Volume 6 / Pratiques didactiques innovantes

Vers une didactique de l’interculturel fondée sur l’articulation littérature jeunesse/arts visuels : l’exemple du Japon en formation d’adultes

Anne Schneider
Université de Caen
Magali Jeannin
Université de Caen

Résumé

À partir d’un corpus d’albums de littérature jeunesse mettant en scène les arts visuels japonais, une expérimentation de médiation interculturelle en formation d’adultes sur la lecture d’images a été menée. Visant à faire écrire dans des carnets de lecture, à partir de l’image, des écrits subjectifs formés de marqueurs psychoaffectifs, interprétatifs et culturels, fondés sur le ressenti et les liens possibles avec sa propre culture littéraire, l’expérience développe un parcours subjectif de lecture. À l’aide d’une typologie des approches interculturelles, nommées désignée, croisée et plurielle, et d’une méthodologie qualitative, l’objectif de cette étude est d’ordre compréhensif, comme réflexion sur le déploiement de l’identité culturelle.

Abstract

Based on a corpus of Japanese children’s literature featuring Japanese visual arts, a study in intercultural mediation in adult education on image reading was conducted. Aimed at written productions developed in students’ notebooks based on images, and making subjective, psycho-affective, interpretive, and cultural markers based on feelings and possible links to one’s own literary culture, the study highlighted a subjective reading process. Using a typology of intercultural approaches, referred to as cross-cultural and plural, and a qualitative methodology, the purpose of this study is to understand, as reflection, the creation of cultural identity.

Mots-clés
littérature de jeunesse; album; interculturalité; médiation; Japon; arts visuels; formation d’adultes; carnet de lecture; sujet lecteur

Keywords
children’s literature; albums; intercultural; mediation; Japan; visual arts; adult education; notebooks; subjective reading

Introduction

La formation des futurs enseignants du primaire comme du secondaire nécessite le questionnement des prescriptions officielles et l’investissement des enjeux définis comme prioritaires par l’Institution, notamment lorsqu’ils convoquent des valeurs dont les contours peuvent s’avérer complexes à cerner pour les enseignants eux-mêmes. Ainsi, le domaine 5 du Socle commun de connaissances, de compétences et de culture préconise la mise en œuvre d’une « réflexion sur soi et sur les autres, une ouverture à l’altérité […]» associée à l’appréhension de la « diversité des expériences humaines et des formes qu’elles prennent » (MEN, 2015, p. 7). Dans ce contexte, l’enseignant adopte en quelque sorte le rôle de médiateur interculturel, « passeur » et constructeur d’altérité, mission complexe qui nécessite de s’être soi-même approprié un concept convoqué par l’Institution sans qu’il ne soit jamais explicitement défini.

L’altérité, posée par Ricoeur (1990) comme expérience fondatrice de l’individu en tant que sujet, est le point de focalisation de deux dialectiques conjointes : celle du semblable et du différent, et celle du moi et de l’autre, aussi bien en soi qu’en dehors de soi. Dans ce cadre, il nous a semblé pertinent de nous intéresser aux modalités de construction du rapport à l’altérité chez des étudiants se destinant à devenir enseignants. Des étudiants de troisième année de Licence en Sciences de l’Éducation à l’Université de Caen en 2016 ont donc été les sujets volontaires d’un protocole d’expérimentation visant justement à faire émerger l’altérité comme expérience, par le biais d’un carnet de lecture, envisagé comme média et outil d’explicitation. Un corpus d’albums jeunesse, organisé autour des arts visuels japonais1, a constitué le support d’entrée dans cette expérimentation. Le choix du Japon a été orienté par un double constat : les arts visuels japonais appartiennent à un univers culturel souvent éloigné de notre patrimoine occidental ; ils sont pourtant fréquemment convoqués dans les œuvres de littérature jeunesse et en complexifient dès lors l’appréhension, tant pour les jeunes lecteurs que pour les enseignants eux-mêmes.

Dans ce contexte, il ne s’agissait donc pas de proposer une approche « documentaire » du Japon, dans le but de construire des savoirs culturels stables et identifiés, mais de faire émerger les représentations des étudiants — fussent-elles stéréotypées ou fantaisistes —, afin d’établir une évaluation diagnostique de leur rapport à l’altérité, et en tant que formatrices, en tirer des conséquences didactiques. Cette démarche s’inscrit dans le cadre de l’éducation interculturelle, définie notamment par Abdallah-Pretceille et Porcher (1996, p. 44) comme rencontre avec l’autre induisant interaction et échange, et prenant le risque de la dissonance. Elle se réclame donc d’une approche phénoménologique : l’individu est appréhendé avant tout comme sujet, défini à la fois par sa relation à lui-même, et par sa relation au monde, qui ne peut être que subjective2.

Par ailleurs, les albums du corpus témoignent de divers degrés d’appropriation et d’intégration des arts visuels japonais : l’objectif étant parallèlement d’éviter l’écueil de l’essentialisation culturelle en figeant les représentations sur le Japon ; démarche contre-productive dont on ne peut que constater la fréquence en formation3. Ainsi, à l’évaluation du rapport à l’altérité des étudiants avons-nous associé une action de formation à la didactique de l’interculturel : comprendre qu’une culture4 vit d’apports multiples, qu’elle retisse en fonction de la société dans laquelle elle est produite (Laplantine, 1987), et que c’est « […] la culture en acte, et non la culture comme objet qui est au cœur de la démarche interculturelle » (Abdallah-Pretceille, 2003, p. 26). Dans cette perspective, les ouvrages du corpus proposé aux étudiants, tout comme la démarche d’explicitation de leurs représentations que nous avons encouragée, participent au principe de contamination, tel qu’il est posé par le sociologue Duvignaud (1994, p.11-18), pour définir le processus d’appropriation qui est au fondement de la démarche artistique : une dynamique travaillant les cultures en profondeur, libérant et enrichissant les processus imaginaires singuliers et collectifs. Ainsi, notresouhait était double : dans un cadre de formation d’adultes, expérimenter ce qui facilite ou ce qui fait obstacle à l’expérience effective de l’altérité, et dans un cadre de recherche, examiner l’engagement du sujet lecteur dans le processus de subjectivation littéraire, en particulier dans la façon dont il s’approprie une culture dont les référents lui sont plus ou moins connus, voire totalement méconnus.

Quelles lectures des différentes images visuelles proposées par les albums sont envisageables, et en fonction de quel type de regard ? Comment s’engager dans une interprétation ? Quelle méthode rend possible une entrée dans ce type d’albums ? Quelle dimension interculturelle — au sens d’interaction et d’échanges entre des cultures5 a priori très distinctes — investir dans un cadre éloigné de ses propres référents ? Ainsi, à la rencontre de la culture japonaise et des autres cultures, favorisée par le corpus,s’associe la rencontre avec la subjectivité de l’étudiant et la façon dont l’individu définit plus ou moins consciemment son identité culturelle singulière. L’ensemble de l’expérimentation, inspirée par les travaux sur la littératie multimodale (Lacelle et Langlade, 2007 ; Lebrun, Lacelle et Boutin, 2012), s’est donné pour but d’interroger l’articulation entre « lecture-spectature » (Lacelle, 2012, p. 171-188) et appréhension de l’altérité, dans une démarche de questionnement de l’identité culturelle du sujet6. Cette forme de mobilité du sujet, fondée sur le lien entre arts visuels et littérature, que nous appellerons « symbolique », a été favorisée par l’utilisation d’un dispositif de carnet de lecture, écrit affectif d’appropriation permettantd’adopter la posture d’un lecteur critique. Les traces laissées dans le carnet relèvent de différents typesde marqueurs7 (Schneider, 2007, p. 194–196) : marqueurs psychoaffectifs (marques émotionnelles de jugement et d’investissement), interprétatifs (qui montrent que le lecteur s’est positionné dans une volonté de compréhension du texte), ou culturels (lorsque les références culturelles — personnages, œuvres littéraires ou picturales, lexique — ont facilité cette interprétation, ou permis des analogies). Le carnet de lecture, régulièrement investi, a permis la conservation de traces mémorielles des œuvres, mais aussi la création de liens entre littérature de jeunesse et arts visuels, entre lectures privées et lectures institutionnalisées. In fine s’est opéré le tissage d’un réseau de sens, étayé par l’implication du sujet lecteur (Langlade et Rouxel, 2004) immédiatement confronté à l’altérité grâce à l’image visuelle.

