Volume 6 / Relations intersémiotiques arts-littérature

Pour une place raisonnée de l’émotion dans la compréhension/interprétation et la réception des oeuvres multimodales

Sonya Florey
Haute école pédagogique du canton de Vaud
Noël Cordonier
HEP Vaud, Université de Lausanne

Résumé

Cet article s’interroge sur la place qui est faite à l’émotion dans l’enseignement de la compréhension/interprétation en lecture. Recourant à des apports issus de la psychologie cognitive et de la critique littéraire, on cherchera à articuler les deux épistémologies au service de la didactique de la lecture et à inscrire cet article dans le courant dit théorique ou spéculatif de la recherche en didactique. Un album de littérature de jeunesse, L’Herbier des fées (Lacombe et Perez, 2011), dans sa version papier et numérique, servira de texte support à une analyse des discours multimodaux et aboutira à un constat : la nécessité d’inclure dans la formation, des enseignants et des élèves, des contenus qui visent à construire une sémiologie de l’image.

Abstract

This article questions the place given to emotions in the teaching of reading comprehension and interpretation. Using contributions from cognitive psychology and literary criticism, we seek to articulate the two epistemologies applied to the didactics of reading, as well as to place this article in the said theoretical or speculative field of research indidactics. A children’s literature book, L’Herbier des fées (Lacombe & Perez, 2011), in its paper and digital format, will support a multimodal discourse analysis, as well as lead towards a final observation: the necessity to include, in teachers and students’ education, contents aiming at designing an image-based semiology.

Mots-clés
émotion, compréhension, interprétation, sémiologie de l'image, L'Herbier des fées

Keywords
emotions, comprehension, interpretation, image-based semiology, L'Herbier des fées
Citer
Pour citer
Florey, Sonya et Cordonier, Noël (2017). Pour une place raisonnée de l’émotion dans la compréhension/interprétation et la réception des oeuvres multimodales. Revue de recherches en littératie médiatique multimodale, 6. https://doi.org/10.7202/1043749ar

Propos liminaires

Jugée tantôt libératrice, tantôt réductrice de notre capacité de penser, l’émotion semble avoir gagné une place inédite dans notre société contemporaine. Considérant son omniprésence actuelle comme un phénomène de civilisation, Ardenne (2006) décline la notion d’« extrême » dans une pluralité de domaines, physiologiques et psychologiques, et pose les fondements d’une esthétique de la « limite dépassée », où l’émotion devient un accélérateur intéressant à analyser. Les événements et les images dont la finalité serait de « choquer toujours plus un spectateur avide de sensations fortes » (Delpeux, 2007) contribuent activement à créer un espace social traversé par des flux — ou des attentes — violents. Notre ère serait passée d’une « culture du sentiment à une culture de l’émotion » (Lacroix, 2001) : on exige de cette émotion qu’elle soit de plus en plus intense, au point que lorsqu’elle ne peut être vécue, « ce sont les représentations qui vont permettre de les expérimenter par procuration » (Delpeux, 2007). Ces représentations sont régulièrement prises en charge par un certain discours social1, qui craint l’affaiblissement de nos compétences argumentatives au profit de formats brefs comme les signes comptés du tweet, ou plus lapidaires encore, du like. Les médias seraient autant les agents que les victimes du discrédit qui les frappe : à l’instar de, naguère, la BD, la TV et les magazines, aujourd’hui la connectivité permanente et les réseaux sociaux sont tenus pour responsables d’une sévèredégradation des conditions d’exercice de la pensée rationnelle, de la pensée cartésienne et de celle des Lumières, qui structurent notre épistémologie. Le jugement personnel, la rhétorique, les processus de décision, le débat démocratique, la conception même de nos sociétés seraient victimes de l’émotion, cette métonymie dépréciative des médias modernes et de nos comportements.

Parallèlement aux objets de savoir à transmettre, l’École s’est donné comme finalité de former un citoyen rationnel et éclairé. Or, autant l’École doit être particulièrement attentive à favoriser les conditions de possibilité de la pensée privée et publique, autant elle ne saurait condamner forfaitairement l’émotion. Au moment même où sa présence s’intensifie etoù ses effets menacent la connaissance et le vivre ensemble, ce serait aller à l’encontre même d’une forme de raison, dont nous nous recommandons, que de négliger le processus émotionnel et ses fonctions cognitives. À ce titre, il nous paraît nécessaire de considérer l’émotion comme partie du contexte existentiel de nos élèves, comme accélératrice de formes d’expressivité et d’apprentissages dans certaines conditions. Ce sont ces conditions que nous nous donnons comme modeste mission de clarifier dans cet article, en prenant comme point de départ un enseignement fondamental de l’École, la compréhension en lecture, que nous envisageons avec un support de plus en plus généralisé, le numérique.

1. Visée de l’étude, questions concrètes et méthodologie

Avant de développer les questions qui guideront notre réflexion et d’expliciter quelques éléments de méthodologie, il est temps de circonscrire la notion d’émotion en nous appuyant sur des auteurs issus de la psychologie cognitive. Définir l’émotion, on s’en doute, ouvre bien plus de questions que cela n’en résout : on comprend mieux pourquoi, plutôt que de définir l’émotion en soi, bien des psychologues préfèrent aujourd’hui parler du « processus émotionnel » dans lequel ils distinguent trois étapes : l’évaluation, la préparation à l’action et la réponse (Blanc, Syssau et Brouillet, 2006, p.28). Les approches évolutionnistes aussi bien que le constructivisme ont établi et confirmé que les émotions sont cruciales pour l’adaptation de l’organisme à l’environnement et pour communiquer, mais aussi pour apprendre, comme l’attestent de nombreuses recherches récentes (Cuisinier, Tornare et Pons, 2015, p. 531). Les émotions influent sur l’apprentissage et la performance scolaire, comme le savent empiriquement les enseignants. En tant que didacticiens intéressés à l’épistémologie dans nos disciplines, didactiques et littéraires, nous préconisons un usage symptomatique de la notion d’émotion qui vise à questionner les enseignants, les formateurs et les chercheurs, d’une part sur leurs rapports aux objets littéraires et, d’autre part, sur les modes d’appropriation du savoir à un moment où ces objets se transforment rapidement et où les régimes attentionnels se modifient en profondeur (Citton, 2014a, 2014b).

