Volume 3 / Introduction

L’écriture numérique à l’école: nouvelles textualités, nouveaux enjeux

Nathalie Lacelle
Université du Québec à Montréal
Monique Lebrun
Université du Québec à Montréal

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Lacelle, Nathalie et Lebrun, Monique (2016). L’écriture numérique à l’école: nouvelles textualités, nouveaux enjeux. Revue de recherches en littératie médiatique multimodale, 3.

En éducation, plusieurs recherches démontrent que les jeunes s’appuient sur leurs habiletés techniques pour produire des textes multimodaux numériques sans toutefois maitriser la mise en relation des modes d’expression sur le plan sémantique (Dong-Shin, 2008 ; Piette, 2009 ; Lacelle et Lebrun 2010, 2012, 2014). En raison de l’utilisation de l’interactivité ou de la réalité augmentée, les nouveaux médias viennent bousculer les constructions narratives et les critères de littérarité des œuvres numériques (Saemmer, 2007). Ainsi, la production de textes numériques exige que les jeunes comprennent la façon dont les divers modes sémiotiques interagissent pour produire du sens. Il devient donc nécessaire de réfléchir à la manière dont les élèves peuvent s’approprier les caractéristiques de l’écriture des nouvelles formes textuelles numériques.

L’appel à contribution du volume 3 de la R2LMM visait principalement les recherches qui s’intéressent à la question suivante : comment l’école devrait-elle tenir compte de la nature des textes numériques pour définir de nouvelles compétences en écriture ? Cinq enjeux sur la thématique de l’écriture numérique à l’école ont été ciblés, soit ceux relatifs à la réception, à la création, au support, à la tâche du scripteur, à la diffusion et à la conservation des messages numériques. Les contributions attendues pouvaient prendre des formes diverses : réflexion épistémologique, recherche expérimentale, résultats d’enquête sur l’écriture numérique, analyse critique des outils d’écriture numérique, etc. Les articles retenus recoupent trois des enjeux centraux visés ; les processus de création, de diffusion et de conservation n’ont pas été traités. Voici les trois enjeux abordés dans les articles de ce volume.

Enjeux relatifs à la réception

La réception (soit le point de vue du lecteur) pose de nombreuses questions dans son rapport à la matérialité des nouvelles textualités. La littérature numérique oblige le lecteur à utiliser de nouveaux artéfacts et dispositifs pour entrer dans son expérience de lecture. Cependant, ces nouvelles interfaces comportent en elles-mêmes des codes et des contraintes auxquels le récepteur n’est peut-être pas habitué ou, tout du moins, qu’il distingue encore de manière forte de l’expérience de lecture offerte par un ouvrage imprimé. Le premier article,La réception d’un roman augmenté pour adolescents, de Sylvain Brehm et de Marie-Christine Beaudry,est une recherche exploratoire visant à décrire la réception du premier volume de la série Skeleton Creek, de Patrick Carman, auprès d’élèves de la première année du secondaire. Elle met en relief trois modalités de la lecture d’élèves : le processus de construction du sens, l’immersion fictionnelle et la faible adhésion au pacte de lecture préconisé par l’auteur. Les auteurs utilisent le cas de Skeleton Creek pour interroger l’influence de l’attrait des nouvelles textualités (vidéo et texte) sur le désir de poursuite de la lecture chez les jeunes. Le deuxième texte, Moments de réception en lecture et en spectature : le cas d’incendies au Cégep d’Amélie Lemieux, présente les résultats d’une étude de cas retraçant les moments d’engagement dans un univers narratif par le biais des formes monomodale (livre) et multimodale (film). Cette étude fournit des pistes épistémologiques et empiriques pour les recherches à venir dans le domaine de la didactique de la lecture sur différents supports. Le troisième article, Interpréter des œuvres d’art figuratives pour étudier des réalités passées : exploration du potentiel d’un dispositif muséo-techno-didactique de Marie-Claude Larouche, Pierre-Luc Fillion, Normand Roy et Marie-Ève Paillé, présente la mise en place d’un projet de recherche-développement avec le Musée des beaux-arts de Montréal et des écoles primaires montréalaises visant la conception et la mise à l’essai d’un dispositif muséo-techno-didactique. La recherche démontre l’intérêt que représentent les œuvres d’art figuratives comme matériau documentaire pour l’étude du passé et comment le recours aux outils numériques constitue un apport significatif à une visite muséale. Il en ressort que les jeunes font peu d’inférences sur les réalités sociales et territoriales d’une époque lorsqu’ils sont en situation de réception d’œuvres muséales et de production numérique sur ces œuvres.