Cette contribution s’attachera dans un premier temps à la justification du corpus retenu, notamment l’explicitation des enjeux conceptuels et didactiques de sa constitution, autour d’une typologie des approches interculturelles (désignée/croisée/plurielle) élaborée en formation. Après la présentation du protocole d’expérimentation, le dernier temps de l’analyse sera consacré à l’examen critique des carnets, afin de proposer une typologie des lecteurs impliqués adossée à ce qui se joue dans leur imaginaire : la construction d’une identité culturelle complexe, fondée sur le dialogue interculturel, engageant une didactisation possible du lien arts visuels/littérature.

1. Arts visuels japonais et littérature de jeunesse : les enjeux de la rencontre

Le corpus a été constitué selon deux principes directeurs : la variété des approches et la récurrence des motifs, qu’ils soient picturaux ou littéraires. Nous avons ainsi retenu quatre ouvrages8 : La Fille dusamouraï (Bernard et Roca, 2012), Sous la Grande Vague (Hokusaï et Kerillis, 2014), Ondine (Lacombe, 2012), et les Fables choisies illustrées par les maîtres de l’estampe japonaise (Jean de La Fontaine, 20139). Ces œuvres abordent le genre du conte, de l’apologue, mais aussi la poésie et le théâtre. Les textes sont contemporains, dans le cas des deux premiers albums cités, mais réfèrent à une époque historique antérieure (respectivement le XIXe siècle et le Moyen Âge) ; Lacombe (2012) croise la version française du XIXe siècle d’Ondine et la pièce éponyme de Giraudoux (1939) ; quant à l’édition des Fables choisies,elle associe, à la version originelle des fables, des illustrations du XIXe siècle. Ces quatre œuvres peuvent donc être considérées comme patrimoniales, au sens défendu par Louichon (2015, p. 3) : « production passée et réception présente ». Les illustrations sont d’effectives estampes japonaises (Sous la GrandeVague/Fables choisies) ou des illustrations actuelles qui s’en inspirent et les réinventent (La Fille du samouraï/Ondine/Sous la Grande Vague).

Par ailleurs, nous avons tenté d’anticiper de quelle(s) manière(s) les choix opérés par les auteurs/illustrateurs/éditeurs entrent en résonance avec certaines pratiques extracurriculaires des lecteurs potentiels de ces albums, qu’il s’agisse des enfants eux-mêmes, destinataires explicites, ou des jeunes adultes futurs enseignants, objets de notre expérimentation10. Il apparaîtra, en effet, dans la partie de cette étude consacrée aux résultats, que les pratiques effectives de lecture, renseignées par les traces déposées librement dans les carnets de lecture des étudiants, sont fréquemment tournées vers la « lecture-spectature »11 de mangas, qui constituent un univers très familier (notamment par le biais des films d’animation ou des dessins animés) de la jeunesse, et dont le statut institutionnel se situe en dehors des pratiques sociales de référence (Baudelot, Cartier et Detrez, 1999).

2. Ce que la littérature de jeunesse donne à voir du Japon

Si le corpus présente des « incontournables » du « Japon éternel », il est intéressant de noter la présence constante d’une altérité explicite : des éléments exogènes qui engagent donc un dialogue interculturel et témoignent de l’élargissement actuel de la notion même de patrimoine d’une approche restreinte, nationale, à une approche élargie, universelle et dynamique12.

Les images visuelles, proposées par les albums, sont quant à elles de natures variées : reproduction d’authentiques estampes, illustrations, dessins, aquarelles. Le caractère

« exotique » apparaît évidemment en premier, qu’il s’agisse de l’évocation historique et géographique — le Japon rural du XIXe siècle de Sous la Grande Vague (Hokusaï et Kérillis, 2014), le Japon des samouraïs chez Bernard et Roca (2012) — ou picturale, plus ou moins explicite (la « grande vague » d’Hokusaï qui donne son titre à l’album de Kérillis, l’eau mortifère d’Ondine). Néanmoins, au-delà de l’exotisme, c’est la dimension symbolique, voire mythique, qui est mise en exergue, quels que soient les signes convoqués — images authentiques ou imitations : par exemple, les animaux (une grue japonaise pour illustrer la fable Le Loup et la Cigogne de La Fontaine) ou le mont Fuji (Hokusaï et Kérillis, 2014), jusqu’à l’exhibition de l’étrange et sa mise en scène théâtralisée : idéogrammes, vêtements, démons et dragons dans La Fille du Samouraï (Bernard et Roca, 2012).

Parallèlement, se trouvent intégrés des éléments exogènes, qui dialoguent avec le « Japon éternel » et instaurent une proximité avec le lecteur. La lecture est donc l’occasion de faire conjointement l’expérience de l’autre et du même, ce qui, comme le rappelle Levinas (1983), définit précisément l’altérité. Ainsi, certaines estampes illustrant les Fables présentent des paysages universels, peu connotés géographiquement. Lacombe (2012) intègre quant à lui la Grande Vague d’Hokusaï et Kérillis (2014) à une iconographie inspirée des préraphaélites, et le récit-cadre de La Fille du Samouraï se déroule sur lascène d’un théâtre à l’occidental. Ce dialogue iconographique entre l’univers du Japon et d’autres cultures exogènes nourrit par ailleurs une relation texte/image singulière : dans les quatre œuvres choisies, la fiction et l’esthétique s’autoalimentent et chaque album propose un type de lien différent : investissement de l’estampe par le récit dans Sous la Grande Vague qui apparaît comme une narrativisation des œuvres d’Hokusaï, reproduites et accompagnées de dessins originaux de Kérillis ; investissement de la fable par les estampes, fidèlement reproduites par l’éditeur ; anticipation de la conclusion narrative par l’illustration d’Ondine, véritable livre-objet (Jeannin,2014) ; mise en abyme et exhibition des enjeux de la littératie dans La Fille du Samouraï, où les corps tatoués des deux héros sont les dépositaires d’un savoir ésotérique.