Postulant que les œuvres littéraires multimodales (Lebrun, Lacelle et Boutin, 2012) sont pourvoyeuses d’émotions par la pluralité des médias et des sens convoqués (visuel, auditif, kinesthésique), nous nous demanderons à quelles conditions la compréhension en lecture et l’interprétation des textes sont influencées, positivement ou non, par le contexte numérique.

Évidemment, nous ne pouvons nous prévaloir d’une formation en sciences cognitives. Nous sommes, en revanche, les héritiers d’une histoire qui a vu les approches littéraires et cognitivistes tantôt s’affronter, se toiser avec méfiance ou endogénéiser le point de vue de l’autre sans distance critique (Lavocat, 2016) : malgré la diversité des méthodologies, des modes d’analyse distincts et des conceptions du texte littéraire propres à chaque discipline, nous préconisons une ouverture à des modes de pensée alternatifs, qui pourront nous faire entrevoir des enjeux didactiques et scolaires renouvelés. Un élément nous aidera dans cet exercice de décentrement : des travaux en neurologie et en psychologie sur le fonctionnement du cerveau humain ont établi que les processus mentaux sont toujours infléchis par « le contexte mental global, qui comprend la pensée conceptuelle et rationnelle, l’imagination, l’émotion, et les perceptions et réflexes somatiques » (Cave, 2016, p. 17- 18). Une telle définition de la cognition semble convenir à notre conception du texte littéraire, composé de matière parlant indissociablement à la raison ou au cœur.

Plus particulièrement, dans cet article, nous nous intéresserons :

  • à nos rapports à l’image qui, sous toutes ses formes, accompagne, complète ou remplace le texte dans les modes d’existence des œuvres littéraires, ainsi qu’aux savoirs opératoires qui permettent d’appréhender l’image ;
  • aux modes de réception des œuvres médiatiques multimodales et aux variations de réception des œuvres classiques comme pistes pour didactiser l’émotion en tant qu’elle favorise la compréhension et l’interprétation des textes. Pour cette partie, nous nous pencherons sur les réflexions didactiques qu’appelle l’analyse d’une œuvre de littérature jeunesse, L’Herbier des fées, de Lacombe et Perez (2011), en version papier et en version numérique.

Trouvant notre place dans la ligne définie par Cave, qui invite à « concilier le regard anthropologique avec le regard historico-culturel » (Cave, 2016, p. 18), à créer les conditions de la rencontre entre approches littéraires et cognitives, nous avons fait le choix d’une méthodologie littéraire, en admettant qu’il ne s’agisse pas d’un oxymore. Pour le dire autrement, l’article en cours ne procède pas d’une recherche-action, d’une recherche expérimentale ni d’une recherche descriptive. S’il prend ci-après appui sur un album jeunesse, ce dernier sera sondé sous certains angles particuliers, retenus uniquement pour leur capacité à exemplifier, illustrer des questions que nous poserons à l’aide de l’émotion, dans la visée de repérer des obstacles qui freinent une approche didactique de la lecture des œuvres littéraires dans le contexte socioculturel et éducatif actuel. Dans la typologie des méthodes de recherche en didactique de la littérature qu’ont proposée Daunay et Dufays (2007, p. 10), nous nous inscrivons dans ce que les auteurs nomment les recherches théoriques, mettant notre étude en dialogue ouvert avec la littérature académique, avec les théories actuelles de la lecture. Voilà ce qui pourra sembler une hétérodoxie, puisque la didactique du français et de la littérature s’est précisément définie, dans les années 1980-1990, « contre » la discipline académique « littérature » par une visée scientifique et par l’adoption des protocoles de recherche inspirés par les sciences, et notamment les sciences de l’éducation. Si nous faisons de cette étude une nouvelle occasion de renouer un dialogue que nous croyons fécond avec les propositions théoriques et les recherches plus spéculatives de la critique littéraire (Cordonier, 2014), c’est qu’il nous apparaît crucial qu’un certain courant en didactique de la littérature s’informe bien plus spécifiquement sur les mutations de son champ et qu’il ne dédaigne pas le rôle que peuvent tenir, dans ses recherches, l’hypothèse, l’idée et l’essai. Ici et ailleurs, nous estimons cette posture apte à informer et à préciser nos propres approches et nous parions sur les bénéfices d’un échange entre les approches dites didactiques et celles dites littéraires, un dialogue désormais débarrassé des malentendus historiques entre les deux disciplines.

2. Le rapport à l’image ou la nécessaire évolution des représentations du texte littéraire et de la formation enseignante

Les études sur les émotions ont connu un essor particulièrement vif ces dernières décennies (Blanc et al., 2006 ; Gentraz, 2015). Or, quand on prend un peu de recul par rapport à cette abondance de publications, notamment celles relatives aux émotions en contexte scolaire de lecture/interprétation des textes, cet intérêt et ces visées sont aussi, dansun jugement qui n’affecte en rien la valeur même de ces études, des symptômes. Autrement dit, nous allons les considérer comme révélateurs des divers obstacles, problèmes et attitudes qui devraient être préalablement identifiés et traités, car ils entravent encore trop souvent l’accès des enseignants et des apprenants à la littérature telle qu’elle se présente, telle qu’elle se donne et se modifie actuellement. Nous nous adressons donc d’abord ici aux enseignants et formateurs d’enseignants en lecture et littérature, afin de favoriser une prise de conscience de ce que la question complexe et ambiguë de l’émotion révèle de nos savoirs, savoir-faire et représentations mobilisés dans nos recherches et enseignements. Déployons progressivement notre argument.

