se voulait un lieu de rassemblement des multiples voix intéressées à la multimodalité, à sa culture et à son omniprésence au quotidien et, surtout, aux bouleversements du milieu éducatif et de ses certitudes qu’elle confronte. Il n’est donc pas surprenant que la revue soit devenue l’un des terrains où s’est consolidé le champ de la recherche en littératie contemporaine, littératie foncièrement multimodale (plurisémiotique) et numérique, déployant des horizons réflexifs variés quant à l’éducation, la didactique, la linguistique, la sémiotique, la philosophie, l’éducation aux médias, la communication, les arts visuels et médiatiques, la littérature, le théâtre, le cinéma, la musique, les sciences humaines et sociales, les sciences de l’information, les technologies éducatives, etc. Ce sont d’ailleurs les dernières décennies de pratique et de recherche dans divers domaines et milieux qui ont contribué à l’éclatement des cadres originels de la multimodalité (Kress, 1997 et 2010; Kress et Van Leeuwen, 2006), faisant en sorte qu’elle « peut aujourd’hui se définir au pluriel – multimodalité(s) – puisqu’elle touche à la fois aux dimensions sémiotiques, sensorielles, matérielles, spatiales et temporelles des pratiques de culture, de création et de communication. » (Multimodalité(s), 2023)
Considérant l’étendue des travaux couverts par la revue Multimodalité(s) jusqu’à maintenant, pour le volume 20, les directrices invitées ont voulu offrir aux personnes chercheuses émergentes l’opportunité de présenter les prochains horizons de la recherche en littératie médiatique multimodale (LMM). Le présent volume, État des lieux et perspectives de la recherche en littératie médiatique multimodale : place aux chercheur·euses émergent·es, invite donc les personnes lectrices à découvrir les recherches d’une pluralité de nouvelles voix qui constituent ce futur. En effet, les articles qui composent ce 20e volume permettent de témoigner de la grande diversité des recherches menées par des étudiant·es à la maitrise, des doctorant·es, des postdoctorant·es ou de récent·es diplômé·es. Cette diversité se reflète de multiples façons : tant dans les domaines de recherche et les thèmes abordés que dans les méthodes de recherches employées et le recours à la LMM ou sa mise en œuvre.
Plusieurs des articles proposés se rattachent, mais ne se limitent pas, au grand domaine de l’éducation. Ces articles abordent des thèmes variés comme l’enseignement de la littérature à partir du jeu vidéo, l’apprentissage d’une langue seconde à l’aide de la marionnette, le développement d’outils numériques multimodaux pour l’école et la classe de français, la théorisation d’une approche de l’agir critique en contexte de production médiatique multimodale, l’étude de la compréhension d’informations consultées en ligne lors d’une tâche de littératie informationnelle et l’enseignement-apprentissage des compétences fictionnelles multimodales. À l’image des travaux en LMM (Lebrun et al., 2012a) et en multimodalité (Jewitt, 2009; Kress, 1997 et 2010), nous notons ici une continuité de la place de la LMM et de la multimodalité dans les domaines de recherche rattachés à l’éducation (Lebrun et al., 2012b). D’ailleurs, la LMM puisant en partie ses origines dans la didactique du français (Lacelle et al., 2017), c’est sans surprise qu’une majorité des études présentées dans ce volume s’inscrivent de près ou de loin dans ce champ de recherche. À cela s’ajoutent des articles portant sur l’étude de la mobilisation du concept de capital vidéoludique dans la littérature scientifique anglophone, la traduction et la localisation de séquences de simulation de classe dans un jeu vidéo, ce qui n’est pas sans rappeler que la multimodalité a été et est encore largement étudiée en sémiotique et en sémiotique sociale (Kress, 2010).
Par ailleurs, les recherches présentées dans les articles de ce volume couvrent un large spectre de méthodologies de recherche. En nous basant sur la « Classification typologique des différents types de recherche d’intérêt pour les chercheurs en LMM » de Lacelle, Boutin et Lebrun dans leur ouvrage La littératie médiatique multimodale appliquée en contexte numérique – outils conceptuels et didactiques (2017, p. 156), il est possible de situer les recherches « impliquant le recours, proche ou éloigné, à la [LMM] » (Lacelle et al., 2017, p. 156) selon leur caractère fondamental ou appliqué. Parmi les articles du volume 20, nous retrouvons, du côté de la recherche fondamentale, deux recherches théoriques et, du côté de la recherche appliquée, une recherche-action, deux recherches-développements et une étude de cas multiples. À cela s’ajoutent d’autres types de recherche ne figurant pas dans la classification proposée par Lacelle et al., 2017 : une analyse textométrique, une recherche de type qualitative descriptive et une analyse de corpus. Bien qu’il s’agisse d’une seule forme de classification des avenues méthodologiques des recherches présentées dans ce volume – et que bien d’autres seraient possibles –, elle donne à voir l’éventail des choix méthodologiques opérés par les personnes chercheuses émergentes pour répondre à leurs objectifs de recherche et étudier la LMM et la multimodalité.
