Cet article, qui prend la forme d’une documentation de pratique, rend compte d’un projet de cocréation issu d’une recherche-design en littératie médiatique multimodale (LMM) : la création en classe d’une bande dessinée à caractère historique (BD-US). Au cours de ce projet, des élèves de la 6e année du primaire ont produit une œuvre multimodale (texte – images) afin d’en apprendre davantage 1) sur la période historique des années 1900 à 1960 et 2) sur la réalisation complète d’une planche de bande dessinée. Dans le cadre de cet article, nous présentons ce projet de cocréation selon l’approche des 4P (portrait du milieu, processus de cocréation, projet, production). Nous terminons en identifiant plusieurs constats. Parmi eux, nous identifions la motivation que le projet a suscitée chez les élèves ainsi que le développement de plusieurs éléments de compétences en univers social et en LMM : décodage et lecture critique de documents composés d’images, recherche documentaire, réception/production d’informations sémiotiques en combinant du texte et des images.
This article, which takes the form of a documentation of practices, reports a co-creation project resulting from a multimodal literacy research-design: the creation of a comic book in class with a historical character. During this project, 6th grade elementary school students produced a multimodal work (text-images) to learn about 1) the 1900-1960 historical period and 2) the complete realization of a comic book. In this article, we present this co-creation project according to the 4Ps approach (portrait of the environment, process of co-creation, project, production). We conclude by presenting several observations. Among these, we identify students’ motivation stimulated by the project and the development of multimodal literacy and several social universe skills: decoding and critical reading ofdocuments made of images, literature research, reception/production of semiotic information by combining text and images.
Cet article, qui prend la forme d’une documentation de pratique, présente un projet novateur cocréé par une équipe de recherche et un enseignant de sixième année du primaire : la création d’une bande dessinée à caractère historique en univers social (BD-US). Au cours de ce projet, alliant les domaines de l’univers social, des arts plastiques et de la communication langagière, les élèves ont créé des planches de bande dessinée (BD) mettant en scène un moment historique s’étant déroulé entre 1900 et 1960. Afin de bien représenter leur scène historique, ils ont dû se documenter sur l’époque à l’étude et concevoir, au préalable, un portfolio numérique d’inspiration dans lequel ils pouvaient intégrer des photos, des informations textuelles trouvées sur Internet, des vidéos, etc.
Ce projet de cocréation BD-US s’inscrit dans une plus large recherche menée en littératie médiatique multimodale (LMM), laquelle visait, entre autres, la création et la documentation de situations d’apprentissage en contexte numérique permettant de former les élèves à la recherche documentaire et à la création artistique1. Le projet BD-US, qui intègre à la fois une dimension multimodale et critique de la réception et de la production, s’inscrit de plus dans une approche résolument contemporaine de l’enseignement/apprentissage de l’univers social en classe du primaire.
Afin de décrire ce projet hautement collaboratif, nous nous appuyons sur quatre principes directeurs de la cocréation, soit l’approche dite des 4P (portrait du milieu, processus de cocréation, projet, production) issue de recherches antérieures menées par l’équipe de la Chaire de recherche en littératie médiatique multimodale (Lacelle et al., 2019; Richard et Lacelle, 2020). Dans une première partie, nous présentons une mise en contexte du projet; celle-ci est suivie d’une deuxième partie, plus descriptive, consacrée à la présentation du projet autour des 4P. La troisième partie se veut un retour interprétatif sur l’expérience vécue. Des hyperliens ajoutés dans ce texte permettent au lecteur ou à la lectrice de consulter des productions d’élèves et des documents utilisés lors de la réalisation du projet en classe.
En éducation, on assiste, depuis plusieurs années, à des avancées technologiques et numériques spectaculaires. L’accès à des textes multimodaux sur des supports technologiques variés a littéralement transformé les pratiques communicationnelles des jeunes au quotidien. Lire et écrire présuppose maintenant la maîtrise de compétences autres que linguistiques et une posture critique essentielle (Roberge, 2018). Or, comme le soulignent Lacelle et Lebrun (2014), un enseignement formel est nécessaire afin que les jeunes développent des compétences et des habiletés en LMM. Il n’est toutefois pas aisé pour les enseignants de mettre en place des pratiques éducatives s’harmonisant aux modes de communication (réception/production) des jeunes en contexte numérique. Pour remédier à cette situation, une recherche en LMM, visant à former les apprenants à la recherche documentaire et à la création artistique, a été mise sur pied. Celle-ci a pour titre La littératie médiatique multimodale appliquée en contexte numérique pour former les apprenants à la recherche documentaire et à la création artistique2.
L’un des objectifs poursuivis par cette recherche était de concevoir, en cocréation avec des praticiens et des élèves, des dispositifs didactiques alliant recherche documentaire et création artistique en tenant compte des compétences en LMM développées en contextes numériques scolaire (entre autres, en classe d’univers social) et extrascolaire. Même si les jeunes utilisent au quotidien différents outils technologiques pour se divertir ou pour communiquer, il importe en effet de les former afin qu’ils développent des compétences plus spécifiques afin, par exemple, de réaliser de la recherche documentaire à l’aide des technologies numériques.
La recherche dont il est question dans le présent article s’appuie sur les principes issus de la recherche-design (Design-Based Research; DBR) en éducation. Les objectifs de la DBR sont pragmatiques, puisque les résultats issus de cette méthodologie de recherche permettent de concevoir des dispositifs technopédagogiques et d’éclairer la pratique (Sanchez et Monod-Ansaldi, 2015). Selon les principes véhiculés par la DBR, c’est par un travail collaboratif de cocréation entre des chercheurs et des praticiens et, surtout, grâce à leurs interactions, que devraient être coconstruits des dispositifs pouvant ensuite être expérimentés en classe (Boutin et Lacelle, 2017; Sanchez et Monod-Ansaldi, 2015).
