Volume 7 / L'image à l'école secondaire

De l’iconographie historique à un enjeu contemporain de développement urbain : problématiser à l’aide d’un dossier documentaire au secondaire

Vincent Boutonnet
Université du Québec en Outaouais

Résumé

Alors que les pratiques d’enseignement restent encore magistrales et appuyées sur des documents aux fonctions illustratives, il importe de se questionner sur la formation initiale et continue des enseignants d’histoire et de géographie au secondaire. Cet article propose une grille d’analyse de documents variés concernant l’évolution du site patrimonial de la Chute des Chaudières entre Gatineau et Ottawa. Entre protection du patrimoine et revitalisation d’un site industriel désaffecté, nous proposons une approche problématisée afin d’analyser une variété de documents, dont des peintures et des photographies d’époque. Les analyses s’appuieront sur la perspective structurale de Lefebvre (1974) et la sémiotique architecturale d’Eco (1997). Il sera alors question de la production de l’espace par une société et comment elle peut être perçue ou analysée. Cet enjeu historique, géographique et civique permet de réfléchir au statut de l’image dans l’enseignement de ces disciplines et à l’intégration de pratiques centrées sur la critique d’une iconographie variée.

Abstract

While teaching practices still remain based on documents with illustrative functions, it is important to questionthe training of initial and in-service high school teachers of history and geography. This article proposes an analytical grid for various documents related to the evolution of the Chute des Chaudières site between Gatineau and Ottawa. Between the protection of the heritage and revitalization of a disused industrial site, we propose a problem-solving approach to analyze a variety of documents including paintings and photographs of different eras. The analysis will be based on the structural perspective of Lefebvre (1974) and the architectural semiotics of Eco (1997) used to interrogate the production of space by society and how it can be perceived or analyzed through time. These historical, geographical, and civic issues make it possible to reflect on the status of the image in the teaching of these disciplines and the integration of practices centered on the criticism of a varied iconography.

Mots-clés
analyse iconographique, dossier documentaire, analyse structurale, histoire, géographie, secondaire

Keywords
iconographical analysis, documentary record, structural analysis, history, geography, hight school
Citer
Pour citer
Boutonnet, Vincent (2018). De l’iconographie historique à un enjeu contemporain de développement urbain : problématiser à l’aide d’un dossier documentaire au secondaire. Revue de recherches en littératie médiatique multimodale, 7. https://doi.org/10.7202/1048361ar

1. Contexte

Les pratiques d’enseignement en histoire au secondaire restent encore traditionnelles. Généralement, elles s’appuient encore sur la transmission de savoirs par un exposé magistral dans une logique de soutien au récit de l’enseignant et d’acquisition de connaissances historiques essentielles, avant d’exercer des habiletés de critique et l’usage de ressources didactiques variées (Boutonnet, 2015a, 2015b). Ce n’est d’ailleurs pas unique au contexte québécois, comme en témoignent des recherches récentes en France (Baquès, 2005 ; Tutiaux-Guillon, 2006), en Belgique (Jadoulle, 2015), aux États- Unis (Nokes, 2010, 2011) ou ailleurs au Canada (Morton, 2011). Malgré l’apparition de nouvelles technologies, de plateformes de partage, de réseaux sociaux, d’un plus grand accès à des ressources numériques en ligne, les pratiques d’enseignement peinent à se renouveler et à intégrer des ressources en classe de manière plus critique et analytique. Ce constat peut inquiéter, mais il est évident que la lourdeur des programmes, le manque de temps, un accès limité à des ressources de qualité et les difficultés grandissantes des élèves minent le travail des enseignants d’histoire au secondaire. Il n’est donc pas constructif de pointer un groupe plutôt qu’un autre, mais de continuer à proposer des ressources pertinentes et utiles aux enseignants. Par exemple, l’initiative du Récitus est très intéressante et met à la disposition des utilisateurs des documents variés, dont plusieurs documents iconographiques1 ainsi que des canevas de questionnement ou d’analyse2. Il importe de continuer ces efforts afin d’offrir des ressources de qualité ainsi qu’une formation continue au personnel enseignant.

La ressource patrimoniale est tout aussi essentielle à intégrer en classe afin de varier les habiletés d’analyse. En effet, les visites aux musées ou les marches patrimoniales semblent avoir des effets positifs sur les capacités à analyser, à critiquer et à comparer une multitude de documents ou de lieux, autant au niveau primaire (Demers, Éthier et Lefrançois, 2015 ; Poyet, 2016) que secondaire (Larouche, 2016 ; Mitchell et Elwood, 2012). Ces recherches récentes semblent nous rappeler que l’histoire locale et patrimoniale continuent d’intéresser les élèves et les enseignants, malgré les difficultés inhérentes à un tel dispositif didactique (connaissance limitée de l’histoire locale, organisation compliquée d’une sortie à l’extérieur de l’école, habiletés et grilles d’analyses lacunaires, etc.).