La revue scientifique que nous avons faite en rapport avec l’examen des émotions dans la compréhension en lecture, toute succincte qu’elle est, montre que la majorité des études considère quasi exclusivement le texte — et le texte seul. C’est un constat et en aucun cas une critique du corpus retenu par les chercheurs : le texte était si prépondérant encore au début du XXIe siècle, et il l’est encore tant, que les recherches en psychologie cognitive sur la lecture de fiction dans le cadre scolaire sont presque exclusivement appuyées sur celui-ci. S’il ne pouvait en être autrement pour les psychologues qui investissaient la classe afin d’étudier les « émotions d’accomplissement », qui sont en rapport avec l’apprentissage lui-même (Cuisinier et al., 2015, p. 530), on remarque qu’il n’en va pas autrement pour les spécialistes des régimes de la fiction que nous sommes. Avec des nuances à introduire selon les degrés d’enseignement où nous agissons (du primaire au degré universitaire), nos propositions en didactique de la littérature sont, elles aussi, presque encore exclusivement fondées sur le texte. Nous ne nous sommes sans doute pas vraiment adaptés aux réalités socioculturelles de l’heure et à la rapidité des changements. Or, nous sommes proches — par notre profession et nos intérêts personnels — des sources culturelles et artistiques et, en principe, attentifs aux effets des technologies — sur les manières qu’ont les fictions de se présenter, qu’il s’agisse des créations contemporaines ou de celles du patrimoine — et aux modes de communication privilégiés des élèves, qui s’échangent surtout des images et non plus des textes (Trinh-Bouvier, 2015).

Comme toute innovation, le multimodal, que favorise le numérique, a certes besoin de temps pour être vraimentconsidéré par l’École et sa constitutive et prudente lenteur. Il ne s’agit pas non plus de minimiser la place et le rôle substantiels du texte dans l’enseignement de la lecture. Pourtant, la civilisation de l’image et du son s’est imposée bien avant le tournant de ce siècle, ce qui fait du numérique autant un innovateur (lorsque sont rédigés des textes dont la forme même est conditionnée par sa norme) qu’un rassembleur des supports nouveaux (l’image fixe et animée, la musique, …), un agent, certes, particulièrement actif du multimodal, mais un agent tels que l’étaient, depuis plus d’un siècle, la photographie, le cinéma ou encore la BD.

On s’en doute, cette retenue à examiner vraiment le multimodal s’explique bien sûr, pour partie, par la hiérarchie sociologique des champs culturels qui, implicitement ou explicitement, ont relégué souvent les nouveaux médias dans la zone du divertissement, de l’émotion facile, voire de l’abrutissement. Il n’en découle pas moins aujourd’hui que la formation des enseignants sur la lecture/interprétation en régime multimodal est généralement sommaire, sinon inexistante, et que, malgré des études pionnières qui aident à les acquérir (Lebrun et al., 2012), des compétences et savoirs, mais aussi des attitudes manquent à la plupart pour approcher avec confiance et doigté les médias modernes et leur collaboration.

3. Des modes de réception des œuvres classiques et multimodales, entre régimes d’attention contemporains et émotion

Les dispositifs d’enseignement de la compréhension/interprétation visent à consolider des habiletés bien identifiées : il s’agit notamment de repérer les « indices linguistiques disponibles dans le discours ou le texte » (Perfetti, Rieben et Fayol, 1997, p. 6–7) et d’acquérir des connaissances permettant « d’interpréter les indices et/ou de combler les manques de texte » (Ibid.). À ces habiletés se conjuguent des compétences métalinguistiques, c’est-à-dire la prise de conscience des composantes phonologiques du langage, de même que les capacités de la mémoire de travail : « lorsque l’individu est distrait ou que sa capacité mnésique est surchargée, l’information est susceptible d’être perdue » (Brandon et Hessels, 2015, p. 568). Les régimes attentionnels de l’individu sont estimés profondément modifiés par l’actuelle et permanente exposition à la connectivité généralisée et à ce que d’aucuns appellent l’accélération permanente du rythme de vie et d’action de nos sociétés (Florey et Cordonier, 2015). L’attention se fragmente en raison même du besoin ou de l’envie d’accomplir plusieurs tâches en même temps ou simplement parce que cette attention est constamment agressée par les rhétoriques marchandes, la publicité (Crawford, 2016).

La lecture, la compréhension/interprétation des textes (au sens large du mot), qui repose sur une mobilisation intense et longue, est indubitablement mise à l’épreuve par les modes actuels de l’attention. Nombre d’enseignants estiment que la compréhension/interprétation en est affectée (Citton, 2014b). Or, tout en œuvrant à préserver cette activité, on doit se demander si la création artistique contemporaine ne développe pas des processus de lecture et de réception qui reposeraient moins strictement, mais pas moins légitimement, sur ceux qui opèrent dans les œuvres littéraires classiques.

À ces régimes d’attention modifiés, on peut ajouter un élément issu des travaux menés par des psychologues cognitivistes : l’émotion inhérente aux supports d’activités scolaires et notamment au matériau textuel. Les sources émotionnelles se rapportent soit à la nature même du support — le texte, l’image, le film, etc. — soit à l’univers diégétique construit par ces médias, tout intriquées qu’elles puissent parfois se présenter. Kneepkens et Zwaan (1994) les nomment les « émotions artefacts » et les « émotions fictives ». Les premières « sont directement dérivées de la manière dont le texte est rédigé », par « la structure de surface du texte » (Blanc et al., 2006, p. 141), le signifiant (la matière verbale, le style, etc.). Une attention du lecteur dévolue aux émotions qu’il aurait ainsi perçues favoriserait une « meilleure rétention des éléments du texte lui-même », à savoir une meilleure connaissance de la textualité. Plus précisément encore, un lecteur se souviendrait des émotions qu’il a ressenties ainsi que du média qui les porte. Les secondes, les émotions dites fictives réagissent au monde construit par le texte. Elles ont principalement été étudiées dans le cadre de la compréhension de textes narratifs et des protagonistes de ces récits. Leur survenue dépend du degré d’empathie du lecteur pour les personnages, des informations sur le contexte de l’action et de la plus ou moins grande cohérence, c’est-à-dire de la transitivité ou difficulté du code textuel et de la conduite narrative. Les travaux de Blanc et al. (2006) invitent à discriminer ces émotions fictives en deux sous-catégories : celles qui proviennent du ressenti d’un personnage — en ce cas, elles sont « extraites du système de valeurs du lecteur qui applique une sorte de schéma sur la situation décrite » — et celles du ressenti du lecteur lui-même réagissant aux événements rapportés — « et ce par rapport aux connaissances épisodiques réactivées par la situation décrite » (Blanc et al., 2006, p. 182).