Ces différents dispositifs d’écriture et de mise en relation texte/image font des quatre albums sélectionnés des supports privilégiés pour la mise en œuvre d’une didactique de l’implication (Langlade et Rouxel, 2004) et, plus particulièrement, le développement d’une démarche subjective (Lacelle et Langlade, 2007). D’un côté, par la variété des approches sollicitant le sujet lecteur selon un processus complexe de «lecture-spectature » ; de l’autre, par les liens tissés par ces albums avec des supports et des pratiques de lecture extracurriculaires, sollicités hors du cadre scolaire, mais aussi dans le cadre du cours de littérature de jeunesse (albums d’Ungerer (2007 et 2013) ou de Pef [Daeninckx et Pef, 2002], par exemple, dont des extraits ont été remis aux étudiants). Ainsi, Sous la Grande Vague ne se contente pas de proposer une mise en récit (et en haïku) de l’estampe ; les œuvres d’Hokusaï sont parfois traitées comme des images de bande dessinée : Kérillis insère des phylactères, donnant la parole aux personnages hokusiens figés dans l’espace-temps du Japon éternel, rappelant la filiation directe de l’estampe et du manga. Manga également présent en filigrane dans le visage d’Ondine, synthèse des héroïnes japonaises et des jeunes filles mélancoliques des préraphaélites. L’écho avec les lectures « illégitimes13 » des élèves et des étudiants, qui émergera d’ailleurs au gré de l’écriture dans les carnets14, permettra d’intégrer une dimension capitale de la construction de l’identité culturelle du sujet lecteur.

3. Typologie des approches interculturelles

Les œuvres du corpus s’inscrivent au sein d’une typologie de l’approche interculturelle élaborée et testée en amont de l’expérimentation, dans le cadre du cours de littérature de jeunesse du master 1 MEEF15 Premier Degré à l’ESPE16 de Caen. Cette typologie construite en formation distingue trois types d’approches interculturelles, que nous avons choisi de dénommer « désignée », « croisée », et « plurielle »,en référence au niveau de contamination17 culturelle que proposent les œuvres de littérature de jeunesse examinées dans ce contexte. De la présentation explicite et univoque d’un univers culturel donné («désignée »), au croisement explicite entre plusieurs univers (« croisée »), à la contamination multiple et plus ou moins implicite (« plurielle »), le degré de complexité du tissage interculturel s’accroît progressivement. La fonction didactique de cette typologie est de soutenir la construction dynamique des concepts de « culture » et d’« identité culturelle » chez les étudiants se destinant à l’enseignement primaire, dans une perspective de formation aux enjeux de l’altérité tels qu’ils sont sous-tendus, notamment par les prescriptions institutionnelles18. Nous envisageons dans cette optique l’identité culturelle comme «uniformisation différentielle » (Camilleri et Cohen-Emerique, 1989, p. 26) : à la fois dans sa dimension collective (l’appartenance à un groupe social auquel on s’identifie et qui se caractérise notamment par l’adhésion à un certain nombre de codes) et individuelle (la liberté que chaque sujet se donne de transgresser ces codes ou non)19. L’efficience de cette typologie nous semble réelle dans un contexte où la majorité des étudiants ont une définition très restrictive des concepts évoqués : la culture s’entend le plus souvent au sens de « culture cultivée », l’identité culturelle comme une donnée figée et essentialisée. À la suite de Laplantine (1999, p. 85–86), nous proposons une approche plus dynamique de ce concept, adossée à celui d’altérité : l’identité n’est « pas liée à l’appartenance à un territoire, une famille, une langue […] ce n’est pas l’assignation, la désignation du social, de la culture, mais le fait que ces derniers puissent être parcourus dans tous les sens. C’est le parcours de ce que Deleuze appelle la déterritorialisation ». Nous nous situons donc dans la sphère de la culture en acte et non de la culture comme objet, pour reprendre les termes d’Abdallah-Pretceille (2003), convoquée plus haut.

En s’appropriant la typologie et en tâchant de « classer » des œuvres de littérature jeunesse issues d’horizons culturels variés, les futurs enseignants de l’ESPE sont ainsi amenés à expliciter et interroger leurs représentations et leurs conceptions quant à l’identité culturelle — a fortiori la leur. Les trois approches qui organisent la typologie ne s’excluent pas, mais s’envisagent dans une perspective de progression vers une appréhension archipélique de l’identité culturelle, pour paraphraser Glissant (2009). Dans le cadre de l’expérimentation menée avec les étudiants en Licence 3 autour des albums investissant les arts visuels japonais, cette typologie a été convoquée et explicitée lors de la présentation du corpus aux étudiants. D’une part, il s’agissait d’orienter leur lecture, puis l’écriture dans le carnet, vers des problématiques interculturelles. D’autre part, il s’agissait d’accompagner l’étudiant dans sa lecture et de favoriser l’implication et le processus de subjectivation littéraire, en lui fournissant quelques codes susceptibles de l’aider à identifier les stéréotypes, qu’ils soient culturels (Zarate, 1993), ou plus strictement littéraires (Dufays, 1994). Chaque approche envisage donc un parcours interculturel singulier, où la rencontre avec l’altérité s’élabore à la fois dans la sphère esthétique, fictionnelle et personnelle.

3.1. Approche interculturelle désignée

Sous la Grande Vague et La Fille du Samouraï participent d’une approche « désignée » : les arts visuels japonais sont convoqués pour eux-mêmes, dans un espace-temps narratif explicitement lié au Japon. Ils peuvent avoir une fonction quasi documentaire, mais parallèlement leur caractère exogène pour le non-initié est un déclencheur d’imaginaire. Leur rôle premier est de soutenir la production d’images mentales — ce qu’Iser (1985) nomme images de représentation — en proposant des images de perception. Néanmoins, le point de vue présenté n’est jamais monolithique : Kérillis intègre des illustrations personnelles qui ne sont pas des imitations d’Hokusaï, ainsi qu’un caméléon commentant le récit et jouant le rôle du lecteur impliqué. La Fille du Samouraï présente explicitement un croisement des cultures : le héros, vêtu et habillé à la japonaise, dépositaire des secrets du dernier grand samouraï, est en fait… portugais. L’illustration de l’île des dragons, intégrant un démon oriental, peut également être rapprochée d’autres espaces graphiques, comme l’île du Maître des Brumes d’Ungerer (2013).

3.2. Approche interculturelle croisée

L’approche « croisée » engage un dialogue explicite entre deux cultures a priori sans aucun lien : Les Fables de La Fontaine ont effectivement été investies par les maîtres de l’estampe japonaise au XIXesiècle, en un entrechoquement des cultures et des espaces-temps : le texte de La Fontaine n’a pas été modifié20. Dépouillé de sa stature figée de représentant de l’identité nationale, La Fontaine est intégré à un héritage commun et l’apologue retrouve son caractère universel, depuis Ésope et Phèdre, endossant un caractère véritablement patrimonial, au sens défendu par Louichon (2015), par son actualisation même. L’appropriation se fait tantôt dans la japonisation du paysage (comme l’estampe illustrant Le Singe et le Dauphin), tantôt, au contraire, dans son universalisation, favorisée par l’absence quasi totale de description spatiale dans les fables (dans Le Loup et la Cigogne, l’illustrateur s’attache surtout à symboliser une forme d’angoisse de clôture — montagne, couleurs, position des animaux).

