Volume 7 / L'image à l'école secondaire

Les images d’un passeur d’histoire: le metteur en scène Antoine Laprise

Lise Guiot
Laboratoire RIRRA 2, Université de Montpellier
Antoine Laprise
Université du Québec à Montréal

Résumé

Cet article, écriture croisée entre une chercheuse française en Arts du spectacle, enseignante au secondaire et un metteur en scène québécois, fondateur de la compagnie de marionnettes, Le Sous- marin jaune, vise à interroger le matériau du spectacle vivant, vecteur de l’éducation à l’image et à l’histoire. En nous situant dans la continuité des travaux en didactique de l’Histoire, nous proposons en premier lieu l’analyse de la mise en scène d’une adaptation pour marionnettes de Guerre et paix de Tolstoï. Ensuite, en nous appuyant sur la réception du spectacle par des élèves du secondaire, nous observons la position complexe de l’élève spectateur face aux « images théâtrales » et le pouvoir de remuement de la scène, le plaçant en témoin critique, habité par l’Histoire. Ainsi nous mesurons la légitimité et la fécondité d’une telle approche dans le champ de la culture humaniste, de l’éducation à l’image et de l’enseignement de l’Histoire.

Abstract

This article, co-written by a French researcher in performance arts, a secondary school teacher, and a French-Canadian stage director from a puppet theater company (Le Sous-marin jaune), questions the possibility of using live performance as a tool to teach the interrelation between the use of images and teaching history. By placing ourselves in a historical and didactical perspective, we begin by the analysis of the stage version of a puppet adaptation of Tolstoï’s War and Peace. Then, according to a secondary class students’ reception ofthe performance, we observe their positioning towards « theatrical images », as critics inhabited by history. Thus, we can measure the legitimacy of such an approach in the fields of cultural humanism, the education of images, and history teaching.

Mots-clés
histoire, didactique, spectacle vivant, art de la marionnette, transposition littéraire et didactique

Keywords
history, didactics, performing arts, puppetry, literary and didactic transposition
Citer
Pour citer
Guiot, Lise et Laprise, Antoine (2018). Les images d’un passeur d’histoire: le metteur en scène Antoine Laprise. Revue de recherches en littératie médiatique multimodale, 7. https://doi.org/10.7202/1048366ar

Introduction

Si l’on présuppose le recours à l’image fixe et mobile, évident dans les nouvelles modalités de l’enseignement, notamment de l’enseignement de l’Histoire1, cet article vise à interroger, au-delà de toute plaidoirie sur la double nécessité d’intégrer le théâtre aux cours d’histoire et les élèves dans les théâtres, le matériau du spectacle vivant, autre vecteur de l’éducation à l’image et à l’histoire et plus largement de la culture humaniste2. Dans la continuité des travaux de François Audigier (1993) et de Nicole Tutiaux-Guillon (2009) et des recherches plus récentes sur la question de culture humaniste et d’enquête culturelle, notre article propose une autre voie, née d’une rencontre : celle d’une chercheuse française en Arts du spectacle, enseignante au secondaire, et celle d’un metteur en scène québécois, fondateur de la compagnie de théâtre Le Sous-marin jaune3.

1. Premiers jalons de l’enquête

S’éloignant définitivement du modèle de l’enseignement de l’Histoire des « 4R »4 que François Audigier mettait à jour dès 1991 lors du colloque de didactique « Enseigner et gérer des situations d’enseignement-apprentissage », Antoine Laprise, créateur de spectacles marionnettiques et son metteur en scène marionnette, le Loup bleu, se rient de la forme du cours magistral dialogué, qui assigne à chaque protagoniste un positionnement strict : sentinelle du « vrai », l’enseignant, protégeait par son discours l’« autorité » des savoirs ainsi que son propre ascendant et l’élève, « le plus souvent privé de réelle prise en charge énonciative, [était] invité à l’“adhésion” d’un texte à apprendre » (Lautier et Allieu-Mary, 2008). Avec l’adaptation de Guerre et Paix d’après Léon Tolstoï, mis en scène par le Sous-marin jaune en janvier 2017, Antoine Laprise invite à une réflexion sur le matériau du spectacle vivant, voie originale pour l’éducation à l’Histoire et l’éducation à l’image.

Ici, la question de la transposition, terme auquel nous prêtons une terminologie tant littéraire que didactique, se révèle centrale. Littéraire, parce qu’Antoine Laprise transpose dramaturgiquement le roman Guerre et Paix de Léon Tolstoï (Lavigne et Laprise, 2015) et crée une mise en scène avec des marionnettes à partir de cette œuvre monument ; didactique, parce qu’il choisit de saisir comme « point de départ le savoir scientifique (la science constituée) et comme point final l’ensemble des connaissances (didactiquement élaborées), transmiseset assimilées par les apprenants » (Paun, 2006).

De fait, cet article tend à mettre en perspective la transposition dramaturgique et la transposition didactique autour des présences « à voir » projetées sur la scène, la figure du Loup bleu se positionnant à la jonction de ces univers : metteur en scène, historien, enseignant.

