Dans la continuité des travaux sur les biographies langagières en didactique des langues, trois chercheuses-formatrices ont mis en place une démarche d’autobiographie langagière culturelle et créative (ABLCC), dont le caractère spécifique repose sur le travail multimodal et créatif pour réfléchir à son rapport aux langues et aux cultures. Les résultats de cette étude décrivent la démarche d’ABLCC réalisée dans le cadre de la formation à l’enseignement dans une université québécoise. Cet article illustre les étapes de sa mise en œuvre et décrit la place de la multimodalité dans cette démarche. L’étude met en évidence les représentations des personnes participantes qui peuvent créer des obstacles à l’expression orale et artistique, ainsi que le rôle facilitant de la multimodalité dans le processus au regard du rapport à la langue et à la culture.
Following on from the work on language biographies in language teaching, three teacher-researchers have set up an approach to cultural and creative language autobiography, the specific character of which is based on the interweaving of reflective work with multimodal and creative work on their relationship with languages and cultures. The results of this study describe the approach to cultural and creative language autobiography done in teacher training at a Quebec university. This article illustrates the steps involved in implementing an approach to cultural and creative language autobiography and describes the place of multimodality in this process. The study highlights the participants’ representations, which can create obstacles to oral and artistic expression, as well as the facilitating role of multimodality in the process regarding the relationship to language and culture.
Dans le domaine de la didactique des langues, on utilise depuis longtemps l’autobiographie langagière. On peut penser aux travaux de Richterich et Chancerel (1977), qui proposaient la « biographie langagière » comme outil d’autoévaluation pour identifier les besoins des adultes apprenant une langue étrangère. Depuis, il existe une terminologie abondante pour nommer les autobiographies langagières en didactique des langues : « (auto)biographie langagière » (Fillol, 2016), « autobiographies de chercheur·se·s, lecteur·ice·s, scripteur·ice·s » (Shawky-Milcent et al., 2020), « biographie culturelle » (Radhouane, 2021) ou « portraits de langues » (Farmer, 2022). Ce foisonnement terminologique est significatif de la diversité des démarches, des contextes formatifs et des positionnements épistémologiques. Dans cet article, nous retenons le terme « autobiographie », car il s’agit d’« un récit rétrospectif en projet qu’une personne fait de sa propre vie quand elle met l’accent sur l’histoire de sa personnalité » (Lejeune, 2010, p. 14). En plus de sa diversité terminologique, l’autobiographie langagière peut avoir différentes finalités. La recension de Molinié (2019) dégage différentes finalités dont celle de permettre à toute personne apprenante de biographier son plurilinguisme, de la rendre consciente des éléments formateurs de sa trajectoire plurilingue et interculturelle et de faire de cette conscientisation un vecteur de développement de son identité professionnelle. Les autobiographies ont été utilisées de l’école maternelle à l’université et ont pris différentes formes à travers l’histoire, passant d’écrits biographiques (Berlou et Dompmartin, 2021), à des formes multimodales, multisensorielles (Dinvaut, 2014) et artistiques (De Dominicis, 2006 ; Fillol et al., 2019 ; Farmer, 2022).
Notre étude menée en 2023 durant un trimestre universitaire porte sur la place de la création multimodale dans la démarche de réalisation d’autobiographies langagières lors de la formation universitaire en enseignement offerte dans une université du Québec. Ce projet corrobore l’analyse de Perregaux (2002), qui souligne que les autobiographies langagières s’inscrivent dans une vision holistique de l’histoire langagière et culturelle vécue. Certes, la démarche ne rend visible qu’une partie du travail de conscientisation réalisé puisque la personne décide de nommer ou de taire certaines dimensions de son histoire en fonction des circonstances qui font sens pour elle, et ce, en fonction du contexte socioculturel et politique. Perregaux (2002) précise que la mise en lumière ou en ombre peut se modifier en fonction de la situation même dans laquelle la démarche biographique est menée. Le moment et le contexte influencent les récits dans les autobiographies langagières. Par conséquent, il importe de souligner quelques caractéristiques spécifiques du contexte sociolinguistique de la présente recherche.
Le territoire appelé aujourd’hui Canada a toujours été multilingue. Avant l’arrivée des colons en Amérique, il y avait plus de 50 langues autochtones parlées sur le territoire. Aujourd’hui, la grande majorité de ces langues sont menacées et plusieurs initiatives de revitalisation et de transmission des langues autochtones existent partout au pays. Les populations autochtones représentent environ 5 % de la population canadienne, soit environ 1,8 million de personnes. Depuis 2015, le génocide culturel ayant mené à cette perte linguistique et culturelle fait partie de l’histoire enseignée dans les écoles et les universités canadiennes. Considérant ce contexte, certaines personnes autochtones pourraient décider de nommer ou taire dans leur autobiographie langagière et culturelle certaines violences linguistiques vécues. La décolonisation du système éducatif est donc d’actualité au Canada, pays qui demeure multilingue et au sein duquel les populations autochtones, immigrantes, anglophones et francophones cohabitent. Par sa situation géographique en Amérique du Nord, l’anglais demeure toutefois la langue majoritaire au Canada. Le Québec est la seule province canadienne qui n’a que le français comme langue officielle. La langue française est également la langue d’enseignement de l’école primaire à l’université dans la grande majorité des institutions de cette province. Plusieurs politiques, comme la loi 101, protègent la langue et la culture québécoises.