3.3. Approche interculturelle plurielle

L’approche « plurielle » constitue une forme plus complexe de rencontre avec l’altérité et partant de questionnement de l’identité culturelle. L’« autre » culturel n’y est pas convoqué explicitement, mais plutôten tant que références sémiotique et esthétique. Ainsi, dans Ondine, Lacombe convoque la Grande Vague d’Hokusaï pour illustrer le conte allemand éponyme : l’amour impossible entre un mortel et une fille des eaux. Le recours iconographique de Lacombe à la vague d’Hokusaï, récurrent, a un contenu sémiotique évident : l’eau est dangereuse, mortelle (Hans finira noyé), elle est aussi terriblement belle et attirante, à l’instar d’Ondine. Dans ce contexte, l’intericonicité21 ne renvoie pas à un référent culturel exogène, mais à un contenu culturel à visée herméneutique : qui reconnaît la Grande Vague sait qu’il s’agit d’une vague meurtrière. Le Japon, dans ce contexte, permet au lecteur impliqué l’anticipation de la résolution des amours tragiques des protagonistes (Jeannin, 2014). Nous émettons l’hypothèse que cette accentuation de la dimension esthétique de l’expérience interculturelle renforce son potentiel d’investissement subjectif. Dans cette perspective, le parcours proposé par Ondine est une invitation à la mobilité du lecteur, une mobilité que nous nommerons « symbolique », en ce qu’elle intègre un décentrement vis-à-vis des identités culturelles supposées (« le Japon c’est… ») et, par conséquent, vis-à-vis de soi-même comme sujet lecteur. Ce processus est défendu par Demorgon (2005) sous le terme d’interculturation, dépassant l’interculturalité qui trop souvent se réduit à un échange de surface.

Examinons à présent ces marques d’appropriation, d’interculturation dans les carnets des étudiants que nous souhaitons mettre au centre de notre dispositif didactique. Il s’agira ainsi d’analyser le sujet lecteur dans son investissement des œuvres de littérature jeunesse, ses questionnements, d’une part dans son rapport à la culture japonaise, mais, d’autre part, aussi dans son rapport à son identité culturelle telle qu’il la vit, en fait l’expérience, et en rend compte dans les carnets. L’articulation entre culture légitime et illégitime sera par conséquent également analysée.

4. Le carnet de lecture comme média du dialogue interculturel

L’expérience s’inscrit dans les travaux sur le carnet de lecture — Schneider (2005 et 2007), Doquet-Lacoste (2008), Ahr et Joole (2010 et 2013) — comme faisant partie des formes plurielles des écritures de la réception (Le Goff, 2017). Le carnet de lecture est conçu comme un outil aidant à la posture d’un lecteur autonome.

Appartenant à la catégorie des écrits dits « intermédiaires », aussi appelés écrits « de travail » (Ministère de l’Éducation nationale, 2003 : 41), il devait être le témoignage de la lecture de l’élève. Prises de notes, relevés et impressions de lecture permettaient à l’élève de comprendre peu à peu ce qu’est ce cheminement personnel dans les méandres d’un texte fictionnel. Encouragé par les tenants de l’écrit personnel et de la narration de recherche, cet outil devait rester privé. (Ahr et Joole, 2010)

Même si l’on peut être conscient de l’ambiguïté de son utilisation dans le cadre scolaire, il n’en reste pas moins un outil favorisant des pratiques plus libres d’écriture. Il s’agit donc de favoriser l’implication du sujet lecteur et de relever dans les carnets les marques de subjectivité dans un contexte où est interrogée l’identité culturelle du lecteur via ses pratiques de lecture. Quant à l’analyse des traces22, nous nous référons aux travaux des chercheurs toulousains (Fourtanier, Langlade et Mazauric (2006)) qui ont analysé, en quatre modalités didactiques, les dispositifs de lectures des élèves : la cohérence mimétique, la concrétisation imageante, l’activation fantasmatique, la réaction axiologique23. Nous essayerons devoir également quels sont les outils dont disposent les étudiants pour l’analyse de l’image et s’ils utilisent des référents sociologiques, psychologiques, philosophiques, littéraires et picturaux dans leurs discours.

5. L’expérimentation : description, réussite et limites

L’expérience a lieu à la fin des cours du deuxième semestre en L3 Sciences de l’Éducation, option «littérature de jeunesse24 ». Les étudiants avaient un mois pour écrire dans leurs carnets, ils ont eu connaissance du corpus lors du dernier cours et ont pris connaissance des extraits d’images des albums par visioprojecteur sans qu’une analyse très poussée de ces images n’ait été faite. En revanche, les différents types d’interculturalité ont été abordés avec les exemples issus du corpus. Ils ne connaissaient aucun des albums présentés, même dans le cas de celui de La Fille du Samouraï de Bernard et Roca25. Ils n’ont pas du tout l’habitude d’écrire dans des carnets des écrits personnels.

Ils avaient ensuite la possibilité de recourir aux extraits d’images projetées en classe pour les revoir (celles-ci figuraient sur leur plateforme en ligne, consultable à distance) et avaient reçu la consigne suivante :

À partir des extraits d’albums de littérature de jeunesse français proposés en cours et sur la plateforme à distance présentant des arts visuels japonais, vous noterez librement vos remarques, ainsi que les traces, émotions, comparaisons, analyses que ces lectures développent en vous dans le cadre d’un parcours de lecture personnel.26

Un ensemble de questions leur a été soumis pour déclencher la réflexion :

Quels rapports d’intertextualité ou d’intericonicités identifiez-vous dans ces œuvres27 ? Quelle lecture interprétative en faites-vous ? À quels univers culturels les extraits d’images renvoient-ils pour vous ? Quels autres univers littéraires et picturaux pouvez-vous mettre en relation avec ces œuvres et pourquoi ?


Afin de guider leur écriture et la mise en analogie des œuvres, plusieurs extraits d’albums avaient été apportés en complément : des extraits de deux œuvres d’Ungerer, auteur dont ils avaient entendu parler en cours, le Maître des Brumes (2013) pour ses images japonisantes et Amis-amies (2007) qui traite de façon explicite de l’interculturel, et enfin, une image de Pef, extraite d’Il faut désobéir (Daeninckx et Pef, 2002), traité en cours. À la fois déclencheurs d’écriture et facilitateurs pour une analyse comparée, les extraits devaient permettre de procéder facilement à des analogies.

La participation des étudiants a été très faible : seuls six carnets ont été récupérés sur un groupe de 80étudiants. Les explications sont simples : le peu de liens directs avec la thématique globale du cours de littérature de jeunesse — qui n’était pas centré sur l’interculturalité, car le corpus portait tout le semestre sur les notions d’histoire et de mémoire — et, surtout, l’approche des examens, qui coïncidaient malheureusement avec le retour des carnets, ont fait que pour beaucoup le carnet est passé « à la trappe » au milieu des révisions. L’absence de liens avec le cours, la fin d’année, le fait de présenter l’expérience en cours magistral et non en TD28 — ce qui fait que les albums n’ont pas été lus ou manipulés —, et l’expérience, qui était peu en lien avec leurs habitudes de travail, tout cela a rendu l’expérimentation complexe. De plus, la méconnaissance des albums donnés à voir, matériellement accessibles uniquement par les extraits d’images sur la plateforme à distance, ce qui empêchait d’avoir accès à leur matérialité réelle et de prendre en compte les critères de format, de toucher, etc., a été certainement dommageable. Enfin, les notions nouvelles apportées sur l’interculturalité ont eupour effet d’en décourager certains. Cependant, ceux qui se sont lancés dans l’expérience étaient très motivés et avaient déjà développé un goût et une véritable passion pour la littérature de jeunesse. Pour ceux-là, un univers nouveau a été manifestement découvert et, pour une étudiante, la thématique du Japon a fait écho à un domaine qu’elle connaissait déjà, ce qui explique l’abondance de ses références et l’enthousiasme de son écrit.

Ce qui frappe de prime abord est que chaque carnet est différent, chacun est d’une intensité et d’une sincérité manifeste et chacun d’eux présente des entrées totalement différentes sur les œuvres.