Sans forcer notre démonstration, la problématique liée à l’usage des « images » dans l’enseignement de l’Histoire permet de faire se rejoindre les transpositions dramaturgique et didactique. Dans la perspective qui est la nôtre, il semble en effet légitime de lier le théâtre aux différentes pratiques visuelles de lareprésentation, terme entendu dans sa plus large acception. La scène relève d’une « image » que l’on pourrait qualifier de « théâtrale » ou « scénique » coconstruite par les voix, les matériaux dramaturgiques, la durée et le mouvement, etc. Cette image mouvante et soumise à la durée détient une matérialité qui lui est propre. La scène maintient donc une présence « à voir ». De fait, la singularité du théâtre serait de proposer dans un même mouvement une présence à « voir » et sa mise à mort ou la « dénaturation du réel ». Le spectateur est sans cesse confronté au processus de construction et de déconstruction de l’image scénique. Notons que ce jeu est d’ailleurs accentué avec les formes marionnettiques qui imposent par leur seule présence une recomposition du réel et simultanément une décomposition5. Aussi est-on conduit à penser l’« image théâtrale » à la fois comme « chose à voir » et « processus de déréalisation » et à poser la question suivante : en quoi par ce jeu de double transposition dramaturgique et didactique, les images mouvantes issues de la singularité du spectacle vivant — ici marionnettique — peuvent-elles participer à l’enseignement de l’Histoire rendant l’élève critique et acteur au sein d’un nouvel espace de recherche ?

Situer notre réflexion sur la légitimité du spectacle vivant dans le champ de l’enseignement de l’Histoire, c’est prendre le temps d’interroger la démarche d’un metteur en scène, de mettre en critique la représentation et de sonder la réception des spectateurs-élèves. Nos enjeux sont de mesurer dans un premier temps la genèse d’une transposition didactique par le matériau du spectacle vivant, en laissant le metteur en scène se raconter, puis observer et analyser les dispositifs dramaturgiques créateurs d’images mouvantes dans un deuxième temps et sonder la réception6 chez les spectateurs-élèves d’une classe de secondaire 4 « programme défi »7 de l’École Sophie-Barat à Montréal. Ainsi cet article propose une réflexion sur les apports de l’art vivant à l’enseignement de l’Histoire et l’éducation à l’image scénique.

2. Vers une transposition dramaturgique et didactique originale

Illustration 1 : Loup bleu, directeur artistique et philosophique du Théâtre du Sous-marin jaune

À Québec, au milieu les années 90, un théâtre de marionnettes pour adultes, intellectuel, politique, déjanté, émerge : je crée la compagnie de marionnettes du Sous-marin jaune. En presque trenteans, je n’ai pas ménagé ma peine souhaitant parler d’histoire, de philosophie, de religion sur une scène marionnettique. A priori, les textes auxquels je me confronte ne sont pas destinés au théâtre, mais ils se révèlent parfaitement adaptés à la marionnette. À cause de ses jeux infinis sur les échelles de grandeur, la marionnette offre plus de possibilités que le théâtre conventionnel.

(A. Laprise, communication personnelle, mai 2017)

2.1. Une plongée sous-marine

L’ambition d’un encyclopédiste doublé d’un maquettiste se cacherait-elle derrière les créations du Théâtre du Sous-marin jaune ? Je reproduis le réel à une autre échelle pour mieux le raconter et tenter par ce biais de saisir de manière tangible son caractère insaisissable.

Sous-marin. Retour de plongée. Ramener des trésors enfouis dans la mémoire d’une civilisation et les remanier ou qu’ils nous remanient ? À quel point le voyage nous change ? Il est clair que je ne me place pas seulement du point de vue de ma tribu ; je porte le regard sur un vaste ensemble — un point de vue humaniste, disons. Une histoire de la pensée ? Une tentation épistémologique ?

Pour vivre dans le monde, il nous faut une explication du monde. Elle peut être théologique, anthropologique, historique, etc. Toutes se rapportent à une forme de cosmogonie. Dans la cosmogonie moderne, une brèche est ouverte par la méthode scientifique : c’est la relativité du doute comme divinité constituante du monde, pas comme obstacle, mais comme moteur. Le doute comme générosité, comme amour du monde. Et le Doute généreux, c’est aussi l’état dans lequel on se place pour aborder une œuvre dans le but de la transposer au théâtre de marionnettes et dans lequel nous voulons plonger les spectateurs. En cherchant à ôter au présent sa toute-puissance et son aveuglement, puisque nous ne sommes pas seuls au Monde et que ce monde n’est pas qu’étendue, il est aussi durée.

Histoire de la pensée, donc. À tâtons. Le théâtre de marionnettes, moyen populaire d’embrasser maladroitement le Monde. Mais justement. C’est peut-être ce qui, artistiquement, fait notre force, ce bric-à-brac qui érige une passerelle branlante entre la somme des savoirs et sa transmission théâtrale. Entre le savoir et le récit du savoir.

Tout est peut-être une question de format, après tout. La scène n’est pas un livre, n’est pas un cabinet d’étude, n’est pas une salle de classe. Et pourtant elle est un livre, un cabinet d’étude, une salle de classe. Tout ça à la fois, avec ses propres règles, qui sont toujours à réinventer. C’est là que la marionnette intervient. Elle qui, selon moi, peut tout.

