La recherche dont il est question dans cet article rassemble des chercheurs qui, dans chacun de leur champ d’expertise (didactique de l’histoire, du français ou des arts), réfléchissent à la littératie et notamment à l’éducation à l’image considérée comme une condition de construction et d’accès à un savoir critique et réfléchi. À partir d’ensembles multimodaux (Domingo, Jewitt et Kress, 2015), organisés sous forme d’enquêtes culturelles (Sala, Villagordo et Halimi, 2015), l’étude réalisée met en lumière les savoirs et surtout les pratiques que des enseignants (n = 10), québécois et français, et leurs élèves mettent en œuvre lorsqu’il leur est demandé de s’investir dans des situations d’enseignement/apprentissage qui exigent de traiter des documents variés ayant une thématique historique partagée. Plus spécifiquement, les données descriptives obtenues par cette étude de cas multiples permettent d’éclairer la sélection par les enseignants et l’appréciation par les élèves des documents, surtout visuels, retenus dans un contexte d’enquête culturelle, l’accompagnement pédagogique (fort modeste) de la lecture des images et l’apport de l’enquête culturelle comme dispositif d’éducation à l’image.
This paper is the preliminary result of a study in education that was conceived and conducted by four researchers from different disciplinary backgrounds (social studies in education, applied linguistics & communication, art education). The specific aim of the study was to develop a common ground in order to build a collective framework for literacy teaching and learning, relying on the importance of images. Based on different multimodal ensembles (Domingo, Jewitt & Kress, 2015) that were part of what these researchers called cultural inquiries, these multiple case studies (N = 10 classes from France and Quebec) show how cultural knowledge, teaching practices, and learning strategies work together when there is an explicit and collective task of processing historical visual data. In the end, cultural inquiries enhance image reading and, moreover, cleverly support visual literacy teaching.
La recherche dont il est question dans cet article rassemble des chercheurs qui, dans chacun de leur champ d’expertise (didactique de l’histoire, du français ou des arts), réfléchissent à la littératie et notamment à l’éducation à l’image considérée comme une condition de construction et d’accès à un savoir critique et réfléchi. La classe d’histoire qui, par tradition, repose sur la lecture critique de divers documents (Martel, 2014; Meunier et Sala, 2016), dont plusieurs contiennent des images (photographies, illustrations, caricatures, œuvres d’art, etc.), a été retenue comme espace privilégié de réflexion prenant en compte l’actuelle dimension médiatique et multimodale de la communication (Lacelle, Boutin et Lebrun, 2017; Lacelle, Lebrun, Boutin, Richard et Martel, 2015; Lebrun, Lacelle et Boutin, 2012). Cet espace n’est cependant pas exclusif, puisque les disciplines du français et des arts sont également sollicitées dans la recherche entreprise.
À partir d’ensembles multimodaux (Domingo, Jewitt et Kress, 2015), organisés sous forme d’enquêtes culturelles (Sala, Villagordo et Halimi, 2015), nous avons cherché à mettre en lumière les savoirs et les pratiques que des enseignants et leurs élèves québécois et français (co)construisent lorsqu’il leur est demandé de s’investir dans des tâches qui exigent de traiter des documents de nature différente ayant une thématique historique partagée. Pour relever ce défi, dix enseignants et leurs élèves (n = 200) ont expérimenté en classe des dispositifs d’enquêtes culturelles au cours de l’hiver et du printemps 2017. À la suite d’une mise en contexte de cette étude, complétée de la présentation du cadre théorique et de la description de l’approche méthodologique retenue, nous rendrons compte, dans le présent article, des résultats obtenus pour certaines des sous-questions de recherche.
Dans son usage classique, l’image a longuement été utilisée à titre d’illustration — de support — du texte ou de la parole (Ardon, 2002; Durisch Gauthier, Hertig et Marchand Reymond, 2015). Au cours des dernières décennies, cependant, et devant l’évolution des pratiques de communication marquées par la multiplication des outils technologiques et l’émergence de ce que l’on nomme désormais la littératie médiatique multimodale (Kress, 2010; Lebrun et al., 2012), l’image occupe une place centrale (Bourgatte, 2018; Houts, Doak, Doak et Loscalzo, 2006; Lebrun, 2015).
Considérant le rôle déterminant de l’image dans la communication contemporaine, notamment celle des jeunes (Cabu et Gervereau, 2004; Mitchell, 2008; Serafini, 2014), plusieurs pays d’Europe francophones (dont la France) ont inscrit dans leurs programmes scolaires l’éducation aux médias et à l’information, et plus spécifiquement l’éducation à l’image.
Inscrite dans la loi de refondation de l’École française depuis 2013, l’éducation aux médias et à l’information est une exigence institutionnelle en France (Ministère de l’Éducation nationale [MEN], 2016). D’ailleurs, les récentes directives ministérielles (MEN, 2018a) renforcent cette détermination politique. Elle contribue à préparer les élèves à devenir les citoyens de demain en ciblant le développement de compétences précises, dont celles qui permettent de comprendre les mécanismes de la fabrication de l’information et de l’image. Cette éducation à l’image contribue à l’acquisition du socle commun de connaissances et de compétences et de culture que chaque élève doit maîtriser à l’issue de la scolarité obligatoire. Transversale à toutes les disciplines, elle est aussi plus spécifiquement prise en compte dans certaines disciplines, particulièrement dans l’enseignement de l’histoire et de la géographie et dans l’éducation artistique. Par exemple, en ce qui a trait à l’histoire, il est spécifié que l’élève doit saisir en quoi l’image ou les images étudiées ont force de documents pour l’historien, il doit avoir appris à les croiser avec d’autres sources documentaires, en avoir saisi la spécificité, les limites et cerner les précautions à prendre pour les utiliser comme documents historiques (MEN, 2018b).
Au Québec, l’éducation à l’image, qui participe à la formation citoyenne, tarde davantage à prendre sa place, et cela même dans les orientations officielles. Au primaire, plus spécifiquement, l’École québécoise n’aborde encore que par la bande cette éducation. Elle le fait d’abord dans une perspective transversale, par exemple lorsqu’il est question d’éducation aux médias. Dans cette perspective, les élèves sont invités à apprécier des représentations médiatiques de la réalité en s’attardant, entre autres, aux éléments du langage médiatique, dontl’image (Ministère de l’Éducation du Québec [MEQ], 2001). Par ailleurs, l’École québécoise accorde une place (limitée toutefois) à l’image dans certaines disciplines, dont celles de la géographie et de l’histoire — les élèves doivent y apprendre à lire et interpréter des documents iconographiques —, des arts — où les élèves doivent apprendre à produire, interpréter et apprécier des images — et du français — certains éléments du programme de l’enseignement de la langue laissant penser que l’image doit être prise en compte — (MEQ, 2001)1.
Les quelques orientations officielles en matière d’éducation à l’image, loin de trouver écho dans les classes, restent souvent lettres mortes (Morgan Spalter et van Dam, 2009). En fait, dans les pratiques réelles de classe, l’éducation à l’image est très peu prise en compte, si ce n’est l’éducation aux images médiatiques par l’intermédiaire de certains enseignants. En France, les maîtres, formés essentiellement aux textes, aux archives, semblent éprouver une réelle défiance vis-à-vis des images ; cette défiance se traduit par une critique des images publicitaires et journalistiques (en lien avec des organismes associés au ministère de l’Éducation nationale comme le CLEMI2). Dans ce sens, l’image y est abordée comme source « dangereuse » qu’il faut savoir déjouer. Au Québec, les enseignants sont également essentiellement formés à la réception et la production de textes divers dans lesquels l’image contribue peu au sens. De fait, le travail explicite sur l’image est très peu pris en compte (Lebrun et al., 2012).