Afin, entre autres, de favoriser le recours aux ressources patrimoniales, cet article se centre sur une analyse didactique et propose un canevas d’interprétation du patrimoine, particulièrement par ses représentations iconographiques. Une situation d’apprentissage interdisciplinaire (histoire-géographie) reliant des concepts historiques et géographiques en utilisant des outils d’analyses particuliers y est présentée. Cette situation est utilisée comme outil de formation dans le cadre de cours de didactique de la géographie et de l’histoire pour de futurs enseignants du secondaire au Québec. Dans cette dernière, nous nous intéressons à un enjeu local et contemporain de développement urbain qui s’inscrit dans une problématique historique de développement industriel : le cas du site industriel patrimonial Eddy, situé à Hull (Gatineau) près de la Chute des Chaudières.

Dans cet article, nous poursuivons deux objectifs : 1) mettre en lumière les fondements théoriques de notre grille d’analyse historique et géographique d’un lieu patrimonial ; 2) présenter et analyser une situation didactique s’appuyant sur l’étude d’un lieu patrimonial et l’analyse d’un dossier documentaire diversifié (iconographies, sources historiques, articles de journaux, etc.). Conséquemment, ce dernier ne présente pas de résultats de recherche, mais se fonde sur un récit de pratique qui alimente une réflexion didactique sur la pertinence des outils présentés pour la formation initiale et pour l’apprentissage des élèves.

2. Fondements théoriques de l’analyse d’un lieu patrimonial

Nous comprenons le lieu patrimonial comme un palimpseste, c’est-à-dire un lieu qui s’est formé, construit et recomposé au fil du temps en laissant des traces des activités sociales, économiques et culturelles des époques antérieures. En histoire, cela fait évidemment écho aux lieux de mémoire de Nora (1997) qui concentrent des fonctions de commémoration et de formation d’une identité commune alliant espace et mémoire. La mise en valeur d’un lieu patrimonial a par conséquent une intention d’exposition, voire de transmission d’un passé révolu qui influence nos perceptions de notre identité et des usages publics de l’histoire aujourd’hui. Dès lors, un tel lieu devrait être, au-delà de sa contemplation ou des souvenirs qu’il évoque, un lieu de réflexion et de critique. Ces lieux de mémoire sont en outre tiraillés entre devoir de mémoire et devoir d’histoire (Joutard, 1998), c’est-à-dire entre le besoin de se souvenir et la nécessité de se distancer du passé. Récemment, plusieurs exemples sont évocateurs : le débat sur la possibilité de renommer le Pont Champlain pour le Pont Maurice-Richard (Lessard, 2015), le lieu et la pertinence d’un Monument aux victimes du communisme à Ottawa (Casemajor, 2016) ou encore la décrépitude de la statue d’Iberville à Montréal (Gravel, 2016).Pourquoi devrait-on commémorer l’un plutôt que l’autre ? Que devrait-on conserver ? Des questions qui restent entières et le resteront tant et aussi longtemps que l’histoire sera un enjeu dans la formation d’une identité collective.

Comme le soulignait Nora (1997), ces lieux de mémoire catalysent différents affects et positions idéologiques. C’est pourquoi il convient de s’y intéresser en proposant une grille d’analyse fonctionnelle qui soutient à la fois l’interprétation, la critique, mais aussi la prise de position appuyée. Cette grille s’est initialement élaborée dans le cadre d’une recherche collaborative (Demers, Boutonnet, Lessard, Éthier et Lefrançois, 2016) selon deux fondements théoriques : la perspective structurale de Henri Lefebvre (1974) et la sémiotique architecturale d’Umberto Eco (1997).

2.1. La perspective structurale de Henri Lefebvre

Alors que Nora (1997) s’intéresse à des lieux évocateurs, Lefebvre (1974) explique la production de l’espace en général dans une perspective sociale et marxiste. L’espace urbain se construit socialement, c’est-à-dire que les formes et les fonctions des espaces évoluent dans le temps en se formant le plus souvent en tension : les quartiers ou espaces ouvriers et bourgeois sont asymétriques et se construisent en opposition. L’accès à certains édifices est déterminé implicitement par le statut social, tel qu’un club privé pour l’élite bourgeoise et une taverne pour la classe ouvrière. Autrement dit, l’espace devient conflictuel et source de luttes sociales. La rue, la place publique, l’église, l’usine, le bar deviennent des symboles de l’activité sociale et des modes de production sur un territoire. C’est alors que « le mode de production organise – produit – en même temps que certains rapports sociaux – son espace et son temps. C’est ainsi qu’il s’accomplit » (Lefebvre, 1974, p. ix).

D’un point de vue didactique, la production de l’espace et des rapports sociaux nous conduisent à formuler certaines questions sur les points suivants :

  1. les pratiques sociales : cet espace est-il un espace public ou privé, de travail, de divertissement ou de commerce et d’échange ?
  2. la production : que produit-on dans cet espace ? des profits, des biens de consommation, un prestige social, des alliances, etc. ?
  3. les acteurs : qui agit et produit dans cet espace ?
  4. les intérêts : à quels acteurs profite l’occupation de cet espace ? (Demers et al., 2016, p. 77)

2.2. La sémiotique architecturale d’Umberto Eco

Au-delà des espaces produits, la fonction des bâtiments est tout aussi importante à considérer. Si l’architecture ne véhicule pas un message explicitement par des signes ou des symboles, elle le fait par la forme, la fonction et la richesse de ses structures architecturales. Pour Eco (1997), le bâtiment communique l’ordre social et la culture d’une époque. En effet, l’architecture et les matériaux utilisés communiquent les fonctions et les conventions sociales qui se manifestent par la façade des constructions, leur positionnement, leur concentration dans un espace, le caractère luxueux des matériaux, etc. Cette grille sémiotique nous apparaît comme un bon complément à la conception structurale de l’espace chez Lefebvre (1974), puisqu’elle propose une grille spécifique à un bâtiment ou un ensemble de bâtiments plutôt qu’une analyse structurale de la composition d’un espace comme un quartier.