Dans les programmes de formation à l’enseignement, la maitrise de la langue française et la médiation d’éléments de culture sont les deux « compétences fondatrices » indispensables à la profession (Gouvernement du Québec, 2020, p. 47). D’après le Référentiel de compétences pour la profession enseignante, l’une des compétences langagières et culturelles est de savoir « porter un regard critique sur ses propres origines et ses pratiques culturelles, en reconnaitre les potentialités et les limites, et trouver des moyens de les enrichir » (p. 49). Dans cette perspective, il apparait cohérent de faire réfléchir les personnes étudiantes inscrites à la formation à l’enseignement à leur rapport aux langues et aux cultures.
Le contexte sociolangagier multilingue, les enjeux de décolonisation et le référentiel de compétences professionnelles au Québec suggèrent également un travail réflexif sur le rapport aux langues et aux cultures chez les personnes étudiantes en formation à l’enseignement. Afin de contribuer à la mise en place d’un tel travail réflexif, nous avons proposé une démarche réflexive et créative mettant leur parcours au premier plan à l’aide d’une approche multimodale. Ainsi, notre recherche avait pour objectif de concevoir et mettre en œuvre une démarche réflexive pour permettre aux personnes étudiantes de réfléchir à leur rapport aux langues et à la culture en mobilisant l’expression multimodale. Cet article illustre la mise en œuvre de la démarche réflexive en contexte de formation universitaire et décrit la place de la multimodalité dans cette démarche. Les résultats indiquent les avantages et les limites des ABLCC en contexte de formation universitaire en enseignement, et offrent en même temps diverses pistes pour des recherches futures.
Notre étude se base sur l’expérience vécue et décrite par la personne elle-même sur son rapport à la langue et à la culture dans des cours de didactique du français et des arts ; conséquemment nous avons initialement intitulé notre démarche « autobiographie langagière et culturelle ». Comme nous avons convoqué, lors de la démarche réflexive, plusieurs éléments de culture intégrant une approche de création multimodale, nous retenons l’expression « autobiographie langagière culturelle créative » et l’acronyme (ABLCC), correspondant parfaitement à la démarche proposée et présentée ci-après.
Nous partageons la conception de Galligani (2014) qui soutient que cette démarche est plus qu’un travail universitaire et qui considère « la biographie langagière comme lieu de compréhension des phénomènes langagiers et des enjeux identitaires […] comme une sorte d’outil-démarche » (p. 220). Toutefois, le terme « outil » est de plus en plus délaissé à cause de sa connotation technique, le terme « démarche » traduisant mieux l’importance de la relation humaine, la dimension sensible de l’autobiographie langagière et culturelle. Shawky-Milcent et ses collaborateurs (2020) soulignent l’importance des autobiographies pour dépasser les approches prescriptives afin de comprendre l’expérience du sujet lecteur-scripteur en contexte universitaire. Dans leur ouvrage, ils évoquent la réflexion de Ricoeur (1990) sur l’identité narrative à savoir la dimension (trans)formatrice de la mise en récit de l’expérience du sujet pour forger un sens à son existence. Ainsi, l’autobiographie langagière et culturelle est considérée comme une démarche narrative de conscientisation qu’une personne réalise sur la portée identitaire et professionnelle des différentes dimensions (cognitives, affectives, sociales praxéologiques) de son répertoire langagier et culturel. Effectivement, le travail de conscientisation du rapport à la langue/aux langues (Barré-De Miniac, 2015 ; Colognesi et al., 2023) et aux cultures (Falardeau et Simard, 2007) est visé dans cette démarche. Des liens étroits entre la langue et la culture permettent au sujet de mettre en mots son identité langagière et culturelle dans une même trame narrative : « la biographie langagière repose sur la capacité de l’individu à relater les éléments constitutifs de son expérience dans les domaines linguistiques et culturels » (Molinié, 2006, p. 8). Tout comme Molinié, nous avons placé au centre de notre démarche les liens langagiers et culturels durant la réflexion et l’expression créative des personnes participantes.
Une autre appellation repérée dans la littérature – la « biographie culturelle » (Radhouane, 2021) – et qui se réfère aux origines culturelles, nous a permis d’enrichir notre étude où le travail de conscientisation se rapporte à la fois à la culture au sens ethnographique qu’au sens de culture seconde (Dumont, 2005). Pour mobiliser le processus de conscientisation sur leurs origines culturelles, leurs langues, leurs repères culturels, artistiques et langagiers, il nous paraissait cohérent de mobiliser la dimension créative multimodale. Des artistes contemporains (p. ex. : Christian Boltanski, Joseph Cornell, Claes Oldenburg) ont servi de sources d’inspiration pour représenter symboliquement leur rapport aux langues et à la culture. Ces artistes ont tous travaillé la boite comme espace de conservation du temps. Par exemple, Cornell (1948) enferme le souvenir d’enfance dans une boite avec des objets dont l’usure est évidente proposant un espace émotionnel dans lequel l’observateur·trice peut faire des associations à son rapport à la langue et la culture.