Le projet BD-US. Si les élèves baignent dans un univers visuel, notamment grâce aux technologies numériques, ceux-ci ne possèdent pas toujours les habiletés de décodage et de compréhension de l’image leur permettant de les évaluer et de les analyser de façon critique (Lebrun, 2015). Le projet BD-US constitue de fait une démarche d’ingénierie didactique permettant, entre autres, de former les élèves à ce que Lebrun (2015) appelle la « littératie visuelle ». Ce concept, qui vient enrichir celui de la LMM, invite à intégrer dans le curriculum scolaire des situations d’enseignement et d’apprentissage par lesquelles les élèves doivent recevoir et produire des images, les manipuler, les analyser, expérimenter des logiciels d’images et réaliser diverses activités basées sur l’image (Lebrun, 2015). Ultimement, il est souhaité que les élèves comprennent et maîtrisent l’image comme véhicule de transmission du sens.
Dans le cadre du projet de cocréation BD-US, c’est l’enseignant qui a d’abord choisi de mettre sur pied, avec le soutien de l’équipe de recherche, un projet en univers social au cours duquel ses élèves seraient invités à produire des planches de BD à caractère historique. Considérant que le domaine de l’univers social au primaire se prêtait bien au déploiement des compétences en LMM, entre autres, en littératie visuelle (Martel et Sala, 2018), l’équipe de cocréation s’est par la suite assuré de mettre en œuvre dans la classe un projet assurant le développement de compétences de réception/production de l’image (analogique et numérique) comme mode de compréhension du monde d’hier et d’aujourd’hui. De même, l’équipe a conçu un projet qui assurerait le développement de compétences de recherche en univers social (Martel, 2018) et qui interpellerait, au moins partiellement, des dimensions de l’empathie historique (Peck, 2021; Seixas, 1996) grâce à laquelle les élèves pourraient utiliser des preuves et leur imagination pour engager leur raisonnement historique (Endacott et Brooks, 2018).
Le projet BD-US s’est déroulé à l’école Saint-Jean-Baptiste dans une classe de sixième année du primaire. La classe regroupait 23 élèves, soit 15 filles et 8 garçons. L’école Saint-Jean-Baptiste, école publique faisant partie du Centre de services scolaire de la Capitale, accueille 321 élèves de la maternelle à la sixième année du primaire. Elle se situe dans un milieu urbain moyennement favorisé3. L’école, baignant dans un riche milieu culturel, met l’accent sur le développement de la sensibilité artistique. Lors de la réalisation du projet avec les élèves, ces derniers avaient accès à un laboratoire informatique et à une flotte de tablettes numériques (iPad). Malgré la présence de ces ressources, il pouvait toutefois être difficile pour l’enseignant ayant participé à la présente recherche d’avoir accès facilement à ces outils. Il devait les réserver, ce qui n’était pas toujours évident lorsque, par exemple, une période de travail était planifiée à la dernière minute. Dans un autre ordre d’idées, l’école se situe tout près d’une bibliothèque publique du réseau de la ville de Québec; il est donc assez facile pour les enseignants de s’y rendre avec leurs élèves.
Pour ce projet de cocréation, l’équipe se composait de l’enseignant, coauteur de cet article, de ses élèves ainsi que de deux chercheurs universitaires. Nous présentons ici une courte description de chacun des acteurs ayant participé au projet BD-US.
Pour Jean-François Mercure, enseignant de sixième année à l’école Saint-Jean-Baptiste, il est très important de rendre les activités vécues en univers social signifiantes pour les élèves. Cumulant 19 ans d’expérience comme enseignant au primaire, il estime que son rôle d’enseignant est, d’abord et avant tout, de faire aimer l’école (ou certaines disciplines) afin que les élèves y voient un moyen, ou un chemin, pour actualiser leur plein potentiel. Il considère qu’il est essentiel de différencier son enseignement dans toutes les disciplines, notamment en univers social, en choisissant les contenus d’enseignement/apprentissage selon les intérêts de ses élèves (et les siens!). De sorte, il fait des choix, dans le respect des visées générales des programmes, en tenant compte des mouvances sociales et de l’actualité afin que les élèves puissent faire des liens signifiants entre leurs apprentissages et le quotidien. Il considère également fondamental de réaliser des activités permettant à ses élèves de développer des compétences en ce qui a trait à la recherche documentaire et à l’analyse critique des informations trouvées. La recherche à l’aide des technologies numériques et l’analyse critique des sources demeurent, selon lui, un maillon faible chez les élèves. Bien qu’il utilise un cahier d’apprentissage en univers social afin d’y lire certains textes avec ses élèves, il n’hésite pas à y rattacher des projets innovants, qui regroupent souvent plusieurs disciplines, dont les arts plastiques et la communication.