Encore une fois, d’un point de vue didactique, la sémiotique architecturale nous permet de considérer plusieurs questions :

  1. Qui est à l’origine de cet édifice ? Quels sont les intérêts/besoins de cette personne ou de ce groupe de personnes ? Pourquoi l’ont-ils construit ?
  2. Quels matériaux ont été utilisés pour construire cet édifice ? Comment ces matériaux sont-ils disposés ? Qu’est-ce que cela révèle au sujet des conditions de vie ou de travail des personnes qui y vivent ou y travaillent ?
  3. Quelles sont les caractéristiques de l’édifice et de l’espace qu’il occupe ? (est-il différent des autres édifices autour ? est-il grand ? luxueux ? près de la rue, etc. ?) Que nous disent ces caractéristiques au sujet de la vie quotidienne des gens qui y vivent ou y travaillent ?
  4. Quels messages sont véhiculés par cet édifice au sujet de : l’ordre social (qui a sa place ici ? qui ne l’a pas ? qu’a-t-on le droit de faire en ce lieu ? qui contrôle ce lieu ?) ; des conventions sociales (qu’est-ce qui est considéré important en termes de matériaux, de localisation dans la ville, d’aménagement de l’espace ?) (Demers et al., 2016, p. 78)

3. Le site industriel E. B. Eddy problématisé et contextualisé dans le temps

Les édifices Eddy témoignent du passé industriel de Gatineau, particulièrement dans le quartier de Hull, en raison de la proximité de la Chute des Chaudières alimentant de sa force hydraulique les premières scieries de la région au début du XIXe siècle. Ces édifices font partie d’un ensemble de quatre bâtiments (numérotés 1, 2, 3 et 6) reconnu patrimonial depuis 2001 et classé immeuble patrimonial depuis 2012 par le ministère de la Culture et des Communications3. L’édifice 6 est probablement le plus remarquable par son toit mansardé de type Second Empire qui est plutôt atypique pour un édifice industriel. Les autres édifices ont perdu ce type de toit dans le grand feu de 1900 à Hull.

Notre intention didactique se précise en proposant une question mobilisatrice pour étudier différents documents présentant ce lieu patrimonial : comment composer avec les particularités d’un tel site maintenant désaffecté et contaminé, témoin du développement industriel de la région outaouaise depuis le XIXe siècle ?

Afin d’examiner cet enjeu contemporain de revitalisation urbaine aujourd’hui, il convient de comprendre la construction de cet espace historiquement, en considérant la perspective structurale de Lefebvre (1974). Ce développement historique peut s’expliquer par quatre phases qui seront illustrées par des peintures ou des photographies dont nous nous servirons pour analyser la construction de l’espace au fil du temps.

3.1. L’appropriation du territoire par Philemon Wright

La première phase est marquée par l’appropriation européenne du territoire en profitant de la rivière Outaouais et de son réseau hydrographique pour acheminer les billots de bois jusqu’à la Chute des Chaudières. Ce lieu stoppe naturellement les activités humaines. C’est d’ailleurs un site traditionnel autochtone (Odawa, Anishinaabe) de portage et d’échanges. Philemon Wright s’y établit vers 1800 avec quelques familles, en raison des possibilités agricoles et forestières de la région, mais aussi pour la beauté du paysage de la Chute des Chaudières (Gagnon, 2003). Le commerce du bois devient rapidement essentiel pour la survie de la colonie, avec un premier radeau de bois envoyé à Québec dès 1806 et la construction d’une première scierie en 1809 (Ouellet et Thériault, 1988). L’appropriation du territoire par Wright et ses trois fils se concrétise par l’achat de nombreuses acres de concessions forestières, mais aussi d’espaces défrichés pour l’agriculture dublé et du maïs ainsi que l’attrait de capitaux dont ceux du Gouverneur général Dalhousie afin de consolider la position du Bas-Canada dans la région (Gagnon, 2003).

3.2. La diversification industrielle de Ezra Butler Eddy

La deuxième phase capitalise sur la précédente avec la diversification des activités industrielles à base de bois et l’urbanisation de Hull. Ezra Butler Eddy deviendra tour à tour propriétaire des industries d’allumettes et de papiers, député provincial et maire de la ville d’Hull (Vincent-Domey, 1994). Parti de pas grand-chose, il lancera une petite usine d’allumettes en 1854 avec sa première femme et il fera rapidement fortune. Il en profite en rachetant plusieurs propriétés foncières de la famille Wright. Il diversifie ses activités en investissant dans une usine de pâte et papier en 1889 (Vincent-Domey, 1994). Cependant, c’est aussi dans ses usines que se vivent les premières luttes syndicales, féministes et francophones de la région et même de la province du Québec. En effet, de nombreuses grèves éclatent suite à des conditions ouvrières difficiles : longues heures, mauvaise paye (en particulier les femmes), sans contrats, risques importants pour la santé (utilisation de produits chimiques sans protection – phosphore – et risques d’incendie), répression armée des grèves, etc. Bien que les Allumetières, nom donné aux femmes employées par Eddy, n’aient pas obtenu de gains majeurs à court terme4, elles restent un symbole fort de la lutte ouvrière et féministe au Québec et au Canada.