Prioriser une approche multimodale pour la mise en œuvre de l’ABLCC en contexte de formation universitaire québécoise s’aligne avec les prescriptions ministérielles, qui intègrent la créativité en tant que compétence transversale (Gouvernement du Québec, 2006). Fondée sur la créativité – perçue à la fois comme capacité et comme attitude d’un individu engagé dans un processus de production originale d’idées ou d’objets (Morel, 2011) –, et au-delà de son lien systématique aux contenus ou aux pratiques numériques (Brunel et Lemieux 2022), la multimodalité est définie comme la « conjugaison d’au moins deux modes sémiotiques dans la production/émission/réception/compréhension d’un message » (Lebrun et al., 2013, n.p.). Cette combinaison de plusieurs modes vise la construction du sens (Richard, 2015), ce qui correspond parfaitement à notre démarche d’autobiographie langagière qui, en plus de convoquer la dimension sensorielle, s’enrichit par une dimension créative en faisant appel à l’expression artistique. À cet égard, Razafimandimbimanana et ses collaborateurs (2021) expliquent que l’autobiographie langagière peut être pluriartistique en convoquant plusieurs formes d’expressions artistiques (artisanats, arts plastiques, musique, photographie, théâtre, graphisme, danse, slam). Par ce fait, le caractère plurisensoriel et pluriartistique s’est ajouté récemment aux démarches d’autobiographie langagière, intégrant la création à la démarche. Ainsi, la créativité et la réflexivité vont de pair (Capron Puozzo et Wentzel, 2016) et permettent de « mettre en synergie deux compétences nécessaires aux professionnels de l’enseignement » (p. 38).
En somme, l’ABLCC peut être caractérisée comme une démarche réflexive qui exige une implication créative. Lorsqu’elle mobilise plusieurs formes d’expression, on peut la définir comme démarche multimodale. Elle permet d’initier ou de présenter symboliquement le processus de conscientisation de son rapport aux langues et aux cultures, ainsi que l’appropriation de nouvelles connaissances et de nouvelles pratiques langagières et culturelles.
Cette étude suit une méthodologie de recherche-action-formation (RAF). Cette méthodologie se caractérise par le fait qu’elle trouve son ancrage dans des préoccupations de formation et donc, de production de connaissances pertinentes à un certain champ de pratique professionnelle (en l’occurrence, la formation en didactique des langues). Pour Dolbec et Prud’homme (2009), ce processus repose sur trois pôles que nous avons adaptés à notre projet : 1) le pôle Recherche, associé « au processus méthodologique assurant la rigueur pour accompagner et documenter l’action vers le changement, permettant ainsi d’assurer la scientificité des savoirs expérientiels » (p. 216) ; 2) le pôle Action, correspondant aux actions entreprises par l’équipe de recherche afin de modifier la situation en mettant en œuvre l’ABLCC pour une première fois ; 3) le pôle Formation, représentant les apprentissages que les personnes participantes réalisent.
À la session d’automne 2023 (soit durant quatre mois, de septembre à décembre), en tant que chercheuses et formatrices en didactique du français et des arts, nous avons mis en place une démarche commune suivant le même protocole de recherche et les mêmes consignes pour réaliser une ABLCC avec une cohorte de personnes étudiantes. Lors de leur premier trimestre de formation à l’enseignement préscolaire et primaire, 109 personnes étudiantes inscrites à la formation initiale ont accepté de fournir leur ABLCC à des fins de recherche. Dans le cadre de leurs cours en didactique du français et des arts, les personnes étudiantes avaient à réaliser une ABLCC qui prenait la forme d’une boite comme objet d’art (voir Figure 2). Inspiré des artistes contemporains qui réalisent des créations sous forme de boites – composées souvent d’objets trouvés et d’images diverses, assemblés dans de curieux amalgames –, parfois des boites à vocation poétique, invoquant mémoire, souvenir et mythologie personnelle (voir les œuvres de Christian Boltanski, de Joseph Cornell et de Claes Oldenburg), le projet visait à solliciter leur créativité pour représenter symboliquement leur rapport aux langues et à la culture. Le processus de création, élaboré selon une approche multimodale, comprenait donc la production d’un objet d’art (la boite) accompagné systématiquement d’écrits et d’oraux réflexifs sur leur rapport aux langues et aux cultures.
La collecte des données a été réalisée au moyen de trois outils distincts : des artéfacts issus de l’ABLCC, deux entretiens semi-dirigés de groupe avec huit personnes étudiantes et les journaux de bord des deux personnes formatrices. Les artéfacts, en tant que données qualitatives, jouent un rôle important dans l’analyse des phénomènes sociaux et humains. Ils constituent des formes de données visuelles ou matérielles qui enrichissent la compréhension des contextes étudiés (Minion, 2023).