Des notions simples, enseignées par ailleurs en littérature et en histoire, ne sont que rarement transférées sur les images (le point de vue de l’auteur, l’analyse critique, sémiologique, structurelle, la contextualisation historique, l’étude du style, etc.). Des enseignants passionnés travaillent ces questions, notamment en classe d’histoire (Delporte et Gachet, 2002; Roduit, 2015) — et bien sûr en classe d’art —, mais ils sont trop peu nombreux, chacun restant le plus souvent centré sur sa discipline et réduisant l’image à un outil, un document, une illustration distrayante, un témoin rapide de ce qui a été dit ou lu, un complément pédagogique (Ardon, 2002; Durisch Gauthier et al., 2015). Même les élèves semblent percevoir peu — ou mal – l’intérêt de s’attarder en classe à l’image comme vecteur d’apprentissage (Cartier, Martel, Arseneault et Mourad, 2015) et objet de littératie critique (Sosa, 2009). De telle sorte que l’analyse des images insérées ou non dans des dispositifs multimodaux (manuels, films, jeux vidéo, albums, sites Internet, etc.) reste, à l’école, bien souvent partielle ou inexistante3.
Malgré des initiatives et des dispositifs pérennes, malgré l’injonction (surtout en France) d’une série de textes officiels, l’éducation à l’image peine donc à trouver une place dans la culture des enseignants. Tout le monde s’accorde à reconnaître que nous sommes dans une société de l’image, mais la culture scolaire — et surtout universitaire — résiste toujours, invoquant une supposée perte de référence académique au sacro-saint texte. L’écrit reste premier comme vecteur d’apprentissage. Par exemple, le décodage du texte restera, dans la plupart des enseignements avec l’album de jeunesse, comme le but ultime; beaucoup plus rarement la relation texte-image sera véritablement interrogée, et quasiment jamais l’analyse des images ne sera le but de l’apprentissage. Décoder une image n’apparaît pas comme une tâche légitime, l’évidence figurative faisant encore croire à l’évidence du message. Or rien de moins évident qu’une image et sa polysémie (Eco, 1970; Joly, 1993, 1994, 2002).
Bien que l’éducation à l’image demeure imparfaite dans l’école d’aujourd’hui4, les pratiques pédagogiques des enseignants, particulièrement celles observables en France, illustrent que la mise en regard du texte et de l’image (donc de deux modes sémiotiques plutôt qu’un seul) est désormais un geste professionnel en progression, notamment en classe d’histoire (Delporte et Gachet, 2002; Durisch Gauthier et al., 2015). Ce croisement est heureux puisqu’il engage tranquillement — mais toujours insuffisamment — les élèves en littératie médiatique multimodale (LMM) et en littératie visuelle (LV).
En général, les auteurs qui se sont récemment intéressés à la lecture de l’image (et des autres modes sémiotiques qui l’accompagnent souvent) reconnaissent que celle-ci convoque un grand nombre de compétences et de connaissances qui relèvent de champs disciplinaires variés (Bartholeyns, 2016). Mitchell (2008) propose même l’idée d’une science de l’image et Breitenstein (2013), à propos de la LV, parle d’une interdisciplinarité moderne5.
« Lire, écrire et parler » en classe d’histoire (la classe privilégiée dans cette étude pour réfléchir à l’éducation à l’image et aux croisements des disciplines), c’est avant tout « communiquer sur » et avec des supports textuels (documents écrits), mais aussi visuels (illustrations, photographies, œuvres d’arts, films, etc.), voire sonores (chansons, archives audio, etc.), bref, à l’aide d’ensembles multimodaux (Domingo et al., 2015; Serafini, 2014). Pour lire et interpréter avec une juste distance critique les documents composés d’images en histoire, les compétences et la méthodologie inhérentes à la discipline historique sont à convoquer (Martel, 2014 ; Meunier et Sala, 2016), mais elles sont insuffisantes. Pour comprendre et interpréter les réalités du passé à partir de l’étude de ces documents, les élèves devraient aussi recourir aux apprentissages liés à la classe de français, dont ceux liés à la lecture, mais aussi aux apprentissages réalisés en classe d’art, dont l’essentielle « éducation du regard » (Albers et Harste, 2007; Albers, Holbrook et Harste, 2010). Plusieurs disciplines scolaires soutiendraient ainsi la lecture réussie des documents proposés et, conséquemment, le développement des compétences en LV.
Bien que fort intéressante, cette perspective interdisciplinaire n’est pas réellement prise en compte par les enseignants, peu formés et peu outillés, il est vrai, au recours à des pratiques d’enseignement croisant les disciplines, le poids historique de la découpe du savoir en disciplines restant, comme le suggère Bourdieu (1986), un héritage médiéval scolastique très puissant. Qui plus est, très peu de réflexions et aucune recherche n’a jusqu’à ce jour été réalisée à propos du croisement des disciplines histoire/arts/français et de leur potentialité complémentaire à assurer le développement de compétences en LV et l’émergence de nouveaux savoirs.
Le contexte de recherche présentement ébauché permet de mieux percevoir notre intérêt à réfléchir aux pratiques d’enseignement/apprentissage que les concepts de LV et d’éducation à l’image sous-tendent. Pour amorcer cette réflexion, nous avons décidé de mener une recherche exploratoire poursuivant l’objectif général suivant : mettre en lumière les savoirs et les pratiques que des enseignants et leurs élèves québécois et français (co)construisent lorsqu’il leur est demandé de s’investir dans des tâches qui exigent de traiter des documents à dominante visuelle, relevant d’une thématique historique partagée.
Dans le cadre de cet article, ce sont les sous-questions de recherche liées spécifiquement à l’enjeu de l’image dans l’apprentissage et l’enseignement croisé des disciplines histoire/français/arts qui ont été retenues et à partir desquelles s’est élaborée la réflexion proposée. Ces sous-questions s’organisent autour des thématiques suivantes, liées à l’expérimentation d’un dispositif interdisciplinaire que nous nommons enquête culturelle :
Dans ce qui suit, les assises théoriques aux questions de recherche ciblées pour notre étude sont présentées. Elles touchent essentiellement les concepts de littératie, d’image et d’enquête culturelle.
L’actuelle (r)évolution des pratiques contemporaines de communications (Kress, 2003), intimement associée à l’émergence de l’ère numérique (Buckingham, 2010), conduit, d’un côté, à une révision d’envergure des fondements épistémologiques associés jusqu’ici au concept de littératie, notamment celle dite visuelle (visual literacy), et d’un autre côté, aux pratiques d’enseignement/apprentissage que le concept de LV sous-tend.
C’est l’idée fondamentale de multimodalité qui reconfigure aujourd’hui substantiellement le rapport établi à la littératie (Kress, 1997, 2010; Lebrun et al., 2012, 2013). D’une approche foncièrement textuelle du message, il faut désormais considérer ce dernier dans sa globalité (Elkins, 2008), c’est-à- dire dans sa combinatoire intrinsèque et interactive de différents modes sémiotiques — entre autres le texte, mais aussi l’image, le son et le mouvement — (Bezemer et Kress, 2016; Jewitt, Bezemer et O’Halloran, 2016; Kress, 1997, 2010; van Leeuwen, 2005) pour incarner le sens transmis.
Cette littératie médiatique multimodale (LMM) se définit comme
la capacité d’une personne à mobiliser adéquatement, en contexte communicationnel synchrone ou asynchrone, les ressources et les compétences sémiotiques modales (ex : mode linguistique seul) et multimodales (ex : combinaison des modes linguistique, visuel et sonore) les plus appropriées à la situation et au support de communication (traditionnel et/ou numérique), à l’occasion de la réception (décryptage, compréhension, interprétation et évaluation) et/ou de la production(élaboration, création, diffusion) de tout type de message.
(Lacelle, Lebrun et Boutin, 2015)
Elle convoque des compétences qui vont au-delà de celles reconnues jusqu’à tout récemment pour forger ce qui devrait être considéré comme un être lettré (Lacelle et al., 2015). Notamment, elle demande à l’individu de décoder et d’interpréter tous les modes de communication (dont celui de l’image) isolément, mais aussi, et surtout dans le cadre spécifique de leurs interactions.