Les deux chercheurs universitaires ayant participé au projet BD-US sont membres de l’équipe de recherche de la Chaire en LMM. Le premier (Jean-François Boutin) est professeur en didactique de la littératie et collabore activement, au sein de la Chaire, au développement et à l’essor de la LMM au Québec, ailleurs dans la francophonie et à l’échelle internationale. Il s’intéresse, dans le cadre de ses travaux, à la didactique de la communication multimodale et à la transposition didactique des genres multimodaux en classe de français ou en contexte interdisciplinaire. Au sein du projet BD-US, il a pu partager son expertise en regard de l’utilisation de la BD comme dispositif de lecture dialectique et multimodale. Il est allé en classe à plusieurs reprises afin de rencontrer les élèves et de leur présenter les codes et les usages de la BD. La deuxième chercheuse (Virginie Martel) est professeure en didactique des sciences humaines et cofondatrice du LIMIER, un regroupement consacré à la littératie illustrée (www.lelimier.com). Elle s’intéresse plus particulièrement aux questions didactiques liées à la lecture (réception) et aux différents supports d’apprentissage permettant le développement de compétences de recherche et de littératie. Elle s’intéresse également, dans le cadre de ses travaux, au déploiement de la pensée critique en classe d’histoire et à l’utilisation critique des traces du passé. Elle a collaboré au projet BD-US en alimentant les réflexions et les discussions en ce qui concerne la littératie historique, l’utilisation de la BD comme œuvre de fiction historique multimodale et le développement de stratégies de recherche de lecture historienne. Enfin, la première auteure de cet article était au moment de la réalisation du projet doctorante. Elle a épaulé toute l’équipe de cocréation dans chacune des étapes du projet, en plus de participer activement à la documentation de celui-ci.
L’un des objectifs de la DBR est de créer un pont entre la recherche en éducation et le terrain en s’appuyant sur des besoins réels ou des problématiques qui y sont vécues (Amiel et Reeves, 2008). Ainsi, c’est principalement autour du besoin formulé par l’enseignant de sixième année que s’est articulé le projet décrit dans le présent article. En effet, ce dernier souhaitait reprendre un projet qu’il avait déjà réalisé avec des élèves par le passé et le bonifier en y ajoutant, notamment, un volet numérique. Le but était de mettre les élèves en contact avec le média de la BD. L’idée était d’abord et avant tout d’exploiter la BD au même titre que d’autres formes littéraires très présentes en classe : le récit, le documentaire, le texte d’opinion ou la poésie. En plus de l’enseignement des différents codes de la BD, de la lecture de plusieurs ouvrages et de l’appréciation de certaines œuvres marquantes, le projet prévoyait la création par les élèves d’une planche de BD de leur choix. Différents savoirs essentiels des programmes de français et d’arts plastiques étaient alors enseignés et mis en pratique par les élèves. Il s’agissait donc, à l’origine, d’un projet multidisciplinaire, impliquant la communication langagière et la création artistique; le volet historique n’y figurait pas.
Les deux chercheurs ont, pour leur part, proposé des idées à l’enseignant afin de l’arrimer au regard des objectifs de recherche poursuivis. L’enseignant souhaitait, d’une part, renforcer le projet en y intégrant un volet historique (et plus largement le domaine de l’univers social) et, d’autre part, intégrer un volet numérique. Afin que le projet comporte une dimension historique intégrant une recherche documentaire, le choix s’est tourné vers la création d’une planche de BD à caractère historique, plus précisément en lien avec un moment de la période historique entre 1900 et 1960. L’équipe s’est aussi assurée d’inclure un volet numérique au projet. À cet égard, ils ont proposé l’idée de créer la BD sur un support numérique. Toutefois, pour l’enseignant, il était important que les élèves créent leur planche sur un support analogique (carton) et non sur un support numérique. Il souhaitait ainsi que ses élèves réinvestissent certaines techniques en arts plastiques déjà enseignées en classe. Il voulait également que les élèves utilisent des pastels secs pour réaliser les illustrations. Les ressources numériques étant de plus limitées à l’école Saint-Jean-Baptiste lors de la réalisation de ce projet, l’enseignant a rapidement écarté l’idée d’utiliser un support numérique pour la création des planches de BD. Au moment du projet, il a toutefois mentionné à plusieurs reprises que si chacun de ses élèves avait eu accès, en tout temps, à un ordinateur, ses choix pédagogiques auraient pu être différents. Pour apporter une plus-value numérique au projet initial, il a plutôt été décidé, de manière concertée, d’ajouter un portfolio numérique d’inspiration (détaillé plus loin) à la séquence d’enseignement/apprentissage.
En vue de bonifier le projet initial, les chercheurs ont aussi proposé des pistes didactiques à l’enseignant en ce qui a trait plus spécifiquement à l’enseignement/apprentissage des compétences en LMM et des habiletés inhérentes à la démarche de recherche et de traitement de l’information en histoire et géographie4, permettant de développer en univers social des compétences de recherche documentaire. Ils ont aussi offert leur soutien tout au long du projet, entre autres, en contribuant matériellement à l’élaboration d’un espace dédié à la BD en classe et en animant des ateliers permettant aux élèves de se familiariser avec ce type de modèle du récit multimodal (Boutin, 2015; Martel et Boutin, 2015, 2021).
Pour cocréer ainsi ce projet, l’enseignant et les chercheurs se sont rencontrés à trois reprises à l’école selon les disponibilités de l’enseignant et selon les besoins formulés. C’est lors de ces rencontres que l’enseignant a pu informer les chercheurs qu’il avait besoin de matériel et de formation en classe. Par la suite, lorsque l’enseignant a commencé le projet en classe avec ses élèves, les chercheurs y sont allés à trois reprises pour faire de l’observation participante. Lors de ces visites, des entrevues (individuelles, en sous-groupes ou en groupe-classe) ont été réalisées avec l’enseignant et les élèves afin de documenter, entre autres, les ressources numériques et multimodales mobilisées par les élèves en cours de projet. Une assistante de recherche (première auteure ici) est aussi allée en classe à plusieurs reprises pour documenter dans son ensemble le projet.