Enjeux relatifs au support

Le support de production (logiciels, langages informatiques, etc.) permet de faire évoluer l’écrit, faisant ainsi de l’interface numérique un « espace d’exploration de la textualité » (Audet et Brousseau, 2011). Cependant, dans un même mouvement, la création numérique permet également de faire évoluer les supports, en poussant plus avant le champ des possibles techniques (Broudoux, 2003 ; Silès, 2012). Le quatrième article du volume, Gestes pour écrire et lire à l’heure des appareils numériques de Jean-Paul Meyer, Dagoberto Buim Arena et Adriana Pastorello Buim Arena, explique comment les écrans et les claviers tactiles utilisés par les enfants et les adolescents font émerger de nouveaux gestes de lecture et d’écriture. Les auteurs encouragent « les gestes émergents qui peuvent être pratiqués dans le processus d’alphabétisation, comme l’exploitation de tablettes et smartphones, notamment en utilisant le clavier virtuel ». Ils défendent le développement d’habiletés multiples (écritures traditionnelle et numérique) pour fonctionner dans un environnement qui exige le recours à des gestes multiples. Le cinquième article, Crayon ou clavier ? Effets de l’outil d’écriture sur les performances graphomotrices et rédactionnelles d’élèves de sixième année de Joannie Pleau et Natalie Lavoie, compare les performances graphomotrices et rédactionnelles d’élèves de 6e année en fonction de l’outil d’écriture (crayon ou clavier). Les résultats aux tâches d’écriture de l’étude révèlent que le clavier favorise la vitesse d’écriture et la production de textes plus longs et mieux détaillés. Ces résultats suggèrent donc que le clavier soit favorable aux performances rédactionnelles. Les auteurs recommandent toutefois le développement du scripteur hybride (Alstad et al., 2015), soit celui qui écrit aussi bien au crayon qu’au clavier.

Enjeux touchant le scripteur du numérique

La tâche du scripteur devenant plus complexe en raison de la nature multimodale et délinéarisée de la nouvelle écriture numérique, l’école doit lui enseigner comment tirer profit des ressources mises à sa disposition en enrichissant, au besoin, ses pratiques informelles (Schultz, 2011). Le sixième article, « Écrire dans » : Écriture littéraire sur écran. Présentation d’une expérimentation en classe de 3e année du primaire de Magali Brunel et Carole Guérin-Callebout, présente une expérimentation menée pendant une année dans une classe de 3e année du primaire en France visant à faire écrire des élèves dans un texte d’écrivain avec le droit de le manipuler (supprimer, déplacer, coller et développer). Les auteures concluent que l’exercice favorise un rapport positif à l’écriture et développe une posture de sujet-scripteur. De plus, les ressources propres au support numérique favorisent le développement de la compétence d’écriture littéraire. Le septième article, Former des enseignants par le biais d’environnements d’apprentissage numériques multimodaux de Frédérique Longuet, s’inspire des théories autour de la multimodalité et du scripteur designer. Les données recueillies et analysées sont constituées des dialogues et des productions multimodales d’enseignants stagiaires. Cette recherche démontre que tous les participants ont réussi à concevoir de nouveaux designs pédagogiques, translittéraciques et multimodaux de grande qualité. Le huitième article, La formation à l’écriture numérique : 20 recommandations pour passer du papier à l’écran, présente les caractéristiques génériques de l’écriture numérique et formule ensuite, sur cette base, vingt recommandations documentées pour favoriser son enseignement à l’école. Ces recommandations vont des précautions technologiques à prendre, aux questions éthiques, en passant par des conseils à propos de la structure des textes, des compétences à privilégier, des ressources auxquelles recourir, et contiennent des suggestions quant aux modalités didactiques d’application.

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