Volume 4 / La conception de dispositifs info-communicationnels

Médiations croisées et parcours d’édition genrés: une esquisse de la figure adolescente

Caroline Courbières
Université de Toulouse

Résumé

Le jeune, qu’on le nomme ado, préado, ou jeune adulte, constitue une catégorie instable que les langages d’indexation et les acteurs du monde du livre entreprennent de définir, notamment à travers ses pratiques de lecture. L’étude croisée du discours documentaire (en l’occurrence, le langage RAMEAU et la classification CLIL) et de celui des maisons d’édition permet de cerner les contours de la figure adoulescente et de questionner le genre, aussi bien social que littéraire. On observe in fine un marquage sexuel, à la fois dans la définition de son identité et dans la structuration de l’offre éditoriale jeunesse.

Abstract

Young people, also known as teens, pre-teens or young adults, constitute an unstable category, which whom those associated with the documentary languages of indexing and book publishing undertake to define, particularly through their reading practices. This crossover study of documentary discourse (in this case, RAMEAU and CLIL classification) and publishing professionals allows us to trace the conceptual contours of the adolescent, and to question social, gender and literary genres. Ultimately, a gendered marking can be observed, both in the definition of the term’s identity, as well as in the publishers’ catalogues of children and young adult literature.

Mots-clés
édition, genre, genre littéraire, jeune adulte, langage documentaire

Keywords
Documentary Language – Gender - Literary Genre – Publishing – Young Adult
Citer
Pour citer
Courbières, Caroline (2016). Médiations croisées et parcours d’édition genrés: une esquisse de la figure adolescente. Revue de recherches en littératie médiatique multimodale, 4.

1. Introduction

Si le propre de l’adolescent est de grandir — comme l’indique l’étymologie de sa dénomination (adolesco, ere) —, la catégorie d’âge qu’il représente reste toujours relativement extensible dans sa saisie. Le substantif latin adulescens définissait ainsi un jeune homme ou une jeune femme « en principe de 17 ans à 30 ans ; mais parfois au-delà » (Gaffiot, 1934, p. 65). L’adolescence, cet « âge métaphysique par excellence » (Piaget, 1964, p. 80), peut encore se penser comme un artifice, qui
« ne deviendra un terme générique, désignant toute une classe d’âge et utilisé aussi bien pour les garçons que pour les filles, que plus tard avec la généralisation de la scolarisation au XXe siècle » (Huerre, 2001, p. 08). Période plus ou moins transitoire au cours de laquelle le développement physiologique et mental de l’individu est censé s’achever, l’adolescence reste une notion flottante.

De manière similaire, les adolescents, qui manifestent peut-être les affres de l’âge à travers le rangement de leur chambre, constituent une classe aux délimitations mouvantes. Ces jeunes restent cependant saisissables dans la singularité de leurs pratiques culturelles. Parmi celles-ci, la lecture de livres continue de contribuer à la métamorphose de l’enfant en futur adulte. Une enquête de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), réalisée en 2003, montre ainsi que « la proportion des jeunes lecteurs, après avoir augmenté, est stable depuis plus d’un demi-siècle » (Tavan, 2003). Qu’ils soient qualifiés d’enfants, de préados, d’ados, voire de jeunes adultes, les jeunes sont devenus la cible diversifiée d’un secteur majeur du marché de l’édition : l’offre éditoriale jeunesse, qui émerge au XIXe siècle, représente aujourd’hui, après la littérature, la deuxième catégorie éditoriale en termes de poids économique1.

Cet article se propose de porter un regard infocommunicationnel sur ce moment de l’existence en croisant deux types de discours, le discours documentaire et le discours éditorial, qui construisent chacun une facette de ce sujet en suspens que l’on qualifiera d’adoulescent. Ce terme, créé du télescopage d’adolescent et d’adulte — et sans aucun doute psychanalytiquement révélateur —, sert ici à caractériser une tranche d’âge relativement indéfinie et un lectorat somme toute volatile. Il nous permet en outre d’éviter d’employer celui d’adulescent défini à la fois par le Larousse en ligne comme un « jeune adulte qui continue à avoir un comportement comparable à celui qu’ont généralement les adolescents »2, et par un article dans la revue Études d’un auteur que l’on se répugne à citer (Anatrella, 2003)3. La conception de la classe des adoulescents nous autorise par ailleurs à embrasser la notion de jeune adulte, utilisée par le discours médiatique ou professionnel.

Sur son site officiel du Groupe Jeunesse, le Syndicat national de l’édition propose en effet un choix des livres organisé soit par genre, soit par tranches d’âge, dont les deux dernières correspondent à
« 11-14 ans » et « 14+/Jeunes adultes »4.

La question du genre se pose dès lors dans une double acception : le genre entendu comme un outil de dénonciation des rapports de pouvoir fondés sur la différenciation sexuelle (Scott, 1988), et le genre (littéraire) constituant en lui-même une catégorie générique qui permet de regrouper les textes partageant « différentes déterminations » stylistiques (Molinié, 1993, p. 37). Par leur caractère opératoire, les deux notions peuvent être utilisées comme des grilles d’interprétation pour l’analyse des normes et de leurs effets. Elles restent ici de possibles critères de caractérisation observables dans les deux corpus choisis.

