Souvent considérées comme de simples tentatives de vulgarisation de la culture classique assurée par des amateurs à l’adresse d’adulescents de 15 à 35 ans, les chaînes YouTube de médiations littéraires à tonalité humoristique restent généralement en dehors du champ de visibilité de la LittéraTube reconnue par des chercheurs comme Bonnet (2018a, 2018b). L’analyse critique d’une capsule vidéo du Mock de Redek et Pierrot, chaîne créée en 2015 et assez représentative de sa catégorie, sert de support à la réflexion menée dans cet article. Le succès rencontré par cette chaîne auprès des adulescents conduit à se demander comment elle favorise l’accession de ses destinataires à une culture de convergence en contexte numérique et multimodal. Cette analyse vise à alimenter la réflexion sur les modalités de transmission de la culture littéraire classique à l’ère numérique.
Often regarded as means by which amateurs can make classical culture popular among teenagers and young adults from 15 to 35, humoristic literary YouTube channels are generally outside the field of LiteraTube accepted by researchers such as Bonnet (2018a, 2018b). Critical analysis of a Mock video capsule of Redek and Pierrot, a channel created in 2015 and quite representative of its category, is used as a basis for the reasoning behind this article. The success this channel is having among teenagers and young adults makes us question how it enables the viewers to access a convergence culture in a digital and multimodal context. This analysis aims to provide further thought on the modes of transmission of classical literary culture in the digital age.
« T’as le book, Coco ! »1, ainsi se conclut rituellement, sur la chaîne YouTube de Miss Book2, chaque capsule vidéo présentant un ouvrage de « littérature classique » de manière ludo-didactique. Dans ce cas, le terme « classique » désigne, bien au-delà de l’acception académique, la littérature que l’on enseigne dans les classes du lycée. Les destinataires de cette chaîne YouTube sont interpellés, dans la rubrique « passe ton bac »3, par Miss Book elle-même, alias Emilie David, actrice et YouTubeuse d’une trentaine d’années. Cette actrice parodie l’allure sévère d’une enseignante aux airs de Mélusine4 pour haranguer son public en ces termes péremptoires : « Cher futur candidat au bac5, élève juste moyen, intello tête à claques ou branleur qui a anéanti une génération entière d’enseignants […] cet épisode est pour toi; alors moi je te le dis : tu vas avoir le book, Coco ! »6 Le ton est donné. En effet, l’objectif de ces productions est, selon les conceptrices7, d’ouvrir les « adulescents » (Anatrella, 2003) à la lecture des classiques grâce à une forme de médiation culturelle inusitée. Or, cette chaîne YouTube, loin d’être isolée, est représentative d’une myriade de floraisons du même type apparues ces toutes dernières années sur YouTube, si bien qu’aujourd’hui, leur ensemble constitue un genre spécifique sur Internet : la médiation littéraire à visée didactique, de tonalité humoristique et enjouée, autrement dit : le Booktubing. Miss Book se définit comme une « chaîne de critique littéraire »8 quand Le Mock, par exemple, se présente plutôt, notamment durant la période 2015-2017, comme « une chaîne YouTube de vulgarisation de littérature classique »9 s’intéressant à la question : « Comment parler des bons bouquins ? »10. La page d’accueil du Mock précise quels sont les « trois formats majoritaires [que] diffus[e] »11 la chaîne :
Ce genre de productions YouTube, toutes chaînes confondues, repose presque systématiquement sur les mêmes règles de composition prises dans un même cadre esthétique, la capsule numérique. Tout d’abord, une œuvre « classique » comme objet du discours et des YouTubeurs adulescents passeurs ou vulgarisateurs de culture jouant la proximité générationnelle, c’est-à-dire langagière et culturelle avec des destinataires supposés être des pairs. Ensuite, la présentation critique et didactique de l’œuvre classique s’effectue par le biais d’une scénarisation multimodale12 qui intègre généralement des lectures et des commentaires de l’œuvre. Enfin, s’ajoutent à ces ingrédients un zeste de distanciation humoristique, quelques effets de détournements, et des références intertextuelles à la « pop culture » utilisées de manière à la fois pertinente et impertinente comme prérequis culturel et socle hypotextuel de l’analyse. L’ensemble est généralement conçu pour s’adapter au comportement ergastique de la génération zapping puisque chaque épisode ne dure guère plus de dix minutes13, même si cette règle tend à évoluer significativement14.
Ces chaînes vouées à la transmission de la littérature classique se limitent-elles à poursuivre un objectif de vulgarisation culturelle ou bien parviennent-elles à inventer de nouvelles formes culturelles et de nouvelles approches de la littérature ?
À cette question s’en greffent d’autres qui en sont la déclinaison :
De telles questions ont leur place dans le domaine de la recherche en didactique de la littérature. Il semble indispensable en effet de s’intéresser aux pratiques culturelles effectives des adulescents, en contexte extrascolaire, surtout lorsqu’elles mettent au service de la médiation de la culture littéraire les nouvelles possibilités d’expression et de communication offertes par l’outil numérique et ses réseaux. Cette attention aux évolutions qui affectent les pratiques culturelles extrascolaires grâce à Internet permet de maintenir la recherche endidactique de la littérature en phase avec l’actualité des problématiques de la transmission de la culture littéraire à l’ère numérique telle qu’elle se présente effectivement hors des murs de l’école. Une telle observation alimente une réflexion didactique qui débouche sur l’exploration, en contexte scolaire, de pratiques d’enseignement-apprentissage innovantes prenant en compte les besoins actuels d’acculturation, aussi bien en littérature qu’en littératie médiatique multimodale (Lacelle, Boutin et Lebrun, 2017), perçues non plus comme deux domaines distincts, voire concurrents, mais comme un même domaine culturel en développement progressif (Doueihi, 2012; Lacelle, Boutin et Lebrun, 2017).
Comme le domaine d’observation des chaînes YouTube dévolues à la médiation de la littérature est vaste, on propose de se limiter momentanément à l’analyse de quelques-unes des propositions du Mock de Redek et Pierrot, l’une des chaînes de médiation les plus fréquentées15. Il s’agira de se demander à quelles renégociations de l’héritage académique, en tension entre rupture et continuité, correspond la médiation culturelle proposée par les deux jeunes animateurs.
Avant d’examiner quelques éléments du fonctionnement du Mock, il convient de définir le cadre théorique de l’analyse. Ce cadre est transdisciplinaire. Tout d’abord, les travaux récents de Bonnet (2018a, 2018b) permettent de délimiter le genre auquel appartient le Mock au sein de l’écosystème littéraire dédié à la littérature sur Internet. Ensuite, ons’intéressera à la manière dont le lecteur entre dans la culture littéraire selon Gracq (1995) et Bayard (2007), qui soulignent l’importance des médiations par lesquelles passe nécessairement la construction d’une culture littéraire, en dehors de la seule lecture. Ce constat conduit vers la troisième catégorie de références critiques : les travaux du philosophe de Certeau (1980/2014), du critique d’art Bourriaud (1998/2018, 2003/2009) et du spécialiste des nouveaux médias Henry Jenkins (2006/2014). Ces différents travaux donnent des clefs pour appréhender l’évolution des conceptions relatives aux usages culturels contemporains par rapport aux conceptions traditionnelles. Une grandeporosité s’installe désormais entre production et réception. Ces chercheurs attirent l’attention sur la place que prennent la communication et l’interactivité dans la production artistique, à tel point que Bourriaud fait de l’intersubjectivité l’essence même de l’art. Enfin, comme il est logique que l’intersubjectivité amène à s’intéresser à l’interdiscursivité c’est-à-dire à la manière dont un groupe culturel forge à la fois ses objets culturels et son métalangage sur ces objets, les concepts linguistiques de « communauté discursive » de Maingueneau (1984) et de « communauté interprétative » de Fish (1980) paraissent indispensables. Ces concepts permettent d’éclairer la manière dont Redek et Pierrot réécrivent les textes de la littérature classique dans leur Mock afin de les rendre accessibles à la communauté discursive interprétative à laquelle ils s’adressent, communauté que fonde aussi, d’une certaine manière, leur discours.
Comme introduction à la plupart de ses articles récents, Bonnet propose cette définition de la LittéraTube :
[…] un corpus nouveau et en expansion constante, regroupant les expériences actuelles de vidéo-écriture,qui explorent un pan audio-visuel de la littérature diffusée sur Internet. Qu’il s’agisse de contenus nativement numériques et « YouTubéens », c’est-à-dire pensés et créés pour être mis à disposition d’un public d’internautes usagers du site, ou de contenus provenant d’autres médias (TV, radio, captations) et désormais remédiatisés, transférés sur la plateforme, au prix parfois de modifications et d’altérations éventuelles – de la qualité de l’image ou du son notamment. C’est un écosystème littéraire inédit qui se construit ici, interrogeant le statut du littéraire via la mise en place de modalités neuves de publication.
(Bonnet, 2018a, 2018b)
Selon Snickars et Vonderau (2009, p. 13-17, cités dans Bonnet, 2018a), cet « écosystème littéraire » s’ordonne sur YouTube selon trois catégories, « médium, archive ou laboratoire » :
Un premier pan de la LittéraTube se consacre ainsi à une fonction de prescription. Dans ce cadre s’insère la communauté, en extension constante, des « booktubeurs » et « booktubeuses », lecteurs compulsifs, souvent à la tête par ailleurs d’un blog, qui proposent de courtes capsules vidéo relevant d’une critique littéraire assumée par des amateurs.
(Bonnet, 2008a)
Ainsi, les créations littéraires multimodales relèvent-elles plutôt du laboratoire; leurs concepteurs sont des « Ecranvains» (Bonnet, 2018a) ce qui, grâce à l’effet de paronomase, en fait des artistes authentiques. En revanche, les chaînes dontla vocation est la médiation culturelle sont produites par des booktubeurs. Par cette dénomination, Bonnet distingue nettement ces producteurs de capsules vidéo (« lecteurs compulsifs », « amateurs ») de la catégorie sérieuse des créateurs de LittéraTube sans pour autant donner de nom à leur activité spécifique.