(A. Laprise, communication personnelle, mai 2017)

2.2. La complexité énonciative du Loup bleu

Le Théâtre du Sous-marin jaune a pour directeur artistique une marionnette, le Loup bleu. Il apparaît dans chacun des spectacles dont il est le narrateur, mais aussi l’auteur. Je crois que c’est unique dans la dramaturgie québécoise, ce personnage récurrent. Le public s’est attaché à cette espèce d’Henri Guillemin métissé de Kermit la grenouille. Donc, c’est une marionnette, mais c’est aussi un animal. Ça teinte sa façon d’appréhender le monde. Et il dirige une compagnie de théâtre. […] J’ai poussé le truc assez loin et c’est même lui qui signe les demandes de subventions, avec sa patte dans l’encre bleue. Il en va de même pour le choix des œuvres adaptées. Pour être cohérent avec le personnage, le traitement de l’œuvre n’est plus tant le mien que celui du Loup. Il est double : marionnettique et animal. Ce regard sur les œuvres par un animal pensant m’a amené à une relecture qui va dans le sens d’une histoire globale, des êtres, des animaux et des choses. Le serpent, la colombe, les agneaux, boucs émissaires et autres veaux d’or de la Bible ; les animaux disséqués de Descartes ; Montaigne et sa chute à cheval ; le castor guidant le Loup bleu chez les Amérindiens et dans Guerre et paix, de nouveau le cheval, omniprésent, ce petit cheval hérité des envahisseurs mongols, résistant à l’hiver, qui aura eu raison des alezans de la Grande Armée, abandonnés sur les routes glacées.

(A. Laprise, communication personnelle, mai 2017)

2.3. De la transposition dramaturgique à la transposition didactique

« Chaque civilisation a tendance à surestimer l’orientation objective de sa pensée », écrit Lévi-Strauss (1962). Je suis dans mon époque, avec les limites et l’ignorance que ça impose, mais j’ai toujours fait le pari que cette position pouvait avoir une certaine valeur. Donc, quand j’ai adapté la Bible, c’était l’adaptation par un Québécois dans la jeune trentaine, issu de la Révolution tranquille et nourri à la contre-culture de ses aînés. Je ne peux pas faire fi de ma position géographique et historique. Adapter une œuvre fondatrice, c’est d’abord se situer par rapport à elle et à la densitéd’Histoire qui nous sépare. Je lis et je me regarde réagir. Je mets ensuite mes intuitions à l’épreuve en lisant autour de l’œuvre : je mène l’enquête, je joue à l’historien. Et comme tant de choses ont été dites sur la Bible, Descartes ou Tolstoï, mes intuitions finissent souvent par être confirmées, un bout par ici, un bout par là. On fait comme ça son petit chemin dans l’œuvre.

Je valide aussi auprès de spécialistes. Au fond, ce n’est pas sorcier : il suffit d’avoir des intuitions, de les confronter et d’être un tant soit peu rigoureux (il y a la méthode, me direz- vous.) La différence entre moi et un spécialiste, c’est que le spécialiste passe sa vie dans l’œuvre, alors que, moi, je bats le fer jusqu’à tant qu’il soit chaud, pendant un an ou deux, le temps de monter un spectacle. Il arrive donc un moment où, pendant quelques semaines, je suis devenu très calé dans ma matière. Je pourrais alors passer à Génies en herbe et m’en sortir honorablement. Mais ça ne dure pas. En passant à autre chose, j’oublie tout. Je ne prétends pas faire de la didactique. Plutôt del’auto didactique, oui ! Notre travail à nous n’a de valeur que dans la transmission. Ce qui m’intéresse, c’est la possibilité d’une filiation. Les efforts collectifs des siècles passés nous ont menés jusqu’à aujourd’hui. C’est le principe du levier : les nains sont toujours sur les épaules des géants8. C’est la structure même de la société. Surtout celle de l’accumulation des savoirs dans laquelle nous vivons.

(A. Laprise, communication personnelle, mai 2017)

Concernant Guerre et paix, la démarche de l’artiste montre en effet un processus de transformation, d’interprétation et de réélaboration didactique du savoir scientifique tant au niveau de l’Histoire de la Russie que de l’Histoire contemporaine. Ses adaptations théâtrales vont bien au-delà d’une simple vulgarisation scientifique, puisqu’elles sont, à la manière d’un historien pédagogue, le résultat d’une investigation de type universitaire et de réélaborations multiples dans un processus de contextualisation et de recontextualisation repérant clairement « le savoir à enseigner », terminologie empruntée à Chevallard (1985), et le transposant dramaturgiquement.

3. Images mouvantes, nouveau vecteur de l’enseignement de l’Histoire

Cette relecture qu’Antoine Laprise propose de l’œuvre de Tolstoï n’est d’évidence ni un document historique, ni une reconstruction historique de la résistance du peuple russe face à l’impérialisme napoléonien. Cependant, le metteur en scène « fait de l’Histoire » pour reprendre la remarque d’un enseignant attentif au parcours artistique du Loup bleu. Chaque étape de cette partie de développement de l’article montrera la porosité entre la transposition dramaturgique et la transposition didactique, en considérant tout d’abord la scénographie comme une page de manuel, puis en appréhendant les images scéniques dans leur efficacité didactique et enfin en s’attardant sur la singularité de l’image théâtrale prise dans un jeu de construction et déconstruction, qui inclut le spectateur-élève dans un processus énonciatif actif.

3.1. Image mouvante d’une double page d’un manuel d’Histoire

Le découpage complexe de la scénographie révèle un souhait de transposition didactique, parfaitement assumée. Cette œuvre théâtrale peut être mise en regard avec la page de manuel. Cette comparaison éclaire leurs modalités de lecture respectives.

Constituant la ligne horizontale du cadre de scène, une frise retrace les grandes étapes du récit (voir illustration2). Elle donne au spectateur à la fois une lecture globale et permet de recontextualiser chaque événement dans la trame. Elle trouve sa place dans ce spectacle comme cadre structurant. Dès les premières minutes du spectacle, le Loup bleu invite le spectateur à s’y référer.

LOUP BLEU
Pour ceux qui préfèrent la bande dessinée, on a placé une frise au-dessus de la scène avec des images qui résument les principales étapes du roman. Vous pourrez vous y référer à tout moment si vous êtes égarés dans le récit.