Le projet de création de planches de BD à caractère historique s’est déroulé sur une vingtaine de périodes de classe. La consigne de départ donnée aux élèves était de sélectionner un moment de la période historique 1900-1960, de situer ce moment d’un point de vue géographique et de raconter une histoire s’étant déroulée lors de cette période en produisant une planche de BD. Le projet BD-US comprend plusieurs étapes :
1) introduction à la BD;
2) recherche documentaire et production du portfolio d’inspiration;
3) scénarisation;
4) réalisation des illustrations de la BD;
5) réalisation des phylactères;
6) présentation orale; et
7) écriture d’une lettre d’appréciation. Nous décrivons ici chacune de ces étapes par lesquelles les élèves sont passés afin de réaliser le projet BD-US.
La première étape du projet visait à prendre contact avec la culture liée à la BD en plus de l’apprentissage de ses différents codes. Pour y parvenir, il fallait d’abord donner accès à des ouvrages. Comme la classe était assez grande, l’enseignant et les élèves ont réfléchi à la création d’un coin lecture dédié à la BD. Du mobilier a été acheté et celui-ci a été garni par des ouvrages empruntés du LIMIER et proposés par les chercheurs et l’enseignant. Plusieurs titres s’y trouvaient réunis. Lors des périodes de lecture, les élèves pouvaient venir y lire ou simplement se chercher un livre.
Il est important de mentionner que certains titres avaient un nombre d’exemplaires suffisant pour que chaque élève puisse avoir sa copie. Cela permettait de travailler en grand groupe. Des ateliers visant l’acquisition des différents codes de la BD, la maîtrise d’un vocabulaire commun ou même le développement de certaines stratégies en lecture ont alors été réalisés. Certaines tâches de lecture ont même permis de travailler la notion d’indice visuel qui allait être reprise dans l’élaboration de la planche de BD-US.
Au début du projet, l’un des chercheurs participant au projet est venu présenter aux élèves plusieurs œuvres, dont des BD à caractère historique, en plus de discuter avec eux de leur niveau de connaissance et d’appréciation de cet objet littéraire. Il s’agissait alors d’élargir le spectre des possibilités qui est souvent dicté par ce que les élèves ont pu lire dans les bibliothèques scolaires. Lors de cette rencontre, les élèves ont également nommé leurs attentes en lien avec la réalisation du projet.
Finalement, comme la bibliothèque municipale n’était pas très éloignée de l’école, le groupe s’y rendait régulièrement pour y lire des BD, notamment des BD à caractère historique pouvant servir de modèles aux élèves pour la réalisation de leurs planches. Parmi celles-ci, touchant l’époque à l’étude, nous retrouvons Carnet 14-18 : quatre histoires de France et d’Allemagne (Hogh et Mailliet, 2014), Adèle Blanc-Sec. Tome 8 : le mystère des profondeurs (Tardi, 2018), Jour-J. Tome 3 : septembre rouge (Duval et al., 2010), Pain d’alouette. Tome 2 : deuxième époque (Lax, 2011), Le serment des cinq lords (Sente et Juillard, 2012) et L’ambulance 13 (Cothias et al., 2010).
Peu avant le début du projet, les faits historiques marquants de 1900 à 1960 ayant marqué la société québécoise avaient été couverts en univers social6. Pour ce faire, l’enseignant a eu recours à ses pratiques habituelles d’enseignement en univers social qui mobilisent une variété de ressources multimodales (textes scolaires ou documentaires variés, images, vidéos, chansons, etc.) et accordent une grande importance aux discussions collectives. C’est donc dire que les élèves avaient développé une connaissance des évènements historiques significatifs comme la Belle Époque, la Première Guerre mondiale, les Années folles, la Grande Crise, la Seconde Guerre mondiale et l’Après-guerre.
Pour le projet BD-US faisant suite à cette séquence didactique en univers social, les élèves devaient choisir un sujet pour réaliser leur planche de BD à caractère historique. La seule condition qui était alors imposée était que l’évènement traité se soit déroulé entre 1900 et 1960. Parmi les sujets choisis par les élèves, on retrouve, entre autres, les pensionnats autochtones au Québec, l’histoire de Marthe Pelland, la première Québécoise francophone admise à l’étude de la médecine, le Jour J et la Grande Dépression.
Une fois leur sujet choisi et approuvé, les élèves devaient le documenter. Bien entendu, il revenait à chaque élève de trouver dans des sources variées des informations pour approfondir sa compréhension du sujet choisi. L’objectif spécifique visé par la recherche documentaire de ce projet concernait plus spécifiquement la recherche de sources visuelles. Comme il s’agissait de réaliser une planche de BD à caractère historique, les élèves devaient en effet repérer et regrouper des indices visuels permettant de représenter visuellement, avec le plus de vraisemblance possible, l’époque et les évènements ou les personnages concernés. Ces indices pouvaient être historiques ou géographiques.
C’est en utilisant le navigateur Google que les élèves ont collecté la plupart des informations pertinentes pour leur projet, en respectant en parallèle les étapes de la démarche de recherche et de traitement de l’information en géographie et en histoire qui leur ont été rappelées (dont l’étape permettant de planifier sa recherche, de cueillir et traiter l’information et d’organiser celle-ci). Certains ont aussi utilisé la plateforme YouTube pour visionner des extraits vidéo en lien avec leur sujet. Pour chacun des documents trouvés, il leur a été demandé de juger de leur pertinence au regard du sujet à l’étude en recherchant le « quoi » (ce que l’image représente), le « où » (la région géographique ou le lieu représenté dans l’image) et le « quand » (l’année – ou ce qui s’en rapproche le plus – représentée). Les élèves devaient aussi identifier la source en indiquant l’adresse de la page Internet où le document se trouvait. Pour soutenir les élèves dans ces tâches, plusieurs techniques liées à la recherche documentaire ont été explicitées et modélisées. Ces techniques concernent, par exemple, l’utilisation de mots-clés adéquats pour trouver des informations précises en lien avec leur sujet historique, l’évaluation et la critique des sources ainsi que l’analyse et la critique d’images trouvées.
