Afin d’interroger l’impact de l’utilisation du numérique sur les évolutions éventuelles des pratiques d’enseignement de l’approche analytique des textes littéraires dans les classes du secondaire, une enquête par questionnaire a été menée fin 2015 auprès de dix-sept professeurs. Si l’enquête révèle une utilisation limitée des écrans par les élèves eux-mêmes, elle permet de constater un emploi quasi généralisé de la vidéoprojection. L’article tend donc à identifier les enjeux auxquels ses usages répondent et, par là même, à cerner la place et le rôle que les enseignants accordent, dans leurs pratiques d’enseignement de la lecture analytique, aux projections de textes littéraires et d’images, d’une part, et de textes de lecteurs suscités sur des blogues de classe, d’autre part. Sont questionnées les transformations que ces projections induisent ou non dans les modalités de formation des sujets lecteurs et mis au jour les déplacements conceptuels que l’utilisation des outils numériques requiert, si l’on considère que celle-ci est susceptible de favoriser l’évolution, nécessaire, des pratiques d’enseignement de la littérature
In order to examine the impact of digital technology uses on possible changes in teaching practices, specifically courses that apply an analytical approach to literary texts in secondary schools, a questionnaire was carried out at the end of 2015 with seventeen teachers. While the survey reveals a limited use of screens by the students themselves, it reveals an almost widespread use ofvideo projection. The article thus tends to identify the issues to which its uses respond, and hence to identify the place and role that teachers place in their teaching of analytical reading when using the projections of literary texts and images, on the one hand, and reader responses from students posted on class blogs, on the other hand. We interrogate the transformations that these projections induce or not in the training modalities of the readers, and uncovered conceptual displacements that the use of digital tools requires, if we consider that these tools are likely to favor the evolution necessary for the teaching of literature.
En juillet 2015, l’Inspection générale (IGEN) remet à Madame la Ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche un rapport rendant compte, à partir d’une enquête menée dans soixante-quatre classes de six académies de l’hexagone, de « l’utilisation pédagogique des dotations en numérique (équipements et ressources) dans les écoles » primaires, indépendamment des disciplines enseignées. Selon les rapporteurs, deux premiers constats s’imposent : l’insuffisance et/ou la vétusté des équipements numériques explique(nt) leur faible utilisation « dans le quotidien des classes en 2015», c’est-à-dire par les élèves eux-mêmes ; en revanche, le vidéoprojecteur (dans certains cas, associé au tableau interactif) est « un outil de visualisation collective » désormais fréquemment utilisé par les enseignants (IGEN, 2015, p.20). Son utilisation répond certes à des enjeux différents, mais elle vise, d’une façon ou d’une autre, à faire de la classe un espace de travail et de réflexion collectifs : « on découvre ensemble, on échange, on réagit, on s’interroge… » (p. 32), on confronte des hypothèses, on argumente, on mutualise… Cette perspective de travail collaboratif autour d’un objet commun n’est pas sans rappeler celle à laquelle les didacticiens de la littérature s’efforcent de sensibiliser les enseignants afin de résoudre les tensions disciplinaires entre des approches objectivantes des textes et d’autres prenant en compte les lectures subjectives (Rouxel et Langlade, 2004) que les élèves réalisent (Ahr, 2015). Pouvons-nous cependant affirmer aujourd’hui que l’introduction de la vidéoprojection1 dans les classes de littérature tend à lever ces tensions ? En d’autres termes, en quoi l’utilisation du vidéoprojecteur modifie-t-elle les pratiques d’enseignement de la littérature dans le secondaire, en particulier celles qui concernent l’approche analytique des textes littéraires2, comme l’institution le préconise (Laudet, 2011 ; Vibert, 2013) ? Afin d’apporter quelques éléments de réponse à ces questions, nous avons réalisé, fin 2015, une enquête par questionnaire (Fenneteau, 2015) auprès de dix-sept professeurs de français de l’académie de Versailles (soit plus d’une cinquantaine de classes concernées). Après une brève présentation de la méthodologie retenue et du corpus constitué, le propos tendra à identifier, d’une part, les obstacles à l’utilisation des outils numériques dans les classes de littérature et, d’autre part, les enjeux auxquels les usages de la vidéoprojection répondent, puisque l’enquête montre que le vidéoprojecteur est, de très loin, l’outil le plus utilisé. Il s’agira ensuite de cerner la place et le rôle que les professeurs accordent aux projections de textes de lecteurs (Mazauric, Fourtanier et Langlade, 2011) lors des séances consacrées à l’étude d’extraits d’œuvres littéraires.