L’entrée par le langage documentaire — à la fois outil de médiation des savoirs et système normatif de référence5 — nous invite, dans un premier temps, à appréhender les éléments définitoires de ce qui pourrait représenter la sphère adoulescente et ses genres éditoriaux. Nous avons, pour ce faire, étudié deux langages d’indexation : le Répertoire d’autorité-matière encyclopédique et alphabétique unifié (RAMEAU)6, majoritairement utilisé en France par les professionnels de l’information, que ce soit dans les médiathèques de lecture publique ou le réseau universitaire, et la classification « Thèmes CLIL » (Commission de Liaison Interprofessionnelle du Livre)7 , utilisée par les professionnels du commerce du livre afin de « classifier les différentes catégories de livres papier et de livres numériques à l’usage de l’ensemble des acteurs de l’interprofession »8. À partir des représentations (re)construites, un second parcours interprétatif s’est déroulé au cœur de l’offre éditoriale à travers l’analyse des collections de fiction pour la jeunesse. C’est donc entre savoir et fiction que s’est engagée notre quête de l’adoulescent au prisme des genres.

2. La construction d’un sujet : à la recherche de l’adoulescent

L’élaboration de notre sujet adoulescent trouve ses fondations dans l’examen de la fabrique documentaire par laquelle les langages d’indexation assignent leur signification aux unités qui les composent et tracent les parcours interprétatifs actualisables (Courbières, 2010). Un parcours initial a analysé comment le système de représentations langagières RAMEAU définissait les notions d’adolescent et de jeune adulte et les articulait à des pratiques de lecture spécifiques. Dans un second temps, nous avons cherché à approfondir la connaissance de leurs objets de lecture privilégiés par l’étude des genres fictionnels qui leur étaient attribués dans la classification Thèmes CLIL. La méthode manuelle adoptée permet ainsi de saisir le contexte de signification des notions travaillées puisque ces outils de médiation, malgré leurs utilisations différentes – (indexation analytique pour RAMEAU, indexation systématique pour la classification CLIL) -, élaborent tous deux un cadre de classement conceptuel de référence.

2.1 La représentation documentaire des ados et YA

Si l’on commence par s’intéresser aux « Adolescents », on remarque tout d’abord qu’une note d’application, destinée à préciser la signification du terme, complète la notion ; cette note donne des informations quant à la classe d’âge concernée par le terme « Adolescents », en l’occurrence, « les jeunes âgés de 12-13 ans à 18-19 ans (teenagers : 13-19 ans) ». La notion d’« Adolescents » possède en outre deux termes équivalents : « Ados » et « Teenagers ». Le second terme équivalent correspond également au terme des « Library of Congress Subject Headings » (LCSH) et à la définition même de celui-ci dans la langue anglaise : « a person between the ages of 13 and 19 inclusive »9 . La notice contextualise donc doublement le terme « Adolescents » à l’aide d’indications sur la tranche d’âge qui le caractériserait. Les « Adolescents » apparaissent également comme terme spécifique de la notion de « Jeunesse » que le discours documentaire mentionne comme l’un des six « Âges de la vie » au côté des « Adultes », des « Enfants », du « Foetus », de la « Vie active » et de la « Vieillesse ». Ce rapport hiérarchique instauré entre « Adolescents » et « Âges de la vie », par le biais de la catégorie « Jeunesse », place ainsi la notion dans le domaine médical tel que le signifie l’indice du code de regroupement de domaine assigné à la hiérarchie (indice 610).

On retrouve une contextualisation similaire dans le traitement de la notion d’« Adolescence » employée ici pour recouvrir à la fois le développement de l’adolescent et la « Préadolescence », terme français attesté en 1922 (Rey, 1998, p. 39). L’« Adolescence » entretient un double hiérarchique avec les notions de « Jeunesse » et de « Parents et enfants », qui vise à représenter « l’interaction psycho-sociale entre parents et enfants ». Associée aux « Adolescents » et à la « Puberté », sa définition documentaire, comme inachevée, contraste avec le discours scientifique de Jean Piaget, pour qui l’adolescence ne se réduit pas à « une crise passagère séparant l’enfance de l’âge adulte et due à la puberté » (Piaget, 1964, p. 71).

L’étude du traitement documentaire des notions d’« Adolescents » et d’« Adolescence » nous amène à nous attarder sur celle de « Jeunesse » qui les génère donc toutes deux. Le terme jeunesse vise à indexer « les documents sur la période de la vie comprise entre 13 et 25 ans et les jeunes de cette tranche d’âge, incluant ainsi les adolescents et les jeunes adultes ». Le discours documentaire distingue dès lors, au sein de la catégorie « Jeunesse », deux sujets indépendants : les ados et les jeunes adultes. La « Jeunesse » s’inscrit ici dans deux hiérarchies : celle des « Âges de la vie », comme nous venons de le voir, et celle des « Groupes d’âge » qui déplace le sujet dans le domaine des sciences sociales (indice 300). Parmi les groupes d’âge distingués par le langage d’indexation, la « Jeunesse » apparaît aux côtés des « Adultes », des « Enfants », des « Jeunes adultes », des « Personnes âgées », des « Personnes d’âge moyen ». En tant que catégorie, la jeunesse autorise ici une première approche de la notion « Jeunes adultes », dont la notice spécifique précise davantage les contours définitoires. Le terme « jeune adulte » — ou son équivalent anglais (LCSH) « Young adults » — est en effet employé pour signifier « Trentenaires », ce qui donne la tranche d’âge concernée, même si celle-ci reste moins précise qu’elle ne l’était pour la notion d’« Adolescents ».