Afin de consigner les informations trouvées, les élèves devaient créer un portfolio numérique d’inspiration. Ce dernier rassemblait différentes représentations visuelles liées au thème choisi et trouvées en ligne. Il regroupait conséquemment plusieurs informations de nature multimodale et permettait aux élèves d’avoir une meilleure représentation de l’époque à illustrer. Le but étant qu’ils s’inspirent des images, des vidéos et des informations textuelles trouvées afin de créer leur propre BD. Pour concevoir leur portfolio, les élèves ont créé des diapositives avec le logiciel PowerPoint dans lesquelles ils ont placé certaines des images trouvées ainsi que les informations s’y rapportant (source, évènement, date, lieu)7. Afin de guider les élèves dans la réalisation de cette tâche, l’enseignant leur a fourni un exemple de portfolio numérique. C’est par la réalisation du portfolio numérique que les élèves ont pu devenir des apprentis « experts » du sujet qu’ils avaient choisi.
Après que les élèves aient complété leur recherche documentaire à propos du sujet choisi et créé leur portfolio numérique d’inspiration, ceux-ci ont entrepris la réalisation de leur planche de BD à caractère historique. Pour débuter, ils ont été invités à scénariser le moment de l’Histoire qu’ils désiraient mettre en lumière. Il s’agissait alors pour eux d’envisager un scénario d’histoire dans l’Histoire et de découper le récit en fragments selon leur représentation dans chacune des cases de la planche. Ils devaient créer des planches ayant entre cinq et huit cases. C’est aussi lors de cette étape que les élèves ont rédigé les dialogues des personnages mis en scène, en plus de sélectionner les plans qui allaient être utilisés. Pour les guider, un canevas de travail préparé par l’enseignant a été proposé aux élèves et celui-ci a été présenté en insistant, entre autres, sur l’apport informatif du texte et des images envisagés, une composante essentielle du caractère multimodal de la BD.
C’est à cette étape que tout le travail réalisé en amont a permis aux élèves d’intégrer leurs connaissances en lien avec la BD et la multimodalité, leurs connaissances acquises sur la période historique touchée en classe et la recherche documentaire à caractère historique effectuée lors de la réalisation du portfolio numérique d’inspiration. En effet, c’est pendant cette partie du projet que les élèves devaient correctement situer leur sujet d’étude en reproduisant le plus fidèlement possible des indices visuels géographiques et historiques repérés lors de la réalisation du portfolio numérique d’inspiration. L’objectif à poursuivre était le suivant : illustrer correctement l’époque choisie en respectant le découpage de l’histoire qui avait été fait lors de l’étape de la scénarisation. C’est donc ici que les élèves devaient retourner à leur portfolio numérique d’inspiration afin de s’assurer de la cohérence des indices visuels qu’ils illustraient avec ceux qu’ils avaient répertoriés lors de la recherche documentaire.
Une fois le brouillon réalisé, les élèves pouvaient s’atteler à la tâche de réaliser les illustrations de leur planche finale. Celles-ci ont été produites sur un grand carton, à l’aquarelle. Préalablement, une technique de dessin avait été enseignée et permettait aux élèves de séparer cette partie du projet en différentes étapes. Essentiellement, les élèves ont dû tracer les images à l’aide d’un crayon graphite (avec le soutien des images du portfolio numérique d’inspiration comme l’illustre la photographie jointe), pour ensuite repasser sur les lignes avec un crayon marqueur permanent à pointe fine. Le coloriage des personnages et des éléments importants des cases se faisait au crayon de couleur de bois. Le fond des cases était quant à lui colorié à l’aide de pastel sec.
Après avoir élaboré les dialogues lors de l’étape de la scénarisation, les élèves et l’enseignant ont vérifié la concordance grammaticale et l’encodage textuel. À l’étape 5, les élèves ont été invités à retranscrire les éléments textuels de la planche de BD dans un logiciel de traitement de texte (Word). Les élèves devaient alors créer des zones de texte ayant la forme de phylactère ou de récitatif dans lesquelles ils transcrivaient les éléments textuels de leur planche de BD. Il s’agissait par la suite de les imprimer, de les découper et de les coller sur le carton.
Après avoir réalisé leur planche de BD à caractère historique, les élèves ont préparé et présenté une communication orale portant sur l’évènement historique ciblé ainsi que sur le processus de réalisation de la BD proprement dit. Ils avaient alors le choix entre une présentation devant toute la classe, en sous-groupe de quelques élèves ou une présentation individuelle devant l’enseignant ou l’un des chercheurs. Une seule élève a choisi de présenter de façon individuelle; les autres élèves ont fait leur présentation devant toute la classe. Ce moment de présentation a permis à l’enseignant de vérifier le niveau de maîtrise du sujet des élèves (volet univers social), en plus d’évaluer leur habileté à communiquer oralement. Les critères d’évaluation au regard plus spécifiquement de l’univers social ciblaient ces aspects: 1) exactitude (textuelle et visuelle) des informations; 2) suffisance et pertinence des informations; 3) mots appropriés; et 4) maîtrise du sujet. Plus globalement, toutefois, le projet avait aussi pour objectif de porter un jugement appréciatif sur le développement et la maîtrise de la démarche de recherche et de traitement de l’information.