Cette typologie des émotions en jeu dans la lecture de textes de fiction invite à nous intéresser aux nouveaux modes deréception travaillés par le numérique, hors de toute déploration (émotionnelle !) : ces modes d’appropriation et de partage des œuvres répondent certes à des pratiques plus hétérogènes et plurielles que par le passé, mais sans qu’elles soient nécessairement moins qualifiées, exigeantes ou efficientes que les pratiques dites canoniques. C’est donc par une analyse de L’Herbier des fées, liée aux plus récents modes de réception des œuvres culturelles, et notamment des œuvres hypercontemporaines, que se poursuit notre réflexion en vue d’une didactique encore mieux ajustée de la compréhension/interprétation.

4. L’Herbier des fées, un espace de raison et d’émotion

L’Herbier des fées est un album de grand format presque carré (28,5 cm x 31,5 cm) de 62 pages2. Le papier de grammage élevé est mat et légèrement granuleux. Deux pages sont partiellement transparentes et trois autres sont découpées au laser. Les illustrations résultent de techniques mixtes (dessin, aquarelle, plume, collages, etc., vrais et faux fac-similés de presse). Les couleurs de fond, les illustrations et la composition des pages imitent partiellement l’objet matériel et le genre de l’herbier, mais celui-ci prend aussi l’apparence du journal scientifique et du journal intime.

La version numérique au format « ePub » respecte avec quelques légères variantes l’ordre des pages du livre imprimé. Trois icônes différemment colorées déclenchent, au clic ou au toucher, des légendes en référence à des images ou parties d’image, des mises au premier plan de certains documents partiellement cachés par d’autres, des surgissements d’images nouvelles ; et une icône représentant une bobine de films anciens lance des courts métrages sépia accompagnés du bruit du projecteur d’époque. Sur un fond de chants et de cris d’oiseaux des bois, une courte mélodie lancinante est reprise par divers instruments tout au long de la lecture numérique.

L’histoire est celle d’Aleksandr Bogdanovitch, un botaniste russe si talentueux qu’il fut intégré par Raspoutine dans son Cabinet des sciences occultes. Afin de créer un élixir d’immortalité, il est envoyé en mission d’étude dans la célèbre forêt bretonne de Brocéliande, en 1914, soit peu avant le déclenchement de la guerre. Cette féérie est composée de l’herbier/journal du savant et de ses dessins scientifiques, de lettres qu’il écrit ou reçoit et de coupures de journaux qui permettent de deviner son sort et celui de son épouse qui l’aurait rejoint depuis que la découverte de minuscules plantes anthropomorphes et douées de pensées l’aurait fait refuser les ordres que lui intimait Raspoutine depuis la Russie. Le point de vue est majoritairement celui du botaniste qui tient son journal, dessine les plantes qu’il découvre et qu’il insère dans son herbier. Les autres points de vue tiennent à une notice biographique du savant qui ouvre le livre et à des photos et coupures de presse qui permettent de deviner partiellement le destin du savant dès sa disparition, au momentoù il cesse de tenir son journal/herbier.

Cette double œuvre de très haute qualité a reçu un accueil élogieux et plusieurs distinctions, et il est particulièrement ingrat et injuste de ne la retenir ici que pour l’analyser sous des angles très étroits qui ne rendent pas justice à son excellence : L’Herbier des fées répond parfaitement à ce critère de la forme/sens, de l’indissolubilité fertile entre ses supports, leur agencement narratif et les sens complexes qu’ils portent. C’est donc à regrets que nous réduisons le double album à ces seuls aspects : a) la phénoménologie de la perception de l’image mise en acte ; b) l’alliance forte de l’image et de l’émotion, dans ses versions papier et numérique (afin d’esquisser ce qui serait et ce qui sera, de plus en plus, un livre réellement numérique), et les ouvertures didactiques qui en découlent.

4.1. Phénoménologie de la perception de l’image : attention raisonnée à l’image et charge émotionnelle

« Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent seulement de nuit ». L’exergue de Poe, qui ouvre l’album, annonce le trajet de ce scientifique renommé qui étudiera le visible sous un point de vue si particulier qu’il mettra au jour certains de ses mystères. Mais l’épigraphe peut aussi résumer le mode d’apparaître de l’image, sa phénoménologie et certains de ses effets par le spectateur. La découverte extraordinaire que fera le botaniste, l’existence de minuscules êtres vivants et pensants se confondant à des parties de plantes, est mise en scène par les deux versions de l’album afin qu’en tournant les pages ou en les faisant glisser, le lecteur/spectateur éprouve lui aussi ce choc : on s’attendait à voir une partie d’une plante (bourgeon, fleur, racine, etc.), on découvre une forme anthropomorphe : tel est l’effet créé par les pages découpées, puis les pages transparentes et celles qui sont cachées par elles avant qu’on ne les découvre entièrement. Quand elles ne sont pas encore soulevées, elles laissent entrevoir, par transparence ou par les découpures, des végétaux ou des parties de végétaux. En soulevant cette page, en glissant à la suivante ou encore en activant une icône spécifique sur la version numérique, une figure humanoïde nous surprend3. Pour reprendre la typologie de Blanc et al. (2006) : émotion artefact, donc, mais aussi, émotion fictive.

Ce surgissement, qui nous étonne, est en fait celui que crée toute image (dessin, photographie), et ce n’est sans doute que leur profusion et notre exposition permanente à ces images qui en atténuent les effets. S’il n’était donc pas abusif de tenir ce petit événement pour la phénoménologie de la rencontre de l’image, on pourrait repartir de cette expérience pour nous interroger, d’une manière volontairement très simple, sur les préalables utiles ou nécessaires à une didactique explicite de l’image.