3.3. Le déclin de l’industrie forestière

La troisième phase est marquée par le déclin de l’industrie forestière au début des années 2000 à Hull. Même si les industries Eddy ont traversé deux décennies difficiles avec deux incendies majeurs (1884 et 1900), la crise du commerce du bois international en 1873 et plusieurs grèves, ils ne céderont leurs activités qu’en 1998 à la papetière Domtar. Cependant, de 2004 à 2010, la région outaouaise vit des moments douloureux avec l’augmentation du chômage, la hausse du huard, la compétition internationale et la baisse de la demande en papier qui conduisent plusieurs usines de la région à fermer leurs portes5. En fait, Domtar procédera à une fermeture graduelle de son site de la Chute des Chaudières, en fermant tout d’abord son usine d’Ottawa en 2005, celle de Hull en 2007 en invoquant la faible capacité de production de ces usines (Théorêt, 2013), suivies par la vente de la centrale hydroélectrique à Hydro-Ottawa en 2012.

3.4. La revitalisation et la conservation du patrimoine industriel

La quatrième phase constitue un enjeu local de conservation du patrimoine industriel et la revitalisation d’un site contaminé par le développement industriel depuis le XIXe siècle. Dès 2013, une vente est entendue entre Domtar et Windmill pour racheter l’ensemble du site industriel sur la rive gatinoise et ottavienne. La vente est finalisée en 2015 et commence alors un processus de consultation et de présentation du projet de revitalisation par un projet résidentiel et commercial. Le projet, baptisé Zibi6, est ambitieux : célébrer le patrimoine, créer des espaces riverains vivants, intégrer une communauté complète ou créer et mettre en valeur des vues (Windmill, 2015). Cependant, le projet ne fait pas l’unanimité, en particulier, il ne plaît pas aux communautés Anishinaabe qui réclament d’être davantage considérées dans le processus de revitalisation (Dugas, 2015 ;Garon, 2015). Si la compagnie Windmill se défend d’avoir effectivement écouté et consulté les communautés autochtones, elle souligne en outre leur entente d’embaucher des entrepreneurs autochtones (Radio-Canada, 2017), cela faisant foi de leur bonne volonté. Le projet de développement résidentiel est donc encore en courset les premières unités sont récemment mises en vente sur l’île Chaudière du côté d’Ottawa7. Les plans ne sont toujours pas clairs pour les usines Eddy sur le boulevard Alexandre-Taché si ce n’est un usage culturel et commercial, sans préciser les activités qui y seront localisées ou le degré de conservation des bâtiments (Windmill, 2015).

4. L’analyse de documents iconographiques et d’articles de journaux locaux

Les différentes phases d’industrialisation qui ont touché le site E. B. Eddy sont soulignées par plusieurs œuvres artistiques qui ont contribué à construire l’attrait de la région et à consolider l’appropriation de l’espace (Boucher, 2012 ; Gagnon, 2003). Sans faire une analyse exhaustive des œuvres artistiques telle que proposée par Boucher (2012), nous nous concentrerons dans cette situation didactique sur une sélection de documents iconographiques que nous jugeons représentatifs de chaque phase. Ces documents sont ici analysés par le biais de la grille d’analyse que nous proposons, fondée sur la perspective structurale et la sémiotique architecturale. Dans la dernière partie de la situation, l’étude de documents non iconographiques (les articles de journaux locaux) permet d’ancrer la question mobilisatrice dans le présent.

4.1. Un cadre enchanteur

L’illustration 1 est une peinture réalisée en 1823 par Henry DuVernet représentant assez clairement les premiers bâtiments industriels : une forge à quatre cheminées sur la droite, un moulin au-dessus de la chute et la taverne surplombée d’un campanile typique d’une architecture style Nouvelle-Angleterre en arrière du moulin. Il est intéressant de noter l’aspect massif et central de ces trois bâtiments ainsi qu’une petite maison en bois sur le côté gauche qui pourrait représenter une première esquisse de maisons allumettes typiques de la région (Boucher, 2012). Ces maisons deviendront plus tard le symbole de la maison ouvrière, construite avec les rebus de bois obtenus à l’usine. D’un point de vue structural, la centralité des bâtiments, leur grandeur ainsi que leur hauteur, soulignent la concentration des modes de production, mais on peut aussi remarquer une représentation positive du développement humain et de l’appropriation d’un territoire. En effet, la peinture évoque la sérénité d’un lieu naturel, une appropriation respectueuse du territoire avec de grands espaces libres et l’activité humaine assez peu marquée (on ne voit que très peu d’individus travaillant).