Ayant appréhendé les représentations des adolescents et des jeunes adultes élaborées par leur système d’équivalence et leurs relations hiérarchiques documentaires respectives, nous pouvons continuer notre parcours en étudiant les notions spécifiques qu’ils génèrent à leur tour. Si le nombre varie entre les deux notions — (onze termes mentionnés pour les adolescents, quatre seulement pour les jeunes adultes) —, on peut tout d’abord remarquer l’inscription du genre, et ce, de manière asymétrique. En effet, la notion d’« Adolescente » apparaît telle qu’elle sous la hiérarchie de celle d’« Adolescent », là où celle de « Jeunes adultes » génère les « Jeunes femmes » et les « Jeunes hommes ». La notion d’« Adolescent » engendre, par ailleurs, celle de « Pères adolescents » (mais pas celle de mères…). Les deux autres termes spécifiques de la notion de « Jeunes adultes » introduisent le thème de la consommation (« Jeunes adultes consommateurs ») et celui de la maladie (« Jeunes adultes malades mentaux »), qui, seul se retrouve pour les « Adolescents malades ». Les
« Adolescents » sont différemment traités par le discours documentaire qui permet de les caractériser comme « Adolescents difficiles », « Adolescents handicapés », ou encore de les qualifier par l’appartenance à des minorités, en difficulté d’apprentissage, fugueurs, homosexuels, immigrés ou sportifs de haut niveau. « Adolescents » et « Jeunes adultes » peuvent enfin renvoyer tous deux au domaine de l’enseignement par le biais du terme associé « Rupture de formation ». Aucune mention explicite n’est encore faite sur d’éventuelles pratiques ou des objets de lecture spécifiques aux uns ou aux autres.

Nous devons donc revenir à la catégorie « Jeunesse », dont la notice mentionne comme premier terme associé celui de « Bibliothèques pour la jeunesse ». C’est sous cette notice que l’on retrouve la notion d’adolescents dans l’un des termes équivalents (« Bibliothèques pour adolescents »), mais aussi celle de jeunes adultes, au même niveau (« Bibliothèques pour jeunes adultes ») et en équivalent LCSH (« Young adults’ libraries »). Parmi les termes associés, deux concernent directement notre étude, à savoir la pratique de la lecture chez les jeunes ainsi que son objet : il s’agit des notices « Jeunesse Livres et lecture » et « Littérature pour la jeunesse ». Sous la première notion « Jeunesse Livres et lecture », employée pour « Lecture chez la jeunesse » et « Lectures de jeunes », les adolescents s’inscrivent comme terme spécifique sous la mention « Adolescents – Livres et lecture » alors que les jeunes adultes sont placés en équivalence à travers le terme LCSH « Young adults – Books and reading ». Si l’on suit le système documentaire élaboré, les adolescents apparaîtraient donc comme une sous-catégorie des jeunes adultes. On retrouve le même effacement de la notion d’adolescents dans la seconde notion — « Littérature pour la jeunesse » — pour laquelle sont mentionnés « Children’s literature » et « Young adult literature » comme termes équivalents LCSH. Mais la notion réapparait parmi les termes équivalents : « Littérature de jeunesse », « Littérature destinée à la jeunesse », « Littérature enfantine », « Littérature pour adolescents », « Littérature pour enfants », « Littérature pour jeunes adultes ». On notera ici que les quatre derniers termes auraient tout à fait pu être établis en tant que termes spécifiques au regard des différentes classes d’âge qu’ils recouvrent.

Cette première étape documentaire nous permet d’identifier la notion d’adolescent à une tranche d’âge entre 12 et 19 ans, et pouvant sinon se confondre avec la notion de jeune adulte, du moins s’y référer dans le cadre de ses pratiques de lecture. Il s’agit maintenant de préciser l’objet même de ces pratiques à l’aide du langage spécialisé CLIL négocié par les éditeurs et les libraires.

2.2 La structuration thématique du secteur jeunesse

La classification « Thèmes CLIL » (Commission de Liaison Interprofessionnelle du Livre) se présente sous la forme d’une liste d’indices numériques et leurs libellés textuels structurés sur quatre niveaux hiérarchiques. Plus de vingt thèmes génériques parmi lesquels celui de « Jeunesse » occupe le premier niveau : « Scolaire » (3000), « Parascolaire » (3013), « Sciences pures » (3051), « Techniques et sciences appliquées » (3069), « Sciences humaines et sociales, lettres » (3080), « Médecine, pharmacie, paramédical, médecine vétérinaire » (3165), « Management, gestion et économie d’entreprise » (3177), « Informatique » (3193), « Droit » (3259), « Sciences politiques » (3283), « Sciences économiques » (3305), « Religion » (3345), « Ésotérisme, occultisme » (3365),
« Histoire » (3377), « Géographie » (3395), « Encyclopédies, dictionnaires » (3418), « Littérature générale » (3435), « Arts et beaux livres » (3667), « Bandes dessinées, comics, mangas » (3771),
« Ouvrages de documentation » (3801), « Livres pratiques » (3802), « Cartes géographiques et atlas » (3898).

Si la jeunesse constitue dans ce système classificatoire un thème à part entière, on la retrouve également associée à la religion, que ce soit pour les ouvrages « Catéchèse jeunesse » (3361) et
« toutes les formes de livres pour enfants et adolescents ayant pour thème la religion, en dehors des parcours catéchétiques » (3363). Le thème « Jeunesse » en tant que classe générique est défini comme permettant d’indexer « tous les ouvrages destinés aux jeunes de moins de 15 ans, à l’exclusion des ouvrages scolaires » et se décompose en cinq sous-thématiques différentes indiquées dans le tableau suivant.