(Lavigne et Laprise, 2015)

Dans les réponses au questionnaire auquel ont été soumis 27 élèves du secondaire, ces derniers soulignent avoir apprécié le repère que constitue cette frise. L’un d’eux précise : « j’ai adoré le fait qu’il y ait une frise, ça me permettait de suivre mieux l’histoire ».

Le regard du spectateur descend (voir illustration 2). Le centre du plateau est occupé par le lit. Cet espace rectangulaire accueillera symboliquement en se découvrant de ses draperies, différents lieux dans lesquels les personnages s’arrêtent : les champs de bataille — dont Austerlitz et Borodino —, les réceptions mondaines, les espaces intimes. Le lit fait cadre sur un événement et permet une focalisation du regard sur des moments choisis, considérés comme essentiels. Le lit-cadre devient un révélateur au sens photographique du terme des événements qui font sens sur cette page d’Histoire.

Illustration 2 : Esquisse de la scénographie de Guerre et paix. Dessin d’Antoine Laprise, avril 2017

Les portes-fenêtres possèdent la même fonction. Leur verticalité joue encore davantage de l’effet de clausule sur l’événement porté à la scène, donné à voir.

Derrière le lit, les caisses forment deux autres cadres : les deux blocs des armées russe et française en présence. Durant la première partie de la pièce, elles restent en fond de scène, immobiles, mais sensiblement visibles. Elles constituent à la fois le cadre historique de Guerre et Paix, les champs de bataille, les masses armées, les puissances aveugles face à face.

Cette scénographie invite à réfléchir autrement à la page du manuel comme image composite du pan de l’Histoire étudié et interroge sur la variation complexe entre les espaces-temps sur cette même double page.

La mise en scène impose une circulation du regard et un jeu subtil de combinatoires entre les images proposées. Sa singularité serait d’offrir grâce aux jeux de lumière, l’alternance entre une lecture globale de l’image composite de la scène et à l’instant d’après un focus sur un espace précis de la scène. L’image scénique est sans cesse en train de se recomposer sous l’œil actif du spectateur, dans le même cadre de représentation, la cage de scène ou la double page si l’on suit cette analogie, est fragmentée en frise, en cadres-textes, en cadres-images.

Le spectateur alterne — le décide-t-il vraiment ? — entre un regard global qui appréhende l’espace scénique complexe dans son ensemble, et un regard focus qui cible par fragments l’espace scénique. Ainsi, variant les niveaux de visibilités, le metteur en scène/scénographe se fait passeur d’Histoire, dirigeant subtilement l’errance du regard du spectateur.

Cette scénographie génère une curiosité, un désir d’images. Chaque boîte met en attente une révélation. Le spectateur-élève est touché tableau après tableau par ce jeu de promesses et de surgissement d’images.

3.2. Scène comme boîtes à images

Le spectacle Guerre et paix crée des images théâtrales de la petite et de la grande Histoire. À travers notre questionnaire et donc la réception des élèves, nous avons saisi ces images scéniques dans leur persistance rétinienne, en quelque sorte. Qu’avaient retenu les spectateurs-élèves ? Ici, c’est à travers leur regard que nous revenons sur le spectacle.

Dans un contexte clair de la campagne de Napoléon Ier en Russie, les élèves sont nombreux à avoir retenu les mêmes images du spectacle, celles de guerre et de la violence des combats : les corps démembrés des marionnettes écartelés par les manipulateurs, le cheval étripé, la décapitation du soldat, les bataillons de soldats qui s’entretuent (panneaux de bois), le boulet de canon qui traverse le ciel au bout de sa tige métallique, celles du soldat issu du milieu paysan qui fait ses adieux à sa mère, en pleurs. Cette scène est très brève, mais est restée dans les mémoires des élèves.

8. LE SERVAGE

LOUP BLEU
Pendant que les aristocrates, dans leurs palais, discutent de choses immensément utiles, les paysans russes sont en servage — aussi bien dire en esclavage — depuis plus de deux siècles. La noblesse, qui représente une minorité, retient à son service des millions de paysans attachés à une terre qui ne leur appartient pas et qu’ils ne peuvent quitter. Ce système — féodal — avait été abolidans plusieurs pays d’Europe, mais pas en Russie. (Aux paysans 🙂 Excusez-moi. Que faites-vous ?

PAYSANNE
Notre fils vient d’être enrôlé dans l’armée ! Pour vingt-cinq ans !

LOUP BLEU
25 ans ? C’est pas un peu long ?

FILS
Long ? Aussi bien dire jusqu’à ma mort !

PAYSANNE
C’est pourquoi nous lui faisons des funérailles symboliques…

LOUP BLEU
L’armée impériale du tsar est donc une armée de paysans. Qui sont arrachés aux leurs pour toujours. (Une dernière accolade.)

(Lavigne et Laprise, 2015)

À l’exemple de cette élève qui construit une carte mentale (voir figure 1) centrée sur l’image du « sang », envisagée ici dans sa polysémie — liquide organique (blessures et puberté), symbolique (guerre, famille, amour, mort), esthétique (la couleur rappelle le ciel rouge de la guerre, les tissus rouges représentant les filets de sang) —, l’intensité des images et leur efficacité mnémonique sont sans doute dues à leur force métaphorique ou métonymique. Les spectateurs vivent la violence de la guerre : ils multiplient les départs vers le front, les morts, les obus. Un seul obus traverse concrètement la scène, doublé par les sons, il devient un pluriel. Les « morts » dénombrables des marionnettes renvoient à l’indénombrable des tués durant ces campagnes napoléoniennes.