Il est d’ailleurs intéressant de voir comment les personnes chercheuses émergentes s’approprient la multimodalité et la positionnent au cœur ou en filigrane de leurs objets d’études, ou, comme le nomment Lacelle et al. (2017, p. 149), comment elles ont « recours » à la LMM dans leur projet. Objet, sujet, fondements théoriques, types de données, méthodes d’analyses, résultats, productions et plus encore, l’étendue de ces recours dans ce volume est vaste.
Devant la variété des propositions, les textes ont été organisés selon un fil de lecture, partant du domaine de la sémiotique allant jusqu’au développement d’outils multimodaux. Nous présentons ci-dessous les neuf articles qui composent ce volume. Ce volume s’ouvre avec l’article de Pierre Gabriel Dumoulin qui présente une étude de la traduction et de la localisation de scènes de salle de classe et d’enseignement dans un jeu vidéo de rôle japonais. À l’aide d’une analyse de corpus mixte, iel s’intéresse aux enjeux sémioéthiques derrière la localisation des réseaux sémiotiques spécifiques à une culture ou à une langue donnée. Plus particulièrement, l’auteur·rice étudie les différences entre les localisations et les écarts engendrés par ces différences pour questionner les effets qu’ils peuvent engendrer au moment de la réception et de l’interprétation du jeu vidéo.
Le second article rédigé par Pierre-Yves Houlmont et Benoit Dupont s’intéresse au capital vidéoludique et présente une analyse textométrique de la mobilisation de ce concept dans les écrits scientifiques francophones. Par l’entremise d’une analyse factorielle des correspondances, les auteurs viennent mettre en évidence l’évolution de la littératie et surtout sa proximité avec le capital vidéoludique. En plus de dégager les grandes tendances où s’allient capital et littératie vidéoludique, cette étude présente des perspectives de recherches futures dans des disciplines encore en émergence, mais aussi dans le domaine de l’éducation.
Chloé Goducheau-Damais, Amélie Lemieux et Christian Ehret, signataires du troisième article, se sont intéressé·es à leur tour au potentiel des jeux vidéos dans le cadre de l’enseignement de la littérature numérique au secondaire. Pour répondre à leur objectif de recherche, les personnes autrices ont utilisé une revue rapide de la littérature francophone et ont ainsi pu mettre en lumière le potentiel des jeux vidéos à valeur narrative, de par leurs codes, leur multimodalité inhérente, leur agentivité, ainsi que leur potentiel d’engagement fictionnel, et leur possible transposition en contexte scolaire pour éduquer au jeu.
Pour sa part, le quatrième article, écrit par Florian Hameau, Ney Wendell et Rosalie Ricard, propose de documenter l’implémentation d’ateliers de marionnettes dans des classes d’accueil au primaire au Québec et d’en décrire les retombées sur le développement des habiletés langagières des élèves allophones. Cette recherche-action de type qualitative s’intéresse aux enjeux de la communication orale en langue seconde, au rôle de l’affect dans ces situations de communication et au soutien que l’art dramatique, et plus particulièrement l’objet multimodal de la marionnette, permet quant à l’apprentissage d’une nouvelle langue.
Rédigé par Cécile Couteaux, le cinquième article aborde l’enseignement-apprentissage des compétences fictionnelles multimodales au moyen d’un projet de contée avec des élèves de collège (6e année). À l’aide des écrits de travail préparatoire, des productions fictionnelles multimodales réalisées par trois groupes d’élèves et de leurs bilans réflexifs, l’autrice entreprend une analyse qualitative descriptive pour étudier la façon dont sont mobilisées les compétences « construire un univers fictionnel cohérent », « mettre en intrigue et en scène l’histoire », « articuler les différents modes sémiotiques » et « développer sa réflexivité par et sur la création et la réception ».
Dans le sixième article de ce volume, Joannie Pleau nous amène du côté de la littératie informationnelle et présente une étude multicas menée auprès d’élèves de 6e année du primaire. Sa recherche porte sur les compétences de navigation, d’évaluation et d’intégration mises en relation lors d’un processus autorégulé de compréhension d’informations consultées en ligne dans le cadre d’une tâche de littératie informationnelle réalisée par des lecteur·rices internautes. L’article se conclut par une hypothèse de profils de lecteur·rices internautes.