Finalement, pour clore le projet, les élèves ont rédigé une lettre d’opinion destinée aux chercheurs. Dans celle-ci, ils ont résumé le projet et ils ont indiqué ce qu’ils avaient apprécié du projet et ce qui pouvait être amélioré. Cette situation d’écriture signifiante leur a permis d’exprimer leur appréciation des différentes étapes de réalisation du projet BD-US.
Afin de bien illustrer le projet vécu par les élèves, nous présentons ici quelques exemples de productions. Dans le but de mettre en lumière les liens qui unissent la recherche documentaire, colligée dans le portfolio numérique d’inspiration, et la production des planches de BD à caractère historique, chaque production est accompagnée de son portfolio. Nous avons choisi de présenter trois productions : Mon enfance déracinée, Le clash des dictateurs et Hiroshima. Le choix des productions a été fait en tenant compte du respect des intentions de départ du projet, soit de créer des BD avec des indices visuels et textuels représentant un moment de la période historique 1900-1960.
Dans la production Mon enfance déracinée, l’élève aborde avec vraisemblance le sujet des pensionnats autochtones. Plus précisément, la planche met en scène le moment (fait historique réel) où les enfants des Premiers peuples devaient quitter leur famille et délaisser leur culture pour rejoindre les pensionnats. La préparation du portfolio numérique d’inspiration de l’élève a servi à documenter différents aspects visuels. Certains, comme l’apparence des personnages ou celui du pensionnat, sont tirés de sources directement en lien avec le sujet alors que d’autres, comme les vêtements ou les moyens de transport, sont plutôt génériques. L’exemple de l’autobus est révélateur. L’élève, n’ayant pas trouvé d’image montrant des autobus ayant servi à déplacer les jeunes Autochtones, a tout de même voulu documenter l’aspect d’un tel véhicule vers 1950. Aussi, à la suite d’une recherche, l’élève s’est servi du portfolio numérique d’inspiration pour lister des indices textuels comme les prénoms de ses personnages.
Le clash des dictateurs est une planche qui met en scène une hypothétique rencontre entre Adolf Hitler et Joseph Staline. L’élève ne voulait pas illustrer un moment réel de la Seconde Guerre mondiale. Elle a plutôt produit une BD humoristique qui raconte une bataille fictive d’insultes qui aurait permis aux deux dirigeants de régler leurs différends. Afin de bien camper l’histoire dans son contexte, l’élève a recherché et sélectionné certaines images. L’apparence physique des dictateurs et leurs vêtements ainsi que les rares éléments de décor comme le mobilier se retrouvent donc dans le portfolio numérique d’inspiration de l’élève.
Enfin, sur la planche de BD à caractère historique intitulée Hiroshima, l’élève raconte l’histoire du bombardement du 6 août 1945 (fait historique). Pour donner un aspect réaliste à ses dessins, l’élève a recherché et sélectionné diverses images en lien avec son sujet que l’on peut retrouver dans son portfolio numérique d’inspiration. On remarque que ces images se retrouvent également sur sa planche et que certains détails donnent de la valeur historique à ses représentations. Par exemple, la forme de l’avion, le nombre de moteurs sur ses ailes ou le dessin d’une cocarde étoilée (symbole de l’USAF) sur son fuselage sont des indices visuels directement tirés des images répertoriées dans son portfolio numérique. Il aurait été intéressant que la forme donnée à la bombe « Little boy » ou que l’aspect de la ville avant le bombardement respectent toutefois davantage les images sur les photos sélectionnées lors de la recherche documentaire, question de vraisemblance historique. Il est aussi intéressant de noter que certains indices textuels sont présents, dont le nom inscrit sur l’avion, son numéro « 82 » ou même la lettre « R » dessinée sur sa dérive de queue. Ils établissent clairement des liens entre la production del’élève et sa recherche documentaire afin de bien situer le contexte historique.
Au cours du projet BD-US, les élèves ont mobilisé divers éléments de compétences en LMM et en ce qui a trait au numérique, en plus de consolider des savoirs et des compétences en univers social, notamment en ce qui concerne la recherche documentaire. Dans cette partie de l’article, nous faisons un retour interprétatif sur l’expérience de cocréation vécue en dégageant quelques constats quant aux compétences et aux savoirs mobilisés par les élèves dans ces trois domaines.
Afin d’exprimer leur compréhension de l’histoire, les élèves ont scénarisé et illustré un récit narratif ancré dans la période historique 1900-1960. Au cœur de ce projet, la relation image/discours est omniprésente. C’est par l’image, en interaction avec le texte, que les élèves ont créé dans le volet « production » du projet un univers semi-fictif à caractère historique. Parallèlement, dans le volet « réception » du projet, ils ont acquis les codes de la BD et plus largement de la multimodalité (de par la formation reçue sur le sujet et les nombreuses BD lues en classe), en plus d’être confrontés, dans le cadre de leur propre recherche documentaire, à une variété de sources où l’image occupait une place centrale.