Figure 1. Extrait de réponses d’une élève (pages reproduites dans leur intégralité dans les figures 2 et 3)

Le cheval revêt dès sa première apparition sur scène une présence métaphorique et métonymique forte. Il incarne une figure anonymée et méprisée par l’Histoire. À lui seul, il représente les deux armées sans distinction de nationalité qui s’entretuent sans comprendre et incarne l’absurde des conflits armés.

Les « images théâtrales », que les élèves évoquent un mois après le spectacle, sont chacune imprégnées de petite et de grande Histoire. Les histoires du cheval et du paysan, tous deux singularisés par une marionnette, sont portées à la scène dans leur dimension individuelle. Toutefois, la force métaphorique et métonymique de l’image théâtrale renvoie cette rencontre à l’événement historique. Le Loup bleu fait entrer cette image théâtrale dans la grande Histoire en intégrant à son discours quelques explications : les modalités de recrutement de l’armée russe, la composition de l’armée.

La transposition didactique de l’Histoire s’appuie ici sur les réminiscences d’images théâtrales issues d’une transposition dramaturgique qui imposent le constat suivant : les petites histoires habitent la grande Histoire et ceci de manière réversible, indissociable et infinie. Telle était l’intention claire de Léon Tolstoï et l’une des clefs de cette double transposition d’Antoine Laprise.

Presque tous les élèves insistent en effet sur les choix dramaturgiques et par conséquent sur la construction des images théâtrales par lesquelles ils sont touchés. Il n’a échappé à personne que les deuils successifs sont ceux de personnages incarnés par des marionnettes, que les armées ne sont que des caisses ou des figurines de bois… Leurs réponses démontrent un processus double et complexe d’identification et de déréalisation du réel, représenté en scène.

3.3. Guerre et Paix ou déréalisation du réel : 1re étape d’élaboration d’une distance critique

Ce mouvement naturel d’identification par le détour de la fable est contredit par la présence même de la marionnette, imposant un mouvement de déréalisation.

La marionnette dans ses deux ou trois dimensions est un condensé de déréalisation parce que sa présence démultiplie les dédoublements : la marionnette comme double du corps humain, double de l’acteur, double du personnage. La marionnette s’amuse d’être à la lisière de la construction/déconstruction du réel par la scène. Par sa forme, elle permet l’histoire de l’Histoire.

TOLSTOÏ
Ma grande conclusion est celle-ci : Tous les hommes, petits et grands, sont les marionnettes de l’histoire.

LOUP BLEU
Très fort, Monsieur Tolstoï. Ça tombe bien. Il y a beaucoup de marionnettes ici. […]

Loup bleu se lève. Le cheval vient le chercher. (Au cheval 🙂 T’es pas mort, toi ?

CHEVAL
Les marionnettes ne meurent pas, Loup bleu. Elles font semblant.

LOUP BLEU
Tu es en train de me dire qu’aucun animal n’a été blessé durant le spectacle ?

(Lavigne et Laprise, 2015)

Les remarques des élèves insistent sur le plaisir qu’ils ont ressenti en tant que spectateurs devant cette mise en scène complexe avec des marionnettes : la conclusion de Tolstoï et le retour du cheval semblent susciter grâce à la complicité établie entre le metteur en scène et le public une profonde satisfaction intellectuelle. Ainsi semble naître le plaisir de la pensée comme « pensée sensation » qui se vit dans sa physicalité.

La figure du Loup bleu est révélatrice de ce parti pris de la « complexité productive », terme emprunté aux recherches de Sala, Villargordo et Halimi (2015), qui met l’élève face à des situations complexes qu’il a plaisir à démêler… Ses mots, sa voix, sa seule présence maintiennent un jeu de construction et de déconstruction. Imposant une énonciation complexe, le personnage marionnette du Loup bleu se glisse dans des intrications diégétique (extérieur [narrateur] et interne [personnage]), dramaturgique (acteur, marionnette, marionnettiste, metteur en scène), métadiscursive (metteur en scène, enseignant, philosophe). Le Loup bleu se positionne en bord de scène, comme au bord des événements. Il bouscule tout.

Sur les caisses apparaîtront les figures historiques : bustes en 2D de Napoléon et du général Koutouzov. La page de manuel fixe le portrait des grands hommes, figures à retenir dans les marges. Dans la mise en scène, ces formes animées sont comme figées dans leurs mouvements par l’histoire (voir illustrations 2 et 3).

Illustration 2 : Guerre et paix : Loup bleu, aide de camp de Napoléon. Photo : N.-F. Vachon

Les différences de facture des marionnettes questionnent concrètement les possibilités de mouvements, soit le champ d’action — libre arbitre/déterminisme — des hommes qu’incarnent les marionnettes. Le buste-marotte que l’on déplace et les marionnettes portées exposent de manière explicite, par le dispositif du théâtre une tension entre fixité et mouvement, entre figures d’autorité et d’autres anonymes. Ce choix dramaturgique en matière de marionnettes traduit la portée philosophique et didactique de la pièce.

Ainsi ces « images théâtrales » introduisent un métadiscours sur l’enseignement de l’Histoire et invitent l’élève à s’interroger sur son rapport à l’Histoire.