Fig. 1 : Présentation du premier niveau hiérarchique du thème Jeunesse

Il faut ici noter que les cinq thématiques spécifiques au thème « Jeunesse » se définissent à partir de critères diversifiés et parfois associés : la tranche d’âge, la nature ou la forme du support, ou encore le contenu du document. Les deux sous-thèmes qui nous intéressent — (3744 / 3750) — combinent ainsi une même indication de genre littéraire — la fiction — et des informations sur l’âge du lectorat concerné — d’un côté la « jeunesse », de l’autre les « adolescents, jeunes adultes ». L’indication sur les tranches d’âge reste cependant moins précise qu’elle ne l’est pour les sous- thèmes « Éveil, petite enfance (moins de 3 ans) » et « Livres illustrés (plus de 3 ans) ». Là où le langage RAMEAU opérait une hiérarchisation relative en différenciant les trois notions, le langage CLIL, d’une part identifie la jeunesse comme catégorie distincte de la catégorie rassemblant adolescents et jeunes adultes, et d’autre part, articule les deux catégories à partir d’un genre (la fiction). Ces deux sous-thèmes se développent par ailleurs de manière déséquilibrée. En effet, la catégorie « Fiction Jeunesse » génère un unique niveau hiérarchique avec une série de cinq thèmes spécifiques : « Premières lectures, premiers romans », « Histoires », « Séries, héros préférés »,
« Contes et mythologie » et « Romans ».

Fig. 2 : Présentation des sous-thèmes du thème Fiction Jeunesse

La structuration du sous-thème « Fiction Jeunesse » ne donne pas d’indication sur la catégorie d’âge concernée, si ce n’est peut-être au travers des intitulés des indices 3745 et 3746. Le discours documentaire reprend par ailleurs les intitulés de certains genres préconisés par le Syndicat national de l’édition pour le choix des livres jeunesse (cf. figure suivante).

Fig. 3 : Présentation du choix des livres par genre du Syndicat national de l’édition

On remarque également dans cette répartition le genre « Premiers romans », repris par l’un des sous-thèmes de la « Fiction jeunesse », et la mention d’un genre « Romans ados » qui pourrait correspondre au sous-thème « Romans » de la classification CLIL. Ce genre « Romans » apparaît également dans le sous-thème « Fiction adolescents, jeunes adultes ». Cet autre volet du thème documentaire « Jeunesse » ne précise pas non plus le critère de l’âge. À la différence, comme le reprend le tableau qui suit, ce sous-thème se déploie à travers deux niveaux hiérarchiques : un premier niveau distinguant les « Romans » des « Témoignages », et un second niveau où la spécification des romans s’affine par l’inscription de genres (littéraires) identifiés.

Fig. 4 : Présentation du thème Fiction Adolescents, jeunes adultes

La structuration des deux sous-thèmes étudiés rend saillante la double mention des « Romans », à la fois clôturant la « Fiction Jeunesse » et ouvrant la « Fiction adolescents, jeunes adultes ». Cette répartition en forme de passage semble faire écho au brouillage définitoire relevé dans les rapports entretenus par les catégories « Adolescents » et « Jeunes adultes » dans le langage RAMEAU. Par ailleurs, afin de hiérarchiser les romans de cette « Fiction adolescents, jeunes adultes », la classification CLIL utilise certains genres littéraires également inscrits dans le thème « Littérature générale », et dont elle donne des définitions précises et cite les œuvres emblématiques. Parmi celles-ci, le discours documentaire fait figurer Le Horla de Maupassant pour le genre Fantastique, Le Seigneur des Anneaux de Tolkien pour la Fantasy, 1984 de George Orwell et Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley pour la dystopie — et Le maître du haut château de Philip K. Dick pour l’uchronie —, ou encore l’intégralité des livres de Mary Higgins Clark pour le genre « Thriller psychologique ». Seuls les « Romans d’épouvante » et le genre « Action, aventures » sont absents du thème « Littérature générale ».

À travers cette subdivision par les genres littéraires, la classification renforce le caractère catégoriel et normatif qui les caractérise : l’inscription d’un roman au sein d’un genre particulier cadre sa réception dans « un horizon d’attente résultant des conventions relatives au genre » (Jauss, 1978, p. 51). Il reste maintenant à examiner les éventuelles correspondances établies par les maisons d’édition entre genre littéraire et genre social ; à savoir, si l’intégration d’un genre dans une collection tend, ou non, à le sexualiser. Notre parcours interprétatif va donc devoir se poursuivre sur le terrain du discours éditorial afin d’étudier, à travers les collections jeunesse fiction existantes, la représentation construite des différents sujets documentaires et genres de fiction distingués, et l’éventuelle figure de l’adoulescent élaborée.

3. Esquisse éditoriale de l’adoulescent

Après avoir approché les représentations documentaires de l’adoulescent à travers les systèmes langagiers RAMEAU et CLIL, nous les avons confrontées à l’offre éditoriale pouvant s’y adresser. Ont été sélectionnés les catalogues et sites Internet des éditeurs dont la production pouvait cibler notre objet de recherche. L’analyse, portant sur les collections destinées spécifiquement aux jeunes10, s’est ainsi attachée à croiser les notions ou catégories préalablement identifiées (adolescents, jeunes adultes, jeunesse) au regard du genre fictionnel. Le premier parcours réalisé sur le corpus s’est ancré au critère de l’âge, pivot identitaire initial de l’adoulescent selon les différents repères livrés par le discours documentaire : de 12/13 ans à 19 ans, voire 25-30 ans. Dans un second temps, notre examen s’est concentré sur la manière dont le(s) genre(s) s’affiche(nt) au cœur des discours éditoriaux, qu’il s’agisse du genre littéraire ou du marquage sexuel.