Lebrun (2015) spécifie que l’International Visual Literacy Association (IVLA) définit plus spécifiquement la littératie visuelle (LV) comme un « groupe de compétences acquises en vue de l’interprétation et de la production de messages visuels » (Brill, Kim et Branch, 2001, p. 9). Ces compétences liées spécifiquement au mode visuel, loin d’être négligeables, sont fondamentales à l’apprentissage (Fransecky et Debes, 1972).
Comme le souligne judicieusement Mitchell (1986), lire des images est plus complexe qu’il n’y paraît; il faut, pour ce faire, recourir à diverses sciences (donc à l’interdisciplinarité ou du moins à l’hybridation) pour y arriver. Lebrun (2015), reprenant les normes de compétences en littératie visuelle pour les niveaux secondaire et postsecondaire de l’Association of College & Resarch Libraries, souligne qu’un individu visuellement lettré doit être capable 1) de préciser la nature du matériel visuel; 2) de trouver le matériel visuel et d’y accéder; 3) d’analyser et d’interpréter le sens des images et des médias visuels; 4) d’évaluer les images et leurs sources; 5) d’utiliser efficacement les images et les médias visuels; 6) de produire des images et du matériel visuel significatif; 7) de comprendre les enjeux éthiques, légaux, sociaux et économiques entourant la création et l’usage des images et du matériel visuel et de les utiliser de façon éthique. L’ensemble de ces compétences se recoupe également dans un rapport à la culture. En effet, préciser la nature d’un matériel visuel implique non pas une technique, mais également une culture visuelle6. Dans le contexte des communications contemporaines, un individu visuellement lettré doit, de plus, développer les compétences qui relèvent plus spécifiquement du numérique (Lacelle, Beaudry, Brehm et Lebrun, 2017; Morgan Spalter et van Dam, 2009). La grille traitant des compétences en LMM (Lacelle et al., 2015) — actualisée par Lacelle, Boutin et Lebrun (2017) — identifie un certain nombre de ces dernières.
En tant que substantif, le mot « image » est résolument polysémique. Dans son sens général, « le concept d’image est lié à celui de représentation et implique donc des règles de construction et de fonctionnement qu’il faut connaître pour les interpréter » (Lebrun, 2015). Les Anglo-saxons distinguent image et picture. « En anglais, le mot image a surtout le sens d’une représentation collective d’une réalité, alors que picture désigne plutôt la représentation d’une chose par l’un des arts graphiques ou plastiques » (Lebrun, 2015). En français, l’image au sens littéral correspond à une représentation concrète et à toutes les techniques possibles (dessin, photographie, gravure, cinéma, etc.). Au sens figuré, l’image est une métaphore, une évocation symbolique connue de tous, donc collective (« il pleut des cordes »). Parfois, on parle aussi d’une « expression imagée » (ex. : « l’habit ne fait pas le moine »). Le terme « illustration », quant à lui, est associé traditionnellement à une image qui interagit avec un autre mode sémiotique, a fortiori un texte ou un discours (Brill et al., 2001).
L’essor de médias modernes (photographie, cinéma, télévision), puis l’apparition du numérique ont accéléré et démultiplié la présence de l’image, du visuel, au sein des différents ensembles multimodaux (Lacelle, Boutin et Lebrun, 2017); aujourd’hui, par exemple, une page Internet est très souvent constituée 1) de texte et 2) illustrée d’images fixes — photographies, illustrations, graphisme, etc. — ou mobiles — extraits vidéo, animations numériques, etc. L’impact de la révolution numérique est tel, d’ailleurs, que la vaste majorité des images physiques sont désormais conçues et médiatisées, ou du moins traitées, de façon binaire/informatisée (Elkins, 2008; Kress et van Leeuwen, 2001; Serafini, 2014).
En tant que chercheurs et formateurs auprès d’enseignants, nous nous interrogeons depuis plusieurs années sur la possibilité de lier par la culture humaniste plusieurs disciplines, dont celles de l’histoire, du français et des arts, afin de favoriser le décloisonnement disciplinaire — et donc une certaine forme de « co-disciplinarité » (Sala et al., 2015) — si cher à une école qui serait au service de la culture —. Une telle approche vise la mise en relation de compétences et d’objets de savoirs variés ouvrant, entre autres, à l’éducation à l’image.
En France, ce questionnement s’est imposé dans les dernières années en raison de nouvelles exigences institutionnelles, notamment celle de la mise en place d’un socle commun de culture commune avec en figure de proue la culture humaniste et l’introduction de l’histoire des arts dès l’école primaire (Sala et al., 2015). Au Québec, l’arrivée du nouveau Programme de formation de l’école québécoise (PFEQ) en 2001 a rappelé le rôle de l’école au regard de la culture. À cette fin, l’école québécoise a été invitée à « offrir aux élèves de nombreuses occasions de découvrir et d’apprécier ses manifestations dans les diverses sphères de l’activité humaine, au-delà des apprentissages précisés dans les programmes disciplinaires » (MEQ, 2001, p. 4).
C’est pour réfléchir à la manière de mettre en perspective la culture scolaire, la culture dite classique, la culture contemporaine vivante et la culture populaire que, dans le cadre de cette étude, nous avons choisi de travailler avec un dispositif pédagogique spécifique : l’enquête culturelle. Cette dernière favorise précisément les croisements des disciplines qui participent ensemble à une réflexion sur des objets de culture variés (Chabanne, Parayre et Villagordo, 2011; Villagordo 2008). De même, l’enquête culturelle permet de ressentir, puis de comprendre, la distance qui existe entre chacun et les images7. Alors que ces dernières nous semblent proches, elles sont en réalité des illusions de proximité
(une image publicitaire recherche notre connivence, un tableau figuratif de la Renaissance nous semble lisible). La perception d’une image est, de fait, toujours située, elle a lieu dans un contexte de découverte (en groupe, seul, avec un enseignant, ou entre pairs, dans la rue ou à l’école, dans un musée ou sur Internet). Par ailleurs, elle s’inscrit dans un contexte de production donné. De sorte, la nature de l’image (fabriquée ou enregistrée à partir du réel) et donc son contexte de production sont des éléments essentiels à l’enquête culturelle, notamment à travers les questions : comment cette image nous est parvenue, de quand date-t-elle, qui l’a produite et pourquoi, que nous raconte-t-elle par à la fois son contenu et à la fois son apparence ?
Essentiellement, l’enquête culturelle, telle que conceptualisée et mise à l’épreuve de la classe par Céline Sala et Éric Villagordo (Sala et al., 2015), est une invitation à la culture, certes insolite pour l’élève, hors des sentiers battus des traditionnelles séances pédagogiques. L’apprenant est placé en position d’enquêteur où, d’indice en indice, il part « sur les traces » de la culture à travers la découverte d’œuvres (qu’on pourrait aussi qualifier de documents) organisées en corpus. Une telle démarche, souvent stimulante pour l’élève, a pour objectif de nourrir le regard — la lecture interprétative et critique — des élèves afin qu’ils puissent, au fil des expériences, repérer des éléments propres à favoriser des croisements, des comparaisons, des filiations, d’éventuelles oppositions, entre les œuvres et entre les disciplines (Chabanne et al., 2011). Assise sur des problématiques de travail et de recherche, qui se révèlent variées et qui sont surtout proposées par l’enseignant (par la création d’un environnement et d’un dispositif de recherche) ou émanant de la réflexion des élèves, l’enquête culturelle propose le traitement en classe d’une grande variété de documents multimodaux (dont un grand nombre de documents visuels). Elle permet de convoquer les savoirs et la méthodologie propres à plusieurs disciplines, tout en développant des savoirs et compétences de l’ordre du transversal (dont l’exercice du jugement critique et le développement de compétences en littératie). Au moment de conduire l’étude, les étapes, présentées dans le tableau 1, composaient l’enquête culturelle telle qu’alors conceptualisée (et présentée aux enseignants participants) ; à la suite de l’expérimentation en classe, tant en France qu’au Québec, les trois étapes du protocole nous semblaient devoir être revisitées en y rajoutant deux autres étapes désormais évidentes (Villagordo, Sala, Martel et Boutin, sous presse) ; elles devront cependant être éprouvées en classe, dans des contextes variés, dans les années à venir, pour en mesurer la pertinence.