Les artéfacts constitutifs du corpus des données sont la création personnelle multimodale et les écrits et oraux réflexifs qui complètent cette création. Chaque personne étudiante a créé un objet d’art multimodal intitulé Boite langagière et culturelle (Figure 2), qui se construisait au fil de la session, de septembre à décembre. Chacune de ces créations représentant symboliquement ou métaphoriquement le rapport des personnes participantes aux langues et à la culture, a été photographiée. À cette série d’artéfacts, s’ajoutent des traces écrites et orales des personnes participantes (trois moments d’écriture en cours de didactique des arts plastiques, un moment d’écriture d’une lettre à soi-même à la fin de la session en cours de didactique du français et un oral réflexif au début de ce même cours). Ces artéfacts constituent des données permettant à la fois de décrire la démarche de l’ABLCC tout en analysant la place de la multimodalité.
Les entretiens de groupe semi-dirigés ont été réalisés auprès de huit personnes étudiantes volontaires ayant vécu la démarche de l’ABLCC. Les personnes enseignantes ont colligé les données de ces entretiens, qui ont ensuite été soumises au codage aux fins de cette recherche. Les résultats obtenus lors de leur traitement nous ont permis de mieux cerner les points forts, mais aussi les limites de notre démarche.
Ce corpus de données collectées auprès des personnes étudiantes a été complété par les notes sur les échanges oraux tout au long du processus. Consignées par les personnes enseignantes dans leurs journaux de bord, ces données servaient à la validation et à l’explication plus en détails des résultats (Van der Maren, 2004). Tous ces éléments ont contribué à l’étape de triangulation des données, qui sert à combiner plusieurs indicateurs pour « se faire une idée valable » (Van der Maren, 2004, p. 381).
Pour le traitement des données, nous avons eu recours à l’analyse thématique. Cette méthode met en évidence des thèmes représentatifs du corpus des données obtenues (Braun et Clarke, 2006). Réalisée à l’aide du logiciel NVivo, qui permet « une analyse efficace et uniforme du corpus » (Paillé et Mucchielli, 2012, p. 237), cette analyse thématique a permis de faire ressortir chacune des étapes de la démarche ainsi que les forces et les limites de l’ABLCC telles que perçues par les personnes formatrices et les personnes étudiantes.
Après avoir présenté les assises théoriques et méthodologiques, nous élaborerons sur les actions entreprises par l’équipe de recherche afin de mettre en œuvre l’ABLCC pour une première fois, ainsi que sur les apprentissages des personnes participantes. Avant d’exposer les résultats, nous donnerons un aperçu global de la démarche, pour ensuite discuter des points forts et des limites de chacune des étapes, selon les personnes participantes.
Différentes techniques (photographie, dessin, collage, poésie, etc.) ont pu être utilisées lors de la création de La boite langagière et culturelle. Comme il a été mentionné, la réalisation de cet objet d’art a été accompagnée des différents écrits et oraux réflexifs, individuels et collectifs. À la fin de ce processus, les personnes étudiantes ont été invitées à donner un titre à leur œuvre et à écrire une lettre à eux-mêmes pour réfléchir à la façon dont, à leurs yeux, leurs compétences langagières s’étaient développées. Cette lettre constituait un écrit réflexif multimodal à plusieurs égards. Elle inclut entre autres une représentation visuelle symbolique de la démarche de l’ABLCC. L’intention était de dépasser, par cette approche réflexive, l’outil d’évaluation ponctuel pour mettre en œuvre une démarche réflexive en construction comportant plusieurs moments et modalités pour réfléchir à son rapport à la langue et à la culture. Nous retenons l’exemple de Béthany pour donner un aperçu de la démarche (Figure 1). Cette participante conçoit la démarche de l’ABLCC comme une « chasse aux trésors », un cheminement qui exige des moments d’arrêts pour partager, écouter, s’ouvrir, etc. Cette image représente parfaitement, à notre avis, la démarche de l’ABLCC telle que nous l’avons mise en place dans notre projet, et nous nous en servirons pour la description des points forts et des limites de ses diverses étapes.

La représentation de Béthany montre les différents temps d’arrêt que permet le processus de l’ABLCC. Cette représentation illustre ce parcours qui invite à la réflexion aux différentes étapes de mise en mots et en images du rapport de Béthany aux langues et à la culture. L’expression créative, requise à chacun de ces arrêts, favorise l’émancipation de la personne étudiante en lui permettant de passer d’un rôle passif à une posture active. Comme le précise Fabre (2017), l’organisation par productions multimodales successives offre à la personne étudiante de développer graduellement un rapport plus positif face à la langue et la culture parce qu’elle a toujours suffisamment de ressources pour répondre aux incitations qui lui sont faites. Cette organisation renforce la conscience d’une possibilité d’agir, fait advenir un « sujet capable » (Rabardel et Pastré, 2005) au moyen de la création, ce qui était justement l’objectif de notre projet.