L’image représente en effet un support sémantique constamment utilisé dans diverses disciplines, notamment en raison de la dimension affective lui étant intrinsèquement reliée (Lebreton-Reinhard et Gautschi, 2021). Toutefois, il s’avère fondamental d’outiller les élèves afin qu’ils développent des stratégies leur permettant d’accéder au sens qui se dégage des différents modes sémiotiques (Martel et Boutin, 2015). En effectuant, en amont du projet BD-US, une lecture critique et analytique de plusieurs BD, les élèves ont dégagé, avec l’aide de leur enseignant, des éléments essentiels sur lesquels s’appuyer afin de créer, à leur tour, une BD à caractère historique. Ce fut l’occasion pour eux de mieux comprendre le rôle qu’occupe l’image comme vecteur de transmission d’informations sémiotiques.
De même, le projet BD-US leur a permis de sortir de leurs habitudes de communication scolaire. À l’école, les élèves sont souvent amenés à expliciter leur compréhension de différents concepts ou de différentes notions en ayant recours au langage écrit. Rarement, à l’exception stéréotypée du domaine des arts plastiques, le traitement, l’interprétation, l’intégration et le partage du sens par l’image sont privilégiés. En lien avec la réalisation du projet, un élève mentionne d’ailleurs : « J’ai aussi aimé le fait de devoir dessiner au lieu d’écrire dans un cahier des réponses ennuyantes à des questions ennuyantes ». Par ce commentaire, nous comprenons que cet élève a apprécié le fait de communiquer des informations avec des images plutôt que de répondre à des questions textuelles. Comme le souligne Vincent (2006), il est vrai que la composition multimodale permet de libérer certains élèves des évaluations centrées sur la seule expression écrite (alphabétique) et à travers lesquelles ils ont peu de chance d’exprimer l’étendue de leur compréhension sémantique. Selon ce chercheur, beaucoup d’élèves ont besoin de s’exprimer en ayant recours à diverses modalités.
D’un point de vue artistique, les élèves ont aussi pu créer des productions d’une très grande originalité. Plusieurs d’entre eux ont choisi d’utiliser un ton humoristique, ce qui rendait les productions particulièrement intéressantes à lire. Aussi, les couleurs choisies et les images illustrées dans les planches de BD reflétaient généralement bien la réalité historique telle qu’évoquée dans les sources visuelles consultées. Enfin, la signifiance manifeste du projet aux yeux des élèves ne fut que renforcée par la diffusion réelle des planches auprès d’un public intéressé : les élèves des autres classes de l’école.
Afin de produire leur BD à caractère historique, les élèves ont dû en apprendre davantage sur la période de l’histoire couvrant les années 1900-1960, en respectant, pour ce faire, certaines étapes de la démarche de recherche et de traitement de l’information en histoire et en géographie. Pour effectuer leur recherche documentaire et constituer leur portfolio numérique d’inspiration, ils ont déployé des habiletés de recherche documentaire. Entre autres, ils ressortent du projet avec une plus grande maîtrise de la recherche en ligne par mots-clés liés à l’histoire, ils sont sensibilisés à l’importance d’adopter une posture davantage critique lors de la recherche d’information de nature historique et ils ont appris à indiquer explicitement leurs sources d’information. Ils ont aussi consolidé leur compétence à dégager d’une source donnée des indices utiles à leur quête (quoi, quand, où, etc.). Ultimement, ils ont de surcroît vécu l’expérience de produire eux-mêmes, avec un souci visuel du vraisemblable et un regard empathique sur l’Histoire (Peck, 2021), une production à caractère historique. Au regard des BD (consultées et produites), ils ont, en plus, été à même d’observer que ces œuvres permettent d’approcher autrement (souvent de manière plus personnelle) le passé, mais qu’elles n’offrent pas toujours une juste représentation de celui-ci. La BD, certes forte intéressante pour en apprendre davantage sur l’Histoire par le biais d’un récit mis en images, peut en effet aussi véhiculer des informations déformées, voire fausses qu’il importe de soumettre à l’interprétation critique (Boutin et Martel, 2021; Martel, 2018; Martel et Boutin, 2021).
Ces différentes compétences de littératie et de recherche développées dans le cadre du projet BD-US sont essentielles. Elles contribuent à une visée de formation du domaine de l’univers social : former à la compréhension et à l’interprétation de sources variées pour se représenter des situations passées et construire des savoirs qui soient le plus objectifs possible.
Selon le cadre de référence de la compétence numérique (Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, 2019), la maîtrise de la compétence numérique, qui se définit comme un ensemble d’aptitudes liées à l’utilisation confiante, critique et créative du numérique, est nécessaire afin que tout individu puisse utiliser les ressources numériques disponibles.
Dans le cadre du projet BD-US, les élèves ont été amenés à développer leurs aptitudes en lien avec la recherche documentaire en ligne, à critiquer et à analyser les informations trouvées et les sources. Ils ont également développé leurs habiletés technologiques (par exemple, faire des captures d’écran, utiliser le logiciel PowerPoint, enregistrer des fichiers dans différents formats, etc.). En effectuant des recherches en ligne, ils ont eu de surcroît l’occasion d’approfondir leurs connaissances sur le sujet qu’ils avaient choisi pour leur BD. Ils pouvaient, par exemple, aller voir des images pour en apprendre davantage sur l’habillement de l’époque, l’architecture des bâtiments, les moyens de transport, des aspects du territoire, etc.
Par exemple, pour sa BD portant sur le babyboum, un élève a souhaité représenter une machine à maïs soufflé dans l’une de ses illustrations. En effectuant des recherches plus approfondies, il a pu vérifier si ce genre de machine existait à cette époque. Après avoir constaté que c’était bel et bien le cas, il a inséré une image d’une machine de cette époque dans son portfolio afin de s’y référer plus tard. Plusieurs compétences liées au numérique ont de sorte été mobilisées par cet élève : il a utilisé des mots-clés pour sa recherche, il a dû analyser les sources d’information trouvées, il a sélectionné une image, il l’a copiée-collée dans son portfolio numérique et il a inscrit les informations s’y rapportant.