3.1 L’âge du délit

Plusieurs âges de la vie, pour reprendre un terme générique rencontré précédemment, peuvent se trouver mis en avant pour construire les contours du lectorat visé. On observe ainsi que les éditeurs choisissent soit d’indiquer des tranches d’âge, soit de mentionner les termes mêmes « adolescents » (ou « ado ») ou « jeunes adultes » ; d’après l’étude de leurs catalogues, peu d’entre eux associent explicitement les différents critères. Au niveau de la catégorie, le secteur Jeunesse des principales maisons d’édition relevées s’adresserait globalement aux jeunes à partir de 12 ans (Livre Jeunesse Nathan ; Seuil Jeunesse), ou de 13 ans (Gallimard Jeunesse). Bayard éditions distingue quatre paliers de 8 à 14 ans dans sa catégorie littérature Jeunesse, là où l’École des loisirs combine cinq tranches d’âge (« 5-7 ans, 7-10 ans, 9-12 ans, 12-16 ans, et 16 ans et plus ») à trois collections principales (Mouche, Neuf et Medium). La tranche 10-12 ans est revendiquée par Syros dans les collections Tempo « (à partir de 10 ans) » et Tempo + « (à partir de 12 ans) », qui proposent « des textes littéraires forts, d’une grande diversité, qui ne laissent jamais indifférents ». Pour sa part, la collection Scripto, chez Gallimard Jeunesse, offre « dès 13 ans, des romans forts, drôles ou graves, singuliers et percutants, signés par les meilleurs auteurs contemporains français ou étrangers. Des héros proches de leurs lecteurs. Une multitude de sujets, de fenêtres sur le monde. Des émotions qui emportent ». L’éditeur mentionne le terme « adolescents » pour qualifier sa cible, tout comme le fait la maison Actes Sud Junior pour ses romans à destination des « 12-15 ans », tandis qu’elle situe la notion de « jeunes adultes » à « 15 ans et plus ». C’est une période similaire que les Éditions Lelyrion semblent considérer en définissant cette notion de jeune adulte par leur activité : « lycéen ou étudiant ou jeune actif », à savoir de 15-16 ans, âge d’entrée au lycée jusqu’à plus tard…

Quelques éditeurs octroient ainsi une place indépendante aux jeunes adultes. Il s’agit, par exemple, de la collection intitulée « New way (Young adults) » chez Hugo & Cie, ou de la rubrique « Jeunes adultes » dans le catalogue des éditions Mosaïc, qui se répartit en deux sous-rubriques (« contemporain » et « imaginaire »). Cet éditeur fait aussi apparaître la figure du « New adult » comme sous-catégorie de la « Littérature générale », bien que les sept titres estampillés « New adult » soient également indexés « Contemporain jeunesse » et se retrouvent dans la catégorie « Jeunes adultes ». D’autres collections s’adressent explicitement et exclusivement aux adolescents, sans toutefois indiquer d’âge particulier. C’est le cas de la collection Tribal, chez Flammarion, « Une collection de textes forts et exigeants qui parlent aux adolescents. Parfois avec poésie, souvent avec humour, pour les faire rêver, frissonner, réfléchir, partager…! », ou de Macadam, chez Milan Jeunesse, « Ces romans pour adolescents chérissent l’impertinence, en sollicitant les facultés de penser et l’esprit critique à travers une variété de genres, de thèmes et de tons ». Mais il faut noter, pour cette dernière collection, que plus de vingt de ses titres apparaissent également parmi les 110 titres de la collection Romans ados.

Hormis la maison Actes Sud Junior, qui répartit strictement ses titres entre ceux pour les « Ados (12-15 ans) » et ceux pour les « Jeunes adultes (15 ans et +) », ou les éditions Scrineo, qui distinguent les jeunes « dès 8 ans », les « Ados » et le « Jeune adulte », l’adoulescent apparaît de plus en plus visiblement dans l’offre éditoriale. Nous avons en effet répertorié une dizaine de collections qui, sans forcément préciser la tranche d’âge concernée, mettent en avant ce nouveau créneau. Les éditions Nathan ont lancé la collection Blast, « des romans pour ados et jeunes adultes : Le nouveau label ado-adulte ! Des textes contemporains à couper le souffle : thriller, anticipation, dystopie… Des héros charismatiques, un choc visuel et littéraire, une écriture cinématographique de qualité. Des romans addictifs qui vont dynamiter et dynamiser la littérature ! Une expérience de lecture vive et intense qui va à l’essentiel ! ». Le même éditeur publie la collection Romans grand format dont la production se partage entre les titres pour les lecteurs dès 12 ans et ceux pour les lecteurs dès 14 ans (plus de 140 titres en tout) : « Aventure, fantastique, humour et policier, autant de thèmes que vous retrouverez dans les poches Nathan. Les romans Grand Format vous garantissent frissons, suspense, thriller et émotions ». Chez Gallimard, Grand format littérature propose, à partir de 13 ans, « de grands romans contemporains, ouverts à tous les genres, pour les adolescents et les jeunes adultes ». Aux Éditions Rouergue, Doado se veut « une collection libre pour les ados et jeunes adultes, du récit quotidien au grand roman d’aventures, pour s’ouvrir au monde et aux autres, sans concession ». La maison Robert Laffont développe de son côté la collection R, « qui souhaite apporter un nouveau souffle dans la littérature ados et jeunes adultes. La collection R établit autant de passerelles entres les âges qu’entre les genres pour vous proposer des univers riches où se mêlent réel et imaginaire ».

De 12 ans à plus de 15, l’adoulescent se laisse également deviner sous de nouvelles formes lexicales élaborées par le discours éditorial. Chez Syros et aux éditions Sarbacane, par exemple, il s’agit de toucher les grands adolescents et jeunes adultes comme dans, respectivement, la collection Les uns les autres « destinée aux grands adolescents et aux jeunes adultes », et le label Exprim’, « une collection de romans Nouvelle génération tournée vers les grands ados et jeunes adultes ». Enfin, la présence de l’adoulescent peut s’inscrire en creux du discours éditorial ; nous pouvons ici citer les éditions Anne Carrière, dont la collection La belle colère présente « des romans pour adultes dont les héros sont des adolescents. Des livres qui s’adressent aux adultes et se tendent, une fois refermés, aux plus jeunes, non pas parce qu’ils seraient adaptés à leur « niveau de lecture », mais simplement parce qu’ils nous ont profondément marqués ». Cette idée de transmission entre les générations nous semble ici renvoyer à certaines œuvres de la littérature qui relèveraient alors de ce que l’Éducation nationale11 appelle « la littérature patrimoniale » versus « la littérature jeunesse ». Dans le même temps, ces éléments définitoires et leur affichage au cœur des collections fiction contribuent à troubler l’appréhension de la figure adoulescente.