Afin d’interroger l’impact de l’utilisation du numérique sur les pratiques d’enseignement- apprentissage de la lecture des textes littéraires dans les classes du secondaire, nous avons réalisé une enquête par questionnaire (Annexe) auprès de dix-sept enseignants qui collaborent depuis 2015, et pour certains depuis 2014, à une recherche franco-belge quinquennale (2014–2019) portant sur les Pratiques effectives de la lecture analytique dans le secondaire3 (PELAS). Ces données déclaratives sont complétées par une étude de cas, qui vise à identifier la place et le rôle accordés, dans l’une de ces pratiques déclarées, aux projections de textes de lecteurs suscités sur des blogues de classe.
Le questionnaire a été renseigné par huit professeurs exerçant en collège (cinq femmes et trois hommes) et neuf en lycée (six femmes et trois hommes), les deux tiers ayant moins de quinze années d’enseignement. Aucun écart significatif n’est à noter entre les réponses données par les professeurs de collège et celles apportées par leurs collègues de lycée. La population scolaire concernée est globalement représentative de l’hétérogénéité qui caractérise les établissements de l’académie de Versailles.
La première série de questions porte sur les équipements en outils numériques mis à la disposition des enseignants : elle tend à mesurer l’adéquation entre les dotations matérielles de l’établissement et leur utilisation par le(s) professeur(s) concerné(s), et, principalement, à cerner les obstacles éventuels à cette utilisation. Les autres séries de questions concernent la place et le rôle que les professeurs accordent aux outils numériques dans la classe (vidéoprojecteur, tableau interactif, ordinateurs, tablettes), mais aussi en dehors de la classe (échanges en ligne, qui peuvent se réaliser hors du temps scolaire) en lien à la lecture analytique de textes littéraires.
Les obstacles à l’utilisation des outils numériques dans les classes de littérature sont certes d’ordre matériel, mais aussi liés à la conception qu’ont les professeurs de l’enseignement de la discipline littéraire.
Si, comme le fait remarquer l’un des sondés, « les salles de cours sont désormais le plus souvent équipées de vidéoprojecteurs et d’un ou plusieurs ordinateurs », l’enquête révèle que, très majoritairement, le seul ordinateur présent dans les classes est celui posé sur le bureau du professeur et associé au vidéoprojecteur. Le graphique reproduit ci-dessous confirme le constat dressé par l’Inspection générale en ce qui concerne les équipements en outils numériques dans les écoles primaires françaises (IGEN, 2015).
Des tablettes sont présentes dans les classes de trois collèges ; en revanche, les lycées des enseignants interrogés n’en sont pas encore dotés. Il faut cependant souligner que la présence de matériels numériques dans les classes ne se traduit pas nécessairement par leur utilisation. Un professeur qui dispose dans sa salle d’un tableau interactif, d’ordinateurs pour les élèves et de tablettes déclare à ce sujet :
Je ne me sens pas à l’aise avec cet outil malgré les formations suivies. De plus, il n’y a aucune garantie que cela fonctionne systématiquement, ce qui est le cas même avec le projet tablette. À entendre certains collègues, l’intérêt est dans l’attraction des élèves pour l’outil plus que dans le contenu. Et si c’est pour projeter un texte ou une reproduction alors qu’il y a le manuel ou la photocopie ?
Même si, dans certains établissements, ordinateurs et tablettes sont mis à la disposition des enseignants, des obstacles matériels rendent, semble-t-il, leur utilisation peu efficace : en raison de l’absence de connexion wifi, « la récupération et le partage des travaux » sont impossibles, ou bien le nombre limité de postes ne permet pas d’envisager la composition limitée de groupes de travail. La planification, la gestion et l’évaluation des tâches paraissent rédhibitoires, comme le confie cet enseignant de collège :
Il faut réserver à l’avance la salle informatique qui est beaucoup sollicitée par les collègues, il n’y a que 15 ordinateurs, donc 1 pour 2 élèves, il faut prévoir un travail à deux et il faut évaluer ce travail. Donner une note pour un groupe est pertinent une fois ou deux, mais pas toute l’année, surtout en 3e où il y a l’enjeu de l’orientation.