Dans cette perspective, la création du portfolio numérique d’inspiration ajoute, selon nous, une plus-value importante au projet. Les élèves, en plus de faire des apprentissages en lien avec la recherche documentaire, ont appris à collecter de manière numérique des traces de leur recherche et à s’y référer pour créer une œuvre artistique (analogique).
En expérimentant le projet de BD à caractère historique en classe, nous avons identifié des points forts, mais aussi des ajustements à apporter au projet.
Parmi les points forts, nous relevons la motivation des élèves en lien avec la création d’une BD à caractère historique. Un élève mentionnait, au tout début de la réalisation de ce projet :
C’est vraiment cool de pouvoir faire une BD qui est historique. Je pense que ça va vraiment être le fun. C’est bien de pouvoir fusionner deux trucs… de fusionner et l’histoire, et la bande dessinée. C’est quelque chose qui peut être ennuyant si on fait un examen. Mais, si on le fait en bande dessinée, ça va être beaucoup plus intéressant.
Un autre élève mentionnait : « Au lieu d’écrire un texte et de devoir écrire tous les détails avec des mots, on peut les dessiner, à la place ».
Plusieurs élèves semblent en fait avoir été motivés par ce projet de création parce qu’il leur permettait de communiquer du sens, de l’information, en recourant à des images et à du texte. Le fait de produire une BD avec le souci du vraisemblable en ce qui a trait à l’illustré leur a permis de mettre en scène l’histoire en se souciant davantage des images produites que du texte (ce qui est rare à l’école). Et loin de n’être que motivante, une telle production leur a permis d’apprendre sur des réalités du passé et de consolider leurs connaissances à propos de la période historique 1900-1960.
Nous retenons aussi la grande pertinence didactique du portfolio numérique d’inspiration, par le biais duquel la représentation vraisemblable du passé a été travaillée, tout comme la recherche documentaire. Un élève mentionne d’ailleurs dans sa lettre d’opinion : « Faire de la recherche sur notre sujet était intéressant. Lors de cette période, j’ai pu mettre des images sur ce qu’on nous avait appris ». Une autre : « Il y aurait plusieurs choses à refaire, comme, par exemple, le portfolio numérique. Selon moi, cette partie était la plus importante ».
Nous pensons, par ailleurs, que le fait d’avoir enseigné aux élèves, au tout commencement du projet, des notions se rapportant à la BD et à ses codes, constitue un point fort de ce projet puisqu’il a été possible alors d’établir les bases d’un langage partagé. Un élève mentionne d’ailleurs : « J’ai aimé qu’on nous prépare un peu en nous montrant les codes de la BD et en faisant une présentation sur une BD qu’on a lue ». Le commentaire d’un autre élève va également en ce sens : « J’ai aussi aimé que Jean-François Boutin vienne nous parler des différents types de plans ou qu’il nous explique les phylactères ».
En ce qui concerne les points à améliorer, le projet est assurément perfectible aux yeux de ses concepteurs à l’égard de l’accompagnement à offrir aux élèves pour soutenir davantage le développement de leurs compétences de recherche et de littératie dans le contexte de la classe d’univers social (Martel, 2018). Toutefois, aux yeux des élèves, le seul point d’amélioration concerne un point éminemment technique : l’obligation de « dessiner » la BD. Certains élèves témoignent en effet avoir moins aimé le fait de devoir dessiner, entre autres, parce qu’ils soutiennent de pas avoir le talent nécessaire.
Avec la multiplication des outils de production et de diffusion numériques et multimodaux, les pratiques communicationnelles des jeunes ne cessent d’évoluer. Ayant accès à une panoplie de ressources sémiotiques, ils communiquent des informations de plus en plus denses, notamment par l’interaction croissante de modalités précises : texte alphabétique, images (fixes et/ou mobiles), sonorisation, cinétique (Kress, 1997, 2010; Lacelle et al., 2017; Lebrun et al., 2012). Cette évolution culturelle entraîne avec elle un changement de rapport au sens, rendant nécessaire le développement de nouvelles compétences et stratégies (Lacelle et al., 2017). Ainsi, il ne suffit plus de simplement savoir lire et écrire le code alphabétique; il est désormais nécessaire d’appliquer ces compétences à travers le numérique (Lacelle et Lebrun, 2014). Par conséquent, il importe de mettre sur pied des projets pédagogiques visant le développement de compétences liées à la réception/production multimodale, et ce, dans toutes les disciplines scolaires comme en contexte informel.
Au cours du projet BD-US, intégrant les disciplines de l’univers social, des arts plastiques et de la communication langagière, les élèves ont développé plusieurs habiletés et compétences : appropriation de stratégies de recherche, développement d’une réflexion critique vis-à-vis des informations trouvées, appropriation des différentes fonctionnalités liées à l’informatique ainsi que réception/production d’informations intégrant à la fois l’écrit, l’image et l’audio. Qui plus est, ils ont consolidé leur compréhension de réalités diverses de la période historique des années1900-1960. En plus de développer plusieurs compétences et savoirs, les élèves ont pu s’exprimer autrement, au-delà surtout du simple mode écrit. La possibilité de créer une production médiatique multimodale, se rapprochant de leurs pratiques de communication hors des murs de l’école et également de leur manière de voir et de percevoir le monde (Vincent, 2006), a été pour eux hautement signifiante.
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