Illustration 1 : A view of the Mill and Tavern of Philemon Wright at the Chaudière Falls, Hull, on the Ottawa River, Lower Canada. Henry DuVernet, gouache, (1823)

4.2. Une appropriation industrielle

L’étude du lieu patrimonial retenu permet d’explorer les balbutiements de l’industrie forestière, une réalité à l’étude dans le programme d’histoire au 1er cycle. Dans ce dernier, il est question plus spécifiquement de l’industrialisation, de l’urbanisation et du concept de classes sociales au début du XIXe siècle (Ministère de l’Éducation, du loisir et du sport [MELS], 2006, p. 362). Si la compétence 28 du programme ciblé s’intéresse aux effets de l’industrialisation sur la société anglaise, la compétence 19 nous permet de nous intéresser au contexte local de Hull et de son industrialisation. En effet, la compétence 1 nous invite à considérer « les impacts de l’industrialisation d’une société » (MELS, 2006, p. 362). Dans ce qui suit, l’analyse structurale de Lefebvre (1974) et l’analyse sémiotique d’Eco (1997) nous invitent à considérer la production de l’espace dans une perspective sociale afin de considérer les inégalités des classes sociales dans leur appropriation du territoire.

Dans le cadre d’un concours pour réaliser les futurs bâtiments du Parlement à Ottawa, cette lithographie (voir illustration 2) nous intéresse pour son point de vue qui représente la ville de Hull dans le coin inférieur gauche du tableau. Nous pouvons observer la Chute des Chaudières, le pont de l’Union (qui sera plus tard renommé le pont des Chaudières) qui relie Hull à Ottawa, ainsi que le site industriel Eddy dans le coin gauche inférieur.

Illustration 2 : City of Ottawa – Canada West (Ontario). Stent et Laver, lithographie (ca. 1859)

En fait, on peut y remarquer les glissoires construites par Wright et ses fils ainsi que quelques radeaux de bois qui s’y dirigent. Cette portion de la lithographie (voir illustration 3) nous permet de distinguer la taverne au campanile ainsi qu’une organisation des bâtiments le long d’une rue principale qui deviendra le chemin d’Aylmer (et aujourd’hui le boulevard Alexandre-Taché). On observe aussi une église par son clocher en pointe. Dans le coin gauche inférieur se retrouve le ruisseau de la Brasserie. Globalement, même si le développement humain se manifeste de manière plus évidente par la multiplication de bâtiments et la création d’un réseau de transport entre les deux rives, il reste encore entouré de vastes portions du territoire couvertes de forêts ou de champs. Cependant, l’appropriation du territoire est maintenant devenue rentable avec une extension et une diversification des activités industrielles.

Illustration 3 : Zoom sur le site industriel Eddy (coin boul. Alexandre-Taché et Rue Eddy)

Une autre illustration10 nous intéresse aussi par sa prise de vue aérienne plus détaillée datant de 1925. On y retrouve clairement le barrage hydroélectrique en hémicycle à droite, le ruisseau de la Brasserie au centre dans la partie inférieure, le pont reliant les deux rives, et les usines avec leurs cheminées fumantes. Cette photographie est plutôt évocatrice d’une appropriation brutale et intensive du territoire. On observe une densification des bâtiments industriels, mais aussi des résidences ouvrières (voir le coin inférieur gauche pour Hull) à proximité des usines. Cette représentation photographique tranche énormément avec la lithographie encore sereine de Stent et Laver (voir illustration 3) alors qu’environ 70 années se sont écoulées. Si l’on se réfère à l’analyse structurale de Lefebvre (1974), il est aisé de constater l’emprise et la diversification des activités industrielles sur les deux rives. On peut aussi discerner une frontière naturelle entre le quartier ouvrier et le quartier bourgeois au niveau du ruisseau de la Brasserie. En effet, sur la rive gauche, on observe de petites maisons à un étage, rangées sur la même rue, avec peu d’espaces entre elles, alors que la rive droite ne présente que deux ou trois maisons (dont la maison Scott-Wright entourée de grands arbres) avec de grands espaces verts. Cette césure est assez évocatrice de la production sociale de l’espace avec une mise en tension naturelle par la présence du ruisseau qui officie une rupture entre groupes sociaux.

Il est utile à cette étape de nous intéresser plus précisément à la différence entre maisons ouvrières et maisons bourgeoises. La sémiotique architecturale d’Eco (1997) enrichit l’analyse de l’espace présenté par les illustrations précédentes et permet de nous intéresser particulièrement aux différences entre classes sociales. Nous pouvons tout d’abord analyser deux photographies11 de maisons allumettes de la région de Hull. Les questions en lien avec l’analyse architecturale (voir section 2.2 supra) permettent de dégager le matériel utilisé (du bois), l’organisation de la façade (petites fenêtres) et du quartier (petites maisons étroites). Ces indices architecturaux nous révèlent la rigueur et la simplicité des maisons ouvrières. Ensuite, nous proposons l’analyse architecturale d’une série de trois photographies12 de la maison Scott-Wright située à Hull sur la rive du ruisseau de la Brasserie. Encore une fois, la différence est frappante en observant le matériel utilisé (pierre taillée), l’organisation de la façade (grandes et nombreuses fenêtres) et de l’espace (grande maison entourée d’espaces verts). Le style architectural néo-gothique est aussi signe de luxe avec des moulures en pierre et deux pignons travaillés. Ces indices architecturaux contrastent avec la simplicité des maisons allumettes. Pour approfondir la comparaison de ces deux types de construction, nous pouvons soumettre des questions supplémentaires : que nous disent ces indices architecturaux sur la vie quotidienne de ses résidents ? Sur leurstatut social ? Leurs occupations ? Leurs loisirs ? Il est bien évident que ces indices ne suffisent pas pour répondre clairement à ces questions, mais elles permettent d’émettre des hypothèses qui pourront être validées par la suite.