Seulement quatre des professeurs interrogés déclarent privilégier l’utilisation des ordinateurs par les élèves « de temps en temps » ; un autre, « très souvent » ; un sixième utilise « très fréquemment » les tablettes. Dans ce dernier cas, il s’agit d’un jeune professeur engagé dans un groupe de travail et de réflexion sur l’utilisation des technologies en cours de français. L’utilisation des écrans sensibles répond, selon cet enseignant de collège, à « une approche multimédia de la lecture analytique, qui passe par la création d’articles, de présentations animées (Prezi), de lecture d’extraits (Bobbler). Ce type de compte rendu de lecture permet de rentrer dans la lecture du texte par la création, donc d’utiliser la sensibilité, l’intuition de l’élève, mais aussi son interprétation pour rendre compte du texte4 ». Le propos tenu ici se fonde sur une conception de la lecture analytique centrée sur la réception de textes par les élèves, mais ne précise pas ce qui est entendu par une « intuition de l’élève » conduisant à « rendre compte du texte ». En insistant sur les outils de présentation, il suggère même la permanence des pratiques traditionnelles du «compte rendu de lecture ». De telles déclarations, explicitement favorables à l’innovation technologique, invitent donc à explorer les éventuelles résistances aux changements conceptuels en matière d’enseignement de la littérature et de sa lecture que l’utilisation des outils numériques induit.
En introduction au numéro 178 de la revue Le Français aujourd’hui (2012), publié en lien au premier séminaire « Les métamorphoses du livre et de la lecture à l’heure du numérique » organisé en 2010 par la Direction générale de l’enseignement scolaire et l’Inspection générale des lettres en partenariat avec la Bibliothèque nationale de France et le CELSA (Paris-Sorbonne), Catherine Becchetti-Bizot et Max Butlen rappellent ces résistances professorales :
[…] l’École peine à s’adapter et a bien du mal à gérer les conflits qui semblent résulter, d’une part, du choc de deux cultures — la nouvelle culture des loisirs numériques versus la culture livresque traditionnelle — et, d’autre part, du choix de deux modèles professionnels : le professeur savant, omniscient versus le professeur accompagnateur, médiateur. Alors que les nouveaux outils et dispositifs technologiques appelleraient un enseignement reposant sur un mode plus collaboratif que transmissif, nombre d’enseignants résistent encore à de tels changements qui interrogent d’abord le rapport professeur/élève, ensuite le rapport au savoir, et enfin la structure d’un enseignement fondé sur le respect des trois unités :l’unité de temps : l’heure de cours ; l’unité de lieu : la classe ; l’unité d’action : l’enseignement de la discipline.
(p. 4)
L’utilisation efficace des outils numériques requiert des déplacements conceptuels que certains professeurs de français interrogés déclarent avoir d’ores et déjà opérés en privilégiant, lors des séances de lecture analytique, un travail «collaboratif », voire « coopératif ». Même si, pour les raisons exposées plus haut, l’utilisation des ordinateurs par les élèves eux-mêmes est très limitée, il est à noter que celle-ci, associée ou non à des ressources numériques spécifiques, favorise, selon ces mêmes enseignants, le travail collaboratif, que celui-ci concerne « les recherches documentaires pour mieux comprendre les textes » ou bien l’analyse des textes, qui, pour deux enseignants de lycée, se réalise en groupe soit à partir d’un blogue de classe, comme le révèle la déclaration suivante : « Il m’est arrivé de réserver la salle informatique du lycée pour un cours en demi-groupe et proposer un extrait de texte à commenter sur le blog » ; soit à partir « d’outils collaboratifs », comme cet autre enseignant l’explique : « Chaque groupe développe un point de l’analyse, puis mutualisation de l’analyse globale avec relecture collective à l’aide d’outils collaboratifs comme Gdocs ou Edupad ».
Pour un troisième professeur, exerçant également au lycée, l’utilisation, occasionnelle, des ordinateurs par les élèves tend à développer un travail coopératif, voire « coopératif » au sens où l’entend l’Inspection générale (IGEN, 2015, p. 33) puisque les élèves « coproduisent » :
Oui, de temps en temps (en demi-groupe quand je peux disposer de la salle info) :
- fabrication d’une fiche bilan pour réviser les textes en 1re ;
- écriture d’un passage sous forme d’un paragraphe de commentaire ;
- élaboration d’un plan (exercice de hiérarchisation et de synthèse).