Néanmoins, dans la mesure où il admet que ces « amateurs » produisent « une critique littéraire assumée », on pourrait considérer leur production comme de la MétaLittéraTube. Ce néologisme rendrait justice à ses amateurs pour avoir créé un sous-genre spécifique au sein de la LittéraTube. En effet, les booktubeurs ne ménagent, la plupart du temps, ni la créativité ni les effets esthétiques pour séduire les internautes. Ils visent à instaurer avec le public une interaction culturelle de nature à restaurer la transitivité de la littérature pour tous et donc à favoriser l’entrée du plus grand nombre dans la culture littéraire. C’est bien l’objectif du Mock dont le nom hybride est une chimère linguistique issue de trois sources : les cours en lignes MOOC16, l’objet numérique le mock17 censé traquer le réel par feintise, le verbe « moquer ».
En effet, chaque élève chaque personne déçu par un chef-d’œuvre classique nous peine, et c’est de notre devoir d’offrir des alternatives susceptibles de les toucher, pour rappeler la beauté de notre culture et l’humour colossal qui habite ces livres.18
Redek et Pierrot19 ont à cœur de partager leur enthousiasme pour ce qu’ils appellent les « Booktubes du patrimoine »20 en se faisant médiateurs de la richesse qu’ils ont trouvée dans la bibliothèque collective, à l’adresse de tous ceux qui n’y sont pas encore entrés.
Gracq affirme que « les livres que nous avons lus sont bien loin d’être les seuls éléments de notre culture livresque » et que ce qui compte c’est « de savoir s’introduire dans la société des livres qui nous font alors profiter de toutes leurs relations, et nous présentent à elles de proche en proche à l’infini » (1995, p. 1086). En effet, pour Gracq (1995) :
[…] comptent aussi presque autant que les livres lus ceux dont nous avons entendu parler, d’une manière quinous a fait dresser l’oreille (l’oreille interne), ceux dont un passage cité ailleurs isolément a éveillé en nous des échos précis, ou dont la mitoyenneté avec des ouvrages déjà connus de nous a permis au moins l’étiquetage. Ceux dont nous ne connaissons guère que le titre et le sens général, mais qui, dessinés en creux par les frontières des livres connexes, figurent pourtant, dans notre répertoire livresque.
(p. 1086)
Ainsi, le projet de Roquentin, l’autodidacte de La Nausée, roman de Sartre (1938), est vain. La culture littéraire ne peut se construire à partir de la seule lecture stakhanoviste et solitaire du fonds de la bibliothèque collective dans l’ordre alphabétique du classement des livres par nom d’auteur, jusqu’à épuisement, sans que soit perçu ce qui fait l’unité de cette bibliothèque, c’est-à-dire les liens qui relient les œuvres entre elles au sein d’une culture organisée. Ces liens sont tissés par le dialogisme intertextuel (Bakhtine, 1984) qui signe l’appartenance de toute création littéraire au vaste monde esthétique, éthique et philosophique de la culture lettrée. En ce sens, toute œuvre est potentiellement un palimpseste (Genette, 1982) de l’ensemble de la bibliothèque : elle porte en elle les marques d’une parenté avec toutes les autres. Percevoir les liens dialogiques reliant les œuvres les unes aux autres permet donc de comprendre comment s’organise la bibliothèque et quelle place occupe chaque œuvre au sein de cette totalité (Bayard, 2007). Mais pour identifier les relations entre les livres et percevoir la cohérence de la bibliothèque collective, la seule lecture des œuvres littéraires ne suffit pas. Le lecteur doit également être initié aux métadiscours écrits ou oraux, aussi divers soient-ils, dont la fonction consiste à rendre compte du sens et de l’organisation de la bibliothèque.
En effet, ces métadiscours sur la littérature, par leur existence même, postulent et fondent leur objet : la bibliothèque. Cela contribue à accréditer la cohérence interne de la bibliothèque collective, même si celle-ci reste toujours à redéfinir21. Ce nuage de métadiscours qui l’enveloppe et la met en évidence rehausse l’aura de la bibliothèque collective et forme un seuil d’accès à la culture, à tel point qu’il peut tenir lieu de seule rencontre avec les œuvres, comme le reconnaît Bayard (2007) :
Il existe une autre manière de se faire une idée assez précise de ce que contient un livre sans pour autant lelire. Il suffit pour cela de lire ou d’écouter ce que les autres en écrivent ou en disent […] Or, la plupart du temps, c’est bien ainsi que nous accédons aux livres […] la manière dont les autres nous en parlent ou en parlent entre eux, dans leurs textes ou dans leurs conversations, nous permet de nous faire une idée de ce qu’ils contiennent, et même de formuler un jugement argumenté à leur sujet.
(p. 43-44)
Paradoxalement, la culture littéraire précède la lecture des textes littéraires. Qu’ils soient le fait de spécialistes ou d’amateurs, les métadiscours sur la littérature, de quelque nature que ce soit, fournissent aux néophytes despréconceptions culturelles indispensables pour entrer dans les œuvres avec des clefs d’interprétation (de Certeau, 1980/2014, p. 244). Ces métadiscours font office de seuil d’entrée dans la bibliothèque.
Cette fonction de médiateurs de la culture littéraire est assumée par les deux concepteurs du Mock, Redek et Pierrot, dans la mesure où ils donnent la possibilité à leurs destinataires, supposés rebelles à la culture classique, d’entendre parler d’œuvres littéraires classiques qu’ils n’ont pas lues. De surcroît, la particularité de cette chaîne est de viser l’acculturation de ces récepteurs au moyen d’une approche critique qui réduit l’écart esthétique (Jauss, 1978) entre les préconceptions culturelles de ceux-ci et l’œuvre classique du passé. Ainsi, la spécificité du Mock consiste, dans un premier temps, à prendre encompte la situation culturelle des destinataires et à se mettre en phase avec celle-ci, à la fois d’un point de vue linguistique : par l’emploi d’un langage adulescent, et d’un point de vue culturel : par des références à la pop culture. Ce faisant, Redek et Pierrot prennent le risque de se démarquer du halo conventionnel des métadiscours académiques qui enserrent la bibliothèque et lui donnent traditionnellement sens et statut. Mais, surtout, ils n’hésitent pas, si nécessaire, à arracher l’œuvre classique de ses cotextes littéraires de référence pour lui attribuer des parentés culturelles inédites et anachroniques : best-sellers de librairie, blockbusters cinématographiques, jeux vidéo.
Le Mock, comme la plupart des chaînes de Booktubeurs, crée ainsi de nouvelles sociabilités interculturelles et de nouveaux interdiscours22, dans ce nouvel espace culturel intégratif de la chaîne YouTube qui est aussi potentiellement un espace d’interactions23. Si l’on suit de Certeau (1980/2014), ces chaînes semblent une illustration des pratiques de braconnage et de créativité des lecteurs en réaction à la chasse gardée imposée par l’institution sur l’interprétation des textes littéraires :
[…] l’implantation massive d’enseignements normalisés a rendu impossible ou invisible les relations intersubjectives de l’apprentissage traditionnel […] La lecture est en quelque sorte oblitérée par un rapport de force (entre maîtres et élèves, ou entre producteurs et consommateurs) dont elle devient l’instrument […]De soi offert à une lecture plurielle, le texte devient une arme culturelle, une chasse gardée, le prétexte d’une loi qui légitime comme « littérale », l’interprétation de professionnels et de clercs socialement autorisés.
(de Certeau, 1980/2014, p. 242-248)
De Certeau rappelle que, dans ce cadre imposé, la liberté interprétative est « tolérée entre clercs […] », mais « interdite aux élèves et au public […] dont les inventions sont tenues pour négligeables, réduites au silence. » (1980/2014, p.248). Cependant, il ajoute que le lecteur braconnier parvient à « insinu[er] son inventivité dans les failles d’une orthodoxie culturelle » en créant « rares et parcellaires, à la manière de bulles sortant de l’eau, les indices d’une poétique commune » (2014, p. 249), celle d’un usage culturel, en marge des pratiques instituées.
Pour l’historien et critique d’art Bourriaud, l’époque contemporaine connaît une multiplication de ces pratiques de braconnage ou encore de bricolage auxquelles les techniques modernes de communication donnent plus de visibilité : blogue de lecteurs, chaîne YouTube et réseaux sociaux, en général. Ainsi, la lecture privée qui est considérée par de Certeau et Bourriaud, de même que par les théoriciens de la réception, comme une production de matière nouvelle, une « postproduction » (Bourriaud, 2003/2009) qui transforme le texte, reçoit de surcroît aujourd’hui la possibilité de manifester son existence tangible grâce à la technique. Désormais, l’interprétation métaphorisée par de Certeau comme une « bulle d’eau » éphémère, au lieu d’éclater en surface et de disparaître dans les flots, peut se manifester sous forme de capsule vidéo consultable à l’envi. On assiste ainsi à une vague de réappropriation culturelle du patrimoine et à une démythification de l’acte de création par ces récepteurs «postproducteurs », selon Bourriaud (2003/2009, p. 19), qui se partagent un nouvel espace affranchi des règles de productions imposées jusqu’alors.
Parce qu’elles doivent l’essentiel de leur visibilité aux réseaux sociaux et à Internet, ces postproductions reconfigurent,en effet, la notion même d’œuvre d’art : « Ce qui s’effondre sous nos yeux n’est autre que cette conception faussement aristocratique de la disposition des œuvres d’art, liée au sentiment d’acquérir un territoire » (Bourriaud, 1998/2018, p.13). Au contraire, la postproduction institue « la possibilité d’un art relationnel »24 (Bourriaud, 1998/2018, p. 12) fondé sur le partage du sensible (Rancière, 2000) comme « ouverture vers la discussion illimitée […] une forme d’art dont l’intersubjectivité forme le contrat et qui prend pour thème central l’être-ensemble, la “rencontre” […], l’élaboration collective du sens » (Bourriaud, 1998/2018, p. 13).