Julia Bihl propose ensuite la théorisation d’une approche de l’agir critique en puisant ses ancrages théoriques, notamment dans les études en littératie critique et sur l’agir compétent, situant ainsi sa recherche dans les grands champs de la littératie médiatique et de l’éducation aux médias. Elle présente sa démarche d’élaboration de critères d’évaluation de l’agir critique en exemplifiant sa démarche à partir d’une situation de production médiatique multimodale à visée informative. L’autrice décrit aussi les différents critères d’évaluation, qui mettent l’accent sur l’évaluation de l’information et la pragmatique de la communication.
Ce volume de Multimodalité(s) se termine par deux articles de recherche-développement mobilisant la multimodalité dans le développement de leur outil. Justin Taschereau présente le développement d’un dispositif participatif, prenant ici la forme d’un site Web, qui a pour but l’implantation d’une démarche de consultation et de délibération sur l’intégration pédagogique du numérique en enseignement privé au secondaire. En se focalisant sur la phase de mise à l’essai fonctionnelle, soit la validation par un comité d’experts (Harvey et Loiselle, 2009), la personne autrice propose comme résultats de recherche une description du prototype du dispositif participatif initial et sa version finale.
Enfin, c’est du développement d’un outil numérique d’autorégulation en correction textuelle destiné à des élèves de 5e secondaire dont traite Alexandra Beaudoin dans le dernier article du volume. Elle présente les quatre mises à l’essai de l’outil en classe de français ainsi que les modifications apportées à ce dernier. L’article se termine par une description des caractéristiques dites essentielles de l’outil de correction textuelle et de trois constats découlant de la démarche de développement de cet outil, dont celui que les différents modes sémiotiques composant l’outil contribueraient à l’engagement de l’élève dans la dynamique d’autorégulation.
Ce volume est né d’une idée lancée par trois doctorantes qui souhaitaient donner une couleur toute particulière à cette 20e édition de la revue Multimodalité(s) : un volume par et pour les personnes chercheuses en émergence. Ce volume joue donc deux rôles importants dans le parcours des personnes, autrices ou rédactrices, qui y ont travaillé : il permet la diffusion de travaux de recherche de personnes chercheuses émergentes en plus de contribuer fortement à la formation de ces mêmes personnes. Certaines personnes autrices ont même changé de statut entre l’appel de textes et le lancement du volume (de personne étudiante à la maitrise à celui de personne étudiante au doctorat, ou encore, de personne étudiante à professeur·e); pour d’autres, il s’agissait d’une première expérience de publication scientifique. Pour nous, en tant que directrices invitées, il s’agissait également d’une première expérience en la matière. C’est pourquoi nous remercions le comité de direction de la revue pour son ouverture à cette proposition « folle » et son soutien et son engagement envers la relève en recherche.
Harvey, S. & Loiselle, J. (2009). Proposition d’un modèle de recherche développement. Recherches qualitatives, 28(2), 95‑117.
Jewitt, C. (Éd.). (2009). The Routledge Handbook of Multimodal Analysis (1re éd.). Routledge.
Kress, G. (2010). Multimodality: A Social Semiotic Approach to Contemporary Communication. Routledge.
Kress, G. (1997). Before Writing. Rethinking the Paths to Literacy (1re éd.). Routledge.
Kress, G. & Van Leeuwen, T. (2006). Reading Images: The Grammar of Visual Design (2e éd.). Routledge.
Lacelle, N., Boutin, J.-F. & Lebrun, M. (Éds.). (2017). La littératie médiatique multimodale appliquée en contexte numérique, LMM@ : Outils conceptuels et didactiques. Presses de l’Université du Québec.
Lebrun, M., Lacelle, N. & Boutin, J.-F. (2012a). Genèse et essor du concept de littératie médiatique multimodale. Mémoires du livre/Studies in Book Culture, 3(2). https://doi.org/10.7202/1009351ar
Lebrun, M., Lacelle, N. & Boutin, J.-F. (Éds.). (2012b). La littératie médiatique multimodale : De nouvelles approches en lecture-écriture à l’école et hors de l’école. Presses de l’Université du Québec.
Multimodalité(s) (2023). À propos. Multimodalité(s). https://revuemultimodalites.com/a-propos
Multimodalité(s) se veut un lieu de rassemblement des voix de toutes les disciplines qui s’intéressent à la littératie contemporaine.
ISSN : 2818-0100
Multimodalité(s) (c) R2LMM 2023
Site web Sgiroux.net