Alors que les usages des tablettes et des ordinateurs sont très restreints, la vidéoprojection (avec ou sans l’utilisation du tableau interactif) semble, en revanche, faire « désormais partie de la démarche pédagogique ordinaire » lors des séances de lecture analytique au collège et au lycée (15 sur 17 des sondés), comme l’observe l’Inspection générale pour l’ensemble des disciplines et des activités des classes du primaire (ibid., p. 32). Ces usages de la vidéoprojection reposent-ils pour autant sur des scénarios didactiques conçus à partir d’une conception renouvelée de l’enseignement de la littérature et, plus particulièrement, de la lecture analytique ? À quels enjeux les projections de textes littéraires et, dans certains cas, de textes de lecteurs répondent-elles ?
Pour un grand nombre d’enseignants interrogés, l’utilisation du vidéoprojecteur répond, en premier lieu, à des enjeux d’ordre pédagogique. Il s’agit de :
Favoriser l’attention : projection et lecture du texte en classe.
Laisser le temps aux plus lents ou toujours en retard de prendre les corrections.
Le vidéoprojecteur se substitue en effet, avantageusement, au tableau noir : il constitue un gain de temps appréciable ;il facilite la gestion de la classe ; il permet de conserver une « trace du cours », ce que les verbatim suivants révèlent de manière plus ou moins explicite :
Les élèves ont chacun une photocopie du texte papier. Projection des consignes pour le travail de groupe ou pour le travail individuel.
J’utilise le vidéoprojecteur afin de projeter les questions posées aux élèves lors des séances de lecture.
Enfin, il m’arrive de projeter des questions.
Je vidéoprojette souvent l’écran de l’ordinateur de la salle de classe sur lequel je note la trace du cours. Cela permet d’enregistrer le document et de le remettre à l’écran le cours suivant.
Un seul enseignant (de collège) précise qu’il utilise le vidéoprojecteur « pour travailler avec le manuel numérique » dans le cadre de « l’analyse grammaticale d’un extrait de texte à partir du manuel numérique ».
La vidéoprojection relève aussi de choix didactiques qui répondent à la demande institutionnelle : il s’agit d’« enseigner la littérature en dialogue avec les arts5 », comme le recommandent, entre autres, les Programmes de français des cycles 3 et 4 entrés en application à la rentrée 2016. Sont introduits de la sorte dans les classes des documents iconographiques et/ou sonores qui accompagnent la lecture. Plusieurs enseignants interrogés soulignent cet usage qui vise à « établir des relations entre des œuvres littéraires et artistiques » (MENESR, 2015, p. 237) et, par là même, rappelle que «l’acquisition d’une culture littéraire et artistique est l’une des finalités majeures de l’enseignement du français » (p. 246) :
Je m’en sers en général pour mes lectures complémentaires (extraits musicaux, de pièces de théâtre, d’opéra, projections de peintures ou autres œuvres d’art).
Travail d’ouverture après lecture (analyse de l’image, prolongement vers d’autres textes, vers une adaptation cinématographique…).
[…] pour pouvoir faire des liens entre le texte et d’autres documents (images, œuvres).
Je m’en sers parfois pour projeter des extraits de films que nous analysons en regard avec le texte ou encore pour projeter les œuvres d’HDA (tableau, BD, installation).
Je l’utilise aussi pour projeter des images, notamment pour les textes se situant dans une autre époque ou traitant d’un sujet peu connu des élèves, afin de leur fournir des représentations.
J’utilise le vidéoprojecteur pour montrer des documents qui informent sur le contexte d’une œuvre littéraire ou d’un mouvement artistique, pour analyser une œuvre plastique.
La vidéoprojection favoriserait donc les échanges entre la littérature et les autres langages artistiques. Mais à quels enjeux et selon quelles modalités cette mise en dialogue des textes littéraires avec d’autres créations artistiques se réalise-t-elle ? Ce questionnement s’avère d’autant plus indispensable que la vidéoprojection peut servir à « montrer des extraits de théâtre ou de film pour la compréhension littérale du texte », comme le confie un enseignant de collège. Quel lecteur, quel spectateur, quel auditeur s’agit-il ici de former ? Quelle « relation esthétique » avec les œuvres cherche-t-on à favoriser ? Quelle place accorde-t-on à « l’expérience esthétique », telle que Jean-Marie Schaeffer (2015) la définit, à savoir une « expérience attentionnelle exploitant nos ressources cognitives et émotives » (p. 45) ?Est-ce à cette « expérience esthétique » que renvoie la proposition faite par un professeur de lycée, pour qui « la vidéoprojection de tableaux permet d’entrer dans l’analyse des textes par associations subjectives » ? La recherche PELAS en cours éclairera cette déclaration6, qui laisse entendre que la vidéoprojection tend à articuler approche subjective et analyse objectivée des textes. Les réponses des professeurs au questionnaire montrent effectivement quelques évolutions dans leurs choix didactiques, ceux-ci reposant, dans une certaine mesure, sur une conception renouvelée de la lecture scolaire des textes littéraires.