Même si Bourriaud s’intéresse essentiellement au bouleversement épistémologique qui affecte l’esthétique de l’art plastique à l’époque postmoderne, sa théorie semble parfaitement convenir à l’analyse du phénomène culturel que représentent les chaînes YouTube de postproduction littéraire, comme le Mock. En effet, ces chaînes, pour la plupart, cherchent à se présenter comme des « interstices sociaux » au sens où l’entend Bourriaud25 (1998/2018, p. 14), reprenant la définition de Marx. Pour ce qui est de Redek et Pierrot, ils tentent de favoriser des interactions, non plus verticales et descendantes entre énonciateurs et destinataires, conformément au modèle scolaire transmissif, mais des relations horizontales, conformément au genre discursif de référence : le modèle conversationnel de l’échange culturel libre et privé, en marge de l’institution scolaire ou universitaire. En trois années d’existence, le Mock a investi plusieurs réseaux sociaux26 et mis en place des émissions en direct. Il tente aussi de dialoguer avec d’autres chaînes YouTube dont il fournit les liens. Ainsi, les sociabilités autour de la littérature classique mises en place par le Mock sont censées favoriser une reconquête du territoire de la littérature classique comme espace-temps où se bâtit, grâce aux types d’interactions qu’Internet rendpossibles, une « culture de convergence » telle que la définit Jenkins (2006/2014).
Suivant ainsi la pensée optimiste de Lévy (2007), Jenkins pense que le lecteur, naguère isolé, peut désormais, grâce auxinteractions et sociabilités numériques, participer comme récepteur-producteur à l’élaboration de nouvelles formes culturelles. L’observation des communautés de « lecteurs voyous »27 (Jenkins, 2006/2014, p. 294), qui se déploient grâce au cyberespace, renforce sa conviction que les enjeux de telles communautés sont politiques, non seulement en raison de la « circulation d’idées nouvelles (la lecture critique des textes favoris) », mais aussi « par l’accès à de nouvelles structures sociales (l’intelligence collective) et à de nouveaux modèles de production culturelle (la culture participative) » (Jenkins, 2006/2014, p. 294).
La communauté discursive (Maingueneau, 1996/2009) qui semble s’instaurer au sein du Mock devient-elle une communauté interprétative (Fish, 1980), capable de s’émanciper des critères d’interprétation de la communauté interprétative institutionnelle et académique ou bien ne fait-elle que répercuter le discours de référence ? Même si le Mock parvenait à s’écarter du discours académique de référence, ne risquerait-il pas de céder à l’attraction des discours médiatiques générés autour de la pop culture, elle-même aux mains des GAFA28 qui détiennent le cadre économique et technologique de cette communication ? Avant de répondre à ces questions, il convient d’abord de revenir sur les définitions respectives de communauté discursive et de communauté interprétative.
Maingueneau (1984) introduit la notion de communauté discursive dans sa valeur restreinte de « discours qui tout à la fois suppose et rend possible le groupe qui lui est associé » (2009, p. 28) : certains agents fondent ce discours quand d’autres le gèrent. Il donne des exemples de communautés discursives : les journalistes, les écrivains, les philosophes. On pourrait penser que ceux qui manient les métadiscours sur la littérature, comme les enseignants, les chercheurs, les étudiants, les journalistes et les amateurs de littérature, constituent une communauté discursive, mais on est alors confronté à l’obstacle apparent de la diversité des microcommunautés qui forment cette communauté discursive et plus encore à la diversité de leurs discours.
Beacco (1992, p. 15) propose, comme le rappelle Maingueneau (1996/2009), de donner un cadre plus large à la notion de communauté discursive en l’étendant à celle de communauté de communication. Beacco distingue quatre types de communautés discursives selon qu’elles sont à dominante économique, idéologique, scientifique et technique, ou relèvent de l’espace médiatique. Cette dernière catégorie, dans laquelle pourrait être classé le Mock, regroupe les communautés « qui diffusent et confrontent connaissances, opinions, valeurs […]; tournées vers l’extérieur, elles partagent à la fois les traits des communautés à dominante idéologique et des communautés à dominante économique » (Maingueneau, 1996/2009, p. 29). Il s’agira donc d’examiner le positionnement énonciatif du Mock pour tenter de définir l’identité énonciative de cette chaîne YouTube, ainsi que les présupposés (Ducrot, 1984) et le préconstuit (Pêcheux, 1975) la rattachant à telle ou telle communauté interprétative.
La notion de communauté interprétative (Fish, 1980) invite à s’intéresser à ce qui constitue souvent l’angle mort de l’interprétation des textes : le préconstruit pragmatique, sémantique et idéologique servant de sous-texte à toute interprétation. En effet, prolongeant le concept d’horizon d’attente de Jauss, l’analyse de Fish montre que le lecteur n’aborde pas l’acte de lecture en sujet idéologiquement libre et autonome, mais en activant les préconceptions de la communauté interprétative à laquelle il appartient. Autrement dit, toute communauté interprétative fabrique ses objets en les interprétant, ce qui explique pourquoi les textes peuvent être interprétés de manières différentes par desinterprètes appartenant à des écoles de pensées différentes. Selon Fish (1980), « il ne s’agit pas de valider ainsi une approche subjective puisque les moyens par lesquels ces objets sont fabriqués se trouvent être de nature sociale et institutionnelle »29 (p. 331) et que sans cadres préconstruits, aucune interprétation n’est possible. Néanmoins, toute communauté interprétative se scléroserait d’une part sans ajustement de son cadre interprétatif en diachronie, comme l’a montré Jauss en étudiant l’évolution des réceptions de l’Iphigénie de Goethe au cours du temps (étude que Fish a également réalisée avec les différentes réceptions en diachronie de Paradise lost), et d’autre part sans ajustement en synchronie, par frictions et contaminations entre communautés interprétatives. Cette théorie invite donc à porter attention au cadre conceptuel et idéologique dominant au sein duquel s’effectue toute interprétation en même temps qu’à la relativité évidente et à la fragilité de ce cadre interprétatif en perpétuelle évolution, ne serait-ce qu’en raison des frictions productives qu’il entretient avec des cadres rivaux. Ainsi, il serait intéressant d’examiner comment Redek et Pierrot gèrent ces frictions mettant aux prises les préconstruits des communautés interprétatives différentes entre lesquelles ces deux jeunes gens tissent des liens et naviguent : la communauté académique et la communauté adulescente nourrie de pop culture et de pratiques numériques, familière aussi bien des MOOCS que des MOCKS.
On connaît le MOOC (Massive Open Online Course), plateforme d’enseignement à distance dont l’objectif est d’instruire. Mais qu’est-ce qu’un mock numérique ? (Mock, 2018)
En programmation orientée objet, les mocks (simulacres ou mock object) sont des objets simulés qui reproduisent le comportement d’objets réels de manière contrôlée. Un programmeur crée un mock dans le but de tester le comportement d’autres objets, réels, mais liés à un objet inaccessible ou non implémenté. Cedernier est alors remplacé par un mock.
Un mock est donc un objet en tension entre la réalité et la fiction. Il fait apparaître une proposition de modélisation du comportement d’un objet intangible par imitation du comportement d’un objet tangible. L’article Wikipédia ajoute que (Mock, 2018) :
Le concept a été utilisé pour la première fois [en 2000] lors de la conférence XP 2000, dans un article de Tim Mackinnon, Steve Freeman et Philip Craig intitulé Endo-Testing : Unit Testing with Mock Objects. Leterme lui-même est emprunté au roman Alice au pays des merveilles de Lewis Caroll plus particulièrement de la tortue fantaisie (mock turtle) dans la version originale.
Ainsi, comme la « mock turtle », animal chimérique à la fois tortue et veau, qui sert à faire la « turtle soup » dans le roman fantastique de Lewis Caroll, un Mock est donc un objet chimérique et fantaisiste qui ne prétend pas avoir d’existence réelle même si l’objectif visé est de donner une meilleure perception du réel, en l’occurrence pour le Mock de Redek et Pierrot, une meilleure perception des fonctions de la littérature et de ses diverses modalités de réception.
L’article poursuit : « Une traduction de l’expression mock object par celle d’objet fantaisie, est proposée par certains. Une définition de l’adjectif mock étant not real but appearing or pretending to be exactly like something, on pourra lui préférer celle d’objet factice (mais on perdrait alors la référence amusante). »
Ne pourrait-on pas composer un mot lui-même chimérique pour rendre compte de cette chimère pleine de fantaisie et dire sinon à propos du mock numérique en général, mais au moins pour le Mock de Redek et Pierrot, qu’il s’agit d’un objet numérique « fantasmaparodique » ? En effet, ne donne-t-il pas à voir une parodie des fantasmes qui circulent aujourd’hui : sur la littérature classique, sa lecture, son enseignement, ses apprenants en perdition à force d’ennui ? Ne suscite-t-il pas en même temps une certaine forme d’esprit critique à l’égard de tous ces fantasmes, grâce à un humour décapant qui sape les préjugés et laisse entrevoir de nouvelles pratiques culturelles possibles ?
L’analyse doit se cantonner à l’étude d’une capsule vidéo produite par le Mock et prendre en compte deux caractéristiques de cet objet : sa dimension multimodale et sa dimension conversationnelle, sans perdre de vue sa nature numérique.
Le support de l’analyse est circonscrit : il s’agit d’une capsule vidéo réalisée en 2015 par le Mock sur le roman de Flaubert Madame Bovary.
Pourquoi sélectionner cette capsule vidéo pour cette analyse, parmi la vingtaine de capsules de ce format disponibles sur le Mock30 ? En raison de la place emblématique de Madame Bovary dans les études littéraires. Ce roman était alors au programme de la section L. Or, sur le site ministériel Eduscol, une proposition de séquence datée de 2014 a pourtant comme problématique : « L’adolescent d’aujourd’hui peut-il se sentir concerné par ce roman ? Quels liens tisser avec les personnages du roman? »31. La séquence présentée sur Eduscol propose d’ailleurs une entrée dépoussiérée : le jeu de rôle sur Facebook pour inciter les élèves à faire partager leur lecture.
