Dans le cadre de ce volume thématique, les personnes lectrices sont invitées à découvrir la littératie multimodale en contexte d’éducation préscolaire. La littératie multimodale, en référence à la littératie contemporaine, renvoie aux compétences qui permettent de « lire » le monde – analogique et numérique qui nous entoure (réception) – et à l’interaction avec ce dernier (production). À l’éducation préscolaire, elle peut prendre différents visages. Elle rejoint notamment les activités qui ont recours aux mots, à l’image (p. ex., illustrations, pictogrammes), au son (p. ex., musique, rythme, sonorité, histoire à écouter) ou même au corps et aux mouvements (danse, yoga, expressions corporelles et faciales). La variété des supports utilisés par les enseignant·e·s à l’éducation préscolaire (p. ex., albums de littérature jeunesse, mots-étiquettes imagés, comptines et chansons, tableau numérique interactif) témoigne des multiples modes de communication exploités au quotidien pour soutenir le développement et les apprentissages de l’enfant.
Parmi les éléments d’observation présentés dans le Programme-cycle de l’éducation préscolaire (MEQ, 2023), plusieurs impliquent que l’enfant soit confronté à différents modes de communication et qu’il ait à interagir avec ces derniers. À titre d’exemple, l’enfant aura à « se situer dans l’espace par rapport à des objets ou à une personne » (MEQ, 2023, p. 22), « reconnaître des émotions » (MEQ, 2023, p. 30), « reconnaître les éléments d’une situation conflictuelle » (MEQ, 2023, p. 38), « démontrer par ses actions qu’il comprend les messages oraux » (MEQ, 2023, p. 42) ou « observer une œuvre d’art ou un extrait d’œuvre théâtrale et exprimer une émotion ressentie » (MEQ, 2023, p. 51).
Ce volume a été l’occasion de réunir des articles issus d’études scientifiques, mais également des articles de type documentation de pratiques (4P), sous trois axes directement liés à la littératie multimodale à l’éducation préscolaire : 1) soutenir le développement et les apprentissages de l’enfant par la littérature jeunesse et les mots; 2) soutenir le développement et les apprentissages de l’enfant par le numérique et 3) soutenir le développement et les apprentissages de l’enfant par le corps et le mouvement. Les onze articles réunis dans ce volume 19 de Multimodalité(s) offrent la possibilité d’explorer différentes manières de soutenir le développement et les apprentissages de l’enfant d’âge préscolaire par les mots, l’image, le son, le corps et le mouvement.
Au moyen des albums de littérature jeunesse, l’enfant d’âge préscolaire peut interpréter différents modes de communication linguistiques, visuels et sonores (les mots, l’image, le son). En guise d’exemple, il peut reconnaître des lettres de l’alphabet, voire certains mots dans un album narratif, « lire » les images d’un livre documentaire pour bonifier sa compréhension ou tourner la page d’un livre audio quand un son précise le moment. En contexte de lecture interactive ou indiciaire, il peut chercher des indices dans les images, démontrer sa compréhension du texte lu par l’enseignant·e, inférer des informations implicites ou le sentiment éprouvé par un personnage en fonction du contexte. Dans le cadre de l’exploitation d’un livre sonore, d’un livre audio ou d’un livre numérique, l’enfant peut aussi être amené à interagir et à interpréter des éléments sonores et visuels. Par ailleurs, les expériences d’écriture spontanées que l’enfant est susceptible de vivre en exploitant le matériel d’écriture mis à sa disposition au sein d’une classe judicieusement aménagée par son enseignant·e l’amènent à mobiliser des compétences multimodales propres à la simultanéité de l’utilisation des codes (Martel, 2018). En effet, il a ainsi l’occasion de « traduire » un message oral en langage écrit en s’initiant aux codes de la langue écrite et à la magie des mots.
