Cet article présente un projet d’exposition, élaboré à partir de travaux de recherche s’inscrivant dans une perspective transmédia, développé en 2011, ayant pour thème les inégalités sociales et sexuées à l’école. Nous évoquerons ici la logique de médiation scientifique qui le structure (valorisation des fonds du musée, référence à des travaux de recherche, accompagnement pédagogique), le parcours de cette exposition, constitué à partir de plusieurs éléments narratifs, et les apports pour le public.
This article presents an exhibition project, developed from research work, based on a transmedia perspective, developed in 2011, and focuses on social and gender inequalities in schools. Here we will evoke the logic of scientific mediation, which structures it (valorization of museum funds, reference to research, educational support), the journey of this exhibition, made up of several narrative elements, and contributions for the public.
L’exposition « Filles/garçons : égalité des chances ? » a été conçue en 2011. Élaborée à partir d’études et de recherches menées sur cette thématique, à partir des fonds du musée, par le personnel scientifique du MUNAÉ (nouveau sigle du Musée national de l’Éducation, autrefois MNE), elle résulte d’un partenariat entre ce musée (musée de France, musée scientifique du ministère de l’Éducation nationale), service de Canopé (ex-CNDP), la mission « Égalité et genre » du Rectorat de Rouen et le CRDP/Canopé de Rouen. Ce projet relève d’une logique transmédia et s’inscrit dans le cadre du renouveau lié à l’intégration du MUNAÉ au CNDP (fin 2010). Les enseignements de ce travail ont ensuite pu être réintégrés dans d’autres projets dont nous fûmes à l’origine1.
Le projet donna lieu à l’élaboration d’un dispositif comportant plusieurs produits, développant différents types de narration. Il a été conçu en fonction de différents publics : visiteurs « grand public » du musée, élèves et enseignants de l’enseignement secondaire (l’exposition par panneaux pouvant être présentée dans des classes), communauté scientifique. La partie la plus importante du travail a consisté dans l’analyse, puis la présentation sur des panneaux imprimés (2D) de documents 2D (manuels scolaires, photographies, planches didactiques, littérature pour enfants, jeux de société), 3D (jeux et jouets anciens) et de documents dématérialisés (études sur des jeux vidéo).
Cette exposition par panneaux était complétée par un livret de visite de quatre pages (format A4), imprimé en couleur, distribué gratuitement aux visiteurs. Il présentait un résumé du contenu des panneaux, une image, issue de chaque panneau, accompagnait le texte s’y rapportant en l’illustrant. Ce support de médiation scientifique fournissait en outre une bibliographie (comportant : publications scientifiques, catalogues d’expositions sur ce thème, recension de numéros de la revue Diversité et des Cahiers pédagogiques en lien à la problématique) et la mention de ressources complémentaires (ressources en ligne du département « Ville-École-Intégration » du CNDP, publiant la revue Diversité, catalogue des collections audiovisuelles du CNDP tenu par le service COVADIS, ressources proposées par le CRDP de Rouen et le Rectorat de Rouen). Une sélection de films issue du fonds audiovisuel du CNDP (aujourd’hui réseau Canopé) était également présentée aux visiteurs du musée dans le cadre de cette exposition.
Sociologue de formation (thèse soutenue à l’EHESS en 1999), auteur de plusieurs publications (cf. bibliographie) se rapportant à la socialisation des jeunes par les loisirs (les jeux de rôle et les jeux vidéo, le cinéma, la télévision…), nous avons, au travers de ce projet, utilisé nos connaissances dans ce domaine afin de souligner l’importance des processus de socialisation « extra-scolaires » dans le cadre de la construction identitaire.
Nous présenterons dans cet article le parcours de cette exposition et le contenu des panneaux qui la composent. Nous évoquerons également les recherches complémentaires menées sur les jeux vidéo dans le cadre de l’opération et ses prolongements (interventions lors de colloques), de même que les opérations d’accompagnement pédagogique et de valorisation scientifique faisant aussi partie du projet.
Comme nous l’avons indiqué, l’exposition a été conçue en 2011, elle a été présentée au MNE/MUNAÉ entre décembre 2011 et mai 2012. Toujours disponible au prêt, pour des structures à vocation culturelle ou des établissements scolaires, elle se présente sous la forme de dix panneaux mobiles qui, à partir de la reproduction de pièces issues des collections du MUNAÉ, pour l’essentiel, développent une réflexion sur la question de la constitution des rôles masculins et féminins, des inégalités, voire des discriminations que la construction sociale de ces rôles sociaux, des « genres », génère. Nous avions tenu à ne pas dissocier d’une réflexion menée sur les inégalités sociales à l’école la problématique se rapportant aux inégalités de sexe/genre.
Différentes sources ont été analysées et présentées dans le cadre de ce travail, concernant la socialisation à l’école et en dehors de l’école, de la fin du 19e siècle à nos jours : manuels scolaires qui — au moins jusque dans les années 1970 — ont développé des représentations très différenciées, voire stéréotypées des rôles masculins et féminins, photographies de classe, planches didactiques, littérature jeunesse, jeux et jouets. Relevant d’une approche sociohistorique, en lien à des travaux de recherche, on insiste là sur la manière dont les livres pour enfants, les jeux et les jouets, dans le cadre d’interactions entre pairs, en fonction de normes sociales historiquement datées, aboutissent à la définition de rapports sociaux caractérisés par le genre. Chronologiquement parlant, différents produits ont été présentés, des livres de « littérature de poupée » du 19e siècle aux jeux vidéo contemporains.