Dans ce contexte, on peut considérer que la capsule vidéo du Mock sur le roman Madame Bovary, parue en 2015, se situe au cœur du problème, celui de la crise de la transmission du patrimoine littéraire et du questionnement qui en découle sur les nouvelles voies ou les nouvelles médiations à inventer. À ce titre, cette vidéo de 2015 reste d’actualitépour le questionnement didactique même si elle représente un objet quasi archéologique au regard de « la temporalité spécifique du contexte YouTubéen : un temps accéléré où toutes les cartes sont rebattues tous les six mois » (Redek, communication personnelle, 26 février 2019).
Cette capsule vidéo qui résume de manière carnavalesque (Bakhtine, 1982) l’intrigue de Madame Bovary tout en fournissant quelques éléments d’analyse du roman est choisie également comme représentative des productions de la chaîne à l’époque où Redek et Pierrot se posaient les questions que continuent à se poser les enseignants de lettres : «Comment parler des bons bouquins ? »32.
Cette analyse vise donc à apporter des éléments de réponse à la problématique suivante : à quelles renégociations de l’héritage académique, en tension entre rupture et continuité, correspond la médiation culturelle de Madame Bovary proposée par les deux jeunes animateurs Redek et Pierrot avec leur Mock ? Ces éléments de réponses peuvent-ils éclairer la réflexion didactique portant sur la recherche de nouvelles voies pour la médiation et la transmission culturelles des œuvres du patrimoine littéraire ?
Pour répondre à cette question, la scène d’énonciation de la capsule vidéo du Mock (composée de la scène englobante, de la scène générique et de la scénographie) constitue l’objet de l’analyse. Celle-ci veille à prendre en compte la dimension multimodale de l’objet à analyser, considérée comme multitexte (Boutin, 2012), ainsi que le contexte social de sa communication et la place qui lui est assignée au sein des pratiques sociales.
D’après Lacelle, Boutin et Lebrun (2017, p. 163), dans le cadre d’une analyse multimodale, trois objets génériques peuvent être retenus :
Le fait que l’on puisse appréhender comme texte polysémiotique l’objet multimodal à analyser, c’est-à-dire la capsule vidéo du Mock, laisse ouverte la possibilité de croiser les items d’analyse présentés ci-dessus avec les critères retenus par Maingueneau (1996/2009) pour l’analyse de la scène d’énonciation.
D’après Maingueneau (1996/2009), la scène d’énonciation « met l’accent sur le fait que l’énonciation advient en un espace institué, défini par le genre de discours », et il souligne aussi « la dimension constructive du discours, qui se met en scène, instaure son propre espace d’énonciation » (p. 111). Puisque Maingueneau rappelle que la scène d’énonciation se rapporte à des textes, on peut supposer que le concept est applicable à l’analyse d’un texte multimodal. Cette scène d’énonciation peut se subdiviser en trois espaces ou trois scènes : la scène englobante, la scène générique et la scénographie (Maingueneau, 1993, 1998).
Schaeffer (1999) ou Citton (2007), entre autres, rappellent combien les jeunes s’éloignent de la littérature, notamment en raison de modalités d’enseignement qui privilégient, à l’immersion fictionnelle, les aspects techniques et rhétoriques. La fiction littéraire, enseignée « comme une langue morte » (Schaeffer, 1999, p. 98), ne joue donc plus son rôle. En conséquence, « la culture fictionnelle des jeunes d’aujourd’hui n’est plus que marginalement littéraire » (Schaeffer, 1999, p. 98), ce que prouve, par exemple, ne serait-ce qu’au simple niveau de la France métropolitaine, l’étude de Donnat (2009) sur les pratiques culturelles des Français à l’ère numérique.
Les chaînes comme Le Mock visent donc le public des lycéens : les « digital natives » (Prensky, 2001), les « natifsnumériques », ceux que Serres (2012) appelle la génération de « Petite Poucette ». Il s’agit de favoriser ou de rendre à nouveau possible une rencontre entre cette génération et la littérature grâce à des pratiques de communication qui rompent avec l’usage scolaire dominant.
Voici comment ces deux étudiants présentent leur projet en février 2015, sur leur chaîne33 :
Salut à tous !
On est deux étudiants lyonnais et on lance notre chaîne de littérature. L’idée c’est qu’on illustre des œuvresclassiques françaises en deux vidéos : le Mock, humoristique, qui présente un résumé et puis un ou deuxpoints importants; et le Mock Retour, plus sérieux, qui analyse le livre sous un autre angle.
On a sorti Dom Juan déjà, et on va ensuite s’attaquer à Andromaque, Mme Bovary, Candide, etc. Disons quela littérature classique est assez peu traitée sur les Internets et que ceux qui cherchent des infos, des clés delectures ou de la contextualisation pourraient être contents de trouver quelque chose sur YouTube. […]34.
Toutes les critiques sont donc bienvenues !
Redek et Pierrot
Comme on l’a vu, le nom propre de Mock est un jeu de mots fondé sur une triple origine, ce qui laisse présager différents objectifs : MOOC (l’instruction), mock (la fantaisie) et moquer (l’humour). Le Mock semble donc proposer une réplique fantaisiste de la devise classique : « plaire et instruire ». Plaire ou même séduire, grâce à la fantaisie et à l’humour, mais aussi « instruire », grâce aux analyses : « infos, clefs de lecture, de la contextualisation » d’ouvrages de littérature classique : Dom Juan, Andromaque, Mme Bovary, Candide, etc.
Pour réconcilier les jeunes avec la littérature, le Mock choisit un média adapté aux « natifs numériques » : YouTube et une stratégie discursive fondée à la fois sur la connivence et l’humour, voire sur le détournement parodique comme le montre la photographie du détournement du tableau de Van Eyck, Les époux Arnolfini, retenue par l’hebdomadaire Télérama35. Cette photographie témoigne de la relation à la fois révérencieuse et irrévérencieuse des deux compères àla culture. En effet, elle illustre parfaitement le rapport de Redek et Pierrot à l’objet culturel qu’ils retraitent. Ces deux jeunes gens jouent les intrus : ils investissent physiquement ce tableau comme par effraction en faisant le choix d’une parodie d’esthétique carnavalesque, faussement irrévérencieuse (voir illustration 1). Or, cette stratégie fait étonnamment surgir les symboles du tableau à la fois malmenés et mis en évidence par leur actualisation anachronique et carnavalesque. De la même manière, Redek et Pierrot s’immiscent dans le monde de la littérature avec un esprit assez volontiers potache et iconoclaste, mais ils cherchent ainsi à réduire l’écart esthétique entre la culture littéraire classique et le récepteur actuel afin de rendre enfin possible, grâce à l’effet comique de leurs productions, une connivence culturelle empêchée.
Redek et Pierrot forment donc un duo comique dans lequel l’un joue le clown blanc sérieux et l’autre l’auguste, pour présenter dans une langue adulescente adressée à des interlocuteurs qui ne semblent pouvoir être que des copains ou des pairs, les classiques du baccalauréat. Ils le font au moyen de capsules vidéo tournées dans des lieux de vie ordinaires pour des étudiants : une chambre au confort rudimentaire, un salon sommaire, une cuisine.
Afin de captiver leurs récepteurs avec l’intrigue du roman de Flaubert Madame Bovary, les deux compères n’hésitentpas à s’engager dans un jeu de rôle qui les conduit à donner de leur personne en incarnant les époux Bovary. Cependant, pour mieux se transformer en personnage, chacun revêt un pseudo costume d’époque à l’effet carnavalesque. Redek se grime en Emma et Pierrot en un Charles à grosses moustaches, allusion à Flaubert « cet auteur moustachu », selon l’expression de Pierrot (voir illustration 2).
Le Mock vise à favoriser une rencontre positive avec le patrimoine littéraire :
En effet, chaque élève ‒ chaque personne ‒ déçu par un chef-d’œuvre classique nous peine, et c’est de notre devoir d’offrir des alternatives susceptibles de les toucher, pour rappeler la beauté de notre culture et l’humour colossal qui habite ces livres.36
Chaque présentation comporte deux épisodes. Au cours d’un premier épisode, d’environ huit minutes, les deux jeunes gens résument tout en l’interprétant de manière parodique, l’intrigue de l’œuvre puis dans un second épisode, intitulé «le retour », ils se livrent à une analyse littéraire de cette œuvre. Leurs films sur les notions, par exemple sur les registres ou la carte de tendre, sont construits comme de véritables fiches synthétiques même si le parti pris humoristique est maintenu. L’un des liens d’accès au site s’intitule d’ailleurs « le Mock des vidéos pour réviser le français »37. Les deux jeunes gens sont donc des passeurs entre deux communautés qui ‒ et c’est bien le présupposé ‒ ont du mal à communiquer : les enseignants de lettres et leurs élèves. Redek et Pierrot sont comme les nautoniers d’un bac, si l’on peut dire. Ils conduisent les jeunes adulescents vers une rive éloignée de leur propre culture. Ils assurent également cette mission en leur donnant simplement à entendre, de manière sérieuse et même recueillie, sur Soundcloud38, la beauté de quelques pages choisies de la littérature classique, lues par Antoine et mises en musique par Sergueï : Apollinaire, Baudelaire, Camus, etc.
D’un point de vue esthétique et culturel, Redek et Pierrot sont des « sémionautes » au même titre que les artistes postproducteurs selon Bourriaud (2003/2009, p. 10). En effet, ils réussissent comme les artistes évoqués par ce critique d’art à « inventer des itinéraires à travers la culture » et invitent ceux qui les observent à oser « apprendre à se servir de ces formes » à les habiter et à se les approprier. Une fois que la rencontre esthétique a eu lieu, les habits de carnaval tombent. Il reste alors la littérature et les questions éternelles qu’elle pose.