Le premier article du numéro écrit par Myriam Villeneuve-Lapointe et Annie Charron s’intitule Pratiques enseignantes employant la littérature jeunesse dans une perspective multimodale à l’éducation préscolaire 4 ans et aborde le recours à la littérature jeunesse dans une optique de multimodalité. Elles présentent des observations réalisées en classe qui ont permis de documenter, par la prise de notes et des photographies, la mise en œuvre de pratiques enseignantes inspirantes employant la littérature jeunesse dans une perspective multimodale. Le deuxième article rédigé par Monica Boudreau, Isabelle Beaudoin, Julie Mélançon, Hélène Beaudry et Marie-Hélène Hébert prend la forme d’une documentation de pratiques. Les autrices partagent les pratiques pédagogiques d’une enseignante qui a su exploiter le rôle des mots (mode textuel), des sons (mode sonore) et des images (mode visuel) pour soutenir le développement de la littératie des jeunes enfants de sa classe de maternelle 4 ans. Dominic Anctil et Aya Bouebdelli, signataires du troisième article, se sont intéressés à la place de la multimodalité dans les activités de consolidation de vocabulaire proposées par des enseignantes de l’éducation préscolaire 5 ans œuvrant en milieux défavorisés. Pour sa part, le quatrième article intitulé Musiquer en ayant recours aux livres jeunesse à l’éducation préscolaire : développement d’une grille d’analyse des livres jeunesse qui traitent de la musique, écrit par Rachel Deroy-Ringuette et Aimée Gaudette-Leblanc, présente les différentes étapes qui ont permis l’élaboration d’une grille d’analyse des livres jeunesse à l’éducation préscolaire. Tenant compte de critères musicaux et littéraires, cette grille pourra servir à la fois aux personnes chercheuses qui souhaitent décrire les livres des bibliothèques des classes de l’éducation préscolaire et aux personnes enseignantes à l’éducation préscolaire qui souhaitent être soutenues dans leur sélection de livres pour musiquer avec les enfants.
Le concept même de littératie a beaucoup évolué au cours des dernières années étant donné l’essor fulgurant des technologies de la communication et de l’information (Lacelle et al., 2017; MEO, 2013; Moreau, 2020). L’équipe de recherche en Littératie Médiatique Multimodale aborde même cette réalité comme un éclatement des modes de communication qui a transformé le sens que l’on attribue à la littératie. Dans les contextes multimodaux et numériques d’aujourd’hui, le recours aux technologies de l’information et de la communication (TIC) en classes d’éducation préscolaire, que ce soit lors de l’utilisation du TNI, des tablettes électroniques ou d’outils de robotique, est répandu et témoigne de l’importance d’aborder la littératie multimodale sous l’angle du numérique, ce que font les articles liés à ce deuxième axe du présent volume.
Le cinquième article, intitulé La littératie multimodale à l’éducation préscolaire grâce à la création de balados sur la tablette numérique, présenté sous la forme d’une documentation de pratiques, a été écrit par Isabelle Therrien et Natalie Aubry. Elles y rendent compte de l’expérimentation d’un projet de création de balados avec des enfants à l’éducation préscolaire 5 ans. Guidés par leur enseignante et une conseillère pédagogique, les enfants ont produit des œuvres multimodales (texte – images – narration) à la hauteur de leurs habiletés de lecteurs et de scripteurs émergents. Rédigé par Gabriel Kappeler, Laurent Bolli et Jérémie Passeraub, le sixième article aborde l’intégration de matériel numérique débranché en contexte de jeu libre. Ils proposent une analyse exploratoire basée sur une expérience menée dans quatre classes des deux premières années de la scolarité en Suisse francophone. Durant des sessions de jeu libre, les enfants disposaient de matériel numérique débranché. L’intégration de ce matériel a permis la modernisation des scénarios classiques en adéquation avec le contexte du XXIe siècle et une globalisation accentuée des scénarios traditionnels. Le septième article a été écrit par Elisabeth Jacob, Annie Charron et Joanne Lehrer. Cet article aborde la documentation pédagogique, une forme de littératie multimodale pouvant être exploitée en classes d’éducation préscolaire. Leur recherche collaborative menée avec une enseignante de maternelle 5 ans a permis de capter, à partir de panneaux de documentation pédagogique, la pensée, les actions et les apprentissages des enfants lors des jeux libres et de comprendre la manière dont l’enseignante donne du sens à leurs apprentissages en discutant avec eux lors du partage de ces panneaux.
Selon Azoui (2021), la multimodalité concerne tous les modes de communication, y compris ceux qui relèvent des gestes ou de l’organisation spatiale. Le corps en soi constitue un outil de communication en ce sens qu’il y a de vastes « différences dans la manière de porter le corps, de se porter, de se comporter où s’exprime le monde social » (Bourdieu, 1977, p. 51). Cette compréhension de la communication par le corps se révèle essentielle autant en contexte de production que de réception. De multiples exemples peuvent illustrer cette communication par le corps : un enfant d’âge préscolaire peut avoir à « lire » le visage d’un pair pour inférer l’émotion éprouvée par ce dernier. Dans la même veine, un enfant allophone peut avoir à utiliser le geste pour se faire comprendre par ses pairs en contexte de jeux libres. De plus, en contexte de jeux extérieurs, il peut être amené à analyser l’environnement naturel dans lequel il joue de manière à prendre des risques éclairés. Il peut également s’exprimer par le mouvement en contexte de danse créative.