Cette exposition constitue un dispositif de médiation scientifique. Elle permet de sensibiliser les publics (notamment scolaires) à l’éducation à la citoyenneté (présentation des débats concernant les inégalités sociales et sexuées à l’école et dans la société depuis plus d’un siècle), où l’on constate la perte de légitimité, ou, au contraire, le gain de légitimité de certaines positions (ex. : légitimation de la reproduction sociale masculine et bourgeoise à la fin du 19e siècle, volonté de démocratiser l’école et la rendre plus juste durant la seconde moitié du 20e siècle) et à l’éducation aux médias (réflexion sur les objets culturels de l’enfance, dont les jeux vidéo, qui tiennent aujourd’hui une place primordiale dans les loisirs de nos contemporains).
Le dispositif s’inscrit dans la logique de « médiatique des sciences » telle que définie par Guichard et Martinand (2000). Comme le précise Marie-Laure Raynaud (2000), dans sa présentation du travail de ces deux auteurs : « La médiatique des sciences correspond à un enjeu de société, un enjeu de diffusion des savoirs scientifiques au plus grand nombre d’enfants et d’adultes, afin qu’ils puissent exercer leur citoyenneté. Notons le cas des expositions scientifiques, média le plus abondamment étudié dans ces pages, qui combinent différents médias de vulgarisation scientifique : architecture, manipulations interactives, objets, maquettes, images, textes, panneaux, audiovisuels, logiciels, multimédias, livres et documents de vulgarisation associés aux expositions. (…) Le terme « media » désigne ici “toute situation socialement organisée et techniquement outillée mettant en rapport des destinataires avec un savoir et des représentations sociales” ».
L’exposition « Filles/garçons : égalité des chances ? » a été conçue comme un dispositif « d’éducation à », basé sur différents supports (panneaux, livret de présentation distribué gratuitement aux visiteurs, séquences audiovisuelles, livret d’accompagnement pédagogique pour les classes), mais également comme un lieu de réflexion sur « l’éducation à » au travers des questions sociales évoquées (éducation à la citoyenneté, éducation aux médias, éducation à l’image, éducation à la consommation, etc.). Concrètement, nous avions tenu à souligner ici comment les enfants, au travers de leur vie scolaire, et extrascolaire, étaient confrontés à des « messages » potentiellement contradictoires, dont la légitimité pouvait varier en fonction du contexte (famille, école,groupes de pairs, éléments découlant des valeurs et des idéologies véhiculées par les objets culturels de l’enfance). Ainsi, alors que l’école a pu légitimer la reproduction sociale, et sexuée (à la fin du 19e siècle notamment), des familles militantes ont pu s’inscrire en faux contre ces représentations. Des enfants ont pu, en fonction de la culture familiale, ou des rapports constitués entre pairs, ne pas adhérer aux modèles qu’on leur proposait dans les fictions qui leur étaient destinées. Des petites filles, à l’image de Marie– Jeanne Nouvellon (voir ci-dessous), ont pu, dès l’enfance, contester les rôles sociaux masculins et féminins que l’on voulait leur inculquer, à l’école, dans la littérature, les jeux et les jouets. À l’époque de la « génération Mitterrand » et du mythe d’une jeunesse « unifiée et solidaire », adhérant à des valeurs communes jugées positives (multiculturalisme, droits de l’Homme, rejet des extrémismes politiques, etc…), une jeunesse censée communier par des pratiques culturelles communes (les concerts de rock, des films « humanistes » plébiscités par les médias), les jeux de rôles sur table, étudiés dans le cadre de notre thèse (Trémel, 2001), développaient des représentations inégalitaires entre les êtres, rappelant que les inégalités perduraient et que la « jeunesse » restait tributaire des clivages sociaux, comme l’évolution ultérieure de la société l’a d’ailleurs démontré. De nos jours, des jeux vidéo développent des stéréotypes sexistes apparaissant contradictoires avec les intentions de l’école et les actions menées dans un cadre scolaire pour l’égalité hommes/femmes (Trémel, 2011b).
Des travaux de recherche ont directement servi dans le cadre de la préparation de l’exposition :
Il convient aussi de souligner, en parallèle à l’exposition « Filles/garçons : égalité des chances ? », la programmation au Musée national de l’Éducation de l’exposition « 130 poupées – regards d’une femme sur le XXe siècle », dont Marie-Françoise Boyer-Vidal assura le commissariat et qui fut présentée du 2 décembre 2011 au 31 mai 2012. Cette exposition était basée sur le personnage de Suzy B, créé par Marie-Jeanne Nouvellon, à travers la présentation de 130 poupées léguées par la créatrice au musée (cf. Boyer-Vidal et Poucet, 2011). À l’image de sa créatrice, choquée depuis son enfance par les stéréotypes sexistes et les rôles sociaux imposés aux femmes, Suzy est une poupée évoluant dans des situations symbolisant un combat pour les droits des femmes au cours du 20e siècle2.
Comme nous l’avons indiqué, les travaux menés dans le cadre de l’exposition « Filles/garçons : égalités des chances ? » ont conduit à la réalisation de dix panneaux, dont nous allons présenter ici la thématique de manière synthétique afin d’évoquer les notions et les questionnements auxquels nous avons voulu sensibiliser le public3.