6. Analyse des traces : les carnets d’une novice et d’une passionnée

Qui sont les étudiants qui ont répondu à l’appel de l’écriture ? Comment sont présentés leurs carnets et que renferment-ils ? Que disent-ils ?

Plusieurs carnets offrent une quinzaine de pages écrites, certains sont remplis par du texte et desillustrations : dessins, images d’albums découpées, images de paysages, de films, de tableaux (Élise, Axelle, Juliette, Léa) ; d’autres sont très méthodiques et prennent, à partir du corpus donné, image par image29, un grand soin à noter leurs impressions (Charlotte, Axelle). Deux carnets ont retenu notreattention, ceux d’Élise et de Charlotte, car ils offrent tous les deux une approche didactique à partir de la littérature de jeunesse et des arts sous la forme de la dévolution, « acte par lequel l’enseignant faitaccepter la responsabilité d’une situation d’apprentissage […] et accepte lui-même les conséquencesde ce transfert30. » Ainsi, la redéfinition de la tâche, en fonction d’une situation donnée, souvent artificielle, donne lieu à des transferts, des bricolages, des parcours où s’exprime la subjectivité dulecteur ; et effectivement, chacun va proposer ses entrées dans un dialogue fructueux, non seulement entre soi et soi, mais aussi entre la culture occidentale et la culture japonaise.

Le carnet de Charlotte est celui d’une novice qui découvre pas à pas un univers différent qu’elle se risque às’approprier par ses remarques empiriques, par tâtonnement. Ses remarques, tout en révélant de nombreuses marques émotionnelles, prennent appui sur une méthode analytique31 précise qu’elle réitère de page en page.

Le carnet d’Élise contient des traces variées : citations, sentiments personnels, recueils de titres d’ouvrages qu’elle met en réseau, analyse d’ouvrages, commentaires, jugements, post-it qu’elle place sur ses propres écrits en guise de métadiscours32. Le carnet est culturellement étoffé, il révèle une connaissance fine du sujet qui va bien au-delà de nos attentes, voire de nos propres connaissances. En effet, le carnet d’Élise est le carnet d’une passionnée de la culture japonaise ; nous y reviendrons. Elle propose une série de références à partir des images de notre corpus et elle tisse un réseau de références culturelles japonaises qui relèvent de plusieurs domaines : le conte, l’illustration, les symboles, les mangas, les Pokémon, la géographie et l’histoire du Japon, la langue, etc. L’étude comparative (voir tableau en annexe 3) nousrévèle qu’il s’agit d’une étudiante qui met de la distance dans son écriture, et qu’elle a choisi de s’adresser au professeur par d’autres moyens périphériques et complémentaires, dans le cas présent, l’échange par courriels, sorte de prolongement de son carnet personnel, incluant cette fois-ci, dans un autre cadre, la relation épistolaire et le partage de culture. Elle superpose à l’espace subjectif du carnet, un autre espace subjectif qu’elle s’autorise et qui lui permet de prolonger le contrat didactique et de lui donner la forme qu’elle souhaite.

Revenons au carnet de Charlotte. Celle-ci entre pas à pas dans le dispositif. Elle crée une sorte de procédure analytique — dont on présume qu’elle a acquise ailleurs sans que cette hypothèse ait pu être vérifiée, par un questionnaire par exemple — qui se répète sur les neuf extraits d’albums : l’analyse de lacouleur, l’impression qu’elle ressent, l’interprétation qu’elle peut en faire, la référence culturelle qu’elle en dégage. Ses analyses sont d’abord fortement centrées sur les couleurs et les impressions ressenties. Le corpus semble étrange ou étranger à elle : certaines images d’albums sont mises à distance par l’émotion qu’elles suscitent, d’autres, considérées comme plus « apaisantes », sont plébiscitées.

Visiblement, Charlotte entre dans la littérature de jeunesse par la couleur33 : les bleus, rouges, le noir ou vert qui contraste avec ce qu’elle nomme « un orange crépusculaire » ou « le rouge trop intense », « lanuit bleue marine », « les fleurs blanches », « la pureté du blanc », « le blanc cassé », « le ciel opaque », « la couleur de l’eau entre le bleu nuit et le bleu canard » : c’est ce qui lui permet d’exprimer sa subjectivité.

À partir des couleurs, elle développe un réseau d’impressions très personnelles, ambivalentes, entre rejettrès affirmé, méfiance et mises à distance. Par rapport au corpus proposé, rares sont les affirmations positives et si elles le sont, elles sont immédiatement gommées par une remarque antinomique. « Je ne mettrais pour rien au monde les pieds dans ce champ » ou « je n’aime pas le rouge très intense sur cette couverture », « cette illustration est oppressante et apaisante à la fois », « j’ai toujours eu peur des fantômes et du lien avec les morts », ou encore « il y a quelque chose de gênant dans cette illustration », « j’ai le vertige soudain alors que je ne l’avais jamais ressenti, ces nuages m’oppressent ».

On peut ici se référer à l’expression d’« inquiétante étrangeté » selon Freud, qui convient à la découverte de l’altérité. Ce processus est à la fois celui d’une double incorporation à soi et d’un rejet simultané. Reprise par Kristeva (2006) dans ses entretiens intitulés Au risque de la pensée, l’expression « inquiétante étrangeté » est appliquée par la psychanalyste aux sentiments ambivalents des exilés, déchirés entre répulsion et fascination du fait du déchirement ressenti entre absorption de la culture de l’autre et affirmation de la culture constitutive de leur identité première. Cette mise en perspective de la constitution d’une identité culturelle est évidente : le déjà-là rencontre le nouveau, et la façon dont le sujet se redéploie peut ainsi apparaître comme une mise en œuvre inconsciente de la pensée de l’errance : une sorte d’écho souterrain et irréfléchi de la démarche conscientisée et revendiquée de Glissant (2009) ?

On voit bien comment, dans le discours de Charlotte, se tisse une méfiance culturelle. Elle cherche à l’atténuer par une justification a posteriori d’une forme de timidité ou d’une opinion jusque-là trop tranchée : « Après je sais que c’est une question de goût et malgré tout j’apprécie la beauté de ces illustrations ». D’où l’approche cadrée et structurée qui est, selon nous, chargée de compenser l’impression diffuse d’étrangeté ressentie.

7. Le jeu référentiel : un positionnement de soi et aux autres

Nous avons été surprises par l’abondance des références culturelles apportées par les jeunes étudiants dans leurs carnets : titres de films, ouvrages classiques et modernes, culture du dessin animé, tissage de culture, interrogation réflexive sur les fondements mêmes de cette culture et sur ses limites ; opposition assumée ou indignée entre culture scolaire et culture privée, entre culture légitime et culture nouvelle, aux marges de la culture…

Trois carnets nous paraissent, de ce point de vue, très intéressants, car ils offrent l’occasion pour les lecteurs de s’interroger sur leur positionnement culturel et leurs savoirs.