| Étape | Description | |
| 1 | Accueillir les résistances | Considération pour les questionnements, les incertitudes et les inconforts comme levier de transformation |
| 2 | Présenter symboliquement le répertoire langagier et culturel | Représentations multimodales créatives et écrits réflexifs sur son histoire avec les langues et les cultures |
| 3 | Former par les arts dans une approche multimodale | Expériences culturelles multimodales pour accéder au sensible et réfléchir à son rapport aux langues et aux cultures |
| 4 | Partager son rapport aux langues et à la culture | Importance de l’écoute et de la résonance des autres permet cette légitimation de soi et des autres. |
| 5 | Construire son répertoire didactique | Passage de l’expérience personnelle de l’ABLCC à l’expérience professionnelle |
Au début de la démarche, comme l’indiquent les points d’interrogation sur la représentation de Béthany (Figure 1), le premier arrêt inclut des questionnements, des incertitudes, des inconforts. Fabre (2017) identifie ces réactions comme étant nécessaires au passage à la posture d’auteur·rice :
Un auteur se forme dans ce parcours, par la tension entre les consignes, les œuvres et le sujet incertain de lui-même. Les ateliers d’écriture et les ateliers d’arts plastiques apparaissent donc comme des voies différentes et complémentaires pour un accès à l’écriture, dans une visée de réassurance face à l’insécurité que génère toute écriture et pour l’affirmation d’une posture – l’auteur étant celui qui s’autorise à dire, écrire, ou produire, quel que soit le médium. (p. 6)
Par ailleurs, les études de Fillol et al. (2019) sur l’analyse des « effets » de la place accordée à la créativité pour la réalisation des autobiographies langagières dégagent quatre étapes « transformatives » où se succèdent une phase de déstabilisation, d’autodiagnostic, de conscientisation et enfin, d’agentivité. Ces chercheuses expliquent que la phase de déstabilisation fait en sorte que l’on confronte les certitudes par un conflit cognitif en rendant malléable les présupposés, les conditionnements et les représentations sociales à l’égard du rapport aux langues. Nos résultats indiquent que les résistances se situent au niveau de « la norme » langagière et esthétique.
Ce type d’enjeux relatifs à « la norme » de la langue écrite et orale, ainsi que sur celle de la « beauté » de l’objet d’art (la boite) constituent un élément auquel il a fallu s’attarder lors de la mise en place de la démarche de l’ABLCC. Notre projet a montré la nécessité pour les formatrices de se positionner – lors des différents moments de réalisation de l’ABLCC – sur la place de l’évaluation par rapport à la norme universitaire et à la voix personnelle de la personne étudiante. Certains moments d’écriture ou de prises de parole resteront ainsi formatifs et visent à diminuer l’insécurité linguistique. Expliciter les critères d’évaluation de la langue, et ce, dans les différentes productions de l’ABLCC, est centrale pour atténuer l’inconfort que vivent les personnes étudiantes. Ainsi, les formatrices choisissent parfois de ne pas s’attarder à la forme normative de la langue, tandis qu’à d’autres moments, elles utilisent les attentes professionnelles quant à la maitrise de la langue. Les critères d’évaluation retenus se centrent plutôt sur le niveau d’engagement dans la démarche et sur la qualité de l’analyse réflexive. Quant au volet « arts plastiques » de notre recherche, l’idée de la « beauté » (perçue encore trop souvent comme une qualité obligatoire de toute création [Morel, 2024]) a pu en déstabiliser plus d’un. La nécessité pour une production artistique d’être soigneusement exécutée, agréable à regarder et compréhensible reste l’une des idées les plus tenaces dans le milieu étudiant à l’enseignement préscolaire et primaire.
Notons que cette insécurité comme partie intégrante de la démarche suscite l’engagement mutuel des personnes formatrices et étudiantes dans cette prise de risque, tout en créant une cohésion dans le groupe. Il est donc important d’être clair dans le contrat didactique tout en laissant un maximum d’ouverture face aux résistances. Or, si, dans le cadre de notre recherche, l’objet d’art a été présenté en référence aux repères culturels d’artistes, cela n’a pas suffi pour rassurer les personnes participantes. La formatrice en didactique des arts rapporte des réticences de la part des personnes étudiantes en lien avec le fait que plusieurs d’entre elles sont insécures face à leurs compétences artistiques. Tout d’abord, il s’agit de la réticence à l’égard de l’art contemporain qui, à l’opposition de l’art classique, ne se soucie pas de la fidélité au monde réel ni du respect des règles académiques (Morel, 2024) : les créations artistiques présentées ont sorti le public participant de leur zone de confort en matière de « beauté » d’une œuvre d’art, de grande qualité technique, et d’accessibilité. Ensuite, procéder à une création en respectant plusieurs étapes (Gosselin et al., 1998), tel que nous l’avons proposé, alors que les arts plastiques sont encore trop souvent associés à un résultat immédiat où l’on obtient un objet « soigneusement fabriqué, fini, bon à être exposé, démontrant une habileté technique » (Morel, 2024, p. 160), nous avait contraint à un long travail visant à défaire ces idées préconçues chez les personnes participantes. Dans leur premier écrit réflexif, seulement 18 personnes participantes mentionnent utiliser l’art pour réfléchir ou exprimer leurs émotions, comme Koralie : « Le dessin était une façon pour moi d’exprimer mes émotions et de communiquer mes pensées. ». Ainsi, la grande majorité des personnes participantes ont plutôt vécu initialement une réticence à ajouter l’art dans le processus de l’ABLCC, comme l’explique Félicia : « Je n’avais pas vraiment accès à l’art, ce n’était donc pas un moyen d’expression pour moi. À cause de cela, je regardais beaucoup les autres, ce qu’ils faisaient, pour m’inspirer ». Dès lors, nous avons constaté que, en plus d’être un vecteur du processus créatif, les résistances demeurent essentielles pour l’apprentissage et la construction de nouveaux savoirs. Nous avons également noté que, pour diminuer la tension liée aux dissonances par rapport aux œuvres d’art présentées, un travail en amont sur le paradigme de l’art contemporain est nécessaire.