Croisement entre ce premier parcours éditorial réalisé à partir du critère de l’âge et la réflexion sur la question des genres, la collection de science-fiction Autres Mondes, aux Éditions Mango, occupe une place particulière dans le corpus étudié. Le palier des 11 ans est en effet utilisé pour promouvoir
« des titres d’un genre à la fois riche et divertissant : la science-fiction. Une science-fiction « actuelle », qui met en scène des problèmes de société, mais aussi une science-fiction d’aventures, à la conquête des étoiles… Dans tous les cas, Autres Mondes combine plaisir et réflexion, et fait la part belle à l’émotion ». Le critère de l’âge s’efface cependant ici en même temps qu’il s’expose, puisque la collection s’adresse en fait à « tout lecteur (dès onze ans) ». Cette qualification et l’indication d’un âge préadolescent — au regard des définitions documentaires — sont développées dans la présentation de la collection : « Les romans de la collection offrent une mise en perspective du monde dans lequel vivent les jeunes, leur permettent de le comprendre et leur donnent la possibilité de réfléchir sur celui qui les attend. Promesse de curiosité et d’autonomie, qui touche aussi bien les jeunes lecteurs que les plus âgés ». La cible s’élargit dès lors ici à l’ensemble du lectorat tout en convoquant un genre (littéraire) spécifique. Premier élément concernant un contenu fictionnel identifié, la mention de genre littéraire doit maintenant être poursuivie par les éventuelles mentions de marques genrées qui préciseraient la figure éditoriale de l’adoulescent.

3.2 L’affichage des genres

L’argumentaire de la collection de science-fiction Autres Mondes, qui articule un genre littéraire identifié à une production non plus exclusivement destinée à un lectorat jeune, renvoie implicitement à l’abolition des frontières entre la littérature générale et la littérature de jeunesse. Dans l’un de ses articles consacrés à la littérature jeunesse, Isabelle Nières-Chevrel cite, à ce sujet, le statut multiple de l’œuvre de Jules Verne, composé à la fois d’écrits et de romans pour adultes, puis cantonné à la littérature pour enfants avant d’être, en quelque sorte, réhabilité au cours du vingtième siècle (Nières-Chevrel, 2002). Bien que la question de la définition même de la littérature jeunesse ne soit pas notre sujet d’étude, on se permet de rappeler la distinction opérée par l’Éducation nationale entre « la littérature patrimoniale » versus « la littérature jeunesse »12. Ce classement officiel se matérialise notamment dans une liste évolutive d’ouvrages de littérature jeunesse, établie « par un comité de lecteurs en fonction des productions éditoriales » et s’adressant chacune à un niveau scolaire spécifique. « En parallèle aux titres de la littérature patrimoniale prescrits et étudiés en classe », chacun des ouvrages répertoriés se trouve indexé sous un ou plusieurs genres, et notamment ceux de la « science-fiction », du « fantastique » ou de la catégorie « fantasy – merveilleux » qui représentent plus du quart des ouvrages conseillés aux élèves entre 13 et 15 ans13.

La science-fiction, genre littéraire défini par la classification CLIL comme « se caractérisant par l’utilisation d’un univers futuriste ou alternatif, dans lequel sont exploitées des avancées technologiques n’existant pas à l’heure actuelle »14, semble constituer un genre privilégié de la littérature jeunesse (ou générale). Outre la collection Autres Mondes, déjà présentée et se déclarant « la collection jeunesse de référence en science-fiction », et celle des Mondes imaginaires, toujours aux Éditions Mango, nombre de collections jeunesse actuellement sur le marché ont investi ce créneau. C’est par exemple le cas pour le Pôle fiction de Gallimard Jeunesse — sur lequel nous reviendrons très vite — qui inscrit la science-fiction dans le genre « “Fantastique” (fantasy, science- fiction, anticipation, dystopie…) ». La maison d’édition rassemble ici en sous-genres ce que la classification professionnelle distribue différemment (cf. figure 3) ou n’identifie pas en tant que tel (à savoir l’anticipation). La collection nivelle également des genres que le langage documentaire différencie rigoureusement : la classification CLIL définit ainsi le genre fantastique « par l’intrusion du surnaturel dans un récit autrement vraisemblable », la fantasy par « la magie et/ou des mondes imaginaires comme élément principal de l’intrigue, du thème ou du cadre », et la dystopie « comme une “utopie inversée”, un récit où une société “idéale” rend infernale la vie de ses concitoyens ». Ces écarts définitoires entre le discours documentaire et le discours éditorial mériteraient l’analyse approfondie des ouvrages répartis dans telle ou telle catégorie qui montrerait, par exemple, « une porosité beaucoup plus grande des frontières séparant fantastique et merveilleux de fantasy » (Besson, 2013, p. 10).