Étapes/Temps | Description |
Temps 1 Mise en contact | La première étape concerne la mise en contact de l’élève avec une œuvre contemporaine (généralement portée par l’image) pouvant faire écho à son expérience sociale afin d’évoquer le passé (un film d’animation connu, une bande dessinée, un jeu vidéo traitant du thème à l’étude, etc., par exemple le dessin animé Pocahontas). |
Temps 2 Comparaison de supports variés d’une même histoire, d’un même sujet et mise en perspective dans le temps. | La seconde étape est celle de la comparaison et de l’étude critique des représentations (autres médiums, publicités, affiches, peintures, etc.) qui ont pu influencer la création de l’œuvre retenue à l’étape 1 (la découverte en quelque sorte des coulisses de la création). Plusieurs portraits anciens du personnage historique de Pocahontas sont, par exemple, confrontés au dessin animé des années 1995. |
Temps 3 Confrontation du vrai et du faux | La troisième étape vise la confrontation du vrai et du faux quant au contenu historique de l’œuvre initiale par le recours à une recherche documentaire; cette dernière permet de confronter les éléments identifiés aux ressources historiques et archéologiques validées par la communauté scientifique; on découvre ainsi que tout document, toute œuvre, est le produit d’un imaginaire et d’un parti pris et non pas d’une vision objective du monde. |
Pour atteindre notre objectif et trouver des réponses aux questions qui y sont associées, la recherche descriptive (Scott, 2006) réalisée à l’aide d’étude de cas multiples (Karsenti et Demers, 2011; Roy, 2016), avec un volet comparatif et exploratoire, a été retenue.
Dix enseignants volontaires de l’école primaire (cinq de France et cinq du Québec) et leurs élèves composent l’échantillon (non probabiliste) de cette étude (voir tableau 2). Certains enseignants travaillent en milieu urbain et d’autres en milieu rural. Tous ont été recrutés par les chercheurs en fonction de leurs préoccupations et de leur intérêt à s’engager dans le projet proposé. Tous, sauf deux enseignantes du Québec, ont plus de dix ans d’expérience en enseignement.
En France, les enseignants recrutés sont tous des enseignants formateurs impliqués dans l’accueil des stagiaires et dans la formation des futurs enseignants à l’université. Ils ont conséquemment un historique de collaboration avec les chercheurs Sala et Villagordo et ils ont l’habitude de réfléchir à leur pratique professionnelle en vue de la faire évoluer. Au Québec, les enseignants recrutés n’ont pas cette expérience de collaboration réflexive ; tous en sont à leurs premiers pas dans un projet de recherche, sauf une enseignante qui a elle-même réalisé une recherche collaborative dans le cadre de sa maîtrise. Tous les enseignants du Québec semblaient par contre très intéressés à s’engager dans le projet proposé.
Noms des enseignants (1) | Lieu de pratique | Nombre d’élèves |
---|---|---|
CYCLE 1 | ||
Patricia | France – CP/CE1 – M.U. (2) | 22 élèves |
François | France – CE1/CE2 – M.R. (3) | 25 élèves |
Marianne * | Québec – 2e année – M.R. | 22 élèves |
Marie * | Québec – 2e année – M.U. | 23 élèves |
CYCLES 2 ET 3 | ||
Léa | France – CM1/CM2 – M.U | 18 élèves |
Viviane | France – CM1/CM2 – M.U | 25 élèves |
Léon | France – CM1/CM2 – M.U | 24 élèves |
Nadine | Québec – 5e année – M.R. | 26 élèves |
Guy | Québec – 5e année – M.R. | 26 élèves |
Josée | Québec – 4e/5e année – M.U. | 23 élèves |
Pour participer au projet de « l’enquête culturelle », tel que défini précédemment, les enseignants ont accepté de réaliser en classe deux enquêtes culturelles portant sur deux thématiques historiques différentes (le Moyen-âge et les Amérindiens) au cours de l’année scolaire 2016-2017. En moyenne, chaque enquête s’est déroulée sur deux jours.
Initialement, tous les enseignants ont été invités à planifier eux-mêmes lesdites enquêtes culturelles à la suite de deux rencontres de formation, d’une rencontre de mi-parcours (entre la réalisation de l’enquête 1 et celle de l’enquête 2) et du suivi en ligne (échange de courriels) par les chercheurs. Toutefois, seuls les enseignants de France se sont finalement engagés dans la programmation complète de telles enquêtes. Les enseignants du Québec, notamment parce qu’ils n’ont pas la même culture d’engagement dans la recherche et la formation en éducation, ont demandé que les chercheurs proposent une séquence pédagogique à partir de laquelle ils pourraient s’engager dans le travail.
Bien qu’il soit impossible ici de présenter la planification complète des deux enquêtes réalisées (et leurs spécificités selon les enseignants), il paraît important de souligner que toutes les enquêtes élaborées respectent les critères permettant de considérer une activité comme étant complexe (Cartier et Butler, 2016). En effet, chaque enquête s’est déroulée sur plusieurs périodes, chacune d’elles poursuit plusieurs buts et les activités proposées (disciplinaires et interdisciplinaires) comprennent un ensemble d’informations sur les thèmes à l’étude présentée sur des documents de nature différente (voir annexes 1, 2 et 3 pour avoir un aperçu de la variété des documents employés). De même, les élèves ont pu traiter l’information de plusieurs façons et ils ont été invités à créer différents produits (fiches de travail, organisateurs graphiques, dont la frise du temps problématisée et l’arborescence, œuvres plastiques, exposés oraux, etc.).
À des degrés divers, les enquêtes reposent sur une problématisation, voire une véritable situation- problème (Dalongeville, 2007). Par exemple, pour l’enquête portant sur le Moyen-âge, deux enseignants de France et les enseignants du Québec (recourant aux planifications proposées par les chercheurs) ont invité leurs élèves à travailler sur la portée (véracité, vraisemblance et invraisemblance, sources d’inspiration, etc.) du film La Belle au bois dormant de Disney (1959) comme source d’étude initiale pour l’époque8. Quant aux enquêtes portant sur les Amérindiens, c’est plutôt le film de Disney Pocahontas (1995) et la représentation des Amérindiens dans Astérix (film et BD) qui ont servi de point de départ au travail d’enquête comparatif et réflexif recherché.
Pour étayer notre étude et documenter chacun des cas, nous avons utilisé plusieurs outils de collecte de données. Les outils utilisés pour documenter la pratique et la réflexion des enseignants en France sont les suivants : réalisation (et transcription) de quatre rencontres collectives (rencontres préparatoires et formatives 1 et 2 à l’automne 2016, rencontre de mi-parcours en mars 2017 et rencontre finale en avril 2017); journal de bord d’expérimentation; entretien réflexif individuel après la réalisation de chacune des enquêtes (avec questions ciblées en fonction des questions de recherche); observation de l’enseignant en classe (filmée et transcrite) pour chacune des enquêtes; traces de travail (planification pédagogique, matériel élaboré, etc.). Au Québec, les mêmes outils ont été utilisés, mais une seule rencontre collective a été tenue en janvier 2017.