La scène générique renvoie, selon Maingueneau (1996/2009), au genre de discours social de référence. La présentation de Madame Bovary par le Mock s’effectue en tension entre deux modèles de référence : le modèle didactique vertical et le modèle conversationnel horizontal.
D’un point de vue symbolique, le décor du discours didactique est intéressant. Dès que le jeu carnavalesque du résumé de l’intrigue s’achève, le discours explicatif se fait systématiquement sur fond de bibliothèque et sans déguisement, ce qui marque une rupture avec la toile de fond et les costumes choisis pour évoquer le monde de l’histoire. Un brusque retour à la réalité s’opère alors. L’énonciateur sur lequel est braquée la caméra se retrouve au centre du dispositif. Il adopte une posture pédagogique : symboliquement, les livres à l’arrière-plan se trouvent exactement dans l’axe de sa tête. Il devient l’intellectuel qui s’exprime avec la caution de ses lectures (voir illustration 3).
Redek commente l’intrigue romanesque en utilisant de nombreux présentatifs à valeur définitoire, des procédés de généralisation, des expressions ou connecteurs à valeur conclusive, ponctués par des gestes démonstratifs et un regard droit destiné à capter le public. Le guidage de l’interprétation du lecteur porte sur plusieurs points. Redek tente l’explication du roman à partir du nom de l’héroïne :
En fait tous les problèmes de cette meuf peuvent être résumés dans son nom « Emma Bovary ». Emma, cellequi aima dans la mélancolie, dans le regret, dans la passé, loin du réel et du présent. Et Bovary, ça ressemble quand même vachement à « bovin », les vaches, les merdes, la bouse et le calva.39
Il cherche l’analogie probante :
Emma Bovary, c’est la meuf qui mate des comédies romantiques mais qui sort avec des beaufs. C’est une meuf qui arrive en soirée déguisée en Mimi mais qui se fait gerber dessus par un inconnu qu’elle avait chopé parce qu’il l’avait fait rêver l’espace d’un instant.
Enfin, il aborde l’explication stylistique, mais sous l’angle de l’identification du seul procédé qui change tout et qui signe l’appartenance de l’auteur à une époque et à une école, autre argument d’autorité :
Ce qui donne cette impression de trop plein c’est un petit fait très simple, des mots au pluriel juste là où on ne les attend pas. Pour prendre des images qui font kiffer les écrivains romantiques : un cygne qui pousse unchant funèbre juste avant de mourir, une feuille d’arbre battue par le vent, un crépuscule, un pays où lesarbres ne sont qu’orangers et citronniers et on les met au pluriel […]
Enfin, il compte sur la formule finale péremptoire qui frappe :
Tout ce qu’elle espère, elle le rate parce qu’elle est toujours rattrapée par le réel. Emma Bovary c’est l’échec du sublime, c’est quand par un soir de pleine lune, tu regardes les étoiles en rêvant à l’amour et que tu glisses dans la merde.
L’adresse finale au récepteur « tu », même s’il s’agit d’en appeler à son expérience de la vie, montre que jusqu’au bout de la démonstration, le récepteur est tenu de suivre le raisonnement et d’adhérer aux arguments d’autorité.
L’énonciateur se place lui-même au centre du dispositif énonciatif qu’il produit et qui le met en scène comme référence du savoir : sa parole est le point où se noue une partie du sens de la communication. Il est en quelque sorte autolégitimé par la situation qu’il définit. Par ailleurs, le mode de communication choisi, le site Internet, bouteille à la mer vers la notoriété potentielle, participe incontestablement à cette valorisation de l’énonciateur. Cette possibilité de visiter librement et sans limites une telle vidéo postée sur Internet, en passant outre la labilité et l’évanescence du discoursoral, renforce la puissance illocutoire de celui-ci. Le discours devient une référence consultable et partageable qui peut devenir « virale » et envahir les écrans. De telles vidéos, surtout si elles rencontrent le succès, ont donc naturellement vocation à porter un discours d’autorité, parfois modélisant, même si l’intention de leurs concepteurs était tout autre.
Malgré tout, la leçon est donnée dans une langue et sur un ton éloignés de tout formalisme académique. Les deux jeunesgens multiplient les signes de connivence linguistique. Ils s’expriment dans une langue qui oscille entre registre courant et familier. L’intrusion d’éléments de langage anachroniques ‒ notamment dans les dialogues prêtés au couple Bovary ‒ contribue à maintenir un effet humoristique. Il s’agit, par exemple, de l’emploi de termes populaires ou relevant du vocabulaire des jeunes : « bonnes sœurs », « meuf », « déguisée en Mimi », « dernier des beaufs », « mec », « bouquin », « mater », « gerber », « choper », « soirée », « trifouiller le moi ». Les effets de connivence intragénérationnelle sont renforcés aussi par la reprise, à visée parodique, de phrases véhiculant des lieux communstout droit issus de séries télévisées : « J’ai rencontré un homme ! », « Il est trop chou ! Écoute, ma chérie, mais c’est magnifique ! Un mec comme ça tu le laisses pas partir ! », « Ah ! Mon Dieu ! Mais qu’est-ce qui nous arrive ! », « Le romantisme, c’est le mariage à George Clooney et Amal Alamuddin ? NON ! – Ah ! Je pensais… », « Cette meuf, elle en fait mille fois trop ! », « Le destin est-il contre nous ? Notre amour a-t-il mécontenté le Ciel ? ». Le Mock tente donc d’instituer une relation horizontale qui équilibre la relation verticale induite par l’association entre savoir et pouvoir dans le discours.
Il semblerait que leurs destinataires aient été sensibles à cet effort de commuer la verticalité en horizontalité comme en témoignent les premiers commentaires qu’a reçus le Mock40 (dans les exemples suivants, l’orthographe originelle est conservée et le passage d’un commentaire à un autre est matérialisé par une triple barre oblique.). Les internautess’adressent à Redek et Pierrot comme à des pairs en utilisant un langage que l’on peut qualifier de libéré :
Oh bordel les mecs vous m’avez fait rever 😀/// Oh PUTAIN ! Je viens de vous découvrir les gars ! C’est brillantiscime (sic) !/
Ils expriment leur plaisir en un langage émaillé de termes de connivence :
Mais bon, j’ai pris mon pieds en tant que littéraire, mais je pense qu’on peut prendre son pied même si on l’est pas trop ^^/// Ou on peut trouver des phrase comme :”Le red et le black ! Le blaze du keum qu’a ecrit lebook c’est Stendhal “J’adore !/// C’est frais ! Bravo, j’ai suivi l’épisode comme un gosse, avec un sourire sur la gueule du début à la fin 🙂 Je pense que je vais aller m’abonner là./// Mais putain ce kiff les gars ! J’ai vraiment adoré, bien foutu, bien joué, bien écrit, rien à dire quoi si ce n’est continuez comme ça 🙂 /// bravoj’ai pas souvenir qu’on m’ait intéressé comme ça à la littérature classique un jour 🙂/// Ouuuh !! C’est grave sympa ! Ce forum est une mine./// L’écriture est chiadée, les analyses bien foutues et les conclusionspertinentes ! C’est de CE genre de qualité dont j’ai envie sur youtube ! 🙂
Ils donnent également des conseils, ce qui prouve que les destinataires du Mock se sentent sur un pied d’égalité et d’échanges de bons services entre pairs. Ces conseils concernent les aspects techniques, mais aussi le style même de la présentation :
Deux trois petits trucs pour moi par contre :
– Le son, y’a un peu d’écho c’est chiant, et attention a l’étalonnage, notamment entre vos voix et la musique(par exemple avec libertine), ça fait le grand huit en puissance sonore.
– J’aurais pas mis les titres en plein milieu de vos visages, ça me fait un peu bizarre.:
/// Certaines blagues un peu faciles… fin je sais pas se contenter de traiter un personnage classique d’enculé/depute c’est pas subversif ni hyper imaginatif (fin ça se fait entre copings en classe quoi tout le monde le fait)…vous avez des blagues tellement plus intéressantes/construites… je pense que vous pouvez mettre la barre plushaut. Je dis pas que dans un certain contexte utiliser ces insultes peut pas être intéressant mais pour le moment ça m’a un peu sorti du truc… comme si (pour faire une grosse caricature) on m’avait servi du Bigard alors que je voulais du Devos.
Certains sont sensibles à la dimension démocratique de partage du savoir :
Ça m’a fait penser un peu à la bd “littérature pour tous”/// J’ai comme une impression que votre complicitéapparente et le “en tout cas, nous on trouve ça drôle” ça décomplexe et ça déculpabilise! du genre: ” ‘men fou si j’comprends rien et que je trouve pas ça drôle, pcq ils se comprennent et ils se marrent tout seuls de toutes façons !”
–> Du coup spectateur détendu –> du coup spectateur réceptif –> du coup spectateur séduit et enrichiculturellement ! ///- Ya un ton très arte (la seule chaîne bien de la télai c’est dit) dans le côté salissons/anoblissons la “grande culture”
– Et en même temps c’est vraiment détendu alors que sur arte t’as toujours cette impression de : “lol… nan mais attends on n’est sérieux en vrai dude ! Cultive toi” !
Trois ans après ces premières réactions, le Mock compte 56 000 abonnés. En somme, la tension entre verticalité et horizontalité semble se résoudre en faveur de la communication horizontale, peut-être aussi parce que les nouveaux modes de communications bouleversent les règles de la communication traditionnelle. En effet, ce média YouTube a été choisi expressément en 2015 par le Mock parce qu’il était le seul selon Pierrot41 où toucher un public de jeunes désertant les livres et susceptibles de réagir à la proposition. Depuis 2015, pour favoriser cette intersubjectivité horizontale, les concepteurs du Mock ont cherché à mettre en place des émissions en direct. Ainsi, La chronique de Redek et de Pierrot convoque la littérature et la philosophie pour éclairer les problèmes de société mis en discussion. Les deux jeunes gens ont également institué, à dates régulières, des directs consacrés à des débats sur l’interprétationd’œuvres du patrimoine littéraire42.