La spécificité du mode d’apparaître de l’image, son surgissement, exige de bien la distinguer des autres catégories de signes : l’entrée la plus opératoire, celle dont s’inspire la sémiologie, est celle de la trilogie de Peirce (1978), qui distingue les indices (p. ex., empreintes), des icônes (dessin, photo, film, etc.), des symboles (la très grande majorité des signes linguistiques). Ces trois types de signes se répartissent à un second niveau selon leur degré de séparation entre leurs signifiant et signifié respectifs, en signes analogiques (indices et icônes), et en signes digitaux (linguistiques). Fortlogiquement, c’est ce savoir que convoquent les cursus de lettres, ainsi que les études à

l’intention des enseignants de littérature, notamment celles qui se sont saisies du multimodal. Dans leur ouvrage, Lebrun et al. (2012) rappellent précisément ces fondements et en montrent les usages et bénéfices en recherche comme dans des séquences d’enseignement. Après avoir émis un doute sur la connaissance, passive ou active, qu’auraient de ces savoirs élémentaires les enseignants, et notamment les enseignants de français et de littérature récemment diplômés en Francophonie, nous sommes invités par le petit « choc » émotionnel que représente la rencontre d’une image à discriminer plus spécifiquement les signes.

Le médiologue Bougnoux (1989, p. 63) a rappelé que « toute éducation consiste à progresser du maniement des indices à celui des icônes, puis des symboles ». Ce mouvement génétique qui apprend à maîtriser des codes se traduit par une rupture croissante du contact de ressemblance ou d’analogie avec le dénoté, et donc « par des niveaux croissants de distance entre le sujet et son environnement physique et humain » (Meunier et Peraya, 2004, p. 161). Or, la civilisation de l’image a pris son essor au cours du siècle précédent. Depuis, notre génération numérique favorise les signes iconiques, les signes les moins détachés de la coupure sémiotique, les plus sensibles, les plus chauds. Voici donc le réel paradoxe : la société digitale et le digital qui organise le langage numérique produisent une profusion exponentielle de signes analogiques, à l’inverse du développement psychogénétique. Redisons-le, ces constats sont banals. Pourtant, ils invitent à détailler des questions supplémentaires. Plus exactement, car celles-ci, non plus, seront loin d’être inédites, elles doivent être réactualisées, toujours en vue de donner aux enseignants et formateurs d’enseignants des attitudes et des entrées pour aborder le monde des icônes tel qu’il ne cesse de croître. Ces questions, dont il faudrait suivre patiemment les tours différents qu’elles ont pris dans l’histoire, jadis et naguère, peuvent se réduire (drastiquement, mais opératoirement) à celles qui suivent (ci-après énumérées en deux groupements de questions).

4.2. L’image et l’émotion intrinsèquement liées : ouverture à des questions didactiques

1) Si l’image se donne, si elle est identifiée dans un apparaître signifiant quasi immédiat et forfaitaire, sans médiation, qui ne s’apprendrait pas (Metz, 1970b), peut-elle, doit-elle vraiment être matière d’enseignement ? « La principale caractéristique du matériel visuel [étant] sa faculté de susciter des émotions » (Joffe, 2007, p. 102), quelle place peut tenir, quelle légitimité peut avoir l’émotion, notamment dans la compréhension/émotion des œuvres fictionnelles multimodales ? Ces émotions se rabattent-elles fatalement sur la subjectivité narcissique du lecteur/spectateur (Morin, 1962 ; Blais, Gauchet et Ottavi, 2008) ou sur celle-ci en tant qu’aliénée par l’oppression socio- économique et politique (Baudrillard, 1972 ; Dufour, 2011) ? Autrement dit, si « les éléments iconiques perçus déclenchent une activité cognitive largement inconsciente d’activations et d’interactions entre les domaines qu’ils donnent à voir » (Meunier et Peraya, 2004, p. 263) est-il pertinent d’œuvrer à les expliciter, de les déconstruire et analyser ?

Notre modeste réponse s’appuiera à nouveau sur L’Herbier des fées, précisément sur une question d’interprétation que le lecteur ne peut que garder ouverte : le botaniste découvre-t-il « vraiment » des êtres vivants et doués de raison ou projette-t-il dans ses observations ses propres états mentaux de chercheur isolé dans une profonde forêt ? Des notations de son journal accréditent la projection : « L’Œilletereine me rappelait ma fille. J’étais ému » (Lacombe et Perez, 2011, n.p.). Une autre de ces plantes qui se révèle humaine est une danseuse, comme l’est sa propre épouse, et la chorégraphie de la plante humaine lui permet de créer un langage que le botaniste apprend à décoder. Puis, d’autres plantes humaines, les Belles de Nuit, se présentent d’autant plus sensuellement à l’œil du botaniste que son isolement perdure… Par l’habileté des dessins et de la mise en page, le lecteur/spectateur est lui-même dans le doute : depuis qu’il a été mis face à des anamorphoses (végétaux vs humanoïdes), il recherche partout dans l’album des figures humaines sous la végétation, et il finit par en trouver — ou imaginer — quelques-unes (page de garde finale…). Dans la version numérique, ce sont les courts métrages (fabriqués sur le procédé de l’animation) qui laissent brièvement entrevoir des figures vivantes ; petit choc émotif et intériorisation chez le lecteur/spectateur du doute qu’il avait sur le personnage : celui-ci se projette et moi aussi je me projette !

Considérant donc ces épisodes et ces doutes pour une mise en abyme du lecteur/spectateur dans son face-à-face avec l’image, nous pouvons réactualiser ici quelques-unes des attitudes courantes devant l’image. Sur la base de la psychanalyse freudienne puis lacanienne, les spécialistes ont insisté sur le caractère de plénitude, de totalité que procure la rencontre de l’image (Baudry, 1970 ; Metz, 1970b) ainsi que sur la participation empathique, affective du spectateur avec cette image (Morin, 1962), avec des différences qu’on ne détaillera pas ici entre l’image fixe et l’image animée. Si ce mode de participation a sans doute favorisé l’inflation du recours à l’identification du lecteur/spectateur avec le personnage et s’il a accru les interprétations subjectives, fortement affectives et autoréférentielles au détriment des interprétations fondées sur des indices textuels convergents, la profusion des signes iconiques actuels n’enferme pas nécessairement le sujet participant dans une monade narcissique, mais elle peut être source d’autonomie :

Objet d’investissement mimétique, l’image correspond à un désir et induit divers phénomènes – à forte coloration affective – de projection, d’identification et d’imitation qui ne sont pas sans effets sur l’image de soi et le rapport social. […] D’un autre point de vue, en raison du phénomène de participation mimétique, le rapport à l’image renoue avec la manière la plus primitive que nous avons de connaître : par empathie ou compréhension au sens fondamental du terme. Se laisser imprégner par un être, une chose ou une situation perçue constitue sans doute l’acte primordial et la base de la connaissance.