La composition de ces panneaux (voir photographie) reposait sur le modèle suivant :
Ce premier panneau expose à dessein une situation différente de celle d’aujourd’hui, afin de susciter un questionnement auprès des publics. À la fin du 19e siècle, la IIIe République met en place un système d’instruction publique gratuit laïc et obligatoire (lois Ferry de 1881 et 1882), mais la scolarité n’est alors obligatoire que de 6 à 13 ans. De plus, les enseignements proposés restent différenciés selon les sexes, et selon les milieux sociaux, par l’existence de la filière dite du « petit lycée » (dès le CM1 – 8e). À la différence de l’enseignement primaire, cette filière est payante et scolarise principalement les enfants de la bourgeoisie, essentiellement des garçons d’ailleurs (par l’apprentissage du latin, nécessaire à la poursuite d’études secondaires, elle permet ensuite l’entrée au lycée). On ne songe guère alors à remettre en cause les inégalités liées à la naissance et ceux qui l’évoquent sont rapidement qualifiés d’utopistes : une photographie représente ainsi une classe de seconde datant de 1912 où posent des jeunes gens visiblement issus de la bourgeoisie. En accompagnement, un texte de la même époque légitime la reproduction sociale des « élites »4… L’existence des « lycées de filles » est alors questionnée (sur le panneau, un dessin caricatural de 1880 qualifie même le projet de « grotesque »)… Dans les années 1920, suite à une critique sociale provenant notamment du monde enseignant, les contenus des enseignements du « petit lycée » doivent se rapprocher des programmes de l’enseignement primaire. Cette filière n’est cependant supprimée « officiellement » qu’en 1945. De surcroît, il faudra attendre les années 1960 pour la voir disparaître totalement, pour des raisons très pragmatiques d’ailleurs (les lycées ont alors besoin de place et de locaux pour accueillir les élèves à partir de la seconde).
Une réalité sociale est évoquée ici : pendant longtemps, l’école a été caractérisée par un enseignement différencié selon les sexes et, pour les petites filles, l’apprentissage d’activités domestiques à l’école, alors que les garçons des milieux populaires étaient en majorité orientés vers des activités agricoles et industrielles. Perdurant au cours du XXe siècle sous diverses formes, ce modèle sera ébranlé dans les années 1950 par l’introduction de la mixité dans les classes et par les débats sur la démocratisation sociale de l’enseignement. La présentation insiste ici sur le contenu de manuels dits de « sciences appliquées » où la perspective évoquée apparaît très nettement (ainsi, une couverture de manuel scolaire destiné à l’enseignement dans un contexte urbain présente une petite fille faisant de la pâtisserie, alors que la couverture pour le manuel destiné aux garçons en montre un en train de bricoler).
Les débats sur la démocratisation de l’enseignement traversent tout le 20e siècle et connaissent une accentuation après la Seconde Guerre mondiale où les actions menées dans le cadre de la Résistance (aboutissant au Plan Langevin-Wallon5) ont renforcé les désirs de rendre la société plus juste par l’intermédiaire de l’école. Le contenu du panneau, évoquant à la fois le contexte social et la production de travaux scientifiques, tente d’en rendre compte. Dans les années 1950, des études statistiques montrent que malgré les intentions politiques, les enfants issus des milieux favorisés réussissent toujours mieux que ceux des milieux modestes. Cet état de fait sera relayé dans une perspective dénonciatrice par la sociologie critique des années 1960 et 1970 (travaux de Bourdieu, Passeron, Baudelot et Establet, etc.6). Le mouvement social de mai 1968 et ses prolongements militants dans les années 1970 relayeront l’exigence d’une école démocratique, en favorisant également l’émergence d’autres revendications telles que « le bonheur de l’enfant à l’école » ou encore l’égalité de réussite en fonction du sexe. Beaucoup d’espoirs sont alors mis dans les «pédagogies nouvelles ». La question des inégalités et différenciations scolaires en fonction du genre/sexe prendra de l’ampleur dans les années 1980 et 1990, aboutissant notamment à la « Convention interministérielle pour l’égalité entre les filles et les garçons, les hommes et les femmes, dans le système éducatif »7. Comme l’évoquent parfois certains observateurs, l’accent porté sur cette problématique a pu aboutir à la mise au second plan des objectifs de démocratisation sociale de l’école alors que des inégalités perdurent. C’est précisément pour cette raison que nous avions tenu ici à associer, dans une perspective sociohistorique, ces deux problématiques : égalité des sexes et égalité sociale.
L’environnement familial et privé pèse aussi sur l’apprentissage social des enfants, car la famille véhicule, ou pas, des modèles liés au genre. De ce point de vue, le choix des activités ludiques et récréatives des jeunes n’est pas anodin. Il peut renforcer l’idée d’une spécificité féminine ou masculine ; ainsi, en jouant, en lisant, en regardant des images, l’enfant « fille » ou « garçon » adhère, par son comportement, aux stéréotypes qu’il reçoit de la société.
Manipulés par les enfants dès leur plus jeune âge, les jouets contribuent à la définition des rôles sociaux. Pendant longtemps, les jouets destinés aux garçons présentaient une dimension guerrière (soldats de plomb, soldats en plastique,reproductions d’armes), toujours présente de nos jours d’ailleurs (même si elle a été critiquée), qui a pu jouer un rôle dans les conflits survenus (voir notamment sur ce point, au sujet de la Première Guerre mondiale et du désir de « revanche » de la France, Gaulupeau, 1988). Aux petites filles, poupées, mini machines à coudre et autres reproductions d’accessoires domestiques… Alors que ces éléments résultaient d’un processus de socialisation et de l’imposition de normes, certains pensaient au contraire que l’attrait pour ces objets était « inné » (Gaulupeau, op. cit.)8.