La vidéoprojection tend, en premier lieu, à faire de la lecture un acte non plus individuel, mais collectif. Nombreux sont les enseignants qui proposent une « lecture découverte » : les élèves « découvrent » ensemble le texte, qui, projeté, est lu par l’enseignant. La lecture devient dès lors une expérience commune, qui se distingue fortement d’une expérience d’un sujet, comme « aventure de lecture » selon l’expression de Roland Barthes (1984). S’agit-il pour autant de faire de la classe une communauté, si ce n’est à ce stade « interprétative » (Fish, 2007), du moins lectrice ? On peut en douter, car l’enjeu premier de cet usage est d’ordre pédagogique : il s’agit surtout de favoriser l’attention des élèves lors de la lecture à haute voix par le professeur. Néanmoins, l’utilisation du vidéoprojecteur relève aussi de choix didactiques qui favorisent la création d’un espace susceptible d’accueillir les lectures des élèves, comme le montrent les déclarations de pratiques suivantes :
[…] émergence des premières interprétations.
Mise en commun des AXES identifiés par les élèves sous forme de carte mentale (Xmind).
Projeter le blog de classe et faire des retours sur les commentaires publiés.
Brainstorming : sur un document de traitement de texte, écrire (ou faire écrire par un élève secrétaire) les idées qui apparaissent après la lecture d’un texte pour commencer une lecture analytique.
Nous ignorons cependant ce qu’il advient de ces « premières interprétations » qui permettent de « commencer une lecture analytique ». La projection de leurs verbalisations conduit-elle à une analyse du texte prenant appui sur celles-ci ? Et cela, davantage que lorsque ces verbalisations sont fixées sur le tableau noir ou blanc par le professeur ? En d’autres termes, l’outil modifie-t-il la conception qui sous-tend une pratique ? Ou est-ce l’inverse ? Ou les deux orientations sont- elles liées ? Là encore, seule l’empirie peut apporter des éléments de réponse à ces questions, comme on peut le constater à travers l’étude de cas présentée ci-après. Quoi qu’il en soit, l’enquête met au jour un réel consensus : la vidéoprojection du texte permet aux élèves (et non aux lecteurs, le mot n’est utilisé par aucun des sondés, sauf une fois lorsqu’il est question du blogue) de « travailler » collectivement le texte. L’utilisation du vidéoprojecteur favorise aussi et surtout un travail dans/sur le texte. La majorité des professeurs interrogés souligne la primeur accordée à cette activité :
Projection du texte pour repérer les phénomènes et/ou les extraits intéressants, pour rendre plus visibles les liens entre les différentes parties du texte (récurrence d’un même terme, procédé ou d’une même idée). Les élèves peuvent être amenés à venir par groupes au tableau pour présenter leur proposition de micro-analyse.
Je l’utilise pour pouvoir avec la classe surligner ou entourer des éléments sur le texte projeté, pour pouvoir découper le texte, pour en cacher une partie. Cela permet également aux élèves de venir procéder au tableau à ce repérage.
Repérage de la structure d’un texte, des termes clés ; mise en évidence des échos ou des oppositions dans un texte. Élaboration d’un appareil critique à partir des annotations sur le texte.
Lors de séance de lecture analytique, j’utilise le vidéoprojecteur pour travailler sur le texte en même temps que les élèves ou pour corriger des repérages que je leur avais demandé de préparer (entourer/souligner des figures de style, des phrases, des verbes…).
Je projette les textes : surlignage des mots ou des expressions pour les champs lexicaux et pour dégager les enjeux du texte analysé, les figures de style, le vocabulaire ou le travail sur la langue.