7.1. Le carnet d’une passionnée

Le carnet d’Élise, précédemment cité, est de loin le plus assumé ; il déroule sans complexe des références multiples à une culture parfaitement investie. Ainsi, le rapport à la lecture passionnée d’œuvres en rapport avec le Japon rebondit de fil en aiguille dans son carnet : à partir de la fable Le loup et la cigogne, elle tisse un réseau de références multiples : entre le conte traditionnel japonais La grue blanche, puis à l’album Lesecret de la grue (Huet-Gomez et Ein Lee, 2011), et aussi la référence à la même maison34 qui édite Kaguya, princesse au clair de lune (Brière-Haquet et Shiitake, 2011) et le film animé Princesse Kaguya.L’ensemble du « tissage » des contes, pour reprendre l’expression de Connan-Pintado et Tauveron (2014) à propos des contes et du théâtre, est complété par deux types de remarques, à savoir un jugement subjectif : « sans doute mon favori », explique-t-elle à propos d’un des textes, et une remarque qui montre un positionnement d’expert : « Grâce à ces albums, l’enfant découvre une autre culture via un support familier, les contes ». On voit également comment elle enchaîne les références par analogie, ce qui fait preuve d’une culture en constellation et d’une culture large et maîtrisée.

Il est à noter que le carnet continue son chemin par le biais des courriels qu’elle m’adresse concernant un manga cruel, une réécriture très drôle de Blanche-Neige ou encore un atelier de dessin japonais qui aura lieu et auquel l’étudiante souhaite participer. Nous avons affaire à une experte, car son carnet est bien différent des autres. Aucun tâtonnement, aucune hésitation, les références filent, elles sont claires, analysées et abondantes.

La référence à l’image lui permet de jeter des ponts, entre Klimt (qu’elle « adore ») et les estampes japonaises dont elle perçoit la possible parenté à partir de branchages qui sont dessinés. Mais ses références vont plus loin puisque, dans le tissage, elle repère les éléments de culture différents : cultureoccidentale, japonaise — du Japon contemporain et traditionnel — et américaine. Elle se justifie à l’aide de différents éléments. Elle avance des raisons linguistiques : la signification du mot Yokai ; culturelles: les masques ; ethnologiques : les vêtements ; ou encore génériques : la parenté avec les comics américains. On peut dire qu’elle pose un regard érudit sur une culture dont elle examine les transferts etles parentés, ce qui, d’emblée, laisse également percevoir sa propre culture en littérature et littérature dejeunesse. Il faut souligner que ce passage entre les cultures ne semble pas lui poser problème, ce qui montre qu’elle est déjà dans un processus de transculturalité ou d’inculturation tel qu’il est défini par Demorgon (2005).

7.2. Le carnet d’une indignée

Chez Axelle, qui ne connaît pas la culture japonaise, l’écriture dans le carnet passe par un ancrage sur sa propre culture pour analyser les œuvres proposées. Ses références sont nombreuses : La princesse et le crapaud, Ulysse, le film Blanche Neige et le chasseur, Le petit chaperon rouge et les gravures de Gustave Doré. Elle interroge donc les fondements d’une culture classique et se raccroche ainsi à ce qu’elle connaît, sont ainsi mélangées des références légitimes et illégitimes. Elle s’indigne de sa propre méconnaissance culturelle avant de revenir à la culture classique comme référence, chargée de légitimer cette culture externe. Outre ce jeu subtil entre écriture, indignation et réflexion, le carnet est travaillé offrant, par l’adjonction d’images collées, un discours à tisser entre image et texte. Pour Axelle, il est visible que ses interrogations passent d’un discours de soi vers soi, à un discours vers un récepteur : le professeur de littérature de jeunesse, chargé de la transmission savante, mais aussi parce qu’il est professeur de littérature de jeunesse. « L’effet-lecteur » est tout à fait visible. En effet, l’expérience est celle d’un carnet adressé avec des attendus très précis : le lien texte/image, les références sont adressées, elles tissent un double discours et sont chargées de nous bousculer comme elles bousculent l’étudiante dans sa culture de référence à laquelle elle a pourtant recours, cherchant un cadre connu à partir duquel analyser les images.

Ainsi, élément récurrent dans plusieurs carnets, la référence à Mulan ou à Pocahontas semble immédiatement celle qui lui vient à l’esprit, même si elle est sentie comme illégitime chez Axelle ; au contraire de Charlotte pour qui la référence à une scène de Pocahontas est extrêmement précise et décrite de façon détaillée. Enfin, pour Juliette, la référence à Mulan est une évidence pour analyser l’album Amis-amies d’Ungerer ; et pour Élise, une réflexion dense sur les Pokémons vise à partager une culture maîtrisée dont elle a, peu à peu, décodé le sens.

7.3. Le carnet des impliquées

Dans le carnet de Léa, le glissement s’opère peu à peu entre figure imposée et discours intime ; elle finit par appeler son carnet « cher carnet ». Pour entrer dans la consigne, elle choisit de partir du cours de littérature de jeunesse et démarre sur ce qu’elle a lu : des romans sur le génocide des Tutsis au Rwanda. Elle compare de façon très précise les descriptions de paysages qu’elle a lues et qui l’ont visiblement marquée (elle explique pourquoi) avec les rizières au Japon, qu’elle imagine apaisantes. Elle se construit donc un imaginaire fantasmatique35 d’un pays qu’elle ne connaît peut-être pas. Elle confond d’ailleurspeut-être la Chine et le Japon, mais c’est sans importance, car c’est cette entrée dans l’imaginaire qui est le déclencheur de l’écriture. Elle finira, à la fin de son carnet, après un développement sur son futur rôle de professeur des écoles, sur l’analyse du tableau de Van Gogh La nuit étoilée et de La Grande Vague d’Hokusaï, sur une réflexion sur l’album Je fais mes masques, illustré par Parain (1931), avant decomparer la version filmique de La Belle et La Bête36, avec les dessins animés de Miyazaki. Ces effets de tissage-assemblage permettent de définir cette « culture » comme un répertoire de stéréotypes textuels, lexicaux, iconiques… formés pour une part de souvenirs inégalement précis d’œuvres, de textes et d’images, et mobilisables.

Pour Juliette, on observe la même démarche d’appropriation de la thématique inconnue au départ. Le passage est très net entre ses premières représentations sur le Japon : elle établit une sorte de liste de ce qu’elle connaît de cette culture, puis entre par le paysage avec l’idée du jardin japonais qui relève d’une image zen qu’elle incorpore littéralement à ses représentations pour les transférer ensuite vers un roman qu’elle connaît et qu’elle met en relation. Non seulement la richesse de la référence culturelle peut surprendre par rapport au tâtonnement référentiel du début, mais surtout, Juliette construit véritablement un axe de lecture, celui du paysage avec lequel elle analyse Le Maître des brumes et Amis-amies d’Ungerer, puis le livre de Claudel (2005) La Petite Fille de Monsieur Linh, créant par là une lecture originale des œuvres et développant une acuité toute particulière aux images.

Le carnet est finalement, pour Léa et Juliette, le lieu de la construction difficile d’un rôle d’expert, timide et empesé au début, mais plus libre et plus assumé à la fin. Chez l’une, l’analyse d’un film rencontré au hasard à la télévision, La Belle et La Bête, devient l’occasion de porter sur celui-ci un regard d’expert, chez l’autre, la réminiscence du paysage japonais, là encore plus fantasmé que réel, permet d’analyser profondément les œuvres et d’en convoquer de nouvelles. La présence d’un carnet à remplir faisant changer peu à peu de posture, jusqu’à se positionner comme lecteur expert après être partie de la position d’un lecteur rêveur.

Conclusion

Notre dispositif, qui ne se voulait pas modélisant, devait déclencher divers processus de subjectivation du lecteur. Il n’avait pas pour attente la construction d’une interprétation iconotexte vérifiée à partir des extraits d’albums proposés, mais la plongée dans l’univers intérieur du lecteur, en particulier dans son réservoir personnel d’images.