4.3. Un déclin

Afin d’ancrer la réflexion dans une analyse plus contemporaine et plus géographique, nous avons retenu une photographie récente (voir illustration 4) de la Chute des Chaudières. Les illustrations précédentes permettaient d’avoir un regard historique sur le développement industriel, l’appropriation graduelle du territoire ainsi que la production d’espaces en tensions. La problématique géographique contemporaine est en lien avec le programme québécois de géographie au 1er cycle du secondaire où l’analyse d’un territoire urbain passe par la considération du patrimoine existant dans le développement d’une ville. Bien que Gatineau ou Ottawa ne soient pas au programme, c’est tout de même un enjeu local de développement, notamment en raison des particularités de ce site qui est désaffecté et contaminé par plusieurs décennies d’industrie des pâtes et papiers. C’est d’ailleurs l’intitulé exact pour l’analyse du territoire urbain patrimonial de la compétence 2 en géographie : « composer avec les particularités d’un site » (MELS, 2006, p. 320).

Illustration 4 : La Chute des Chaudières. Shanta, photographie libre de droits (2006)

Cette photographie est pertinente en raison de son angle de vue aérien qui permet de capturer de nouvelles fonctions attribuées aux bâtiments occupant cet espace. Alors que l’ère industrielle d’Eddy est marquée par une emprise des industries des pâtes et papiers, on retrouve ici des éléments familiers (le barrage hydroélectrique, les usines sur les deux rives – même si leurs tours fumantes ne sont plus présentes –, le pont, etc.), mais surtout, de nouveaux éléments qui témoignent d’une nouvelle évolution du territoire : l’apparition de tours de bureaux (l’ensemble du Portage qui concentre des fonctions administratives fédérales) et le musée canadien de l’histoire (en haut à gauche, qui se démarque par son design architectural tout en courbes). Nous pourrions évoquer en détail les nombreuses expropriations des quartiers ouvriers afin de construire des édifices fédéraux (Théorêt, 2011), mais l’essentiel est de réaliser qu’après plusieurs décennies industrielles, l’espace continue de se construire en tension selon de nouveaux intérêts. L’opposition n’est plus entre quartiers ouvriers et quartiers bourgeois, mais entre une industrie en déclin et le besoin du gouvernement fédéral de s’étendre et d’avoir un pied à terre dans la province québécoise. L’objectif est aussi de revitaliser un quartier en déclin alors que les résidents ne sont plus employés par les usines Eddy ou Domtar.

4.4. Un renouveau ?

Si Domtar a mis plusieurs années à trouver acquéreur, Windmill a vite proposé un projet de revitalisation d’envergure avec des constructions résidentielles et commerciales. Son plan est diffusé rapidement au courant de 2015 avec des esquisses de nouvelles rues, de résidences, de commerces, d’espaces publics, etc. (Windmill, 2015). Le projet est peaufiné dans le moindre détail avec des couleurs, des diagrammes, des cartes, des textes aérés. Entre revitalisation, commerce, tourisme, secteur résidentiel et conservation du patrimoine, Windmill esquisse une entreprise ambitieuse. Cependant, ce projet doit être autorisé par différents comités municipaux, qui sont en outre dédoublés puisque le projet s’étale sur la rive gatinoise et ottavienne. Des séances d’informations publiques sont aussi organisées afin de gagner la confiance du public en général et des communautés autochtones en particulier. La controverse ne tarde pas à éclater entre une revitalisation forcée, la nécessité de décontaminer un site historique industriel, la consultation des communautés autochtones qui varie et l’ampleur du projet qui inquiète certains.

Lors de cette phase de la situation, nous en revenons à notre question mobilisatrice de départ : comment composer avec les particularités d’un tel site maintenant désaffecté et contaminé, témoin du développement industriel de la région outaouaise depuis le XIXe siècle ? À la suite de l’analyse iconographique qui nous permet de constater l’ampleur de l’industrialisation, un dossier documentaire complémentaire permet de s’intéresser aux acteurs concernés d’aujourd’hui et à leurs différentes positions.

Ce dossier permet de travailler la compétence 2 en géographie, à savoir interpréter un enjeu territorial en évaluant « les propositions des groupes en présence » (MELS, 2006, p. 311).

En épluchant les journaux locaux comme Le Droit ou Radio-Canada Gatineau-Ottawa, plusieurs articles font état régulièrement de l’avancée du projet, des appuis reçus et des mécontents. Qui sont les acteurs ? Quelles sont leurs positions ? Le tableau 1 présente succinctement quelques acteurs qui ont alimenté la controverse entourant la réalisation du projet Zibi depuis son lancement en 2014.