Illustration 3 : Le cheval, Loup bleu et Antoine Laprise, 2014. Photo N.-F. Vachon

4. De la scène à la salle de classe, un nouvel espace de recherche

Un mois après le spectacle, Antoine Laprise est intervenu auprès de 27 élèves, les engageant dans un débat. Suite à ces échanges, ils ont été invités à répondre à un questionnaire individuel. Leurs réponses, dont celles d’une élève ici retenue (voir figures 2 et 3), montrent une intelligence du spectacle fine et une sensibilité renouvelée au regard de la question historique. Elles permettent d’observer « le territoire de l’élève » s’agrandir, pour reprendre les termes de Sensevy (2007) et de mesurer l’intérêt didactique de l’utilisation du spectacle vivant dans un enseignement de l’Histoire.

Figure 2 : Questionnaire (partie I) conçu par Lise Guiot et Antoine Laprise et réponses d’un élève de Secondaire 4
Figure 3 : Questionnaire (partie II) conçu par Lise Guiot et Antoine Laprise et réponses d’un élève de Secondaire 4

En sortant les élèves de la salle de classe, l’enseignant invite les élèves à s’installer dans un espace public etpolitique : un théâtre. Après un débat en bord de scène ouvrant une première discussion autour du spectacle, Antoine Laprise revient en classe, transformant la classe en espace de recherche.

Tel que ce questionnaire est conçu, il ne peut y avoir de « bonnes réponses ». Il veut ouvrir des pistes de réflexion et inviter les élèves à une implication énonciative réelle qui les entraîne, nous semble-t-il, pas à pas vers une lecture historienne du monde, laissant poindre une conscience historique. « J’ai été marqué par l’histoire de la Russie parce que de nos jours nous avons tendance à voir ce pays comme un étrange lieu. Je ne savais pas que c’était une grande puissance autrefois. De nos jours, nous semblons avoir oublié cette histoire. » Cet élève lie son actualité à ce nouveau champ de savoirs, ainsi, il reconstruit sa vision du présent.

Antoine Laprise met en résonance passée et présente, en intégrant dans ses choix dramaturgiques, des anachronismes, des jeux d’échelles, de cadrages, un acteur ou une marionnette, selon. À l’exception de la frise, rien n’est linéaire.

Souvent, nous utilisons la culture populaire pour sécuriser d’abord le spectateur par des références accessibles — pour mieux nous enfoncer ensuite dans les méandres de l’Histoire, dans des concepts plus élaborés. Il ne s’agit pas de reconstitution historique, dont nous avons horreur. L’action se passe toujours maintenant, sur scène, en temps réel et Loup bleu s’adresse directement aux spectateurs, ses contemporains. L’usage des temps superposés et de l’anachronisme est fréquent. Dans Guerre et paix, le t-shirt des Pussy riot arboré par le Loup bleu ou le passage du Spoutnik déguisé en comète de 1812 sont des hommages à la culture russe à travers son histoire, passée ou contemporaine. Le spectateur, dans une démarche libre, doit démêler ce qu’il connaît des sources de dépaysement temporel et spatial que nous lui proposons. On le rend intelligent, dit-il.

(A. Laprise, communication personnelle, mai 2017)

Les analyses précédentes sur la scénographie et la dramaturgie montrent une compréhension fine de la part des élèves à la pluralité des échelles de l’histoire : échelles temporelles, échelles spatiales (les adieux du paysan au cœur de la guerre franco-russe met en relief le jeu d’échelle, ici local/national), le jeu d’échelles sociales (opposition entre les mondes aristocratique et paysan).

Si l’on définit la conscience historique à la suite de Aron (2011), comme « l’impact de la pensée du passé sur l’action et l’existence présentes », cette adaptation de Guerre et paix, bien que fictive, peut engager le spectateur-élève à une prise de conscience historique. Cela transparaît dans les réponses des élèves. Permettons-nous cet exemple plein d’une douce naïveté : « ça nous apprend les erreurs du passé à ne pas reproduire afin de vivre dans un monde merveilleux. »

Par ailleurs, en nous attardant sur les images restées vives dans les mémoires des élèves, nous avons mesuré la compréhension claire des élèves relativement aux questionnements fondamentaux de l’homme : questions de vie et de mort, relations d’amour, d’amitié, d’inimitié, d’hostilité, hiérarchie sociale et tension entre appartenance et exclusion, lien à la terre, à une culture, à une Histoire. « Ce spectacle raconte surtout l’humanité avec un grand H : l’orgueil, l’amour, le pouvoir… Il dénonce la guerre, promeut la paix », écrit un élève.

Comme nous l’avons vu précédemment, le Loup bleu joue un rôle dans cet éveil à la conscience historique. Si la tâche de la marionnette consiste à ressaisir les événements historiques, il présente des situations complexes sans point de vue monolithique. Les mots animalisés du Loup bleu se placent d’une part, d’un point de vue externe lorsqu’il emprunte le positionnement distancié du fabuliste, d’un historien parfois, d’autre part, d’un point de vue interne quand il incarne des personnages, proposant pour chacun un point de vue sur les événements, mettant sans cesse en jeu d’autres thèses. Sans nulle prétention à un discours d’autorité, ses voix énonciatives installent un débat fort, dans lequel le Loup ne prétend pas atteindre une quelconque objectivité historique, puisqu’il passe d’une distance ironique sur les événements ou une intégration en tant que personnage à la marche du monde. Le positionnement du Loup bleu rend visible et lisible ce détachement quasi impossible de l’historien. Dans le débat puis dans les réponses des élèves, ces derniers se heurtent à la difficulté de définir le Loup bleu. Historien ? Narrateur ? Fabuliste ? Chacun argumente. La marionnette, reconnaissant son point de vue de marionnette et d’animal, acquiert une lucidité et une distance troublante, la rendant attentive aux cris, aux rires, aux points de vue des autres, plus humains qu’elle, autres protagonistes de l’Histoire ou les spectateurs devant elle.