À toutes les époques et quel que soit le milieu social d’appartenance, la poupée s’impose comme le premier jouet que l’on offre aux filles. En dépit de ses variantes et de ses transformations, elle incarne toujours une image de la femme qui mêle socialisation, canon esthétique et affirmation de la maternité. En effet, par une transposition des relations mère-fille, la poupée devient « une petite personne » à éduquer : le maternage, l’éducation, voire l’instruction du «bébé », amènent la fillette à apprendre son futur rôle de femme et de mère.
Les jeux de société revendiquent fréquemment une mission éducative. Nous évoquions là les évolutions en fonction des époques et des idéologies dominantes. Aux débuts de la IIIe République, une production importante de jouets et de jeux de société, destinés aux garçons, vise à sensibiliser le futur citoyen à des valeurs militaires (c’est aussi le cas à l’école dans les manuels scolaires ou dans le cadre des « bataillons scolaires » : loi de 1882 visant à l’entraînement aux « exercices militaires » dans un cadre scolaire) dans l’optique que celui-ci participe un jour au processus de reconquête du territoire national (Alsace-Lorraine). Les thématiques évoluent au cours du temps : au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les jeux de société valorisent les progrès techniques et industriels, le développement du rail, de l’automobile et de l’aéronautique, puis la conquête spatiale. Les éditeurs sont ainsi très sensibles aux évolutions sociétales, intégrant des éléments résultant de la démocratisation de l’enseignement ou encore de la généralisation de la mixité scolaire. Dans ce cadre, et à partir de nos travaux de recherche, nous évoquions également les logiques développées dans les jeux de rôle sur table, puis dans les jeux vidéo par l’industrie du loisir (relayant dans ces produits des idéologies politiques dominantes et développant des logiques compensatrices en temps de « crise »).
L’image de l’hôtesse de l’air conjugue, de manière peut-être paradoxale, éléments de la modernité (progrès techniques liés aux transports aériens) et représentations traditionnelles du rôle de la femme. Le métier se développe au sortir de la Seconde Guerre mondiale et constitue un rêve pour beaucoup de petites filles et de jeunes filles. Bien rémunérée, hôtesses et stewards bénéficiant sur ce point d’une égalité de salaire, cette profession permet aux femmes d’être financièrement indépendantes. Toutefois, leur féminité est questionnée alors qu’elles doivent en cabine être « agréables à regarder » et au service de la clientèle, mais qu’elles ne peuvent avoir d’enfant sous peine de licenciement et que, dès quarante ans, sonne l’âge de la retraite9… Le panneau se proposait de confronter des représentations du rôle d’hôtesse de l’air dans la littérature pour enfants et les jouets à des travaux sociologiques décrivant la réalité du métier.
À partir de photographies et de représentations iconographiques, mais également de la présentation de quelques données statistiques, il s’agissait ici de faire le point sur les évolutions du marché de l’emploi en fonction du sexe et des études suivies. Si certaines professions tendent de nos jours à accueillir à parité des hommes et des femmes, d’autres, en revanche, semblent encore marquées par des questions de genre. Le processus est étroitement dépendant des modalités de l’orientation scolaire. Sur la base de données publiées par le ministère de l’Éducation nationale en 201110, nous évoquions là les différences observables au niveau des filières d’enseignement (notamment pour l’enseignement professionnel) : on retrouve un fort pourcentage de filles dans les filières du travail social (95 %), de la coiffure et des services aux personnes (94 %) ou encore du domaine sanitaire et social (93 %), un fort pourcentage de garçons dans les filières de la mécanique (96 %), de la construction en bâtiment (99 %), de la sécurité des biens et des personnes (72 %).
Alors que la notion de « genre » peut encore susciter des interrogations (comme en témoignent des polémiques survenues antérieurement et postérieurement à la réalisation de cette exposition : voir notamment celle autour de «L’ABCD de l’Égalité »11), cette dernière étape du parcours se proposait de définir cette notion. Par ailleurs, on montrait ici, à travers l’évocation du travail réalisé par des revues relevant de la médiation scientifique, quels pouvaient être les apports des travaux de recherche pour les acteurs de l’éducation. En parallèle, à partir des réflexions menées au sein de la mission « Égalité et genre » du Rectorat de Rouen, on évoquait également là des questions se posant aujourd’hui concrètement dans les établissements scolaires sur ce thème (par exemple : repenser les normes associées au corps et à l’apparence, introduire à une réflexion sur les nouvelles techniques de procréation, qui permettent de concevoir ou de donner naissance à un enfant sans recourir à la rencontre de deux personnes de sexes différents).
Celui-ci reposait sur une sélection de films documentaires extraits du catalogue des collections audiovisuelles du CNDP en ligne : Média-Scéren12. Ces films étaient présentés dans une salle dédiée du musée située au rez-de-chaussée du centre d’exposition.
Films présentés :
Cette sélection de films documentaires en noir et blanc des années 1960 propose des témoignages d’enfants et d’adultes en rapport à la thématique de l’exposition par panneaux « Filles/garçons : égalité des chances ? ». Différentes questions sont abordées, permettant un recul historique au regard d’interrogations contemporaines sur des sujets analogues.