ActeursDocumentLien
Windmill, Chef Commanda, Premières NationsLe projet de Windmill aux chutes Chaudière reçoit le feu vert du comité de l’urbanisme d’Ottawa (02 octobre 2014)http://beta.radio-canada.ca/nouvelle/687345/comite-urbanisme-ottawa-windmill-chutes-chaudiere
Windmill, Chef Commanda, Premières NationsÎles de la Chaudière : « Cette terre est notre église » (03 octobre 2014)http://www.lapresse.ca/le-droit/actualites/ville-dottawa/201410/02/01-4805853-iles-de-la-chaudiere-cette-terre-est-notre-eglise.php
Conseil municipal d’OttawaProjet Windmill : Ottawa donne le feu vert au changement de zonage (08 octobre 2014)http://www.lapresse.ca/le-droit/actualites/ville-dottawa/201410/08/01-4807512-projet-windmill-ottawa-donne-le-feu-vert-au-changement-de-zonage.php
Maires d’Ottawa et de Gatineau, Windmill, Premières Nations Windmill lance son projet à Gatineau (25 février 2015)http://www.lapresse.ca/le-droit/actualites/ville-de-gatineau/201502/24/01-4847128-windmill-lance-son-projet-a-gatineau.php
Gilbert Whiteduck (chef algonquin)Un chef algonquin dénonce le projet immobilier Zibi (25 février 2015)http://beta.radio-canada.ca/nouvelle/708610/ottawa-gatineau-gilbert-whiteduck-pas-invite
Windmill, CCQ, Premières NationsWindmill se bute à la CCQ pour l’embauche d’autochtones (13 août 2015)http://www.lapresse.ca/le-droit/actualites/actualites-regionales/201508/12/01-4892337-windmill-se-bute-a-la-ccq-pour-lembauche-dautochtones.php
Commission des affaires municipales de l’Ontario (CAMO), Windmill, CollectifDes terres « industrielles » (18 août 2015)http://www.lapresse.ca/le-droit/actualites/ville-dottawa/201508/18/01-4893458-des-terres-industrielles.php
Windmill, Decontie, Premières NationsLe chantier de Zibi accueille ses premiers travailleurs autochtones (27 avril 2017)http://beta.radio-canada.ca/nouvelle/1030637/chantier-de-zibi-accueille-premiers-travailleurs-autochtones
Tableau 1 : Dossier documentaire sur Zibi

Les documents retenus peuvent être présentés de manière chronologique afin de voir l’évolution du projet et de sa contestation. Le dossier peut être aussi réparti entre différentes équipes pour en faire une première analyse. Ensuite, on peut regrouper deux équipes qui n’ont pas le même texte afin de poursuivre la discussion.L’idée est d’identifier les différents acteurs, leurs positions, et de se prononcer personnellement sur la pertinence du projet afin de remplir une visée de la compétence 2 en géographie : « Il importe de les examiner et d’en peser le pour et le contre à la lumière de leurs répercussions sur l’organisation du territoire » (MELS, 2006, p. 310). Dans tous les cas, il est nécessaire de revenir à la question initiale : comment peut-on composer avec les particularités d’un tel site patrimonial/industriel ? Il est évident qu’il n’y a pas de réponse unique ou juste. La complexité de la situation permet d’engager les élèves dans une authentique résolution d’un problème local et présent tout en faisant preuve de capacités à lire, à interpréter et à critiquer.

5. Limites et retombées d’une telle situation didactique

Dès que l’on souhaite faire vivre la situation didactique exposée en classe, il est important de prendre quelques précautions et de connaître ses limites. Puisque les contenus abordés par cette situation didactique portent à la fois sur l’histoire (industrialisation) et la géographie (territoire urbain patrimonial), et puisque cette situation est interdisciplinaire, il est avantageux, voire essentiel, d’avoir les mêmes groupes de 2e année au 1er cycle du secondaire afin de garantir la continuité entre les deux disciplines. Ce n’est pas toujours le cas selon les écoles et selon les tâches des enseignantes et enseignants d’histoire et de géographie au Québec. Cela dit, une telle limite peut être palliée en collaborant étroitement avec l’enseignante ou l’enseignant qui aurait les mêmes groupes dans l’une ou l’autre discipline.

Un autre obstacle est la quantité et la diversité de documents, dont plusieurs documents iconographiques, à analyser et à interpréter. Si les élèves ne sont pas habitués à de telles tâches, il faudra probablement prévoir des tâches similaires en début d’année ou même dès la 1re année du secondaire afin de faire progresser les élèves au niveau d’analyse recherché. Les grilles d’analyses iconographiques proposées pourraient être, à cet effet, utilisées dans différents contextes. Par exemple, il est possible, voire souhaitable, d’utiliser la perspective structurale de Lefebvre (1974) ou l’analyse sémiotique architecturale d’Eco (1997) pour analyser différents territoires géographiques (métropole, protégé, autochtone, etc.) ou historiques (la romanisation, l’essor urbain et commercial, les révolutions française et américaine, etc.).

La constitution du dossier documentaire ainsi que l’accès à des photographies anciennes ou des peintures, constituent aussi un obstacle en raison du temps que cela peut prendre à l’enseignant(e) de consulter et sélectionner les ressources pertinentes. Cet article ne présente qu’une infime part des documents disponibles et vous remarquerez qu’ils proviennent tous d’archives ou de sites variés. Cependant, les documents rassemblés ici sont suffisants pour piloter une situation didactique plutôt exhaustive sur les effets de l’industrialisation sur une société en histoire et la conservation d’un site patrimonial en géographie.