Dans cette perspective, la question autour de l’identification au camp russe ou français permettait d’impliquer les élèves en tant qu’individus, porteurs d’une histoire personnelle et dans le débat de mettre en perspective, le lien historique France-Québec, l’implication émotionnelle de certains et la distance critique d’autres.

Discutant de la question du déterminisme et de la liberté de l’homme face à l’Histoire, déjà présente dans le roman Guerre et Paix de Léon Tolstoï, l’adaptation d’Antoine Laprise propose un aphorisme qui fait mouche auprès d’un tiers des élèves de la classe. « “Nous sommes les marionnettes de l’histoire”, dit par une marionnette. J’ai adoré la conclusion de Tolstoï ! » Les réponses des élèves témoignent de leur perspicacité devant la double lecture de cette phrase, faisant d’une part allusion à la construction marionnettique de la mise en scène et d’autre part, au déterminisme de l’histoire. Sans poser le terme de « conscience historique », ils pressentent, avec la distance que permet le spectacle, cet « impact de la pensée du passé sur l’action et l’existence présentes » (A. Laprise, communication personnelle, mai 2017) et interrogent la liberté d’homme face à l’événement. Sommes-nous des marionnettes ?

Pêchant peut-être par trop d’ambition, cette expérience peut rester un hapax dans l’année scolaire, sans conséquence notable, mais elle peut aussi transformer les modalités de l’enseignement de l’Histoire au sein de la classe et la prise de conscience de l’élève face à l’Histoire. Cette mise en scène avec des marionnettes et ses trois dimensions donnent à l’élève l’occasion de réfléchir à des concepts clefs de l’enseignement de l’Histoire : source, événement, conscience historique, objectivité historique, historicité, etc. Qui fait l’Histoire ? Qui raconte l’Histoire ? D’où nous raconte-t-on ? Quel point de vue adopté? Quelle est la limite entre historicité et fiction ? Que nous raconte-t-on ? Qu’est-ce que l’Histoire ? Quel événement retenu et rapporté ? Est-ce un fait historique ou un événement pur ? Pour l’individu, tout est événement, il ne s’ensuit pas nécessairement que l’événement mérite la qualité de fait historique. Pourquoi un événement franchit-il ce seuil d’historicité ? Reprenant la thèse de Tolstoï, le Loup demande d’une certaine façon au public de reconnaître le degré d’historicité des événements, d’être sensible aux deux acceptions du terme « Histoire » ? Suite d’événements ? ou « discours sur » les événements ? Et de soulever les étiquettes que sont les noms des grands hommes pour envisager les petites histoires constitutives de la Grande Histoire.

L’expérience théâtrale se prolonge donc dans la classe, devenant elle-même espace de recherche. L’ultime but du théâtre entendu comme lieu de débat dans un espace publiquement organisé serait de créer une image humaine — de soi et de l’autre —, inscrite au niveau diégétique et sur scène, dans la coprésence des artistes et des spect-acteurs.

Et voilà, Frères humains, je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais je suis assis à la même place qu’au début. La question fondamentale qui se pose désormais c’est : que va-t-il vous arriver à vous après avoir vu ce spectacle ? J’ose à peine l’imaginer. Deux choix s’offrent à vous. Lire Guerre et paix ou ne jamais lire Guerre et paix. Dans un cas comme dans l’autre, ça va changer votre vie à jamais. Les conséquences sont incalculables. Les neurosciences prétendent que le cerveau prend des décisions avant la « conscience ». Nous ne sommes peut-être pas libres, mais quelque chose en nous, que nous appelons le libre arbitre, maintient l’illusion que nous faisons nos propres choix. Quelle que soit la décision que vous prendrez, il n’y a pas de décision : il n’y a que des récits. Le récit que chacun se fait de soi et du monde. Ce sont donc les idées et les récits qui nous gardent vivants. Et Guerre et paix est un de ces grands récits plein d’idées. Quant à moi, Frères humains, je vous souhaite bonne chance dans l’élaboration de votre propre récit.

(Lavigne et Laprise, 2015)

N’est-ce pas l’enjeu premier de l’enseignement de l’Histoire que de remettre au cœur de chaque enquête la question du politique, et par là d’une éducation à la citoyenneté (Audigier, 1993 ; Tutiaux- Guillon, 2009) ?

Conclusion

Au risque des quelques éclats de poésie, cet article, né d’une croisée des regards, se veut conséquemment, une écriture croisée. Après avoir situé notre recherche dans la continuité des travaux en didactique de l’Histoire, Antoine Laprise, passeur d’images mouvantes, se raconte, en explorant particulièrement sa démarche de création, ses directions de metteur en scène entre transpositions dramaturgique et didactique. Ensuite, nous avons proposé une analyse d’une mise en scène marionnettique, Guerre et Paix, œuvre adaptée par le Sous-marin jaune, vecteur original d’un enseignement de l’Histoire. Enfin, en nous appuyant sur la réception du spectacle par des élèves du secondaire, nous avons analysé la position complexe de l’élève spectateur, spect-acteur de théâtre, face aux « images théâtrales » et le pouvoir de remuement de la scène, plaçant le spectateur en témoin critique, habité par et de l’Histoire. Ainsi nous avons mesuré la légitimité d’une telle approche dans le champ de la culture humaniste, de l’éducation à l’image et de l’enseignement de l’Histoire.