Dans un cadre scolaire, des enfants s’exprimaient dans les deux premiers petits films sur la différenciation sociale des enseignements et des filières, le rapport des élèves aux matières enseignées, les différences filles/garçons à l’école, les rôles féminins et masculins dans la famille, les conditions de vie, les loisirs, l’actualité, les métiers envisagés pour l’avenir, la formation du couple, etc. Il s’agissait ici d’enfants scolarisés dans des « classes de transition », d’élèves de milieux populaires chez qui les représentations « traditionnelles » des rôles sexués étaient encore très prégnantes.Après leur visionnage, les collègues de la mission
« Égalité et genre » du Rectorat de Rouen nous indiquèrent que de tels schémas se retrouvaient encore de nos jours chez certains élèves. Notons qu’en 2015, ce film fut présenté au musée dans le cadre d’une opération menée en partenariat avec la formation « Cycle Universitaire de Préparation Grandes Écoles, Concours entrée Sciences Politiques Paris et IEP province » de l’Université de Rouen. Les étudiants présents lors de cette séance, amusés, trouvèrent les propos des élèves de 1966 « dépassés » et ne correspondant plus aux normes culturelles de leur génération, mais sans doute aussi de leur milieu social…
Le reportage sur la « machine à laver » scénarisait les bouleversements introduits dans la vie des femmes au foyer par l’apparition de l’électroménager, présenté ici, conformément à l’idéologie moderniste de l’époque (1969), comme une forme de libération pour la ménagère : pendant que la machine tournait, elle pouvait faire autre chose (éduquer ses enfants, par exemple), voire déléguer cette tâche à sa fille…
Enfin, le dernier petit film traitait du rapport des femmes au travail à la fin des années 1960 : apparaissaient là des tensions entre les volontés d’émancipation, ici valorisées, de plusieurs femmes interrogées et des normes sociales contraignantes (par exemple, une jeune femme, peu qualifiée, présentait ainsi le fait de se marier comme un moyen d’échapper à des formes d’exploitation au travail, voire d’échapper à des formes de harcèlement sexuel). Le propos invitait à une réflexion, toujours d’actualité, sur l’égalité entre les hommes et les femmes dans le milieu professionnel.
Dans le cadre de cette exposition, l’étude des jeux et des jouets anciens et contemporains détenus dans les collections du MNE/MUNAÉ nous amena à effectuer des recherches complémentaires sur les jeux vidéo. Ayant déjà, lors de précédents travaux (Trémel, 2001 ; Fortin et Trémel, 2006 ; Trémel, 2011b) eu l’occasion de réaliser des études monographiques sur des jeux vidéo destinés à des jeunes et des jeunes adultes de sexe masculin, appartenant plutôt aux classes moyennes, travaux utilisés pour l’élaboration du panneau n°7, nous réalisâmes, dans une perspective comparative, une étude sur les jeux vidéo « pour filles ». Cette étude fut limitée dans le temps et réduite à certains supports : étude de présentation de produits sur les sites des éditeurs, visionnage de séquences cinétiques lorsqu’elles étaient disponibles, étude des jaquettes figurant sur les boîtes de jeux, lectures de critiques de ces produits dans la presse et sur les sites spécialisés. Nous nous étions intéressés, dans un premier temps, à la série des « Jouons à … » (éditée par Deep Silver). Sur un site dédié aux produits Nintendo13, ces ludiciels étaient présentés comme des jeux aux dimensions
« éducatives » où « les enfants apprendront en s’amusant ce que s’occuper d’un bébé veut dire », où « on montre aux jeunes joueurs de Nintendo DS comment gagner de l’argent et le gérer de façon responsable » ou encore comment la petite fille « deviendra un jeune professeur (sic) chargé d’enseigner différentes matières ». Il en était de même sur le site jeuxvideo.com, où l’aspect éducatif « d’une gamme de jeux permettant aux jeunes joueuses d’exercer un métier et vivre comme des mini-adultes » était mis en avant14.
Force était de constater que les « choix » d’activités proposées là aux petites filles, sous prétexte de les sensibiliser à leurs futurs rôles sociaux, restaient limités puisque les titres proposaient d’être Créatrice de bijoux, Maîtresse, Marchande, et Baby-sitter15. Ces choix pouvaient être « justifiés » en évoquant, comme c’était parfois le cas dans certaines présentations des produits de la gamme, qu’il s’agirait là de jeux « indémodables » auxquels joueraient de manière quasi spontanée les petites filles… Ce qui fait débat, car, en effet, ils présentent bien des dimensions sexistes susceptibles de générer des biais par rapport aux messages promus actuellement par l’école pour, précisément, lutter contre ces clichés…
Sommairement présentée dans le cadre de l’exposition (panneau n°7) — notamment du fait d’un problème de droits relevé par le service juridique du CNDP, nous interdisant de reproduire des images tirées de ces jeux vidéo —, cette réflexion put heureusement davantage se développer dans les actions de médiation scientifique connexes. Pensant qu’il était important de contribuer au débat social sur ce thème, nous avions notamment publié, en 2011, un article dans la revue Diversité (éditée par le CNDP) rendant compte de ce travail. Dans cet article, aux dimensions sociocritiques, nous présentions également des produits relevant du label « J4G » (abréviation de « Just for girls »), notamment la collection dite « Real Stories », produite là encore pour Nintendo DS par l’éditeur Mindscape. Contrairement à ce que l’appellation pouvait laisser croire, les jeunes joueuses étaient plongées ici dans des univers irréels caricaturant des représentations liées à la « féminité » et aux rôles sociaux que peuvent exercer les femmes. Dans Real Stories Fashion Shop, les petites filles (dès trois ans) se projetaient dans le rôle de « patronne de boutique fashion à New York », idem pour Real Stories Mon hôtel de rêve où il fallait « créer l’hôtel le plus glamour de la planète », en « relookant le personnel », en organisant des défilés de mode, des concerts, des festivals de cinéma, des mariages princiers, en accueillant des stars… Dans le jeu Top model, destiné là encore à des joueuses à partir de 3 ans, on incarnait le rôle d’une jeune mannequin (corps séduisant modélisable en 3D) sélectionnée pour la finale d’un concours parmi neuf « filles ». Si elle voulait parvenir à ses fins, la candidate devait suivre sans broncher les consignes, ou plutôt les ordres, d’un « coach personnel » (homme en costume), visant à « satisfaire pleinement le jury » dans les catégories «maquillage, habillage, séance de photos et défilé ». Peu de libertés étaient offertes aux prétendantes, enfermées dans un loft à l’image de candidates de télé-réalité, dont l’emploi du temps rythmé par les exercices et les injonctions du coach, permettait cependant à certains moments de « grignoter » (sic). Cela laissait songeur, notamment en parallèle au développement des campagnes de lutte contre l’anorexie initiées, depuis 2007, autour de la personne de la défunte Isabelle Caro… D’autres titres portant ce label étaient à l’avenant, tel que A girl’s world, dont la vidéo de présentation mettait en scène des actrices singeant le comportement d’adolescentes s’amusant « entre filles »16.