Ils ne cessent d’inventer de nouveaux objets, de faire varier les formes et les formules pour chercher à tirer tout le parti possible des opportunités de communication qu’offre YouTube.
Selon Bourriaud (2003/2009), qui s’est intéressé aux tensions productives et créatrices entre culture classique et culture artistique contemporaine,
[l]a Haute culture repose sur une idéologie du socle et de l’encadrement, l’exacte délinéation des objets qu’elle promeut, enchâssés dans des catégories et régulés par des codes de présentation. La culture populaire, à l’inverse, s’est développée dans l’exaltation du hors limites, du mauvais goût, de la transgression– ce qui ne signifie pas qu’elle ne produit pas son propre système de cadres.
(p. 37)
Il s’agit de s’intéresser à la manière dont Redek et Pierrot prétendent confronter la culture classique aux risques du détournement, du mauvais goût et de la transgression, pour la mettre au service d’une « esthétique relationnelle » (Bourriaud, 1998/2018) soutenue par les possibilités de communication et de partage offertes par le média numérique.
Les potentialités de la chaîne numérique YouTube permettent à Redek et Pierrot de multiplier les modalités de création et donc de communication : discours oral, image fixe ou mouvante, accompagnements musicaux, bruitages, graphisme ludique, texte, etc. Cette approche multimodale correspond aux attentes des natifs numériques, nés les écouteurs aux oreilles et les yeux sur l’écran, friands d’images frappantes et d’accompagnements musicaux rythmant la progression du propos et donnant une tonalité à chaque séquence.
La communication numérique développe de nouveaux habitus esthétiques : le récepteur peut naviguer librement, consulter les documents de son choix au moment de son choix dans le lieu de son choix, passer d’un site à l’autre, ne regarder que les images sans le son ou l’inverse, consulter plusieurs sites en même temps, tout en écoutant de la musique, en téléphonant ou en envoyant des messages écrits. La capsule vidéo de YouTube, même lorsqu’elle requiert l’attention du récepteur pour produire son effet, a plusieurs entrées possibles : par l’image et par le son. Mais elle laisse aussi à l’internaute toute la liberté de satisfaire ses compulsions ergatives vers d’autres objets. Ainsi, ces nouvelles formes de réception extensives, faites aujourd’hui de « pillotage », au sens où l’entendait déjà Montaigne, s’accommodent sans doute davantage des formes brèves plus propices à la navigation et à la construction d’une culture par hyperliens, « à sauts et gambades ». Le récepteur recrée l’objet par l’usage en croisant, en un même moment, les objets et les stratégies de réception.
Par conséquent, le Mock est contraint de s’adapter à la situation de réception à laquelle est confrontée une capsule vidéo sur Internet. Pour capter et retenir l’attention des destinataires visés : leurs pairs réfractaires à la culture classique, les concepteurs du Mock multiplient les signes forts de connivence générationnelle. Il leur faut aller vite, surprendre et séduire. Les deux jeunes gens choisissent de prendre le contrepied des pratiques scolaires de sacralisation des œuvres et de jouer au chamboule-tout, comme pour se débarrasser des préjugés académiques et partir sur de nouvelles bases en faisant de la littérature non plus un objet de savoir, mais un terrain de jeu et de complicité bouffonne. Ils donnent tous les signes d’irrévérence envers la haute culture et se montent capables des mêmes plaisanteries un peu lourdes et potaches que le reste de leur classe d’âge : les jeux de rôle décalés, les déguisements parodiques, les références aux séries télévisées ou à la vie des jeunes d’aujourd’hui.
Ainsi, comme on l’a vu, Redek et Pierrot font le choix d’une mise en scène carnavalesque pour mimer l’intrigue romanesque de Madame Bovary : ils se griment et endossent des accoutrements burlesques. Les personnages principaux du roman sont disqualifiés dès leur apparition. Les premières images montrent le personnage d’Emma présenté de manière grotesque, à quatre pattes, comme un animal, ce qui est commenté par : « Emma fille espiègle d’un paysan normand mène une existence paisible dans le couvent où elle a été placée dès son plus jeune âge » (voir illustration 4).
« Charles, lui, est un garçon vaillant et charismatique qui avait su acquérir un rôle central dans la cohésion de sa classe», on entend alors des bruits d’enfants déchaînés. Charles est criblé de boulettes de papier et reçoit une bassine d’eau sur la tête, alors qu’il lit (double mise en abyme ?) Madame Bovary (voir illustration 5).
Ce grand débondage du trop-plein de révérence institutionnellement due au classique se perçoit également avec l’évocation de la ferme natale d’Emma et de la campagne normande, soulignées prosaïquement de chants de coq et de bruits de basse-cour ainsi que de meuglements de bovins destinés sans doute à marquer la réalité terre à terre de ce monde d’ennui, sans rêve. La puissance de l’image et du son vient toujours percer à vif les mensonges des propos et faire voir la réalité cachée derrière les croyances et les illusions des personnages. L’esthétique de la capsule vidéo se rapproche ainsi de celle du carnaval et elle en a sans doute le même pouvoir profondément libératoire que décrit Bakhtine (1982). En les démythifiant de manière subversive, Redek et Pierrot libèrent leurs pairs du rapport glacé aux objets sacrés que sont les œuvres classiques de la littérature.
Ensuite, toujours dans la même veine carnavalesque, les deux compères tentent de parodier, par un jeu de rôle burlesque, l’inadaptation du couple Bovary à la réalité du monde. Ils prêtent à chacun des deux protagonistes une voix où perce une certaine candeur niaise, pour Charles, et une intonation d’évaporée, digne de celles des héroïnes des Feux de l’amour43 ou d’autres séries télévisées équivalentes, pour Emma, devenue poupée Barbie de rose vêtue, dans la séquence du théâtre à Rouen, face à Charles, ours en peluche balourd, à lunette et grosse moustache. Mais d’abord, la rencontre du couple est présentée comme un faux coup de foudre, en rase campagne entre les deux compères déguisés en Emma et Charles. Le déclic du coup de foudre est matérialisé par le déclencheur d’un appareil photo suivi d’un chant de coq et de meuglements de bovins puis à nouveau de bruits de basse-cour. Alors, en relevant ses jupes, Emma suggère d’un ton peu enthousiaste : « Enlève-moi beau Prince… ». Suit la séquence triviale du mariage : « leur mariagese passa comme Emma l’avait toujours rêvé ». Cette phrase de la voix off est accompagnée non d’une valse romantique,mais d’un mauvais enregistrement de musique disco des années 1970. La suite du commentaire : « tous les seigneurs du voisinage avaient répondu présents à l’appel » illustre une scène de beuverie où l’on ne voit, en gros plan et nuit américaine, que des bouches moustachues dégoulinantes de boissons diverses et de nourritures grossières, dans une ambiance de soirée avinée. La bande-son fait entendre, en contrepoint, de la musique, des rires et des mastications diverses.
Tous ces éléments sont propices à susciter outre une désacralisation libératoire, une sorte de distanciation brechtienne.
Pour Redek et Pierrot, cette distanciation est évidemment une manière de mettre en abyme l’ironie flaubertienne, «marque de fabrique de cet auteur moustachu »44 et d’en donner une idée par le procédé de l’antithèse constante pratiquée entre propos et images.
Ce décalage ironique, souligné à gros traits durant tout le film, se transforme progressivement en procédé qui engendre une forme irrésistible de comique de répétition comme c’est le cas dans deux séquences construites en miroir. Celles-ci évoquent les premiers temps de l’union de Charles et d’Emma. La vie de couple des Bovary est présentée selon le même renversement entre apparences et réalité : le décor d’une chambre d’étudiant est censé représenter l’intérieur des Bovary. Sur fond de musique de chambre, Charles est assis dans un fauteuil, au premier plan, inactif, l’air hagard, tenant à la main une chope de bière dans laquelle il trempe les lèvres de temps à autre, aveugle à ce qui se passe autour de lui, c’est-à-dire à Emma, à droite, en train de balayer toujours le même carré de parquet, d’un geste las et désabusé, le regard perdu, la lèvre amère (voir illustration 6).
Le commentaire est le suivant : « Après ses noces, Emma Bovary expérimente la passion et les emportementsamoureux de la vie conjugale » puis on entend une toux « mais la maladie la terrasse ». Et le commentateur poursuit : « Charles soupçonnant une baisse de moral pose un choix décisif. Ils déménagent à Yonville. » Changement de plan, mais pour présenter quasi le même décor, si ce n’est qu’Emma balaie à gauche, avec le même air d’ennui profond. Cependant, le décor est encore plus nu et vide puisqu’il n’y a plus que des murs blancs dans cette nouvelle chambre, comme pour symboliser l’accroissement du désastre conjugal. « Alors heureuse, épanouie, satisfaite de sa vie palpitante, Emma résiste dignement aux nombreuses avances de Léon » : un hennissement de cheval fougueux se fait entendre, la porte s’ouvre. À l’insu de Charles, toujours mobilisé par sa chope, Emma se dirige vers la sortie, s’absente quelques secondes, happée par une main étrangère pour réapparaître ensuite, la perruque de travers et le rouge à lèvres débordant, comme si elle avait été embrassée avec fougue. Et ainsi, les deux compères retracent de manière à la fois ironique et burlesque l’histoire de ce roman phare du panthéon littéraire qu’ils traitent sans égards, jusqu’au suicide d’Emma, accompagné étonnamment par une musique pop, rythmée, comme pour suggérer qu’il lui arrive enfin quelque chose d’intéressant.