Ce second moment d’arrêt que nous pouvons observer dans la création de Béthany (Figure 1) représente le moment de la réponse visuelle, textuelle et oralisée de son répertoire langagier et culturel. Parmi les 109 personnes participantes, 51 préfèrent initier ce mouvement réflexif par l’écriture, 49 par l’oral et 9 n’ont pas de préférence entre l’oral ou l’écrit. Dans notre étude, les personnes étudiantes devaient réfléchir à un ensemble de questions sur les dimensions affectives, sociales et personnelles de leur rapport aux langues et aux cultures, notamment : quels sont les facteurs ayant contribué à mes compétences langagières ? Quelles langues sont/étaient parlées dans ma famille ? À quoi ressemble mon parcours personnel dans la vie culturelle ? Elles avaient à choisir des objets, des représentations visuelles (collages, dessins, images) et des mots pour illustrer leur rapport aux langues et aux cultures sur une boite (Figure 2). Ces créations étaient accompagnées d’un oral réflexif formatif présenté en sous-groupes de pairs, moment suivi d’un écrit réflexif remis ultérieurement à la formatrice. Comme l’explique l’étudiante Mika : « l’ABLCC1, cette « fouille archéologique » est
surtout des manières d’objectiver la palette des langues que possède une personne, une forme de construction de soi, de son rapport à la diversité du monde, sans lequel les langues ont un rôle essentiel car elles sont à la fois porteuses, reproductrices et créatrices de visions différentes du monde, que ces visions se confrontent, s’affrontent, entrent parfois en conflit pour ‘fabriquer’ un sujet singulier… (Blondeau et al., 2012, p. 2)

Dans ses écrits réflexifs en didactique des arts, Julie explique son répertoire langagier et culturel dans son ABLCC :
J’ai mis ce toutou de St-Valentin, car mon histoire avec la langue c’est une histoire d’amour. Lors de la création de ma boite, je suis restée figée, à me demander : « c’est quoi ma culture ? », c’était le néant. […]. Je suis née sur la Côte-Nord du Québec, dans une famille ordinaire de « bleuets » du Lac-St-Jean, alors 100 % francophone avec un accent typique du Saguenay. Mes parents étaient de fervents militants pour la loi 101 « Un Québec francophone ». C’est par le biais de la télévision que j’ai découvert davantage le monde dans lequel je vivais, je dirais que [l’émission de télévision] Passe-Partout a été important[e] dans mon développement culturel et m’a donné le goût de dessiner, de bricoler, de chanter et [de] découvrir le monde. Les années 1980 et 1990, j’ai vécu une adolescence éblouie par la musique pop, le cinéma et les sorties en salles de centaines de films américains qui sont devenus des classiques de ma culture. […] À l’âge adulte j’ai vécu un réveil culturel, je suis déménagée à Montréal. Je me suis fait des amis de milieux culturels différents, c’est à travers ces différences observables que j’ai réalisé la diversité culturelle et du coup, que j’avais moi-même une certaine culture. J’ai voyagé, j’ai appris d’autres langues (au grand dam de mon père) et j’ai pu apprécier toute cette diversité. (Julie)
Cet exemple montre que la mise en texte et en images constitue un temps d’arrêt nécessaire à l’étape de conscientisation pour réfléchir aux déterminismes sociaux, politiques et culturels et aux idéologies sous-jacentes reçues en héritage. Thérèse, dans son écrit réflexif, précise l’importance de la création artistique pour l’approfondissement de sa pensée : « L’art me pousse à réfléchir de manière plus approfondie sur mon identité et développer une compréhension plus nuancée du monde. Pour moi, mon rapport à la culture s’exprime majoritairement au travers ma vision de l’art ». La phase de la représentation symbolique du répertoire langagier et culturel nécessite de prendre de la hauteur sur son parcours langagier et culturel en acceptant de parler de honte, de culpabilité, d’insécurité linguistique, de ses compétences langagières pour dégager du sens par le sensible. Enfin, l’agentivité permet de s’autoriser à être créatifs et à légitimer son répertoire et son historicité langagiers et culturels dans la sphère sociale et professionnelle.