Ce travail sur/dans le texte renvoie à une pratique scolaire courante depuis l’introduction de la photocopie dans les classes. La vidéoprojection présente toutefois deux autres avantages : elle permet d’une part de capter plus facilement l’attention de tous les élèves et, d’autre part, de garder les traces du travail réalisé. L’enjeu majeur semble là encore d’ordre plus pédagogique que didactique. On ignore en effet à partir de quelle(s) lecture(s) ces « éléments » textuels sont identifiés. S’agit-il de la lecture du professeur ? de celle(s) des élèves ? Les déclarations professorales laissent percevoir une centration sur le texte et sur le travail des élèves : qu’en est-il des lecteurs, des lectures subjectives qu’ils réalisent et de la nécessaire « confrontation d’interprétations divergentes d’un même texte ou d’un même passage et [de la] justification des interprétations à partir d’éléments du texte » (MEN, 2015, p. 237) ? Seule l’analyse empirique en cours permettra de mesurer, de façon fiable, la congruence entre le recours aux outils numériques et la prise en compte effective du paradigme du sujet lecteur (Bishop et Rouxel, 2007 ; Langlade et Fourtanier, 2007) dans les pratiques d’enseignement de la lecture analytique des textes littéraires.
Enfin, l’usage de la vidéoprojection lors de la phase d’institutionnalisation met l’accent sur la dimension collective donnée à ce travail, ce qui laisse penser que ces « commentaires », « synthèses », « bilans », « traces écrites », etc., élaborés collectivement n’accordent que peu de place à un retour réflexif sur la réception singulière du texte par les élèves eux-mêmes :
Classer les idées pour organiser un commentaire.
Élaboration de la trace écrite par l’élaboration collective d’une carte mentale. Afficher des synthèses de cours (notions littéraires, par exemple).
Le VP me sert aussi lorsque je veux faire noter un bilan.
Afficher des synthèses de cours pour faciliter la prise de notes de ceux plus lents ou qui font trop d’erreurs d’orthographe.
Qu’advient-il des textes de lecteurs sur lesquels les professeurs déclarent prendre appui lors de la phase de «brainstorming », pour reprendre l’expression de l’un d’eux ? La vidéoprojection favorise-t-elle cette articulation, difficile à ménager, entre « une appropriation subjective des œuvres et des textes lus, une verbalisation de ses expériences de lecteur et un partage collectif des lectures pour faire la part des interprétations que les textes autorisent et de celles qui sont propres au lecteur » (MEN, 2015, p. 109) ? La vidéoprojection de textes de lecteurs suscités sur des blogues de classe favorise-t-elle, par exemple, cette articulation ?
La dernière série de questions de l’enquête portant sur l’usage des « échanges en ligne dans le cadre des lectures analytiques » a recueilli dix réponses, dont cinq descriptions de mises en œuvre précises.
Le mot « blog », proposé dans le questionnaire pour désigner tout espace d’échanges asynchrones en ligne7, a suscité l’évocation de trois outils différents :
Les écrans des postes informatiques dans des salles équipées sont mentionnés ou évoqués pour agir dans ces espaces numériques, volontiers présentés comme des milieux favorisant un dialogue écrit entre lecteurs. Un enseignant déclare sur ce point :
Je reconnais que c’est un médium qui me semble intéressant pour travailler l’interactivité entre les élèves et la discussion autour d’un texte.
Selon un autre déclarant, la multifocalité offerte par ces écrans de travail permet une intéressante coopération :
Chaque groupe a une “mission” ou un axe différent de travail. La classe entière a un droit de regard (et même un devoir de regard critique) sur les travaux des autres.
Un partage en ligne des verbalisations des lectures est induit par des consignes spécifiques :
Questions analogiques sur des extraits de textes étudiés en LA ou sur des lectures intégrales (cursives ou non).
Questions subjectives (relevés de passages jugés plus intéressants et justification). Travail de recherche sur une thématique.