Afin de documenter les aspects liés davantage aux élèves, les outils suivants ont été utilisés en France comme au Québec : observation des élèves en classe (filmée et transcrite) pour chacune des enquêtes ; traces de travail (toutes les productions réalisées en lien avec la réalisation de l’enquête ; entretien collectif rétrospectif ou fiche rétrospective pour chacune des enquêtes.
Pour le traitement des données, notre choix s’est porté sur une analyse de contenu permettant de décrire, dans un premier temps, chacun des cas au regard de l’objectif et des questions de recherche poursuivis (Miles et Huberman, 2003). Ceci fait, nous avons pu établir des ponts entre les différents cas afin de voir ce qui les distingue ou les rapproche.
La documentation de chacun des cas a donné lieu, dans cette étude, à une multitude de données qualitatives. Dans ce qui suit, ce sont les données recueillies en regard des sous-questions liées à l’enjeu de l’image qui sont explorées. Ces données ne sont pas présentées cas par cas; pour chacun des thèmes de questionnement, les faits saillants sont plutôt mis en évidence et de nombreux extraits de verbatim sont présentés.
Afin d’ébaucher un portrait fidèle de la sélection spontanée des documents utiles aux enquêtes culturelles, seules les données recueillies pour les cinq enseignants de France sont ici présentées, puisqu’eux seuls se sont engagés et appropriés individuellement la réalisation de leurs enquêtes et, conséquemment, une sélection autonome de documents conséquente à cette planification. Au Québec, les enseignants ont plutôt utilisé les documents sélectionnés et fournis par l’équipe de recherche (dont plusieurs sont identifiés dans les annexes 1 et 2) ; aucun n’a proposé des ajouts ou des retraits.
Les questions de recherche qui sont liées à la sélection des documents sont les suivantes : quels sont les documents choisis par les enseignants ? Quelle est la part des images dans ces derniers ? Quels types d’images sont retenus ? Quelle est l’appréciation des élèves à leur égard ?
Les documents sélectionnés par les enseignants sont assurément pluriels (voir illustration 1 et annexe 3), de par les modes de communication qu’ils convoquent (textes et images) et les supports retenus (page d’un manuel, carte géographique, photographies personnelles ou accessibles sur le Web, extraits d’ouvrages documentaires généralement dédiés au lectorat jeunesse, extraits de romans et œuvres d’arts ; enluminures, gravures, peintures, etc.). Cette diversification est :
[…] propice aux interrogations, aux échanges, à la méthodologie et au savoir-faire dans la lecture et le traitement des différents supports.
(Léon, entretien 1)
Les documents à dominante textuelle et à usage scolaire (par exemple des extraits de manuels ou de documentaires jeunesse) et d’autres, moins utilisés en histoire (par exemple le roman) sont présents dans les corpus pour, entre autres, « […] compléter la recherche » (François, entretien 1), mais ils ne sont pas majoritaires. Plusieurs documents visuels (une image seule ou une image avec du texte) constituent le cœur des corpus pour chacune des enquêtes « pour leur capacité à faire voir l’époque » (Viviane, entretien 1) et leur « caractère extra-disciplinaire ; le regard artistique comme le regard historique sont nécessaires pour comprendre certaines images » (Patricia, entretien 1). Au cœur de ces documents visuels, ce sont les images fixes qui prédominent (ex. des photographies, des illustrations, des peintures, etc.), mais les images mobiles (ex. un film) sont elles aussi sollicitées pour notamment « capter l’intérêt initial des élèves » (François, entretien 2) et approcher leur culture première :
Je suis partie du début de La belle au bois dormant de Disney car ça me semblait un document qui parlait aux enfants, qui partait de leur vie, ce qui est un objectif de l’enquête culturelle.
(Patricia, entretien 1)
Deux enseignantes évoquent le caractère dynamique et donc non définitif de la sélection. Les propos tenus ici par Léa illustrent ce fait :
Les supports ont changé au fil des deux jours : certains que j’avais choisis ont été écartés, car j’ai préféré « rebondir » sur des actions, des réponses ou questions d’élèves […].
(entretien 1)
Dans l’ensemble, la sélection finale réalisée par les cinq enseignants, dans laquelle dominent les documents authentiques à dominante visuelle, est fort bien résumée par Patricia lors de l’entretien 1 :
Pour les éclairages et la recherche, j’ai pris des documentaires pour enfants, beaucoup d’enluminures, des photos pour les personnes, l’affiche de cinéma, des documentaires que j’ai fabriqués plus ou moins pour avoir des documents adaptés aux élèves… des gravures aussi. Donc beaucoup de documents iconographiques, quelques documents écrits. Mon souci était d’avoir des documents authentiques ou explicatifs et des choses qui pouvaient parler aux enfants […].
En grande majorité et à tort, les sources d’apprentissage qui font appel à l’image sont considérées par les élèves québécois et français comme étant plus faciles à lire. Pour expliquer leur intérêt plus grand envers les documents visuels (un fait saillant de l’étude), plusieurs des élèves qui ont participé à cette étude évoquent donc qu’ils aiment mieux travailler à partir d’images puisqu’ils sont « bons » pour lire ces dernières. Au contraire, les élèves qui affirment être bons lecteurs (au sens plus traditionnel du terme) sont nombreux à avoir préféré les documents à dominante textuelle dans lesquels « il suffit de lire pour assurément trouver l’information » (entretien collectif rétrospectif, classe de Léon, enquête 1).
Bien qu’ils aient été interrogés (fiche ou entretien collectif) quant à l’appréciation des documents utilisés en classe, il demeure difficile d’identifier sans l’ombre d’un doute les documents qu’ils ont le plus appréciés puisque leurs opinions à cet égard sont très différentes. De plus, ce jugement paraît fortement tributaire de facteurs externes aux documents en eux-mêmes :
J’aime mieux les documents textuels, car on les lit seul à notre pupitre.
(élève de la classe de Patricia, enquête 1)
J’ai aimé étudier les photographies parce que j’ai un appareil photo.
(élève de la classe de François, enquête 1)
J’ai aimé étudier les images d’arts, car on était en petits groupes.
(élèves de la classe de Léa, enquête 1)
Les questions de recherche liées à l’accompagnement pédagogique, une préoccupation centrale de cette étude, sont les suivantes : comment les enseignants accompagnent-ils les élèves dans le traitement des documents visuels ? En lien avec quelles disciplines cet accompagnement se réalise-t-il ?
Un constat important de notre étude, qui demeure tout de même exploratoire, rappelons-le, concerne le très faible accompagnement pédagogique offert aux élèves pour la lecture des images, en France comme au Québec. A fortiori, les enseignants sont pourtant majoritairement convaincus de l’importance d’assurer le développement de compétences à lire des images étant donné la complexité de cette lecture, comme l’illustrent les propos tenus par Léa et Marianne :
[…] le travail peut paraître facile, l’image on la voit tout de suite mais pourtant, elle est difficile à lire.
(Léa, entretien 1)
C’est très difficile pour les élèves de voir tout ce qu’il y a à voir dans une image.
(Marianne, entretien 1)
Cependant, ils n’y consacrent que peu de temps et lorsqu’ils le font, ils adaptent très peu, voire pas du tout, l’accompagnement proposé en fonction des types d’images (fixes ou mobiles, peintures ou cartes géographiques, illustrations ou photographies, etc.).
Les extraits de verbatim suivants mettent en lumière ce manque de soutien à la lecture en général et à la lecture plus spécifique de l’image reconnu par les enseignants eux-mêmes lors des entretiens de recherche réalisés :
Je me rends compte que je ne travaille pas assez les documents.
(Léa, entretien 1)
Je n’ai pas travaillé de manière explicite la lecture, mais ils ont appris par eux-mêmes à se questionner à propos d’un document.
(Patricia, entretien 1)
La description de l’image et son analyse ont souvent été mobilisées lors de cette enquête, mais j’ai laissé les élèves agir et j’ai répondu au besoin seulement aux questions.