L’univers science-fiction — ou ce que l’on appelle les « littératures de l’imaginaire » (comme si toute œuvre littéraire n’était pas œuvre imaginaire) — constitue sans aucun doute l’une des facettes de l’offre éditoriale pour adoulescent ; il suffit, pour s’en assurer, de mener une enquête sauvage dans notre entourage ou de projeter notre tour d’horizon des collections jeunesse sur les classements des meilleures ventes établis par une enseigne comme la FNAC15. Or, ce genre vedette de la littérature jeunesse — relayé par les adaptations cinématographiques des ouvrages qui s’y réfèrent

— se révèlerait genré : selon une étude récente du Centre National du Livre, « les livres de SF sont les genres de romans les plus lus par les grands, surtout par les garçons (62 % des garçons lecteurs de romans et âgés de plus de 15 ans en lisent) »16. Faut-il en déduire que l’adoulescente adepte de ce type littérature favorise les ouvrages catalogués « Bit Lit », sous-catégorie du genre Fantasy17 ? Une enquête de réception auprès des jeunes lectrices, telle celle menée auprès de lecteurs et lectrices de mangas, montrerait peut-être que « choisir et afficher la lecture de tel ou tel genre permet de contribuer à élaborer son identité de genre » (Détrez, 2011, p. 34)18. S’inscrivant dans ce créneau, Black Moon « la collection des émotions fortes » (et de la série Twilight écrite par Stephenie Meyer) chez Hachette ou la collection Bit-Lit du label Milady aux éditions Bragelonne peuvent ici être mentionnées. Pourtant, hormis cette niche éditoriale, le genre science-fiction, tel qu’il apparaît dans la production jeunesse, semble échapper au marquage sexuel qui caractérise le domaine « Sentimental, Chick-lit » indiqué dans la classification CLIL à l’intérieur du thème « Fiction Adolescents, jeunes adultes » (cf. figure 3). Sous ce volet, qui regroupe « Romans sentimentaux » et « Romans écrits par des femmes pour des femmes », selon les définitions du langage documentaire, se dévoile sans doute la figure d’une adoulescente que les maisons d’édition tenteraient de cerner.

C’est ainsi que la « Bit Lit » — « romans sentimentaux évoquant des phénomènes paranormaux » selon la classification CLIL — pourrait faire le lien entre les deux piliers du Pôle fiction de Gallimard Jeunesse : en effet, « La collection de poche pour les adolescents et les jeunes adultes » s’articule autour de deux grandes catégories qui sont le genre « “Fantastique” » et « le genre “Filles” », qui se trouve développé à l’aide d’une série de mots-clés diversifiés « romance, évasion, humour, complexité des sentiments, romans d’apprentissage… ». On constate, à travers l’analyse croisée des catégories documentaires et éditoriales du genre science-fiction, la difficulté de statuer sur un net marquage sexuel de son lectorat ; des séries phénomènes comme Hunger Games de Suzanne Collins (chez Pocket Junior) ou Divergente de Veronica Roth (dans la collection Blast de Nathan), écrites par des femmes et mettant en scène une héroïne, sont au contraire la marque d’une indistinction des genres sexués dans le genre littéraire.

De la même manière que le Dico des filles chez Fleurus peut côtoyer le roman Coup de Talon des éditions Talents hauts dans la sélection des éditeurs pour les 11-14 ans19, il faut cependant, pour clore ce second parcours éditorial, à la fois observer la diversité de l’offre éditoriale jeunesse féminine et avancer la persistance d’une répartition sexuée de la production jeunesse. Suivant une structuration stéréotypée — du moins dans son affichage —, les maisons d’édition continuent de réserver une place à part aux lectrices. C’est le cas, par exemple, des éditions Nathan qui exhibent une catégorie « Romans filles » se déclinant en deux classes d’âge (« dès 12 ans » et « dès 14 ans »). Michel Lafon Jeunesse affirme également l’existence d’une production genrée à travers la catégorie « Girls only! » s’adressant aux lectrices de « 8 à 12 ans » ou de « 15 ans et plus ». Cette collection, qui héberge entre autres la série à succès Le journal d’Aurélie Laflamme et le livre de la YouTubeuse Natoo — personnalité célèbre du public adolescent —, côtoie celles d’« Aventure », de « Fantasy/SF », des « Romans » et des « Kids ». Aux éditions Albin Michel, c’est la collection Bliss qui cible très précisément « une fille gaie, pétillante, drôle, parfois complètement décalée ou très insolente. Une fille Bliss, qui aime rire et pleurer, être amoureuse et même craquer pour le petit copain de sa meilleure amie »… Ces dernières collections expliquent peut-être pour partie le constat selon lequel « les filles sont adeptes des histoires de famille et d’amour (38 % des lectrices de romans en lisent) »20. Les enquêtes à réception — avec toutes les limites qu’elles comportent — figent a posteriori une représentation des jeunes lecteurs et lectrices, le parcours éditorial que nous avons suivi à la recherche des adoulescents a davantage livré des hypothèses sur leur présence évanescente.

4. Conclusion

En conclusion, le voyage de recherche accompli a permis d’identifier des fragments identitaires de la figure adoulescente et de cerner l’univers éditorial qui lui est consacré. Tels des miroirs de sorcière, le discours documentaire et le discours éditorial ont renvoyé les images d’un sujet caractérisé par une jeunesse, sinon éternelle, du moins ductile. Ces parcours croisés entre métadiscours constituants (Courbières, 2010) et argumentaires des maisons d’édition ont aussi fait apparaître le genre au détour d’une définition ou d’une collection jeunesse. L’analyse conduite dans la première partie de cet article a en effet relevé à plusieurs reprises un traitement genré, entre autres par la subordination de la notion d’« Adolescente » à celle d’« Adolescent », ou par la valorisation du genre (littéraire) « Chick-lit ». La confrontation entre les deux types de discours a également mis en lumière les variations observées dans la délimitation de certains genres littéraires convoqués.