Joane Deneault, Charlaine St-Jean et Sara Bouchard sont les responsables du huitième article intitulé Lire la forêt avec des yeux d’enfants : une lecture multimodale au service du développement global. Celui-ci expose, sous la forme d’une documentation de pratiques, un projet pédagogique en milieu universitaire visant, d’une part, à former des futur·e·s enseignant·e·s à l’éducation préscolaire à l’observation des enfants de quatre et cinq ans, filmés lors de sorties en nature et, d’autre part, à analyser leur potentiel de développement. Le texte soulève la complexité pour la personne enseignante de juxtaposer la lecture multimodale que font les enfants de la nature avec une lecture du potentiel développemental que chaque enfant lui donne à voir dans ce contexte. La richesse des routines rythmiques est ensuite abordée par Andrée Lessard et Loïc Pulido dans le neuvième article. Également sous la forme d’une documentation de pratique, l’article décrit les activités et leur processus de cocréation, en expliquant entre autres comment ils combinent à la fois des images, des sons et du mouvement avec plusieurs parties du corps. Les retombées mesurées et celles perçues par les enseignantes y sont exposées. Charlaine St-Jean, Naomie Fournier Dubé, Marilyn Dupuis-Brouillette, Patricia Vohl et Johanne April présentent le dixième article, soit L’enfant au cœur d’activités de raisonnement spatial : bonification du vocabulaire, des représentations mentales et des mouvements. Les autrices y décrivent les pratiques éducatives langagières, liées à la littératie médiatique multimodale, de cinq personnes enseignantes à l’éducation préscolaire permettant de développer des habiletés liées au raisonnement spatial des enfants. Les pratiques mises en évidence émergent d’un entretien de groupe mené auprès des personnes enseignantes participantes ainsi que d’observations réalisées au sein de chacune de leurs classes. Ce troisième axe se conclut par un onzième article scientifique rédigé par Marie-Andrée Pelletier et intitulé La prise en compte de la conscience de soi de l’enseignant·e pour soutenir le développement et les apprentissages socio-émotionnels de l’enfant d’âge préscolaire. Comme il est complexe pour un jeune enfant d’exprimer et de lire les émotions des autres, l’adulte qui l’accompagne peut le soutenir par sa propre manière d’être, de bouger, de parler. Cette étude aborde la perception de 16 enseignantes à l’égard du rôle que peut jouer leur propre conscience de soi pour les apprentissages socio-émotionnels des enfants.
Au terme de ce volume sur la littératie multimodale en contexte d’éducation préscolaire, il en ressort que les personnes enseignantes peuvent mettre en place un large éventail d’activités de littératie multimodale avec les enfants. L’utilisation des mots, de l’image, du son, du corps et du mouvement dans le cadre des différents contextes d’apprentissage contribue ainsi à soutenir de façon harmonieuse le développement et les apprentissages de l’enfant d’âge préscolaire.
Azaoui, B. (2021). Former les apprenants à lire les images du corps de l’enseignant : réflexions sur une dimension oubliées des compétences multimodales en réception. Revue de Recherches en Littératie Médiatique Multimodale, 13(1).
Bourdieu, P. (1977). Remarques provisoires sur la perception sociale du corps. Actes de la recherche en sciences sociales, 14(1), 51-54.
Ministère de l’Éducation. (2023). Programme-cycle de l’éducation préscolaire. https://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/education/jeunes/pfeq/Programme-cycle-prescolaire.pdf
Ministère de l’Éducation de l’Ontario (2013). Mettre l’accent sur la littératie. Six principes fondamentaux pour améliorer la littératie de la maternelle à la 12e année. Toronto : Imprimeur de la Reine pour l’Ontario. https://www.edu.gov.on.ca/fre/literacynumeracy/paying_attention_literacy_fr.pdf
Moreau, A. C., Lacelle, N., Ruel, J. et Messier, G. (2020). Proposition d’une conceptualisation coconstruite de la littératie : résultat d’une recherche-développement. Les dossiers des sciences de l’éducation 43, 47-61. http://journals.openedition.org/dse/4298; DOI : https://doi.org/10.4000/dse.4298
Multimodalité(s) se veut un lieu de rassemblement des voix de toutes les disciplines qui s’intéressent à la littératie contemporaine.
ISSN : 2818-0100
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