(François, entretien 1)
Ces autres extraits de verbatim identifient les causes possibles de ce manque :
Je travaille l’image, on la regarde, on la décrit, mais l’analyser et la comprendre vraiment, je ne le fais pas. On n’a pas le bagage pour ça.
(Josée, Entretien 2)
J’aimerais travailler mieux la lecture des images, mais je ne me sens pas formée pour le faire.
(Marie, entretien 1)
Lorsque les enseignants cherchent à soutenir la lecture et l’analyse des images, ils ne s’appuient sur aucun outil de travail tangible, sauf Marie et Marianne qui utilisent au Québec la fiche « Apprendre à lire une image» élaborée et fournie par l’équipe de recherche (voir annexe 4).
L’accompagnement pédagogique qu’ils proposent se traduit en fait en consignes données aux élèves, comme ici avec Léa :
Il faut aller chercher tous les détails, tous les indices sur l’endroit où ça se passe, l’action du personnage, qu’est-ce qui est dessiné, ce que cela représente. Vous devez pouvoir expliquer cette image.
(verbatim d’observation en classe, enquête 1)
Ou Léon :
N’oubliez pas que dans le corpus, il faut lire autant les images que le texte » ; « pensez à lire le paratexte, il vous offre des clés de lecture des images.
(verbatim d’observation en classe, enquête 1)
Essentiellement, l’accompagnement proposé pour soutenir un tant soit peu la lecture d’images prend en compte des aspects de la classe d’histoire (recours à la méthode historique) et des aspects du savoir-lire en général, comme on peut le constater dans ces extraits d’entretien :
J’ai tenté de travailler ceci : savoir se questionner en histoire autour des intentions de l’auteur, s’interroger pour savoir s’il souhaite informer, amuser ou parfois même déformer la réalité. […] J’ai aussi beaucoup travaillé le savoir-lire et l’appréhension des documents de nature différente (donner du sens à ces derniers et extraire des informations pour répondre à des questions). J’ai rappelé aux élèves que dans le corpus, il faut lire autant les images que le texte.
(Léa, entretien 1)
La démarche de recherche et de traitement de l’information en univers social a aidé les élèves à adopter une posture critique pour la lecture des images […] j’ai aussi rappelé aux élèves le travail habituel sur la lecture des illustrations dans un livre ou sur la page couverture d’un album […]. J’ai utilisé de nombreuses fois la fiche fournie (voir figure 3) par les chercheurs surtout pour concentrer l’attention des élèves sur le Quoi et la description des images.
(Marianne, entretien 1)
Dans le but de situer l’époque étudiée, les élèves ont été invités à observer une ligne du temps. Je leur ai rappelé que nous avions déjà fait la ligne du temps de notre vie ; il s’agit de la lecture d’une image qui peut contribuer à l’apprentissage de la valeur du temps. J’ai aussi fait des liens avec la lecture d’histoire, je leur disais : « Rappelle-toi quand on lit des images dans un livre d’histoire pour mieux comprendre ou répondre à des questions ».
(Marie, entretien 1)
C’est seulement lors de la deuxième enquête que l’apport plus spécifique de l’éducation au regard dans l’enseignement des arts (Villagordo et al., sous presse) est davantage considéré, et cela pour seulement trois enseignants de France (Patricia, Valérie et Léon). Essentiellement, ces derniers incluent alors dans l’accompagnement à la lecture d’images des aspects d’analyse esthétique, tout comme ils laissent une plus grande place au contexte de production et à l’« inter influence » des œuvres artistiques. Ces extraits de verbatim sont à cet égard signifiants :
Nous avons essayé d’amener les élèves à voir les techniques utilisées dans l’extrait du film Pocahontas pour représenter le conflit entre les deux peuples.
(Valérie, entretien 2)
Les arts visuels ont eu une place importante dans cette deuxième enquête au travers de l’observation, de la lecture ou de l’interprétation d’œuvres de nature diverse (films, tableaux, gravures, BD), mais aussi de productions d’œuvres, ex. des totems.
(Léon, entretien 2)
Je travaille avec les élèves la lecture de l’objet culturel, le vocabulaire spécifique des arts,savoir qu’un objet culturel est produit par quelqu’un, savoir comment on peut faire un film d’animation, etc. […] comprendre qu’une œuvre d’art est un objet produit par quelqu’un avec une intention et des moyens, aussi bien matériel (comment il a fait ce film, il a dessiné…) que des inspirations par rapport à d’autres œuvres (est-ce que c’est Perrault qui a inventé cette histoire ?)
(Patricia, entretien 2)
À aucun moment au cours du déroulement des deux enquêtes les enseignants n’ont cependant mobilisé de manière complémentaire et synchrone les trois disciplines ciblées dans cette étude, soit le français, l’histoire et les arts. Pourtant, dès l’enquête 1 pour les enseignants du Québec et pour tous les enseignants lors de l’enquête2, un outil permettant l’étude des images dans une perspective interdisciplinaire a été proposé par l’équipe de recherche (voir annexe 5).
La question — que nous pourrions qualifier d’exploratoire, en lien avec le rôle de l’enquête culturelle dans l’éducation à l’image est la suivante : les enseignants (et possiblement les élèves) perçoivent-ils les enquêtes culturelles réalisées et les tâches qui leur sont inhérentes comme une assise motivante et efficace de l’éducation à l’image ?
D’emblée, les enseignants français, mais aussi les deux enseignantes du premier cycle du Québec, reconnaissent que la réalisation des enquêtes culturelles (sans considération spécifique pour l’enjeu de l’image) les a vraiment mobilisés (motivés) et que ces dernières ont suscité un fort engagement chez leurs élèves. Les extraits suivants, puisés dans les verbatims des entretiens de recherche réalisés, en témoignent :
Les élèves ont réellement été mobilisés, ce qui n’est pas toujours le cas lors de mes séances d’Histoire… La construction de compétences, de connaissances, est réelle.
(François, entretien 1)
Leur participation et leurs justifications ont été riches et montraient l’ensemble des connaissances qu’ils avaient acquises. Certains élèves peu investis d’habitude ont participé aux échanges verbaux de la classe.
(Viviane, entretien 1)
J’ai noté une grande implication d’une grande majorité d’élèves face aux activités proposées.
(Léon, entretien 1)
Je me suis régalée, les élèves aussi. Ces moments font partie des moments exceptionnels dans une année.
(Patricia, entretien 2)
Je sais que cette journée restera dans le souvenir de mes élèves de deuxième année. Certains parents m’ont confié que leur enfant a raconté à la maison ce qu’ils ont fait lors de cette journée bien appréciée où on a travaillé plein d’images.
(Marie, entretien 1)
Concernant plus spécifiquement le rôle joué par les images dans le dispositif de l’enquête culturelle, tous (sans exception) reconnaissent (dans les entretiens ou les journaux de bord) l’intérêt de partir de documents à dominante visuelle, particulièrement ceux à usage moins scolaire et plus près de la culture des élèves (par exemple, le film d’animation ou la bande dessinée) pour lancer, réaliser ou consolider des apprentissages dans une perspective critique. Marianne à cet égard, s’exprime ainsi (et traduit la pensée de plusieurs) :
C’est une belle approche qui rejoint les élèves. Partir d’un film d’animation les a motivés beaucoup. La question de recherche qui les amène à porter un regard critique est aussi très stimulante […] Les élèves ont particulièrement aimé l’analyse des images et se questionner sur ce qui est vrai et ce qui est fictif […].