Le fait essentiel est qu’une immense réserve d’images est disponible dans nos mémoires et prête à modeler l’expérience, à devancer nos perceptions, à « artialiser »la vie. Ce stock est d’autant plus actif, probablement, que les images qui le composent sont moins identifiées, moins précisément attribuables, moins « légendées ». Nous ne saurions plus dire de quelles œuvres exactement nos schèmes perceptifs, même les plus « cultivés », sont issus (J. Galard, J. Zugazagoitia, J. (2003), p. 176).

Le carnet de lecture, par son caractère affectif et par la prolifération des écrits de réception auxquels on a laissé libre cours, permettait la mobilisation de « ressources subjectives » (Sauvaire, 2017, p. 28) dont nous avions montré la catégorisation sous la forme de « marqueurs psychoaffectifs de familiarité du livre ou marqueurs d’investissement identitaire, marqueurs de culture littéraire, marqueurs interprétatifs » (Schneider, 2007, p. 194–196). L’analyse de ces différents types de supports pour former de futurs médiateurs de l’interculturel peut créer chez les étudiants endispositif de formation un sentiment d’inconfort lié à la présence d’images non identifiées, compensé par le geste scriptural dont Le Goff (2017, p. 10) rappelle la nature et la richesse : « on ne peut s’empêcher de penser que le geste d’écriture est potentiellement l’invention d’une lecture ».

Dès lors, former à la médiation interculturelle suppose également de favoriser l’écriture de l’entre-deux, c’est-à-dire de se donner les moyens de l’invention d’une lecture interculturelle où sont mobilisées culture populaire et culture savante, culture de l’image et culture du texte, mais aussi d’une écriture qui crée du lien, au sens où l’entend E.Morin (1995) par le tissé ensemble.

Dans ce cadre, notre expérience tendait à amener les étudiants à maîtriser la lecture d’images, qui relevait plutôt habituellement d’une réception familière, instinctive et passive. En effet, ces traces sont d’abord des émergences de représentations, l’engagement d’un processus qui nécessite, dans un second temps, une mise à distance critique, un questionnement des stéréotypes dans le cadre de la formation. Ces premières traces appellent ainsi une relecture orientée par une démarche didactique de la part des formatrices, afin d’amener les scripteurs à conscientiser les modes de formation de la culture en actes, leur rapport à l’altérité et les écueils à éviter. Cette démarche est indispensable au futur enseignant qui devra ensuite être capable de reproduire cette didactisation dans la classe, transposant la démarche de subjectivation littéraire et interculturelle de lui-même aux élèves37.

Annexe 1

Résumé des œuvres du corpus

Bernard, F. et Roca, F. (2012). La Fille du Samouraï. Paris : Albin Michel Jeunesse.

Sur la scène d’un théâtre à l’occidentale, aux confins du 19e siècle, se tient le « 18e concours d’histoires vraies ou presque consacré aux îles de l’Orient ». Tomo et Tomé, fille et apprenti d’un légendaire samouraï, racontent comment ils se sont rencontrés puis aimés, et leur lutte contre les Guerriers-Démons où Tomo perdit son père, et Tomé, son bras. L’illustration, tantôt centrée sur le récit cadre, tantôt sur le récit des protagonistes, convoque des éléments visuels explicitement japonais et d’autres plus universels ; elle joue également sur l’ambiguïté réel-fiction, mettant en scène l’implication du sujet lecteur qui doit adopter tantôt la posture du spectateur, tantôt celle de l’acteur.

Hokusaï, K. et Kérillis, H. (2014). Sous la Grande Vague. Paris : Léon arts et stories.

Hélène Kérilis reproduit une sélection des 36 vues du mont Fuji d’Hokusaï qui sert de fil directeur d’un conte du temps des samouraïs : la séparation d’un pêcheur et de son fils lors d’un tsunami, l’amnésie de l’enfant, la recherche du père et les retrouvailles sur le mont sacré après un rêve prémonitoire. Hélène Kérilis actualise le patrimoine japonais en insérant des aquarelles de sa main, ainsi qu’un petit caméléon, double du sujet lecteur, qui « commente » le récit et livre ses impressions.

Lacombe, B. (2012). Ondine. Paris : Albin Michel Jeunesse.

Benjamin Lacombe croise la traduction française de La Motte-Fouqué (XIXe siècle) et la pièce de Jean Giraudoux (1939). Ondine, fille du roi des Ondins, élevée par de pauvres pêcheurs, rencontre un soir d’orage le chevalier Hans. Croyant dans la force de leur amour réciproque, Ondine accepte le pacte que lui impose son père : si Hans lui est infidèle, il mourra noyé et elle-même perdra la mémoire. Bertha, fiancée abandonnée par Hans, réussit à les séparer et la prophétie du roi des Ondins s’accomplit. Ondine est un livre-objet : un système de calques, reproduisant la vague d’Hokusaï, se superposant aux illustrations, anticipant la résolution tragique du récit. De manière générale, l’album se structure iconographiquement sur l’association de traditions picturales très variées (Hokusaï, l’univers manga, les préraphaélites) ayant en commun une fascination pour l’univers aquatique et sa beauté mortifère.

La Fontaine (de), J. (2013). Fables choisies, illustrées par des maîtres de l’estampe japonaise. Paris : Les éditions de l’Amateur.

L’ouvrage produit par les éditions de l’Amateur est une reproduction de l’édition de Marpon et Flammarion de 1894. Le directeur de la collection, Pierre Barboutau, collectionneur et japoniste, fit produire au Japon, pour l’exportation et à destination des érudits occidentaux, cette édition associant plusieurs maîtres de l’estampe japonaise autour d’une sélection de Fables de La Fontaine, dont le texte est reproduit dans la version du XVIIe siècle. Il n’y a pas de paratexte : chaque fable est accompagnée de son estampe et c’est au lecteur de faire le lien. Le rôle de l’image est d’expliciter les éléments référentiels (animaux, objets…). Le choix des illustrateurs est parfois de « japoniser » les référents : ainsi dans Le Singe et le Dauphin, la représentation des deux animaux s’écarte des canons occidentaux. Parfois, au contraire, il y a peu d’éléments référentiels qui japonisent le conte et l’image acquiert une dimension universelle. L’illustration vient donc actualiser le texte à plusieurs niveaux (historique, géographique et culturel) pour proposer plusieurs niveaux de croisement des différentes sphères culturelles.