Une formation par les arts permet des rencontres avec des artistes et des visites culturelles. Dans cette étude, plusieurs rencontres ont eu lieu (une visite d’une exposition au musée, une autre à la galerie d’art de l’université, une activité de découverte in situ du patrimoine d’art public du campus, une sortie au théâtre, l’écoute de conteurs autochtones sous le shaputuan2, la mise en voix de marionnettes, etc.). Ces rencontres artistiques ont permis aux personnes étudiantes de s’ouvrir sur d’autres réalités. Rachelle affirme d’ailleurs : « J’ai vraiment aimé lorsque les personnes des Premières Nations sont venues nous parler de leur vie et de leur communauté. J’ai vraiment trouvé cela enrichissant. Cela m’a permis de m’ouvrir et de montrer de l’empathie envers eux. » Ce type de témoignage confirme que la connexion de l’individu au champ du sensible lui offre des nouvelles voies d’évolution dans ses relations avec les autres (Morel, 2022) : l’art déconstruit les préjugés, il apprend la convivialité, il développe la flexibilité de la pensée, ce qui favorise l’acceptation des différences. L’exploration artistique permet également de prendre de la hauteur sur son expérience personnelle, d’oser à se confronter aux divers défis, en faisant face à des insécurités : « J’ai aimé le cours [la séance] avec les marionnettes, car celles-ci me permettent de modifier ma voix en me cachant derrière elles. Ainsi, j’ai moins peur du ridicule et je peux me laisser aller » (Hélène). Le troisième arrêt indiqué par des points d’exclamation dans la Figure 1 témoigne de ses découvertes et de l’ouverture qu’elles suscitent chez elle. Kelly-Anne, quant à elle, constate avec étonnement : « Ça [l’ABLCC] m’a fait réaliser que c’est plus facile que je pensais d’intégrer la culture aux jeunes. Il y a énormément de moyens ». En somme, la diversité des expériences artistiques vécues durant la démarche de l’ABLCC permet aux personnes étudiantes de découvrir de nouvelles formes artistiques, d’accéder à de nouvelles expériences sensibles et de réfléchir à l’impact de leurs expériences culturelles sur leur profession.
Plusieurs expériences créatives ont été proposées et ont suscité des prises de conscience, mais les personnes rapportent tout de même une certaine discontinuité dans le processus de création de la boite langagière et culturelle associé à l’ABLCC. Gaëlle formule un conseil : « On nous en a parlé (de la boite) au cours 1-2. Après je l’ai complètement oubliée. Je n’ai pas eu l’impression qu’il y a eu un cheminement sur l’objet […] j’aurais aimé ça prendre 10 minutes par cours pour écrire ou garder une trace de notre évolution au cours de la session ». On retient que garder des traces visuelles, orales ou écrites des expériences créatives faciliterait les liens avec l’objet d’art de l’ABLCC.
Le partage avec les autres requiert des mises en pratique étayées. Dans notre cas, les personnes étudiantes ont été invitées – tout au long de la démarche d’ABLCC – à mettre leurs pensées en mots à l’oral et ensuite à l’écrit. Elles ont présenté leurs réflexions en dyade et ensuite en petits groupes devant la classe, avant de les partager devant l’ensemble des personnes étudiantes, puis publiquement. Pour chacune de ces formes de partage, la formatrice a pris part aux échanges à titre de participante. Comme le précise De Dominicis (2006) au sujet de la mise en voix de son autobiographie langagière et de l’écoute de celle des autres, « [l’étudiant] perçoit alors l’intérêt que l’on porte à sa production. En écoutant la lecture des autres participants, il prend conscience de la richesse de l’imaginaire de chacun » (p. 20).
Ces différents moments d’écoute et de mise en voix tout au long des phases de la démarche permettent cette mise à distance grâce à l’écoute des parcours des autres. À ce propos, Fabre (2017) parle d’un « laboratoire commun » facilitant le partage de l’inconnu, ainsi que de l’intensité de l’expérience de créations artistiques et langagières. L’importance de l’écoute et de la résonance des autres permet cette légitimation de soi.
En plus du partage de l’ABLCC à leurs collègues et à la formatrice, les personnes étudiantes ont rédigé une lettre dont elles étaient elles-mêmes les destinataires (lettre que les formatrices leur remettront à la fin de leur parcours universitaire afin que leur réflexion sur leur rapport aux langues et aux cultures se poursuive). Dans cette lettre, les personnes étudiantes devaient écrire automatiquement 10 mots en lien avec leur ABLCC et étaient ensuite invitées à trouver un titre pour leur œuvre en inventant un nouveau mot à l’aide de parties des mots choisis (lettres, syllabes, sons). Ils devaient également expliquer le sens de ce titre. Une étudiante le justifie en affirmant « J’ai choisi ce titre, “Tentassurance”, car j’ai besoin d’assurance et de compétence pour être un bon modèle langagier, car la langue c’est important. Je trouve que le titre vient ajouter un petit quelque chose à mon œuvre qui représente mon bagage culturel » (Indie).