Tentant, dans un but informatif, de compléter cette approche par la consultation d’un certain nombre de tests, critiques ou présentations des produits provenant de sites ou de la presse spécialisée, nous constations le peu de références disponibles. Un constat s’imposait, les contenus de ces jeux ne semblaient pas passionner les gamers (joueurs de jeux vidéo de sexe masculin), journalistes et chroniqueurs de la presse spécialisée…
Il s’agissait là, selon nous, d’un autre biais : autant ceux-ci peuvent se montrer prolixes sur des produits phares de l’industrie vidéoludique, tels que la série des GTA ou des Call of Duty, autant ils se montrent « discrets » sur ces produits « pour filles », visiblement jugés de peu d’intérêt du point de vue du « joueur ». Le plus souvent, ces jeux sont mentionnés sans être testés sur les sites consacrés aux jeux vidéo, des liens renvoient simplement vers des sites marchands où on peut les acheter… Fait significatif, dans son numéro intitulé « Girl Power », spécifiquement « axé sur la place des femmes et les représentations genrées dans les jeux vidéo », la revue d’études critiques Les Cahiers du jeu vidéo (Rieunier-Duval, 2011) ne développait aucune réflexion spécifique sur les produits destinés aux jeunes enfants, privilégiant visiblement une approche du phénomène plus « adulte », voire plus « branchée » (modèle de virilité dans les jeux de guerre, traitement de l’homosexualité, etc.).
L’une des rares critiques argumentées, concernant le jeu Jouons à la marchande, publiée par Dinowan sur le site jeuxvidéo.com17 était pourtant édifiante : noté 2/20 au niveau de la « durée de vie », le chroniqueur précisait : « La seule véritable difficulté réside dans un calcul mental en fin de jeu, n’importe quelle fillette maîtrisant les bases du calcul filera à travers Jouons à la Marchande en moins d’une heure», ajoutant en « note générale » que le jeu « finira par rebuter les très jeunes et risque d’ennuyer les moins jeunes ». Alors que les jeux vidéo auxquels jouent les« gamers » ont une durée de vie en général comprise entre 30 et 100 heures, outre le fait qu’ils n’ont pas l’habitude de tester ces produits « pour filles », ces chroniqueurs/joueurs peuvent juger ne pas devoir rendre compte de l’existence de logiciels à la « durée de vie » si brève, aux scénarios si « simplistes », et où la dimension du plaisir de jouer est ici pour eux absente.
Un entretien, mené sur ce thème au courant de l’année 2011 avec un cadre d’une société de production de jeux vidéo, conforta ces hypothèses. Celui-ci nous indiqua que ces produits étaient jugés « mineurs » dans le milieu des jeux vidéo, notamment par les concepteurs, qu’ils étaient « peu intéressants » à développer, qu’ils étaient « vite fait », le plus souvent en utilisant des images de « type dessins animés » que l’on trouve sur des banques d’images. Confrontés là à un travail « ingrat », les concepteurs pouvaient avoir tendance, dans une perspective cynique et machiste, à accentuer certains traits et stéréotypes « féminins », interprétés par eux comme des sortes de private jokes… Pas évident que les petites filles les perçoivent ainsi !
Outre des interrogations pouvant émerger au niveau des contenus, les consommateurs pourraient aussi trouver commercialement problématique le fait que certains de ces jeux « pour filles » (vendus lors de leur sortie plus de 30 euros) aient une durée de vie bien moindre que la plupart des jeux vidéo destinés aux garçons… Sur ce point, en s’esclaffant, notre interlocuteur nous répondit : « Oui, c’est vrai ! Mais justement, on imagine mal une gamine de 4 ou 5 ans aller écrire un « post » assassin sur un forum de discussion de jeux vidéo ! ».
Comme nous l’indiquions dans cet article, le manque d’informations disponibles sur ces jeux était de nature à poser problème à toute personne (joueurs/joueuses, parents, éducateurs) s’intéressant à la question… On y voyait un prolongement d’un travers déjà relevé par ailleurs : la structuration de la réflexion — profane et savante — sur ce sujet, par une génération de jeunes hommes, technophiles et « joueurs », se spécialisant dans le milieu du journalisme, de la presse spécialisée « jeux vidéo », ou encore de la recherche (Trémel, 2010), en mésestimant tous les phénomènes «problématiques » liés au développement de leur passe- temps favori (phénomènes de dépendance, diffusion d’idéologies discutables auprès de publics ne maîtrisant pas tous le « second degré » dont se réclament certains concepteurs de jeux, images choquantes dans certains jeux, etc.), phénomènes parfois grossièrement qualifiés par les intéressés comme relevant de la « panique morale »18.