Sur le site Padlet : bilan d’une lecture cursive avec une consigne analogique ; avis de lecteur ; travail de rédaction autour d’une lecture cursive…
À partir de la seule enquête, il demeure difficile de dire si ces usages d’écrans donnant sur des forums et les blogues concourent effectivement à atténuer les « tensions disciplinaires » entre « une lecture détaillée menée avec méthode » et « des ouvertures telles qu’[…] une certaine reconnaissance du paradigme du sujet lecteur » (Texte de cadrage de la Journée d’étude « Le partage visuel de textes et documents dans les classes de littérature », Université de Grenoble, janvier 2016). Les réponses citées ci-dessus évoquent bien un travail d’étayage des « lectures subjectives » et de « construction » interprétative. Elles mentionnent en particulier l’accueil d’associations propres aux élèves lecteurs par des « consignes analogiques », l’ouverture aux « avis de lecteurs » et l’invitation à des « gestes appropriatifs » (Shawky-Milcent, 2016), comme la citation « subjective». Les déclarations montrent également que les écrans d’ordinateurs, comme points d’accès à un espace de travail prolongeant la salle de cours8, se distinguent nettement de l’écran du vidéoprojecteur qui permet de rendre visibles à tous simultanément des traces d’échanges en ligne dans l’espace de la classe. Un professeur explicite une différence entre « les échanges en ligne en eux-mêmes » grâce au moniteur utilisé comme interface de navigation et d’écriture et leur «réutilisation » par la vidéoprojection. Cette dernière pratique, la plus répandue chez les déclarants, conduit elle-même à deux exploitations distinctes. D’une part, elle peut servir à (re)lancer un questionnement, voire un « débat » menéoralement, venant en quelque sorte se greffer sur les échanges en ligne :
Les retours en classe sur le billet du blog et les commentaires qu’a suscités la question permettent de problématiser la séquence ou la lecture analytique.
Projection de réponses d’élèves et débat. Débat à partir d’une nouvelle question qui prend appui sur une réflexion amorcée dans une première question sur le blog.
D’autre part, la projection peut servir à mutualiser des réponses jugées intéressantes :
L’EDU-PAD, écrit collaboratif, permet de mettre en commun les idées tout en stimulant l’aide entre pairs.
Nous ignorons si ces « idées » offrent des éléments d’analyse du texte étudié ou en interrogent les significations, si elles relèvent de lectures actualisantes ou contextualisantes (Citton, 2007). Quoi qu’il en soit, les situations de projection de billets évoquées dans les réponses semblent servir deux buts différents : revivifier les interactions et le questionnement ou bien institutionnaliser des ressources ou des lectures (attendues ?). Le tableau suivant reprend les différents usages d’écrans ouvrant sur des espaces numériques d’échanges identifiés dans les réponses.
Usages écrans | des | Agir dans l’espace numérique | Lire les traces laissées dans l’espace numérique | |||
(re)lance du questionnement,voire « débat » | lecture commune | |||||
Nature écrans | des | Écrans informatiques | des | postes | Écran du vidéoprojecteur | Écran du vidéoprojecteur |
Lieu l’activité | de | En classe ou en dehors, sans distinction | En classe | En classe | ||
Pour explorer les usages des écrans dans le cadre des dispositifs qui articulent le travail en classe et le partage en ligne de textes de lecteurs, les informations livrées par l’enquête ont été complétées par l’étude d’un moment de vidéoprojection conduit par un des déclarants. L’analyse de la captation vidéo d’une séance de lecture analytique en classe de première révèle comment la vidéoprojection de billets d’élèves peut aboutir à une canalisation réductrice du questionnement des lecteurs.
Malgré ses limites (Guernier et Sautot, 2011), l’enregistrement vidéo permet de décrire des corrélations entre les «gestes professionnels » du professeur et les « schèmes d’action des élèves » (Marlair et Dufays, 2008). À ce titre, il permet d’interroger l’articulation des visées de relance et de mutualisation du travail de lecture dans un cours visant l’élaboration d’un commentaire littéraire pour un extrait des Misérables de Victor Hugo. Il s’agit du monologue délibératif qui conduit Jean Valjean à la décision de se dénoncer pour éviter au paysan Champmathieu d’être condamné à sa place. La vidéoprojection des billets du blogue se développe pendant les quatorze premières minutes de la séance, durée occupée à 76 % par la parole professorale :
La relecture minutieuse de six billets met l’accent sur des éléments (interprétatifs) à prendre en compte pour le commentaire focalisé sur l’évolution de Jean Valjean manifestée dans un monologue intérieur (décrit par le professeur comme l’expression d’« un dilemme »). La projection provoque quelques questions et interventions déclenchées par les billets, par exemple, quand H. revient sur un jugement moral exprimé sur le blogue : « euh Javert il est pas vraiment dans le mal / il fait juste son travail » (03:36), l’enseignant ne laisse pas les interactions entre élèves se développer. Il valorise l’intervention et s’en sert en opérant lui-même, plusieurs minutes plus tard, une reformulation qu’il relie à son propre discours : « et c’est là que je rejoins votre question […] H. pourquoi est-ce que Javert euh finalement on peut considérer qu’il est uniquement du côté du mal ? » (07:55).