(Marianne, entretien 1)
Quant à Léon, il affirme même souhaiter, la prochaine fois :
réduire le nombre de séances et de documents et proposer des situations plus proches des élèves au travers par exemple de la BD ou de vidéos enfin ensuite de les amener vers des documents plus authentiques.9
(entretien 1)
Concernant le rôle que peut jouer l’enquête culturelle dans l’éducation à l’image, les enseignants qui ont participé à l’étude, ceux de France comme du Québec, sont unanimes : les enquêtes réalisées, et particulièrement l’exigence de traiter dans ces dernières des images de nature différente, ont permis aux élèves de développer, selon la perception qu’ils en ont, leur compétence à lire des images. Conscients que cette compétence est exigeante et très partiellement maîtrisée chez leurs élèves (que ceux-ci soient au début ou à la fin du primaire), les enquêtes culturelles semblent donc être, pour les enseignants de cette étude, un pas dans la bonne direction. Plusieurs extraits de verbatim, dont certains seulement sont ici présentés, éclairent cette idée de formation à la lecture, notamment, d’images, mais aussi les difficultés associées :
Les enfants étaient invités à préciser le qui, quoi, quand pour une œuvre précise, ce qui les a amenés à bien analyser voire apprécier l’œuvre d’art (compétence prescrite au programme). Les élèves trouvaient par contre bien difficile d’analyser les œuvres avec un regard d’historien ou d’enquêteur. Ils étaient portés à analyser les œuvres […] selon leur goût.
(Marianne, entretien 1)
Les élèves ont dû observer des images qui leur ont permis d’acquérir de nouvelles connaissances quant au thème étudié. En plus de découvrir des œuvres d’art qui sont associées à l’époque du Moyen-âge, ils ont été amenés à identifier la nature des médiums (dessin, peinture, tissage, photo, etc.).
(Marie, entretien 1)
Des projets comme cela aident à apprendre à mieux lire les images.
(Josée, entretien 2)
Ce qui était intéressant, c’était d’avoir des réponses dans des documents écrits ou iconographiques. Ils ont donc appris à lire des documents iconographiques, ce qui était nouveau pour eux.
(Patricia, entretien 1)
Lire une image pourrait apparaître comme une activité facile, mais ce n’est pas le cas. Tout au long des deux enquêtes culturelles, je me suis rendu compte de la difficulté qu’éprouvent les élèves à lire une image, compétence trop souvent superficielle et loin d’être acquise. Peu à peu, par contre, j’ai observé des améliorations.
(Léon, entretien 2)
Cet apprentissage (perçu, mais pas évalué) quant à la lecture de l’image se traduit aussi dans le discours des élèves, comme en témoignent ces quelques extraits dans lesquels des élèves évoquent les apprentissages qu’ils ont réalisés :
Grâce au projet, j’ai appris qu’il faut bien regarder l’image pour y trouver toutes les informations.
(extrait d’entretien de groupe, classe de Marianne/enquête 1)
J’ai appris qu’il faut bien décrire l’image.
(extrait d’entretien de groupe, classe de Marie/enquête 2)
Je comprends maintenant qu’il faut répondre aux questions qui, quand et quoi.
(extrait d’entretien de groupe, classe de Nadine/enquête 1)
À aucun moment de l’étude, cependant, les enseignants comme les élèves ne questionnent la compétence à lire des images et les habiletés réelles qu’elle convoque. Tout se passe comme s’il y avait unanimité à cet égard ou du moins tout se passe comme s’il n’était pas nécessaire de se questionner sur ce qui est à développer lorsque l’on parle d’éducation à l’image.
Considérant que la première pratique culturelle des jeunes d’aujourd’hui est celle de l’image — cinéma, photo, jeux vidéo, Internet, etc. – (MEN, 2016), il est urgent de s’intéresser au rôle de l’école dans l’éducation à l’image. Dans cette étude, quatre aspects liés à l’éducation à l’image ont balisé notre collecte de données, soit la sélection et l’appréciation des documents recourant au mode iconique ; l’accompagnement pédagogique de la lecture d’images ; le rôle de l’enquête culturelle dans l’éducation à l’image et le développement de la compétence à « lire » cette dernière et les liens entre l’engagement, le recours à l’enquête culturelle et le traitement d’images. Ces aspects, au regard de nos résultats, sont ici discutés et mis en relation.
Cette étude permet de mettre à jour l’intérêt et l’ouverture des enseignants participants à intégrer davantage dans leurs pratiques d’enseignement le recours à des documents visuels de nature variée. Unanimement, les enseignants, surtout ceux de France qui se sont engagés dans la planification, soutiennent que les enquêtes culturelles et l’étude de documents visuels variés qu’elles exigent les ont vraiment mobilisés et cela peu importe les obstacles rencontrés (dont l’exigeante recherche de documents visuels appropriés aux objectifs d’enseignement et d’apprentissage). Nous expliquons cette mobilisation par le caractère même de l’enquête culturelle, qui exige des enseignants qui souhaitent en faire vivre à leurs élèves d’« enquêter » eux-mêmes au préalable, de circuler dans la culture visuelle, donc historique, artistique et intellectuelle (Villagordo et al., sous presse).
Sachant que le fossé actuel entre les pratiques formelles d’apprentissage (celles utilisées à l’école) et les pratiques informelles d’apprentissage des élèves tend à s’accroître de plus en plus (Kalantzis et Cope, 2012), une telle mobilisation et une telle ouverture envers des sources d’apprentissage variées et inédites sont réjouissantes. Elles permettent d’entrevoir un monde où l’école, par le biais d’enseignants convaincus et mobilisés, saura intégrer les médiums de communication privilégiés par les jeunes dans lesquels l’image occupe une place centrale (Kress, 2010 ; MEN 2018b ; Serafini, 2014). Elle assure aussi le déploiement à l’école de la littératie médiatique multimodale (Lacelle, Boutin et Lebrun, 2017 ; Lebrun et al., 2012) et des compétences qu’elle convoque (Lacelle et al., 2015).
Notre étude met tout de même en lumière la difficulté des enseignants à mettre de côté les documents traditionnels à usage scolaire (maintes fois, il faudra les encourager à le faire), dont les manuels scolaires, qui demeurent des outils importants, surtout en classe d’histoire (Meunier et Sala, 2016). Malgré cela, les documents visuels proposés par les enseignants de France pour les deux enquêtes culturelles sont nombreux et variés ; les documents textuels choisis et utilisés ne font que compléter la recherche d’information. Ici, l’image ne joue pas qu’un rôle de soutien, de simple témoin de ce qui a été dit ou lu (Ardon, 2002; Durisch Gauthier et al., 2015) au contraire, elle constitue un réel vecteur d’apprentissage, ce qui est en soi une « (r)évolution » dont peut se prévaloir l’enquête culturelle.
Sans trop de surprise, ce sont les documents visuels présentant des images fixes (illustrations, photographies, tableaux, gravures, etc.) qui sont dominants dans les sélections (et dans le temps consacré en classe), sûrement parce que ce sont ceux avec lesquels les enseignants ont le plus l’habitude de travailler étant donné leur forte présence dans les ressources scolaires plus classiques (y compris dans les manuels), et leur accès facilité par le recours à Internet. Les images mobiles (ex. le film d’animation) ne sont cependant pas exclues des corpus, ce qui ouvre la porte au traitement de ce type de ressources qui allient textes (récitatifs et dialogues entendus) et images (illustrations animées).
Dès lors que des documents moins conventionnels et plus près de la culture des élèves sont proposés (par exemple des extraits de films ou de bandes dessinées), les élèves sont nombreux à les apprécier davantage et à chercher dans ces derniers les informations nécessaires. En particulier, tous les enseignants et un très grand nombre d’élèves témoignent de l’intérêt de partir de documents visuels, particulièrement ceux à usage moins scolaire (par exemple, un film, un jeu vidéo, un album illustré) pour lancer, réaliser ou consolider des apprentissages. On a ainsi pu observer des élèves très peu impliqués par les taches scolaires, se mettre à tenir un rôle important, car le support de départ de l’enquête culturelle était un dessin animé, donc un objet culturel connu qui a le mérite d’offrir un sentiment de familiarité nouveau pour plusieurs élèves. À cet égard, l’hypothèse de Villagordo (2008), qui met en lumière l’intérêt de partir des œuvres proches de la culture des élèves, se vérifie. De même, l’idée que l’enquête culturelle pourrait être un outil puissant d’implication du groupe-classe hétérogène, car le rapport aux images aplanit les différences, peut être proposée.