Un dispositif pédagogique, conçu par Laurence Carrez-Martin, enseignante du secondaire associée aux activités du musée, a été élaboré, dès l’automne 2011, en accompagnement de l’exposition « Filles/garçons : égalité des chances ? ». Celui-ci consistait en un livret pédagogique, destiné aux deux niveaux de l’enseignement secondaire (collège et lycée)et une animation, réalisée par Laurence Carrez-Martin au MUNAÉ, en direction des publics scolaires : « Filles/garçons: sur les chemins de l’égalité ». Le livret proposait un questionnement, pour chaque panneau de l’exposition, en rapport aux programmes scolaires de plusieurs disciplines : histoire, éducation civique, sciences économiques et sociales, mais pouvant également s’inscrire dans le cadre des IDD au collège (itinéraires de découverte en 4e et 5e) et dans le cadre des TPE au lycée (travaux personnels encadrés en première). Depuis 2011, le dispositif a circulé dans une quarantaine d’établissements scolaires. L’animation (toujours proposée à ce jour dans le cadre du programme de « Visites et animations pour les scolaires »), se compose de deux séquences : A/ À quand remonte la mixité scolaire ? (travail à partir d’une frise chronologique dégageant trois périodes) B/ Les jouets ont-ils un sexe ? (étude de documents reproduisant des objets issus des collections du musée à replacer dans leur contexte historique).
En termes de valorisation scientifique, outre l’article de Diversité déjà cité (Trémel, 2011b), le travail mené sur cette exposition a donné lieu à deux interventions lors de colloques19, un article de vulgarisation scientifique20 et un entretien filmé, présenté sur un site d’information destiné aux acteurs de l’éducation21.
Dans le cadre des communications présentées lors de ces colloques, pour compléter le travail mené sur les jeux vidéo pour petites filles, nous avons été amené à mener des études complémentaires, portant notamment sur les représentations sexuées des « avatars » incarnés dans les jeux de rôle informatiques et les « quêtes amoureuses » (développées en parallèle à l’intrigue principale du scénario) dans certains jeux « recommandés » (il n’y a pas de limitation formelle de l’âge pour l’achat des jeux vidéo en France) à des joueurs âgés de 16 ou de 18 ans et plus.
Dans Grand Theft Auto IV – GTA IV (Rockstar Games, 2008), jeu « déconseillé aux moins de 18 ans », le personnage principal est un truand (bad boy séduisant et viril), à qui le scénario offre la possibilité de progresser au sein d’une «carrière maffieuse ». Cette progression est rythmée par divers délits et meurtres, lui permettant d’accumuler de l’argent, des armes et des voitures de plus en plus « prestigieuses » et de « débloquer » (sic) différentes « petites amies » à différentes phases du jeu22. Ici, l’homme est présenté par rapport à la gent féminine en position de dominateur/consommateur, les femmes, petites amies et prostituées, n’ayant que des fonctions instrumentales, équivalentes à des « récompenses » pour le héros. Ainsi : « Pour les prostituées, vous aurez droit à trois choix de relation sexuelle (sic) : la masturbation, la fellation, la pénétration ». Alors que le « mauvais goût provocateur » du jeu, son « second degré décapant », proposant une « caricature de l’Amérique des années Bush », avait été salué et valorisé au moment de la sortie du jeu, dans une perspective quelque peu « boboïsante », par certains médias français (journaux et magazines culturels plutôt situés à « gauche »), la question de la « réception » de ces messages par le public adolescent qui semble en fait être directement, voire principalement, concerné par ce jeu se pose23. Elle est notamment posée par des acteurs du monde scolaire (enseignants, aides-éducateurs, assistantes sociales scolaires, personnel médical scolaire, parents…) avec qui nous avons eu l’occasion d’échanger ces dernières années, constatant à la fois des effets problématiques liés à une pratique jugée excessive des jeux vidéo chez certains publics, amenant selon eux à des phénomènes de décrochage scolaire, mais également à des problèmes de « comportement » (caractérisé par certaines formes de cynisme et de machisme notamment) que ces personnes pensent liés au contenu idéologique de certains jeux vidéo. Force est de constater que ces préoccupations ne sont guère évoquées dans les articles de presse aujourd’hui ni d’ailleurs dans la plupart des travaux de recherche « technophiles » actuellement produits sur ce champ.