Les procédés mis en œuvre pour présenter l’intrigue du roman fonctionnent comme autant de signes de connivence intersubjective qui rappellent que ce sont des étudiants avec des moyens d’étudiants qui se livrent à cette parodie burlesque dignes de potaches pour se défaire de l’emprise un peu guindée d’une entrée académique dans les œuvres. Ils prônent le jeu de rôle et l’entrée bouffonne, alors que le discours scolaire fonctionne généralement à l’inverse, en obligeant l’élève à prendre d’emblée en compte le point de vue sérieux et savant ainsi que l’encyclopédie requise poureffectuer une lecture érudite du roman. Redek et Pierrot partent de l’encyclopédie de leurs pairs et tablent sur l’effet de connivence générationnelle pour réduire la distance culturelle et favoriser ainsi, d’analogie en analogie, notamment en s’appuyant sur les références aux séries télévisées, une entrée dans le roman. Certes, cette entrée dans la littérature classique s’effectue par un chemin détourné – le chemin des écoliers ? – mais en amenant leurs pairs à s’intéresser à l’histoire de Charles et d’Emma, qu’ils présentent comme un terrain de jeu et d’amusements iconoclastes, Redek et Pierrot assument le rôle de passeurs entre culture populaire et culture académique.
L’ensemble des capsules vidéo réalisées par le Mock témoignent de l’application des concepteurs à restituer à la littérature classique une transitivité perdue. Ainsi, les éléments de culture et d’analyse utiles à la compréhension et à l’interprétation du roman de Flaubert sont systématiquement exemplifiés par des références à la pop culture. Celle-citient lieu du cadre interprétatif structurant la compréhension des notions littéraires, même si ce cadre semble aussi iconoclaste qu’inattendu, y compris à ceux pour qui il est présenté comme éclairant. Par exemple, Redek et Pierrot définissent l’ironie en la présentant comme « l’art de dire, par antiphrase, l’inverse de ce que l’on pense » puis ils tissent immédiatement ce lien scabreux à la culture populaire : « Bravo [Claude François] utiliser un sèche-cheveux comme micro pour chanter dans son bain, quelle idée de génie ! » La définition du romantisme amène à évoquer le mariage de Georges Clooney. Le choix du mauvais goût contre le bon goût académique, tout comme le choix de la dérision consciente et assumée de la posture savante et sérieuse ont vraisemblablement pour objectif de démystifier l’aride accès à la culture, d’en rendre l’abord praticable. Le Mock tente de faire la démonstration qu’il est possible d’accéder à la culture classique par la culture pop considérée comme l’un des cadres interprétatifs de cette culture classique.
L’initiation au romantisme littéraire mêle ainsi culture classique et allusion à des événements culturels relevant quelquefois même de la culture rurale des années 1960. Pierrot mime, le micro à la main, un chanteur de province qui déclamerait : « Amer savoir, celui qu’on tire du voyage !/Le monde monotone et petit aujourd’hui/ Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image/Une oasis d’horreur dans un désert d’ennui. » Puis il commente : « C’était Charles Baudelaire en direct de la salle des fêtes de Choseley Pouzilhac ! J’adore ce type ! » Sans transition, deux tableaux majeurs du romantisme apparaissent une seconde chacun à l’écran : Le voyageur contemplant une mer de nuages de Friedrich et Pêcheurs en mer de Turner. Mais ces tableaux côtoient des photographies kitch de cygnes qui font « coin-coin » en mourant et de chutes de feuilles mordorées, comme si la pratique de l’autodérision suggérée par ces références hybrides devait protéger Redek et Pierrot de l’accusation d’être des intellectuels.
En somme, Redek et Pierrot favorisent l’adhésion de leurs pairs d’une part en multipliant les clins d’œil complices à une pop culture commune et d’autre part en adoptant une posture de distance potache et rebelle à l’égard de la culture académique. Ils ont systématisé ce procédé dans l’ouvrage intitulé Classiques ! 18 conversations désopilantes (et néanmoins érudites) sur la littérature (2018). Chaque œuvre classique ou auteur classique s’y trouve mis en relation avec une œuvre ou un personnage appartenant à la pop culture et ceci sans crainte des anachronismes, comme par goût exacerbé de la provocation : « En quoi Molière a-t-il été le précurseur de Black Mirror ? Racine était-il aussi jouissif et cathartique que Tarantino ? Norman est-il le nouveau La Bruyère ? » (Redek et Pierrot, 2018, p. 5). Conscients des enjeux subversifs de leur démarche herméneutique, les deux complices empruntent ces nouveaux chemins de la culture au cours de « conversations » qu’ils qualifient eux-mêmes de « désopilantes ». Redek, le sage, et Pierrot, le trublion, se donnent en effet la réplique, selon une démarche dialectique qui cherche les effets de frictions heuristiques entre culture légitime et pop culture.
Cette démarche bouscule les hiérarchies culturelles académiques, ce que confirme la manière dont ces deux complices présentent le double objectif de l’ouvrage issu de leur publication YouTube : « Ce livre veut être une porte d’entrée dans la littérature classique pour les gens de notre âge, mais pourra également faire découvrir la pop culture aux personnes âgées (trente-cinq ans et plus). » (Redek et Pierrot, 2018, p. 5). La pop culture, loin d’être disqualifiée, devient donc le cadre d’une compréhension plus large et inclusive de la culture. Ce cadre est même susceptible de favoriser l’intercompréhension des générations. Une telle conception de la culture suppose une équivalence de valeur, à la fois sur le plan esthétique et sur le plan culturel, entre culture classique et pop culture, la seule différence étant générationnelle : aux vieux la culture classique, aux jeunes la pop culture (ce qui ressemble malgré tout à un stéréotype). Mais l’essentiel est bien de comprendre que le décalage et la subversion ont ici une fonction paradoxale de recadrage et de fusion des horizons, propices aux frictions heuristiques. Ce qui n’est sans doute qu’une bravade à visée humoristique pour Redek et Pierrot, interpellecependant sur les moyens actuels de diffusion de la ou des cultures, le statut du livre face aux nouveaux médias, la manière dont se redessinent les frontières et les hiérarchies culturelles entre vecteurs traditionnels et modernes, entre contenus culturels de la bibliothèque traditionnelle et ceux de la bibliothèque multimodale.
Trois années après la capsule vidéo sur Madame Bovary, Le Mock serait la première chaîne de MétaLittéraTube avec près de 56 000 abonnés en février 2019 dont 80 % ont entre 18 et 34 ans. On enregistre 1 941 129 vues, à cette même date, pour la présentation générale de cette chaîne YouTube accessible sur Facebook, Twitter et Tipeee. Le Mock a réalisé de nombreuses autres analyses d’œuvres classiques. Il a aussi diversifié ses approches en s’efforçant de donner plus de place à la simple lecture des textes littéraires du patrimoine mis en voix par Antoine et en musique par Sergueï. Ainsi, on peut relever à titre d’exemple 97 155 vues, en février 2019, pour l’adaptation multimodale (mise en voix, accompagnement musical et graphique) de « La Chanson du mal-aimé » publiée le 26 décembre 2016 sur Le Mock. Cette adaptation du poème d’Apollinaire a donné lieu à une présentation par Redek et Pierrot, à l’ENS Lyon, en novembre 2016, dans le cadre d’une manifestation annuelle intitulée Les Vulgarizators, accessible sur Facebook. Les concepteurs du Mock obtiennent donc une reconnaissance académique confirmée par la réalisation de l’ouvrage Classiques ! (2018) à la demande d’Albin Michel. Si l’on s’appuie sur le cas du Mock, on peut dire qu’un nouveau genre sinon de critique littéraire au moins de médiation culturelle semble émerger avec les chaînes YouTube et trouver sa place à la fois sur Internet et dans les instances traditionnelles où l’on traite de littérature : la consécration – à moinsque ce ne soit une récupération – étant sans doute l’invitation à faire une conférence à l’ENS !
En libérant les œuvres classiques du tissage séculaire de leurs relations intertextuelles classiques et du métadiscours académique, Redek et Pierrot les extraient de leur écosystème culturel et sociodiscursif originel et leur font intégrer un écosystème culturel allogène qu’en même temps ils fondent par leur discours de médiation qui se tient à mi-distance entre les deux mondes. Ce nouvel écosystème se crée à l’intersection entre l’espace culturel de la bibliothèque collective et l’espace culturel de la pop culture multimodale. Dans cet espace culturel inédit, qu’on pourrait nommer la bibliothèque multimodale, s’instaure un nouveau dialogisme intertextuel et intermodal entre les textes classiques et les productions multimodales de la modernité. Redek et Pierrot se font ainsi braconniers de la culture (de Certeau, 1980/2014), mais aussi médiateurs, car ils ouvrent la culture à un partage plus démocratique, hors des murs des institutions scolaires ou universitaires. Ils constituent peut-être le chaînon manquant entre deux communautés qui sans cela ne s’entendraient pas ou seulement sur la base de quelques malentendus.
On peut se demander avec Proulx (1994), qui suit en cela Foucault contre de Certeau, « si ces foyers de résistance ne sont pas en même temps les lieux à partir desquels le pouvoir s’installe et prend place » (Proulx, 1994, p. 194). Cette analyse ancienne permet de rappeler qu’aujourd’hui, plus encore qu’en 1994, le cadre technologique de la communication numérique est imposé par les GAFA. Or, Proulx (1994) se demande déjà si les pratiques de résistance culturelle ne sont pas « immédiatement récupérées par des stratégies marketing de contrôle continu des tactiques » (p. 195). La question se pose donc de savoir s’il est possible, comme le propose Bourriaud (1998/2018), de « renverser l’autorité de la technique afin de la rendre créatrice de manières de penser, de vivre et de voir » (p. 73), et pourrait-on ajouter de parler de la littérature en ce qui concerne le Mock ?