Outre cette proximité à leur culture, l’appréciation des élèves quant aux documents proposés à l’étude paraît aussi tributaire de leur sentiment de compétence (et parfois d’un sentiment de familiarité, ce qui est intéressant). En effet, les élèves qui se sentent compétents en lecture conventionnelle affirment apprécier davantage les documents textuels. Au contraire, les élèves qui se sentent (à tort ou à raison) compétents à lire des images affirment apprécier davantage l’étude de documents visuels. Comme le sentiment de compétence est intimement lié à la pratique d’une compétence donnée et aux expériences vécues (Bandura, 2007), il paraît important d’encourager toujours davantage l’intégration à l’école du traitement d’un grand nombre de documents visuels variés. En agissant ainsi, nous offririons à l’élève (en difficulté ou non) un terrain à partir duquel expérimenter en contexte formel son rapport à l’image et conséquemment, une occasion de développer son sentiment de proximité à cette dernière.
Les enseignants qui ont participé à cette étude sont unanimes : la réalisation des enquêtes culturelles et le recours prioritaire à des documents visuels ont permis (selon leur perception qu’ils en ont) de développer chez les élèves leur compétence à lire des images. Cependant, la manière dont se traduit pour eux, et pour les élèves, cette compétence ne fait pas l’objet de leurs remarques ou questionnements. De même, la compétence des élèves en elle-même n’a pas été évaluée dans cette étude, ce qui est en soi une limite.
Bien que les enseignants aient le sentiment d’avoir permis aux élèves d’augmenter leur compétence à traiter des images, cette étude confirme que la complexité inhérente des documents visuels, qui sont souvent multimodaux (l’image étant régulièrement accompagnée d’un paratexte ou de texte comme dans une bande dessinée) reste cependant un problème à résoudre pour les élèves. Déjà, en 2012, Parayre et Villagordo faisaient un constat semblable. Comme l’exprime plusieurs élèves, dont celui-ci, la compétence à analyser finement et avec distance critique des images est difficile à acquérir :
Moi, je sais chercher des informations dans un texte, mais pour moi, ça reste quand même compliqué. Ce n’est pas facile de savoir si c’est un bon texte pour notre recherche. Une image aussi c’est parfois difficile à comprendre et encore plus à critiquer.
(entretien de groupe, classe de Léon, enquête 1)
Ainsi, si les enquêtes culturelles et l’étude de documents visuels variés qui leur est inhérente semblent bel et bien avoir développé certains aspects de la compétence à lire une image (par exemple l’identification du quoi, du qui et du quand, de même que l’importance de bien décrire l’image, de recourir au paratexte et de penser à la dimension temporelle de l’image), elles n’ont assurément pas couvert tous ces aspects, dont ceux liés à la LMM (Lacelle, Boutin et Lebrun, 2017) et ceux liés plus spécifiquement à la LV retenus par l’Association of College & Resarch Libraries (Lebrun, 2015).
La difficulté des enseignants à lier l’usage de documents visuels à un réel accompagnement pédagogique est un constat fondamental de cette étude. Bien que des outils aient été rendus disponibles (fiches destinées aux élèves et documentation théorique et pédagogique destinée aux enseignants), l’accompagnement offert reste très faible (surtout pour les élèves plus âgés possiblement jugés à tort compétents). Essentiellement, l’accompagnement offert se traduit par des consignes ou des rappels méthodologiques. Comme le soulignent, entre autres, Lebrun et al. (2012) et Morgan Spalter et van Dam (2009), force est donc de constater que l’éducation à l’image peine à prendre place en classe. Pour plusieurs enseignants de cette étude, c’est entre autres parce qu’ils se disent trop peu formés à cet aspect de la littératie qu’ils n’arrivent pas à offrir aux élèves l’encadrement et le soutien pédagogique conséquents. Pourtant, les enseignants participants sont tous convaincus de l’importance de développer les compétences nécessaires à la « lecture » des images, notamment parce qu’ils perçoivent les difficultés de leurs élèves à cet égard et l’importance de ce mode sémiotique dans les communications contemporaines.
Bien que l’éducation à l’image ait en soi un caractère interdisciplinaire (Lebrun, 2015; Mitchell, 1986), il est de plus difficile de faire appliquer en classe, notamment dans le soutien pédagogique offert à la lecture des images, cette posture interdisciplinaire. Au cours de la réalisation des enquêtes culturelles, les enseignants (surtout ceux de France) ont essentiellement soutenu les élèves en recourant à la méthodologie de la discipline historique — une pratique courante en France (Delporte et Gachet, 2002) — et quelques-uns (surtout les enseignants du premier cycle du Québec) ont aussi réalisé quelques parallèles avec les stratégies de lecture travaillées en classe de français. Une minorité a travaillé l’éducation au regard dans la perspective des arts visuels ; aucun ne l’a fait en croisant l’apport de ces trois disciplines (comme le propose l’annexe 5). Nous croyons que l’explication de ces choix professionnels réside, en partie du moins, dans la forte prévalence des disciplines (et donc du cloisonnement disciplinaire) dans l’organisation scolaire, et cela, même à l’école primaire. Pour transformer cette pratique dominante, les enseignants doivent véritablement modifier leur posture professionnelle, ce qui n’est assurément pas chose facile. Heureusement, à plusieurs moments durant la recherche, nous avons perçu l’ouverture des enseignants à revoir leurs pratiques pour s’adapter davantage aux nouvelles pratiques de communication et assurer un meilleur déploiement de l’éducation à l’image.
Alors que l’image occupe au sein de la communication contemporaine un rôle majeur, il est urgent de considérer à l’école la portée sémantique de l’image, mais aussi la complexité inhérente à sa lecture et son interprétation critique. À la lumière des réflexions nées de cette étude, force est de constater que la culture de l’image objectivée en savoir scolaire peine à se développer, et cela, même dans des dispositifs pédagogiques tels l’enquête culturelle, qui s’appuient en grande partie sur le traitement interdisciplinaire de nombreux documents visuels. Transversal aux disciplines, le concept d’image doit trouver sa véritable place à l’école et être véritablement objectivé par les disciplines scolaires. Actuellement, tout se passe encore trop comme si les images ne faisaient pas partie des formes scolaires d’apprentissage ; elles sont conséquemment renvoyées à une autre sphère.
Ce qu’il faut chercher, comme le mentionne Léon dans la dernière rencontre de recherche, « c’est l’attitude du lecteur expert avec tous les regards possibles, mais pour l’image ». Pour ce faire, les enseignants doivent assurément être mieux formés et outillés pour faire face aux défis de l’éducation à l’image. Cette formation, bien qu’elle puisse s’inspirer de pratiques liées à des disciplines scolaires spécifiques (comme l’histoire, le français et les arts), doit dépasser le cloisonnement et ouvrir à la perspective interdisciplinaire, aux dialogues entre les disciplines.
Annexe 1. Enquête sur le Moyen-âge (quelques-uns des documents à l’étude)
La ligne du temps a été retenue comme moyen de présentation des documents utilisés dans les enquêtes afin de bien faire comprendre que ceux-ci ont été produits à différents moments dans le temps. À l’intérieur de la ligne fléchée proprement dite, un rappel de dates importantes est réalisé.
Annexe 2. Enquête sur les Amérindiens (quelques-uns des documents à l’étude au Québec)
Annexe 3. Enquête sur les Amérindiens (quelques-uns des documents à l’étude en France)
Annexe 4. Apprendre à lire une image (fiche pédagogique destinée aux élèves)
Annexe 5. Outil proposé par l’équipe de recherche mais non utilisé: la lecture interdisciplinaire de l’image
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