(Meunier et Peraya, 2004, p. 353)

Ainsi que le montre, voire même l’effectue pragmatiquement, notre mise en abyme de la perception de l’image, ces hésitations sur le sens et la nature du vu (est-ce une plante ou un humain ?) créent,

[…] à l’intérieur même de la participation mimétique aux images perçues, des variations de points de vue [qui] peuvent occasionner des décentrations du regard qui obligent, généralement après coup, à une démarche intégrative, c’est-à-dire à la formation d’un méta-point de vue.

(Ibid.)

Dans ce processus, les risques de l’émotion à enfermer le sujet dans l’autoréférence sont particulièrement conjurés etdeviennent des adjuvants du processus de compréhension/interprétation s’ils sont repérés, nommés et exprimés dans leur rôle par le sujet lecteur. C’est donc un usage métacognitif de l’émotion telle qu’elle est aujourd’hui intensifiée par l’image prépondérante qui la fait participer aux processus de compréhension /interprétation et c’est cette fonction que l’École doit favoriser, en profitant des recherches spécifiques sur l’intelligence émotionnelle.

2) Si ce matériel iconique interagit de manière particulièrement intense dans les œuvres dites numériques, « l’instabilité du texte numérique dans sa forme (l’hypertexte, l’animation) et dans son enchaînement au dispositif et au programme » (Saemmer, 2008, p. 65) est-elle une source de déficit conséquent pour la lecture/compréhension ? Quels modes de lecture, instables ou fléchés, voire contraints, sont engendrés ? Notre réponse examinera la version numérique de L’Herbier des fées pour la mesurer à la version papier.

Comme de nombreuses autres créations récentes, la version numérique de L’Herbier des fées est en fait un livreaugmenté qui repose, pour l’essentiel, sur la structure du livre traditionnel et le mode de lecture principal qu’il installe, la lecture linéaire, page à page (cf. aussi Perret-Truchot, 2015, p. 3). Comme décrit plus haut, outre l’ajout de la musique, l’apport du numérique se concrétise par des icônes qui donnent des informations scientifiques (nomenclature des parties de la plante), des mises en évidence d’images partiellement cachées, des animations de pages ou d’images. Mais son originalité principale est d’insérer des courts métrages censés remonter au temps de l’histoire, au début du XXe siècle. Ces apports créent des arrêts dans la progression du texte, mais n’infléchissent pas vraiment son cours. Le numérique, dans ce cas, ne crée qu’une faible instabilité, il n’induit que de faibles variantes dans le mode de composition du parcours.

On peut cependant rapprocher de l’instabilité quelques effets qui peuvent le distinguer de la version imprimée. Deseffets bien connus de tout lecteur/spectateur empirique autant que des spécialistes de la communication multimodale : d’abord, les fonctionnalités peuvent n’être que partiellement sollicitées. Ainsi, une fois qu’il a constaté que le clic ou le doigt sur telle icône ne fait qu’ajouter des définitions scientifiques à des parties de la plante, le lecteur renoncera à ces petites éruditions, qu’il estimera secondaires. Ce faisant, le lecteur/spectateur perd forcément des éléments de sens. Par exemple, ces définitions qui arrivent au clic laissent apparaître dans leur successivité des isotopies en tension, celle propre au végétal, celle propre à l’humain, et celle de leur ensemble possiblement commun. En délaissant ces informations, le lecteur/spectateur rompt donc une des pistes qui l’amènent petit à petit à découvrir des plantes humaines. Notons que ces informations sont homologues à celles du lecteur/spectateur de l’album papier, qui négligera sans doute lui aussi de lire toutes les définitions qui sont accolées à ces plantes.

Proches des instabilités, en ce qu’elles risquent d’influer sur la lecture/spectature, l’ergonomie et les gestes spécifiques du numérique. Elles peuvent également provoquer soit d’autres types d’arrêts, soit des variantes dans l’approche de l’histoire (déclenchement aléatoire ou régulier de la musique…), mais nous ne les détaillerons pas ici.

Cette compréhension qui se construit par le matériau textuel, mais également par l’image, l’image animée, le son, le glissé du doigt, etc., gagnerait une fois encore à être rapprochée de quelques recherches menées par des cognitivistes.Dans la compréhension/interprétation des textes littéraires, le premier rôle des émotions est de sélectionner, de diriger l’attention du lecteur sur certaines informations, et de déterminer ainsi « le contenu de la représentation qui seraélaborée en mémoire » (Blanc et al., 2006, p. 183). Les informations fictives sont mieux retenues et donnent lieu à plusd’élaborations quand elles sont congruentes avec l’état émotionnel du lecteur. Celui-ci se fonde sur cette cohérence pour intégrer de nouvelles informations, et construire sa compréhension et son interprétation.Toutefois, on le pressentait, ces mêmes émotions du sujet lecteur peuvent aussi perturber, distraire sa compréhension. Quant à celles qui proviennent du matériau linguistique de ces œuvres narratives, les émotions dites artefacts mettent en évidence les passages textuels qui les ont suscitées et elles favorisent un meilleur souvenir global du texte. Il serait alors pertinent du point de vue didactique que les enseignants identifient ces passages du texte potentiellement porteurs d’émotions fictives et artefacts, afin de diriger l’attention des élèves sur des éléments qui pourront entrer en congruence avec leur propre carte des émotions, et de favoriser la mémorisation de contenus narrativement importants. Le second rôle des émotions est de se substituer pour un temps aux processus cognitifs quand ceux-ci ne suffisent pas au lecteur pour créer une représentation cohérente d’un épisode de la situation narrative. Dans ce cas, « l’impression émotionnellefournit un certain contrôle sur le processus de lecture en cours » (Blanc et al., 2006, p. 184), un rôle particulièrement soutenu dans les ouvertures de récits, au moment où le cadre spatio-temporel et l’action se mettent en place. Selon les chercheurs qui ont examiné cet acte d’apprentissage, ces deux principales fonctions des émotions devraient « être intégrées aux modélisations actuelles de l’activité de compréhension des textes » (Blanc et al., 2006, p. 185).