La lettre à soi-même, en plus de résumer les perceptions sur le rapport des personnes participantes à la langue et à la culture à la fin du projet, avait comme objectif de les amener à se projeter dans l’avenir en les faisant réfléchir à la démarche d’ABLCC dans leur profession. Cicurel (2002) soutient que
le répertoire didactique [est] un ensemble hétéroclite de modèles de savoirs, de situations sur lesquels un enseignant s’appuie. Ce répertoire se constitue au fil des rencontres avec divers modèles (un professeur que l’on a connu, par exemple), par la formation académique et pédagogique, par l’expérience d’enseignement, qui elle-même modifie le répertoire. (p. 9)
Nous nous sommes interrogées à savoir si les personnes participantes établissent des liens entre l’expérience personnelle et l’exercice de leur profession. Lors des entretiens, l’ensemble des huit personnes ont précisé, par elles-mêmes, la pertinence de la démarche pour leur profession. Pour Erina, l’ABLCC permet « d’apporter des éléments de culture auxquels les élèves n’ont pas accès ou difficilement accès ». En plus de l’enrichissement culturel pour leurs élèves, d’autres personnes précisent que l’ABLCC légitimise la place de l’art en classe : « Maintenant avec ma boite langagière, je sens que j’ai le droit d’apporter ça en classe, qu’il y a de la place pour les arts » (Mika). Ce témoignage s’inscrit dans une continuité des résultats de Fillol et ses collaboratrices (2019) qui décrivent l’impact de la créativité sur la construction du répertoire didactique lors de la réalisation d’autobiographies langagières en contexte de formation universitaire :
La pratique de la créativité a permis de repenser l’espace-classe et son rapport à celui-ci, les modes relationnels ainsi que ses propres champs de compétences. D’après nos observations, ces expériences vécues collectivement permettent ensuite aux stagiaires d’élaborer des didactiques faisant des pluralités linguistiques, culturelles et artistiques une composante de leurs enseignements (p. 123).
Comme le précise la participante Julie, les découvertes artistiques éveillent cet intérêt pour la culture et ce désir de le transmettre à ses futurs élèves :
J’ai visité mon premier musée et j’ai été au théâtre pour la première fois de ma vie durant cette session. J’ai réalisé que les arts et la culture font partie de moi, je suis créative et capable d’apprécier des œuvres, même si je ne suis pas une intellectuelle de milieu huppé. […] [L]es « arts plastiques » étaient synonyme de « faire du bricolage », maintenant je vois un moyen d’expression, de réalisation et de réflexion extraordinaire. Mes créations témoignent de l’évolution de ma pensée créatrice, je suis abasourdie […]. Sans ce cours, je n’aurais pas pu me découvrir et découvrir la beauté des arts, comme je l’ai fait. En tout cas, une réflexion est engagée et je trouverai certainement un moyen de transmettre ce plaisir, que je viens de découvrir, à mes élèves (Julie).
En effet, les propos de Julie confirment que l’apprentissage expérientiel de l’ABLCC en contexte de formation universitaire mobilise à la fois le cognitif, le sensible et l’affect, et permet de laisser des traces mémorielles significatives pour que l’expérience vécue puisse être réinvestie lors de leur pratique professionnelle ultérieure. C’est à notre avis l’un des points importants des activités de formation envisagées par la présente recherche, activités qui, pensées dans une approche multimodale, réflexive et sensible, ont permis d’enrichir le répertoire didactique des personnes participantes.
Cette recherche-action-formation avait l’objectif de décrire une démarche d’autobiographie langagière culturelle et créative mise en œuvre en contexte de formation universitaire. L’originalité de cette étude réside dans l’explicitation et l’exemplification de la démarche par un corpus de données d’ABLCC recueillies auprès de 109 personnes en formation à l’enseignement, mettant de l’avant la place de la création et de la multimodalité dans ce processus. Il en ressort que, premièrement, la création multimodale est un élément essentiel de l’ABLCC, car elle donne le temps nécessaire pour approfondir le processus réflexif sur le rapport aux langues et à la culture tout en accédant à des ressources sensibles empreintes de sens et de sensibilité. Deuxièmement, la création multimodale s’est avérée un moyen efficace pour conscientiser les personnes participantes et pour accéder à leur bagage langagier. Finalement, dans une perspective de formation à l’enseignement, l’ABLCC permet d’élargir le répertoire didactique des personnes participantes.
Cette étude comprend des limites, dont celle d’être chronophage en matière de mise en application. De plus, elle est interdépendante au contexte de formation d’une institution à l’autre. Conséquemment, l’étude s’est déroulée dans un contexte où des formatrices en didactique des arts et des langues ont préparé leurs propres cours, ce qui n’est pas toujours possible. De plus, il est à noter que le traitement des données multimodales nécessite une fine triangulation pour bien saisir les propos des personnes participantes.
Les prochaines étapes d’analyse du corpus de données approfondiront les représentations du rapport aux langues et aux cultures au moyen de l’ABLCC, notamment du point de vue des particularités sociodémographiques et de la pluralité des voix et des voies. Cette étude n’est donc qu’un premier pas vers l’expérimentation de l’ABLCC, démarche qui nous semble fort prometteuse dans le domaine de la formation universitaire et en didactique des langues ; l’apport des arts dans ce processus et son caractère multimodale ajoutent à la démarche une perspective structurante qui, à nos yeux, mérite d’être considérée comme centrale dans la formation à l’enseignement.
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