Courant 2013, nous avions étudié de manière plus approfondie, en pratiquant ce jeu pendant plusieurs heures, en incarnant un personnage parvenant au bout des « quêtes » (ce qui représentait près de 50 heures de jeu), un autre jeu de rôles : Dragon Age : Origins (produit développé par BioWare et édité par Electronic Arts en 2009). Ce jeu, se situant dans un contexte médiéval-fantastique, fait évoluer comme personnage principal (d’autres choix sont possibles) un jeune noble dont la famille est massacrée suite à un complot. Dans sa quête de vengeance et de gloire, le héros est accompagné de divers compagnons, dont deux femmes et un elfe, avec qui il est possible de développer ce qui est qualifié là de « romance » ou de « quête amoureuse ». En parallèle à l’intrigue principale, faite de combats, de déductions et d’enquêtes, il est possible de « dialoguer » avec ces personnages dans le but d’en faire des partenaires sexuels. Les deux femmes (toutes deux physiquement séduisantes) ont des personnalités opposées : Morrigan est une magicienne cynique et pragmatique, alors que Leliana, sous des abords au départ un peu méfiants, est une voleuse-barde romantique que l’on pourra facilement séduire en l’écoutant raconter sa vie, en lui offrant en cadeau des bijoux et de beaux vêtements. Zevran est un elfe assassin homosexuel qui, de ce fait, n’est pas intéressé par une « amitié virile » avec le personnage principal, mais potentiellement par une relation amoureuse. En pratique, dès que l’on a cerné les « psychologies » des trois personnages, il est aisé de parvenir à ses fins. Comme le souligne assez cyniquement ce joueur, on peut même développer une relation avec les trois ensemble24. Si des thèmes « adultes » sont ici évoqués, rompant un peu avec les schémas traditionnels du médiéval-fantastique (belle et naïve princesse à sauver), tels que l’homosexualité masculine et féminine (Leliana a développé antérieurement une relation trouble avec une autre femme musicienne qui l’a trahie), que les deux personnages féminins apparaissent avoir du «caractère », qu’elles ont toutes deux une spécialisation professionnelle utile au bon déroulement de l’aventure (barde-voleuse et magicienne), le schéma de « séduction » est en fait assez proche de celui des romans de la collection Harlequin. Le héros de sexe masculin apparaît en quelque sorte comme « l’initiateur » qui fera progresser dans la vie ces deux femmes. Au fil des dialogues, des bisous (scénarisés à l’écran), des moments plus intimes passés avec elles (non scénarisés), c’est lui qui les aidera à démêler les nœuds d’un passé trouble. Il pourra débuter une « relation durable» avec Leliana et lui faire découvrir le « grand amour », si tel est son désir, ou faire un enfant à Morrigan (longtemps soumise à une mère possessive l’ayant manipulée) qui, n’en doutons pas, sera promis à un destin exceptionnel… Quant à l’elfe homosexuel, si la perspective peut paraître « audacieuse », on reste ici en fait assez proche du registre « humoristique » du monde des jeux de rôle, associant les elfes à la féminité et à l’homosexualité, du fait de leur rapport privilégié aux arts, aux lettres et à la magie… Dans ces jeux « pour adultes », pour adolescents, la montée en puissance guerrière ou magique des personnages symbolise, selon nous, des formes d’ascension sociale rendues problématiques du fait de la conjoncture économique (Trémel, 2001). En parallèle à ce processus, ou en complément plutôt, il est également possible, désormais, dedévelopper des « histoires d’amour » avec des avatars séduisants, ce qui, là encore, est de nature à satisfaire l’égo des joueurs.
Au niveau institutionnel, les travaux et réflexions menés dans le cadre de l’exposition « Filles/garçons : égalité des chances ? » ont contribué à la reconnaissance des jeux vidéo comme un objet d’étudeimportant au sein du MUNAÉ. Une partie de l’exposition « 50 ans de pédagogie par les petits écrans » (novembre 2014-janvier 2016), dont nous avons assuré le commissariat principal25, leur était consacrée, et plusieurs opérations en rapport à la thématique des loisirs numériques des jeunes ont été menées depuis lors26. Il est désormais envisagé, en partenariat avec un laboratoire de sociologie de l’Université de Rouen, d’aboutir à la collecte d’un fonds raisonné dans ce domaine. De même, l’approche transmédia mise en œuvre dans le cadre de ce projet a été développée de manière significative dans le cadre de l’exposition « 50 ans de pédagogie par les petits écrans » (réalisation de séquences audiovisuelles et d’un documentaire diffusés dans le cadre du parcours de l’exposition et en ligne, réalisation d’une exposition par panneaux sur le même modèle, publication d’un e-book dont nous avons assuré la direction27).
L’exposition par panneaux « Filles/garçons : égalité des chances ? », les produits lui étant associés (séquences audiovisuelles, livret de présentation et livret pédagogique) ainsi que ses prolongements (articles de vulgarisation scientifique et interventions au sein de la communauté scientifique) témoignent d’une inflexion dans les orientations développées au MNE/MUNAÉ. Depuis son rattachement au CNDP (aujourd’hui réseau Canopé), effectué début 2011, suite à la dissolution de l’Institut National de Recherche Pédagogique (INRP) auquel le musée était antérieurement rattaché, il est apparu pertinent d’intégrer à une approche historique et muséographique la prise en compte de faits sociaux contemporains concernant le monde éducatif. En tant que producteur de ressources pédagogiques, Canopé s’adresse directement à la communauté éducative et doit prendre en compte les enjeux actuels liés à l’éducation. Dans le cadre des expositions, dont nous avons assuré le commissariat depuis cette date — l’exposition présentée dans cet article et les deux suivantes (cf. note n°1) —, nous avons tenté d’établir un continuum entre les collections historiques du musée, la valorisation de ces documents patrimoniaux, et des questions socialement vives susceptibles d’intéresser les acteurs de l’éducation et, plus généralement, les citoyens visiteurs du musée. Ici, le travail mené sur l’éducation scolaire et extrascolaire aboutit à proposer un éclairage sur des problématiques se rapportant aux inégalités en fonction du genre ou du milieu social, ou encore à une réflexion critique sur les jeux vidéo, autant d’éléments susceptibles d’intéresser le plus grand nombre. La logique développée là se situe dans une perspective que l’on peut qualifier de transmédia ou de translittéracique, dans la mesure où, à partir de différents supports (écrits, imprimés, audiovisuels), elle propose un parcours, ou encore une narration, se situant à différents niveaux. L’exposition « Filles/garçons : égalité des chances ? » a donc contribué à la redéfinition des réalisations du MUNAÉ dans une perspective nous semblant féconde en termes de médiation scientifique, de diffusion des savoirs et de valorisation des collections du musée.
Multimodalité(s) se veut un lieu de rassemblement des voix de toutes les disciplines qui s’intéressent à la littératie contemporaine.
ISSN : 2818-0100
Multimodalité(s) (c) R2LMM 2023
Site web Sgiroux.net