En somme, la vidéoprojection devient un moyen de reconstituer un dialogue des lecteurs dans le discours professoral. La proposition de H. est une position prévue dans un paysage d’ensemble que le professeur garde en tête ; il la « rejoint» au moment qu’il juge opportun. La projection, en permettant de contrôler les regards (c’est le professeur qui navigue dans le fil des billets à partir de son poste et choisit d’agrandir certains d’entre eux), soutient la mise en scène, devant la classe, d’un discours d’expert à la première personne (« c’est là que je rejoins »). Devant l’écran du vidéoprojecteur, confondu avec la zone du tableau réservée à l’institutionnalisation, la lecture à haute voix des billets par l’enseignant et sa désignation par le geste détachent les propositions des élèves de leur situation d’énonciation. L’absence d’un retour des élèves sur les billets qu’ils ont eux-mêmes postés limite leur effort interprétatif.
En conclusion, en ce qui concerne l’activité même de la lecture analytique, la vidéoprojection, avec ou sans tableau interactif, occupe trois fonctions, chacune d’elles correspondant aux trois étapes du scénario didactique sur lequel se fonde également un cours mené avec un simple tableau noir s’appuyant sur un texte photocopié : on partage des premières « interprétations » (« impressions », « réactions ») ; on travaille « sur/dans » le texte ; on élabore un bilan, une trace écrite. Si la vidéoprojection favorise indéniablement la circulation de la parole lors des séances de lecture analytique (« Le cours est plus tourné vers l’oral que vers l’écrit. »), le faire des élèves, l’interactivité au sein de la classe, le texte littéraire affiché et ainsi partagé reste-t-il le texte de chaque lecteur ? La lecture de l’enseignant n’occulte-t-elle pas in fine celles des élèves ? L’utilisation d’outils numériques peut certes contribuer à l’évolution, nécessaire, des pratiques d’enseignement de la littérature, mais à la condition que celles-ci se fondent sur des conceptions renouvelées de la littérature et de sa lecture comme des finalités de leur enseignement. Il revient à la formation — initiale mais aussi continue — de faire connaître aux professeurs les fondements épistémologiques sur lesquels repose (doit reposer) aujourd’hui l’enseignement de la littérature et que les recherches en didactique s’efforcent de mettre au (à) jour.
Questionnaire transmis par voie électronique
Dans le cadre de la recherche à laquelle vous avez accepté de participer, nous souhaiterions mesurer la place et le rôle accordés aux écrans dans l’enseignement et l’apprentissage de la lecture analytique. Pourriez-vous répondre aux quelques questions ci-dessous, celles-ci concernent l’ensemble des classes que vous avez en charge ? Nous vous remercions vivement de votre collaboration.
Nom et prénom :
Établissement/ville :
Classes concernées :
La/les salle(s) de classe dans laquelle/lesquelles vous faites cours est-elle/sont-elles équipée(s) :
Lors des séances de lecture analytique, utilisez-vous un vidéoprojecteur ?
Oui, souvent oui, de temps en temps non ou très rarement
Si NON, pourquoi ?
Si OUI, pouvez-vous donner quelques exemples d’utilisation ?
Lors des séances de lecture analytique, utilisez-vous un tableau interactif ?
Oui, souvent oui, de temps en temps non ou très rarement
Si NON, pourquoi ?
Si OUI, pouvez-vous donner quelques exemples d’utilisation ?
Lors des séances de lecture analytique, utilisez-vous les ordinateurs mis à la disposition des élèves ?
Oui, souvent oui, de temps en temps non ou très rarement
Si NON, pourquoi ?
Si OUI, pouvez-vous donner quelques exemples d’utilisation ?
Lors des séances de lecture analytique, utilisez-vous les tablettes mis à la disposition des élèves ? Oui, souvent oui, de temps en temps non ou très rarement
Si NON, pourquoi ?
Si OUI, pouvez-vous donner quelques exemples d’utilisation ?
L’utilisation en classe d’un des écrans mentionnés dans les questions précédentes a-t-elle modifié vos usages du tableau (noir ou blanc) ? oui/non
Si OUI, en quoi ?
Utilisez-vous les échanges en ligne (blog) dans le cadre des séances de lecture analytique ? Oui, souvent oui, de temps en temps non ou très rarement Si NON, pourquoi ?
Si OUI, pouvez-vous donner quelques exemples ?
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