D’autres variations de l’activité de lecture/spectature proviennent des priorités respectives, des trajets entre les médias en collaboration. Ainsi, dans L’Herbier des fées, le journal que tient le botaniste témoigne quasi toujours de sa lucidité et de sa raison, alors que les dessins (son autoportrait, mais aussi des gros plans de son visage halluciné ou enchanté) de même que le changement des couleurs dominantes des images induisent sa folie. Dans le cas de l’album ici retenu, topiquement, le langage verbal (les symboles de Peirce) porte principalement la rationalité froide, et les images (lesicônes) traduisent et portent préférentiellement la charge sensible, émotive. Au-delà de cet exemple, il serait alors intéressant que des recherches de classe ou cliniques examinent d’une part plus attentivement la collaboration des médias et, d’autre part, tentent de mesurer les plus ou moins grandes pertinences d’un média à porter, à tel moment de l’histoire, des contenus soit affectifs soit rationnels. La recherche, bien sûr, ne devrait pas être réservée à la fiction et évaluer, par exemple, la capacité des infographies, actuellement si abondantes dans la presse, à porter ou à perdre des contenus à fort potentiel affectif (p. ex., recensions des attentats terroristes).

Enfin, parce que la version augmentée de L’Herbier des fées n’est pas encore un livre vraiment « né numérique » dontles fonctionnalités sont « inhérentes au numérique et irréalisables par l’imprimerie », et qu’il n’est pas encore un de ces livres immersifs où le lecteur « devient assistant- collaborateur d’une machine » (Bennett, 2010, p. 42), il est certain que le rôle de l’émotion examinée par la métacognition sera encore plus crucial dans l’apprentissage et la didactique de la compréhension/interprétation de ces œuvres vraiment numériques.

La modeste phénoménologie comparée de la lecture/spectature que nous avons esquissée à partir des deux versions d’un album jeunesse interroge les savoirs et les savoir-faire des enseignants, et plus particulièrement des enseignants en formation, ceux-là mêmes qui guideront les apprentissages multimodaux des élèves. Comment ces futurs professionnels de la lecture/compréhension ressentent-ils, discriminent-ils, nomment-ils les effets que les différents supports créent, installent en eux-mêmes ? Avec quelle conscience sémiotique et avec quelle confiance guident-ils la lecture/spectature de leurs élèves ? Dans quelle mesure et à quelles fins leurs dispositifs didactiques intègrent-ils les informationsfactuelles provenant des différents supports et des émotions suscitées ? Ces compétences sémiotiques sont-elles exercées pendant leur cursus professionnel vers l’enseignement ou leur maîtrise dépend-elle principalement de l’autoformation ? Selon nous, il est absolument crucial que les plans d’études conduisant à l’enseignement assurent le premier socle de ces savoirs et dotent leurs diplômés d’un socle minimal de connaissances et de savoir-faire.

La carte conceptuelle et pratique dans laquelle les enseignants devraient circuler avec une confiance suffisante a été synthétiquement dessinée par Meunier et Peraya (2004). Entre autres qualités, leur Introduction aux théories de la communication a celle d’avoir retenu de la linguistique et de la sémiologie les concepts les plus généraux et les plus éprouvés, une base large et consensuelle qui permet d’intégrer et de mettre en dialogue équilibré tous les médias, touten éclairant les spécificités de chacun, de chaque langage, de chaque réception. Aussi, leur schéma (Meunier et Peraya, 2004, p. 363) classe-t-il utilement les messages verbaux et iconiques selon que leur signification est plus ou moins ouverte ou fermée, et selon qu’ils sont soit empathiques soit réflexifs. Il présente aussi le champ conceptuel et didactique dans lequel tout enseignant devrait pouvoir accompagner ses élèves dans leur décodage et appropriation des œuvres culturelles classiques et contemporaines.

Schéma des grandes partitions de l’univers des communications audio-scripto-visuelles (Meunier et Peraya, 2004, p. 363)

5. Ouverture épistémologique : après le livre, dans la classe

L’Herbier des fées accueille, nous venons de le voir, une potentielle lecture polyphonique : se déploient des chemins qui se construisent et se déconstruisent, conjuguant, dans la version numérique, différentes strates de sens : texte, image animée, son. Pour le dire en recourant à une expression que l’histoire de la critique littéraire connaît bien, l’album est un espace de lecture qui invite — discrètement — le lecteur/spectateur à conjuguer les différents médias qui le composent, à faire sienne cette émotion qui naît au surgissement d’une page. La dimension spatiale de l’œuvre évoque, sans surprise, les travaux de Deleuze et Guattari (1972) sur le codage, le décodage et le surcodage des flux. Là où, anciennement, le chemin était « imprimé », guidé, imposé, « codé », il devient potentiellement pluridirectionnel et polyphonique dans la version numérique, « décodé », et invite le lecteur à le « surcoder », en inventant de nouvelles modalités de lecture.

Demandons-nous à présent ce que cet espace de lecture devient en régime numérique, autrement dit, dans une ère où les progrès technologiques sont adoptés, voire imposés par le marché néolibéral. Pour cela, nous convoquons deux penseurs, l’un du numérique, l’autre du contemporain. Han (2015) voit dans notre époque une nouvelle société du spectacle : soumises à une exhibition immédiate et omniprésente, les distances, spatiales et mentales, sont supprimées. La « société de la transparence » (Transparenzgesellschaft) gomme la frontière entre le privé et le public, et rend l’individu captif du tout-objectivé et du tout interconnecté : dans l’espace numérique, chacun est émetteur et récepteur, producteur et consommateur, simultanément et en permanence. Han (2015) qualifie cet état de « bruit » ou de « vacarme », « indice acoustique annonçant un début d’effondrement du pouvoir » (p. 13) — le pouvoir étant ici entendu comme ce qui réduit le bruit et le vacarme, l’entropie communicationnelle, comme ce qui permet d’installer un silence, une « marge de manœuvre pour l’action ». Et pour la lecture ? sommes-nous tentés de questionner. La lecture d’une œuvre médiatique multimodale, en régime numérique, est-elle l’indice d’une création de sens à chaque fois renouvelée ou les stigmates du bruit et du vacarme ?