Outre ces précautions et limites, nous devons aussi mentionner les retombées importantes qui nous semblent pertinentes à considérer. Tout d’abord, la situation proposée s’intéresse à un enjeu à la fois historique et géographique, mais surtout, elle s’articule autour d’un même noyau conceptuel qui permet de faire plusieurs liens entre les contenus visés : la production de l’espace. Ensuite, les deux grilles d’analyse exposées permettent de proposer aux élèves des situations variées avec des outils précis et transférables dans d’autres contextes. La tâche peut sembler ardue en considérant les difficultés des élèves, mais nous pensons qu’il est possible de réaliser cette situation en offrant un soutien plus important lors du modelage de l’analyse. En dernier lieu, c’est un enjeu local, avec de nombreux liens avec le présent, ce qui peut susciter un intérêt plus important de la part des élèves. Nous convenons que cette situation est appropriée, particulièrement pour les élèves de la région de Gatineau, mais c’est un exemple de démarche qui pourrait être reproduite dans différents contextes locaux.

En guise de conclusion, nous pourrions témoigner de la réception d’une telle activité de formation avec de futurs enseignantes et enseignants d’histoire et de géographie au secondaire à l’Université du Québec en Outaouais. Si leur niveau d’abstraction et de critique est plus élevé que des élèves du secondaire, cette activité est toujours bien reçue par les futurs enseignants. Ils sont particulièrement intéressés par l’analyse historique et l’interprétation aussi aisée de l’évolution du territoire à l’aide des grilles d’analyse. Ils se sentent aussi très concernés par l’enjeu de développement résidentiel de Zibi, un projet initialement pas toujours connu pour certains. C’est d’ailleurs, le point culminant de la situation : qu’est-ce qu’on peut faire pour se mobiliser contre le projet Zibi ? À qui doit-on parler ou écrire ? Un enjeu local apparaît donc plus signifiant pour l’engagement des étudiantes et des étudiants dans cette situation didactique. Cet effet pourrait se retrouver avec des élèves du secondaire. En outre, le dossier documentaire permet de soutenir un débat et de considérer différentes positions et alternatives pour ce projet de développement urbain. Bien que cet enjeu ne soit pas connu par les étudiantes et étudiants, il faut remarquer leur propension à prendre position de manière posée et argumentée sur la base des articles de journaux consultés. Autrement dit, il n’est pas nécessaire de posséder une connaissance approfondie de l’histoire de ce site industriel pour participer à un tel débat. C’est un autre avantage qui pourrait encourager des élèves du secondaire à s’engager dans la situation didactique afin de répondre à la question mobilisatrice.

Conclusion

Bien que cet article expose davantage un bref récit de pratique qu’une réelle recherche empirique, il convient de reconnaître que la situation didactique présentée et analysée permet aux participants, que ce soit des étudiants universitaires ou potentiellement des élèves du secondaire, de réfléchir à l’histoire locale et de ses liens avec le présent. C’est une visée qui nous semble importante puisque cela permet d’outiller les élèves avec des grilles d’analyse concrètes de documents variés qui sont faciles à utiliser et à transférer dans divers contextes.

Bien entendu, il sera pertinent de poursuivre cette réflexion dans le cadre d’une recherche empirique afin de formuler des propositions didactiques plus fines pour la formation initiale et pour l’apprentissage des élèves.

Notes
  1. Nous entendons par documents iconographiques, un document figuré sous la forme d’une photographie ou d’une peinture. ↩︎
  2. Voir leur site collaboratif : http://documents.recitus.qc.ca/ ↩︎
  3. Voir le site : http://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/rpcq/detail.do?methode=consulter&id=93460&type=bien#.WWZnyyTUV8G ↩︎
  4. La grève de 1924 a conduit au renvoi des principales instigatrices de la grève. Elles n’ont été réintégrées que tardivement et cela n’a pas empêché la fermeture de l’usine en 1928 (Boucher, 2009). ↩︎
  5. Voir le site Histoire forestière de l’Outaouais : http://www.histoireforestiereoutaouais.ca/d5/ et le site Pulp & Paper Canada : https://www.pulpandpapercanada.com/sustainability/domtar-sells-former-mill-site-in-ottawa-1002792504 ↩︎
  6. Zibi signifie rivière en Algonquin. ↩︎
  7. Voir : http://www.zibi.ca/fr/residence/kanaal/ ↩︎
  8. La compétence 2 s’intitule « interpréter les réalités sociales à l’aide de la méthode historique » (MELS, 2006, p. 347) et mobilise des opérations intellectuelles comme établir des faits ou déterminer des facteurs explicatifs et des conséquences. ↩︎
  9. La compétence 1 s’intitule « interroger les réalités sociales dans une perspective historique » (MELS, 2006, p. 345) et mobilise des opérations intellectuelles comme situer dans le temps et l’espace ou examiner des réalités sociales du présent et du passé. ↩︎
  10. La photographie est disponible sur le site Histoire forestière de l’Outaouais : http://www.histoireforestiereoutaouais.ca/c19/#5 ↩︎
  11. Voir sur le site Réseau du Patrimoine de Gatineau et de l’Outaouais : http://www.reseaupatrimoine.ca/cyberexpositions/les-tresors-du-patrimoine/hull-et-les-allumettes/maisons-allumettes-ou-maison-papillon/ ↩︎
  12. Voir sur le site Répertoire du patrimoine culturel du Québec : http://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/rpcq/detail.do?methode=consulter&id=110525&type=bien ↩︎
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