Néanmoins, il semble que le Mock de Redek et Pierrot fonde bien la possibilité d’une esthétique relationnelle, au sens où l’entend Bourriaud (1998/2018), dans la mesure où l’objectif du Mock est la défense et l’illustration de la littérature classique, sans mise à l’écart de la pop culture, à l’adresse d’un public éloigné de la culture classique, lequel peut accorder visibilité ou mort à la chaîne en lui accordant ou en lui refusant son audience. C’est donc grâce à une culture de convergence entre producteurs et récepteurs que se crée et se développe cet espace de braconnage et de bricolage esthétique. Cet espace de bruissement interdiscursif est représentatif d’un phénomène culturel. Des liens de plus en plus nombreux se tissent entre les différentes communautés discursives qui se créent sur ces chaînes de MétaLitteraTube comme le prouvent, entre autres, ces commentaires de Redek et Pierrot datant du 5 octobre 2018 :
Notre nouvelle vidéo est en ligne (le silence éternel de ces espaces infinis), c’est un hommage à “C’est pas Sorcier “sur le thème de la conquête de l’espace.
Le lien de la vidéo : https://youtu.be/LterHd8kbto
Cet épisode est le plus ambitieux de notre chaîne. S’il vous touche, partagez-le, envoyez le lien à vos amis ! Nous on vous embrasse et on va zoner un peu dans l’espace commentaire. 🙂
C’est aussi une collab’ avec Le Sense of Wonder qui prépare une suite de vidéos qui font aussi le lien entrelittérature et astrophysique ! Allez faire un tour sur leur chaîne et vous abonner si vous ne connaissez pas ! (https://www.youtube.com/channel/UCjsHDXUU3BjBCG7OaCbNDyQ)
On voit qu’il n’est plus simplement question de préparer au baccalauréat, mais plus largement comme le conseille Fish (1980), « de faire autre chose avec la littérature que de la commenter » : d’en faire un usage créatif; de s’en emparer pour réfléchir et rêver. On ne sait pas encore si ces communautés discursives deviendront des communautés interprétatives aux préconceptions autoritaires !
Certes, il reste encore difficile d’évaluer les effets réels de ces formes de médiation de la littérature « classique » (chaînes YouTube, blogues) sur les pratiques culturelles des jeunes de 15 à 30 ans. Une telle enquête relèverait d’ailleurs de la sociologie : il s’agirait d’identifier précisément le réceptorat de ces chaînes puis de mesurer durant une période suffisamment longue, sur un échantillon socioculturellement représentatif, l’impact de la fréquentation de ces chaînes sur l’appétence de ce réceptorat pour la littérature classique. Cependant, même en l’absence de tels résultats45, et malgré les réserves de Donnat fondées sur les conclusions d’une enquête plus large46, on peut d’ores et déjà constater qu’en raison du nombre et de l’audience de telles chaînes YouTube, la littérature classique, en se frayant de nouvelles voies, rivales ou complémentaires des canaux académiques traditionnels, semble malgré tout atteindre un nouveau public. Par ailleurs, grâce à Internet, elle s’enrichit incontestablement de frictions inédites avec la pop culture et entretient avec elle de nouvelles relations intertextuelles. Ainsi, on peut-on proposer de considérer que ces chaînes ont toute leur place dans l’« écosystème littéraire »47 (Bonnet, 2018a, 2018b) en voie de développement sur Internet? . Cet écosystème est un phénomène culturel qui lui-même génère de nouvelles pratiques culturelles et s’élargit à des conceptions intégratives qui estompent les clivages entre littérature classique et pop littérature d’une part et entre littérature papier et LittéraTube d’autre part, les unes s’expansant et se pensant grâce aux autres et inversement. Parce que ces sites peuvent être considérés comme des micro-utopies culturelles mettant en scène une esthétique relationnelle intégrative et ouverte, leur confrontation à la réalité et aux exigences des pratiques d’enseignement renvoie nécessairement un éclairage qui permet d’alimenter la réflexion didactique et d’imaginer de nouvelles modalités pédagogiques de médiation et de transmission, sans pour autant attribuer à ces chaînes YouTube le statut de modèles. D’ailleurs, la réorientation actuelle du Mock vers une médiation non plus humoristique et potache, mais sensible et artistique, dans la lignée de réflexions conduites aujourd’hui en didactique sur la réception sensible48, notamment à partir de textes fondateurs comme ceux de Schaeffer (1999) ou de Rancière (2000), montre suffisamment que l’exploration de nouvelles voies de la médiation gagne à se nourrir d’un dialogue productif entre les différents partenaires de l’écosystème littéraire.
Anatrella, T. (2003). Les « adulescents ». Études, 399(7), 37-47. Récupéré le 25 février 2019 du site https://www.cairn.info/revue-etudes-2003-7-page-37.htm
Bakhtine, M. (1982). François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance. Paris, France : Gallimard.
Bakhtine, M. (1984). Esthétique de la création verbale. Paris, France : Gallimard.
Bayard, P. (2007). Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ? Paris, France : Minuit.
Beacco, J.-C. (1992). Les genres textuels dans l’analyse du discours : écriture légitime et communautés translangagières. Langages, 105, 8-27
Bonnet, G. (2018a). LittéraTube. Fabula. Récupéré le 25 février 2019 du site http://www.fabula.org/atelier.php?LitteraTube
Bonnet, G. (2018b). Qu’est-ce que la LittéraTube ? ou : « URL & IRL sont sur un rond-point ». Communication présentée au colloque Ceci est mon corps. La performance d’écrivain : spectacle, stratégie publicitaire, invention poétique, Montpellier, France. Récupéré le 25 février 2019 du site https://hal-univ-lyon3.archives-ouvertes.fr/hal-01708517
Bourriaud, N. (2009). Postproduction : la culture comme scénario : comment l’art reprogramme le monde contemporain. Dijon, France : Les Presses du Réel (ouvrage original publié en 2003).
Bourriaud, N. (2018). L’esthétique relationnelle. Dijon, France : Les Presses du Réel (ouvrage original publié en 1998).
Boutin, J.-F. (2012). De la paralittérature à la littératie médiatique multimodale : une évolution épistémologique etidéologique du champ de la bande dessinée. Dans M. Lebrun, N. Lacelle et J.-F. Boutin (dir.), La littératie médiatique multimodale : de nouvelles approches en lecture-écriture à l’école et hors de l’école (p. 33-43). Québec, Canada : Presses de l’Université du Québec.
Cicchelli, V. et Octobre, S. (2017). Les cultures juvéniles à l’ère de la globalisation : une approche par le cosmopolitisme esthético-culturel. Culture études, 1(1), 1-20.
Citton, Y. (2007). Lire, interpréter, actualiser. Pourquoi les études littéraires ? Paris, France : Amsterdam.
de Certeau, M. (2014). L’invention du quotidien : l’art de faire. Paris, France : Gallimard (ouvrage original publié en 1980).
Donnat, O. (2009). Les pratiques culturelles des Français à l’ère numérique. Éléments de synthèse 1997-2008. Culture études, 5(5), 1-12.
Doueihi, M. (2012). Pour un humanisme numérique. Paris, France : Seuil. Ducrot, O. (1984). Le dire et le dit. Paris, France : Minuit.
Fish, S. (1980). Is there a text in this class? The authority of interpretive communities. Cambridge, MA : Harvard University Press.
Genette, G. (1982). Palimpsestes : la littérature au second degré. Paris, France : Seuil. Gracq, J. (1995). Carnets du grand chemin (tome 2). Paris, France : Gallimard.
Jauss, H. R. (1978). Pour une esthétique de la réception. Paris, France : Gallimard.
Jenkins, H. (2014). La culture de convergence : des médias aux transmédias. Paris, France : Armand Colin (ouvrage original publié en 2006).
Lacelle, N., Boutin, J.-F. et Lebrun, M. (2017). La littératie médiatique multimodale appliquée en contexte numérique : outils conceptuels et didactiques. Québec, Canada : Presse de l’Université du Québec.
Lévy, P. (2007). L’intelligence collective : pour une anthropologie du cyberespace. Paris, France : La Découverte.
Maingueneau, D. (1984). Genèses du discours. Liège, Belgique : Mardaga.
Maingueneau, D. (1993). Le contexte de l’œuvre littéraire. Paris, France : Dunod.
Maingueneau, D. (1998). Analyser les textes de communication. Paris, France : Dunod.
Maingueneau, D. (2009). Les termes clés de l’analyse du discours. Paris, France : Seuil (ouvrage original publié en 1996).
Mock. (2018). Dans Wikipedia. Récupéré du site https://fr.wikipedia.org/wiki/Mock_(programmation_orient%C3%A9e_objet)
Pêcheux, M. (1975). Les vérités de la Palice : linguistique, sémantique, philosophie. Paris, France : Maspero.
Prensky, M. (2001). Digital natives, digital immigrants: Do they really think differently? On the Horizon, 9(5), 1-6.
Proulx, S. (1994). Une lecture de l’œuvre de Michel de Certeau : l’invention du quotidien, paradigme de l’activité des usagers. Communication. Informations Médias Théories, 15(2), 170-197. Récupéré le 25 février 2019 du site https://www.persee.fr/doc/comin_1189-3788_1994_num_15_2_1691
Rancière, J. (2000). Le partage du sensible : esthétique et politique. Paris, France : La Fabrique.
Redek et Pierrot. (2018). Classiques ! 18 conversations désopilantes (et néanmoins érudites) sur la littérature. Paris, France : Albin Michel.
Sartre, J.-P. (1938). La Nausée. Paris, France : Gallimard. Schaeffer, J.-M. (1999).Pourquoi la fiction ? Paris, France : Seuil. Serres, M. (2012). Petite Poucette. Paris, France : Le Pommier.
Le Mock de la littérature sur Facebook : https://fr-fr.facebook.com/cestlemock/
Le Mock de la littérature sur YouTube : https://www.youtube.com/channel/UC2XIqez2q8sk2bd8YcAok5Q
Miss Book sur le site : http://miss-book.fr
Miss Book sur YouTube : https://www.youtube.com/channel/UC_9Z28lA28JxAgFv-m4_nlw
Multimodalité(s) se veut un lieu de rassemblement des voix de toutes les disciplines qui s’intéressent à la littératie contemporaine.
ISSN : 2818-0100
Multimodalité(s) (c) R2LMM 2023
Site web Sgiroux.net