L’analyse de Ruffel (2016) entretient une analogie avec le constat de Han : le silence de l’espace public et littéraire a cédé la place au brouhaha du numérique. Mais à la différence de Han, Ruffel ne voit pas dans ce changement le signe annonciateur d’une aliénation à venir, au contraire, elle lui apparaît comme un facteur émancipatoire. Selon le critique littéraire, les caractéristiques que l’on a longtemps associées aux traits constitutifs du savoir et de l’éthos démocratique — ce silence que Han souhaiterait préserver — ne sont en fait que des modes de « publication » parmi d’autres. Sous l’influence de la postmodernité, la nature ainsi que le mode d’exposition et de diffusion des œuvres culturelles et artistiques ont été bouleversés. Pour prendre le seul exemple de la littérature, cet art qui, dès le XIXe siècle, se trouve comme naturellement associé à la lecture solitaire et silencieuse, à la matérialité du livre, est aujourd’hui rapporté à laperformance. Chez Ruffel, donc, le brouhaha est à considérer comme une occasion de revivifier la littérature, en réhabilitant l’espace, le corps et le son.

Le moment contemporain de la littérature se situerait donc dans une participation en dehors du livre et de l’édition, dans la performance et l’investissement de l’espace public, restituant à la « publication » son sens premier de mise à disposition.

(Chavoz, 2016)

Lisons L’Herbier des fées à la lumière de cette notion : contexte de production de l’œuvre, le brouhaha serait ici également interne au texte et à ses possibles de lecture, puisqu’il repousse les frontières d’une lecture guidée par un texte linéaire, « fini ». Les travaux de Ruffel contribuent à neutraliser le jugement sur le brouhaha : ni favorable ni stérile en soi, le brouhaha révèle en revanche des relations de sens inédites, que le texte, les lecteurs, les acteursactualiseront, ou pas.

La pluralité des voix et des trajets de lecture, si elle peut être « bruit » ou « vacarme » comme le suppose Han, peut également constituer les conditions d’une relation renouvelée entre auteur, texte et lecteur. Mais on peut aller plus loin et intégrer à cette communauté de « traducteurs », les acteurs de l’école : élèves, corps enseignant, didacticiens.L’Herbier des fées permet peut-être, non pas de placer toutes les lectures, toutes les interprétations, à égale légitimité, dans un relativisme mou, mais de légitimer toutes les voix, toutes les prises de position dans l’espace lectoral. Le brouhaha, c’est aussi reconnaître que les rapports de force ont évolué vers des rapports de réciprocité multiples. On peut lire partout aujourd’hui, on peut dire ce qu’on a lu partout également, grâce à la technologie du web 2.0. Cette nouvelle répartition du territoire devrait également faire l’objet d’une didactisation, afin d’enseigner aux élèves à investir les outils numériques qui promeuvent le texte littéraire.

Alors, qu’est-ce à dire du texte littéraire médiatique multimodal en régime numérique ? Et de sa transmission en contexte scolaire ? Tout d’abord, une citation de Bon (2013) qui nous inspire :

Mon outil de lecture, ce n’est plus le livre, c’est le navigateur : l’iPad, l’iPhone ou le Kindle Fire peuvent redonner une ergonomie à une page ou un ensemble web sans passer par la case livre numérique. Approprions-nous ces fonctions pour que la littérature agisse plus fort, plus intensément, avec ou contre les représentations du monde. Pour moi, l’avenir du livre c’est qu’on pourra s’en passer.

On le voit, les écrivains et les critiques littéraires s’emparent de la question du statut du livre, toujours en relation avec celle du pouvoir de la littérature. Le livre, traditionnel ou numérique, ne saurait se penser en dehors du rapport au monde qu’il crée de facto, de la Weltanschauung qu’il cultive, de la notion de lecteur situé.

Comment alors enseigner la lecture à des élèves confrontés à des textes imprimés ou numériques, lus sur des supports papier ou numérique, à une époque traversée elle aussi par des forces traditionnelles ou numériques ? Comment augmenter les compétences en lecture des élèves, puisqu’il s’agirait bien de maîtriser les codes de la lecture dite traditionnelle, qui s’enrichiraient des codes inédits portés par l’image fixe ou animée, le son, le texte en construction ? Contre une dichotomie simpliste, caricaturale, qui pourrait voir dans la lecture traditionnelle la seule pourvoyeuse de sens et de profondeur, les travaux de Vandendorpe (2015) semblent constituer un garde-fou. Le sémioticien secoue certaines idées reçues sur le numérique : « Au lieu d’être pure réceptivité, la lecture sur écran tend à devenir ergative (du grec «ἔργον » : travail) et à se faire action, en se déplaçant vers la recherche d’informations, les textes procéduraux et les contacts sociaux » (p. 19).

Si l’on accepte de considérer que, dans certains contextes, l’émotion est un facilitateur de la compréhension, il semblera naturel de former les enseignants à la lecture de l’image, comprise dans son sens large. Plus généralement, il semblera pertinent et essentiel d’introduire l’émotion dans la création de dispositifs didactiques en compréhension/interprétation des textes. Situés dans leur champ disciplinaire, mais invités à dialoguer avec la didactique de la littérature et les études littéraires, les processus émotionnels et les apports de la psychologie cognitive peuvent être considérés dans l’apprentissage de la compréhension/interprétation des textes littéraires, et notamment de textes multimodaux, protégés qu’ils sont autant des représentations et des idéologies qui s’en méfient, que de celles qui les cultivent excessivement.

Notes
  1. Comme Angenot (1989) le définit : « Tout ce qui se dit et s’écrit dans un état de société » (p. 13). ↩︎
  2. Notre description et l’usage que nous faisons de cet album bénéficient de l’étude que lui a consacrée Perret-Truchot (2015). ↩︎
  3. Une vidéo présente la version papier de L’Herbier des fées, page à page. Bien que le livre soit filmé d’assez loin, on peut partiellement vérifier cet effet à l’adresse https://www.youtube.com/watch?v=krhESOTfQKM ↩︎
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