Notes
  1. Sans fantaisie, nous tentons de distinguer par la variation des caractères majuscules ou minuscules les différentes acceptions du terme « histoire ». Pour évoquer, l’histoire en tant que « recherche, connaissance, reconstruction du passé de l’humanité sous son aspect général ou sous des aspects particuliers, selon le lieu, l’époque, le point de vue choisi ; ensemble des faits, déroulement de ce passé » (Histoire, 2012), nous proposons une majuscule ; pour nous référer à la discipline scolaire, nous conserverons la minuscule ; enfin, dans une acception plus littéraire renvoyant au récit d’un fait historique ou banal, soit à la narration d’événements fictifs ou non, nous préférerons à nouveau la minuscule. ↩︎
  2. L’expression polysémique de « culture humaniste » est définie ainsi dans un texte de cadrage sur le portail national, Éduscol (2018), destiné aux professionnels du ministère de l’Éducation nationale (France) : « La culture humaniste contribue à la formation du jugement, du goût et de la sensibilité. Elle repose principalement sur la littérature, l’histoire, la géographie, l’éducation civique, les arts plastiques, l’éducation musicale ou encore l’histoire des arts. » (Mokaddem, 2015) Éduscol. Récupéré le 2 janvier 2018 du site http://eduscol.education.fr/cid46267/competence.html ↩︎
  3. « J’ai donné à cette compagnie de marionnettes le nom de Sous-marin jaune. Clin d’œil évident à la chanson des Beatles, Yellow Submarine, le nom de la compagnie fait pour moi, essentiellement référence au film d’animation de George Dunning (élève de Norman McLaren) réalisé en 1968. Cet esprit-là, celui de l’ONF (Office National du Film du Canada) des années 60, restait un idéal de créativité » (A. Laprise, communication personnelle, mai 2017). ↩︎
  4. « 4R » : modèle d’enseignement centré sur les concepts de « Réalisme », de « Résultats des sciences homonymes », « Référent consensuel » et de « Refus du politique » (Audigier, 1993). ↩︎
  5. La présence de la marionnette sur scène, contrairement à celle de l’acteur, rend manifeste par son statut d’objet fabriqué ce jeu de construction et déconstruction du réel. ↩︎
  6. Un mois après ledit spectacle, Antoine Laprise est intervenu auprès de 27 élèves, dans le cadre du cours de français de M. Michel Stringer, les engageant à un débat puis à répondre à un questionnaire individuel. ↩︎
  7. Le Sous-marin jaune a produit six pièces de 1995 à 2014, soit environ une pièce tous les trois ans et un tiers : Candide, d’après Voltaire (1995) ; La Bible (2000) ; Discours de la méthode, d’après Descartes (2005) ; Les Essais, d’après Montaigne (2008) ; Kanata, Une histoire renversée (2011) ; Guerre et paix, d’après Tolstoï (2014). Au terme de ces aventures, le livre demeure ouvert. Les projets à venir sont : La Pensée sauvage, de Claude Lévi-Strauss ; Le Manifeste du parti communiste, de Marx et Engels ; Les Mille et une nuits, de la tradition arabe ; Ulysses, de Joyce ; le Genji Monogatari, de Murasaki Shikibu, classique japonais. ↩︎
  8. Célèbre citation attribuée à Bernard de Chartres (XIIe siècle). ↩︎
Bibliographie

Aron, R. (2011). Dimensions de la conscience historique. Paris, France : Les belles lettres. (Ouvrage original publié en 1961 sous le titre Dimensions de la conscience historique. Paris, France : Plon).

Audigier, F. (1993). Les représentations que les élèves ont de l’histoire et de la géographie. À la recherche des modèles disciplinaires entre leur définition par l’institution et leur appropriation par les élèves (thèse de doctorat non publiée). Université Paris-VII, Paris, France.

Chevallard, Y. (1985). La transposition didactique : du savoir savant au savoir enseigné. Grenoble, France : La pensée sauvage.

Histoire. (2012). Dans le Centre national de ressources textuelles et lexicales. Récupéré du site http://www.cnrtl.fr/definition/histoire

Lautier, N. et Allieu-Mary, N. (2008). La didactique de l’histoire. Revue française de pédagogie, 162, 95-131. doi:10.4000/rfp.926

Lavigne, L.-D. et Laprise, A. (2015) Guerre et Paix : d’après Tolstoï. Montréal, Canada : Dramaturges.

Lévi-Strauss, C. (1962). La Pensée sauvage. Paris, France : Plon.

Mokaddem. S. (2015). La Culture humaniste à l’école. Remarques sur la notion de « culture humaniste » et sur la formation au sein des ESPE dans le processus d’accompagnement des enseignant-e-s. Tréma, 43, 101-111.

Paun, E. (2006). Transposition didactique : un processus de construction du savoir scolaire. Carrefours de l’éducation, 22(2), 3-13. doi:10.3917/cdle.022.0003

Sala, C., Villagordo, É. et Halimi, J. (2015). Astérix ou une éducation humaniste par la parodie. Dans J. Gallego (dir.), La bande dessinée historique : premier cycle, l’Antiquité (p. 31-42). Pau, France : Presses de l’Université de Pau et des pays de l’Adour.

Sensevy, G. (2007). Des catégories pour décrire et comprendre l’action didactique. Dans G. Sensevy et A. Mercier (dir.), Agir ensemble : l’action didactique conjointe du professeur et des élèves (p. 13-49). Rennes, France : Presses universitaires de Rennes.

Tutiaux-Guillon, N. (2009). L’histoire scolaire française entre deux modèles : contenus, pratiques et finalités. La Revue française d’éducation comparée, 4, 105-117.

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