L’étude effectuée sur les présentations des collections à destination d’une éventuelle cible adoulescente a, dans un second temps, souligné la permanence d’un marquage sexuel dans la structuration de l’offre éditoriale jeunesse tout en pointant son brouillage, voire sa disparition, dans

les contenus mêmes qu’elle propose. Il conviendrait ici d’approfondir cette indistinction genrée du genre littéraire par une analyse serrée des romans proposés ; une autre piste serait de s’intéresser à la circulation transmédia des productions21 et à ses effets sur la (re)définition des jeunes lecteurs.
Car si la présence d’un cadre de classement stéréotypé continue de se manifester au sein même des argumentaires auxquels nous avons limité notre étude du discours éditorial, l’analyse du lectorat du dernier opus de J. K. Rowling22, 18 ans après la publication chez Gallimard Jeunesse du premier tome de sa saga, confirmerait sans doute qu’« Harry Potter est le livre préféré à la fois par les filles et les garçons et par toutes les tranches d’âge »23.

D’aucuns diront que notre sujet insaisissable relève in fine de ce que Naomi Klein nomme l’ado mondial, et nos adoulescents participent sans aucun doute à « tout cet exercice de marketing mondial » (Klein, 2002, p. 197) ; l’itinéraire mené dans cet article montre cependant qu’ils ne s’y réduisent pas. À l’image de la définition documentaire inachevée de l’adolescence que nous avons mise en avant, l’adoulescent, en échappant par essence à une catégorisation rigide, reste l’objet d’une quête à poursuivre.

Notes
  1. Source : http://www.sne.fr/enjeux/chiffres-­‐cles/#sne-­‐h-­‐2-­‐l%e2%80%99activite-­‐des-­‐maisons-­‐d%e2%80%99edition ↩︎
  2. http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/adulescent/10910375?q=adulescent#917117 ↩︎
  3. Ce prêtre spécialisé en psychiatrie sociale, et consulteur au Conseil pontifical pour la famille, est en effet accusé d’abus sexuels. Source: http://fr.radiovaticana.va/news/2016/05/14/affaire_anatrella le_dioc%C3%A8se_de_paris_r%C3%A9agit/12298 75 ↩︎
  4. Consultable en ligne à l’adresse : http://www.deslivrespourlajeunesse.fr ↩︎
  5. cf. Courbières, Caroline, 2010, 2011, 2013. ↩︎
  6. RAMEAU est le langage documentaire élaboré par la Bibliothèque Nationale de France (BnF) en relation avec le “Répertoire de vedettes-­‐matière” de l’Université Laval à Québec, et avec la liste de vedettes-­‐matière de la Bibliothèque du Congrès (Library of Congress Subject Headings). Il est disponible en ligne à partir du catalogue de la BnF: http://catalogue.bnf.fr/index.do ↩︎
  7. La version consultée est celle du 8 février 2016, correspondant à la classification thématique internationale THEMA et consultable en ligne à l’adresse : http://clil.centprod.com/listeActive.html ↩︎
  8. Source : Syndicat national de l’édition. Ce langage documentaire structure la base de données DILICOM (Distributeurs-­‐LIbraires-­‐COMmunication). ↩︎
  9. http://www.collinsdictionary.com/dictionary/english/teenager 10cf. liste du Corpus. ↩︎
  10. cf. liste du Corpus. ↩︎
  11. Source : http://eduscol.education.fr/cid60809/presentation.html ↩︎
  12. Source : http://eduscol.education.fr/cid60809/presentation.html ↩︎
  13. Cette tranche d’âge correspond aux ouvrages indiqués par le ministère de l’Éducation nationale pour les niveaux de classe 4e et 3e. ↩︎
  14. La classification Thèmes CLIL mentionne également Jules Verne dans la définition du genre «Science-­‐fiction». (« L’inventeur du genre étant Jules Verne, dont les récits exploitent des avancées scientifiques permettant à ses personnages de s’engager dans des aventures »). ↩︎
  15. cf. «Meilleures ventes Ados et jeunes adultes FNAC» : http://livre.fnac.com/l313596/Meilleures-­‐ventes-­‐Ados-­‐et-­‐ jeunes-­‐adultes/Livre-­‐Ados-­‐et-­‐Young-­‐adults/Livre-­‐Jeunesse ↩︎
  16. Source : ©Ipsos – Les jeunes et la lecture – Pour le CNL (Centre national du livre). Les jeunes et la lecture : Synthèse, 28 juin 2016. Disponible en ligne : http://wwwcentrenationaldulivre.fr/en/ressources/etudes_rapports_et_chiffres ↩︎
  17. Selon la classification Thèmes CLIL, «la fantasy contemporaine se distingue de la Bit Lit, par le fait que l’intrigue n’est pas centrée sur la romance des personnages principaux». ↩︎
  18. Détrez, Christine. «Les adolescents et la lecture, quinze ans après». Bulletin des bibliothèques de France, 2011, n° 5, 32-­‐35. Disponible en ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-­‐2011-­‐05-­‐0032-­‐005. ISSN 1292-­‐8399. ↩︎
  19. Source : http://www.deslivrespourlajeunesse.fr/11-­‐14-­‐ans ↩︎
  20. ©Ipsos – Les jeunes et la lecture – Pour le CNL (Centre national du livre), ibid. ↩︎
  21. Voir à ce sujet les travaux du chercheur américain Henry Jenkins. ↩︎
  22. Rowling J. K., Tiffany J & Thorne J., Harry Potter et l’enfant maudit, Paris, Gallimard Jeunesse, 2016. ↩︎
  23. ©Ipsos – Les jeunes et la lecture – Pour le CNL (Centre national du livre), ibid. ↩︎
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