Annexe 2

Protocole d’expérimentation

Protocole de l’expérimentation faite avec des étudiants de L3 de Sciences de l’éducation de l’Université de Caen, à partir d’un corpus d’albums de littérature de jeunesse, 2015-2016 Anne Schneider et Magali Jeannin

PRÉSENTATION DU PROJET :

Conditions : 80 étudiants de L3, Sciences de l’éducation, se destinant l’année suivante au concours de professeurs des écoles, option choisie, deuxième semestre

Connaissances des étudiants : Les étudiants ont déjà eu un semestre de littérature de jeunesse

Conditions matérielles : 1 heure de présentation du projet, l’écriture dans le carnet de lecture et la recherche des extraits sur la plateforme à distance se font en dehors du cours

Préacquis : connaissance de la littérature de jeunesse, en particulier des albums

Prérequis : être familier avec les albums de littérature de jeunesse, savoir lire une image, connaître l’histoire de la littérature de jeunesse, notions en histoire de l’art

Modalités : amphi, visioprojecteur, deux enseignants, corpus d’albums inconnus au départ, extraits d’images d’albums : 1 à 2 par album, mise en place du carnet de lecture, intertextualités suggérées, références d’albums apportées sous la forme d’extraits visuels

DÉROULEMENT

Phase 1 – Lecture d’images : VOIR

Modalités : 5 albums, 10 extraits d’albums (sur le Japon ou avec présence d’intericonicités par rapport au Japon)

Univers graphique : allusion dans les images aux mangas, aux estampes japonaises de type gravures du XIII e siècle, allusion à La Grande Vague d’Hokusaï, mais aussi à d’autres tableaux : préraphaélites

Progression : du simple au plus complexe, selon la nature de l’intericonicité et selon le type d’approche interculturelle

Présentation : résumé de l’œuvre, lecture oralisée, extraits montrés en projection par visioprojecteur

Savoirs : ont à leur disposition la typologie des approches interculturelles à partir des albums (construite en formation dans un autre cadre)

Prolongements : base de données visibles ensuite (plateforme de cours à distance) : les extraits d’albums + d’autres extraits donnés pour favoriser les analogies : la dernière page du maître des Brumes et de Amis-amies de Tomi Ungerer, une image de Pef japonisante : les fusillés au Mont Valérian dans Un violon dans la nuit

Phase 2 : Écriture dans le carnet de lecture : ÉCRIRE

Consignes : « À partir des extraits d’albums de littérature de jeunesse française proposés en cours et sur la plateforme à distance présentant des arts visuels japonais, vous noterez librement vos remarques, ainsi que les traces, émotions, comparaisons, analyses que ces lectures développent en vous dans le cadre d’un parcours de lecture personnel »

Modalités : Écrire de façon libre et régulière des traces à partir des images : marqueurs psychoaffectifs, culturels et littéraires, marqueurs interprétatifs. Comparaison possible à partir d’autres images

Déroulement : Retour aux images permis par la mise en ligne sur la plateforme

Durée : trois semaines d’écriture

Annexe 3

Tableau comparatif des six carnets d’étudiants

Type d’approcheÉnonciation prise en compte d’un lecteurPrise de distanceTypes de référencesNature du discours

Marqueurs psychoaffectifs Marqueurs littéraires Marqueurs interprétatifs
Validité de l’interprétationTypes d’appropriationMéthode adaptée
CharlotteNoviceJe–adresse au lecteurNon, mais progressivement oui
Retour réflexif au fur et à mesure de l’écriture sur ses opinions
Poétiques couleursMarqueurs de jugement tranchés, puis revient sur ses propres jugementsPas forcément justePar tâtonnement Par analogieProgressive Enchaînement d’idée, analogie, concrétisation imageante
ÉlisePassionnéeRéflexivitéOuiTransculturelles :
Klimt
Manga
Contes
Comics américains
Marques de jugementJuste positionnement d’expertRéaction Axiologique

Positionnement d’expert

Trans-culturation
Courriels au professeur : partage de connaissances, écrits périphériques
AxelleIndignéePrise en compte du lecteurNonLittéraires classiques et illégitimes (mangas)Nombreux Marqueurs psychoaffectifs
Références à la culture classique et à la culture illégitime (Disney)
Pas forcément justeRéaction axiologique

Activation fantasmatique
Concrétisation imageante
Ajout d’images collées (extraits de dessins animés)
LéaImpliquéeJournal intime (à la manière d’Anne Frank, « cher journal »)OuipaysageMarqueurs culturels :
– romans
– images de rizières
– film : La Belle et La Bête (2014)
– tableaux : Van Gogh La nuit étoilée et La Grande Vague Hokusaï
– album : Je fais mes masques, Nathalie Parain (1931)
– dessins animés, Miyazaki.
Positionnement d’expertActivation fantasmatique

Concrétisation imageante
Comparaisons Analogies
JulietteImpliquéeNeutreOuiPaysage puis littératureMarqueurs culturels : convocation d’autres œuvres et analogie au jardin japonaisPositionnement d’expert

Axe de lecture sur plusieurs œuvres
Activation fantasmatique et concrétisation imageanteListe détaillée
Notes
  1. Pour la présentation et la justification des œuvres du corpus, voir infra. ↩︎
  2. Abdallah-Pretceille et Porcher posent l’expérience d’Antoine Roquentin dans la Nausée de Sartre comme fondatrice et exemplaire de leur démarche. ↩︎
  3. Sur ce point, nous renvoyons à Jeannin (2017). ↩︎
  4. Ici entendue au sens sociologique « large » qui renvoie aux manières de penser, de sentir et d’agir, plus ou moins explicites et formalisées, intégrées, et partagées par un groupe de personnes, les définissant comme une collectivité distincte, au sens objectif et symbolique (Ferréol et Jucquois, 2003). En l’absence d’indication contraire, cette signification est celle que nous conférerons au terme « culture » dans cette contribution. ↩︎
  5. Ici entendu dans une double acception : le sens sociologique large évoqué plus haut mais également au sens plus retreint de ce qu’un individu pris isolément définit plus ou moins consciemment comme son identité culturelle singulière (Lahire, 1998),dualité que Camilleri et Cohen-Emerique (1989, 26) synthétisent par « uniformisation différentielle ». ↩︎
  6. Au sens phénoménologique présenté supra. ↩︎
  7. Nous reprendrons cette typologie des marqueurs dans l’analyse des traces des carnets. ↩︎
  8. Voir description complète en bibliographie. ↩︎
  9. Réédition de l’édition originale de 1894, chez Marpon et Flammarion. ↩︎
  10. Voir le protocole résumé en annexe 2 de l’article. ↩︎
  11. Lacelle (2012, p. 171). ↩︎
  12. Sur ce point, voir à nouveau Louichon (2015). ↩︎
  13. Au sens notamment de Lahire (2004) dans La culture des individus : les mangas constituent une forme culturelle non reconnue par l’Institution scolaire (en témoigne leur absence des listes ministérielles de littérature jeunesse). Leurs lecteurs se situent donc dans la sphère culturelle de « l’illégitime », opposée à la « légitime » qui est encouragée et validée par l’Institution scolaire.
    ↩︎
  14. Voir la seconde partie de cette contribution consacrée à la présentation et à l’analyse de l’expérimentation et des traces recueillies dans les carnets des étudiantes. ↩︎
  15. Métiers de l’Éducation, de l’Enseignement et de la Formation. ↩︎
  16. École Supérieure du Professorat et de l’Éducation. ↩︎
  17. Pour reprendre le terme de Duvignaud (1994) précédemment évoqué. ↩︎
  18. Voir l’introduction de cette contribution. ↩︎
  19. Voir Lahire (1998; 2004). ↩︎
  20. Pour une analyse méthodique de l’investissement par l’estampe de l’œuvre de La Fontaine, emblématique d’une entreprise éditoriale de grande ampleur dans le Japon de la fin du XIXe siècle, nous renvoyons à Le Luel (2013). ↩︎
  21. L’intericonicité transpose dans le cadre de l’image visuelle les principes de l’intertextualité. ↩︎
  22. Voir les critères proposés dans le tableau comparé des six carnets. ↩︎
  23. Voir Fourtanier, Langlade et Mazauric (2006). ↩︎
  24. Voir le protocole en annexe 2. ↩︎
  25. Qui figure par ailleurs dans la liste de référence des œuvres de littérature de jeunesse pour le cycle 3. ↩︎
  26. Voir les modèles toulousains établis depuis 2004 concernant la vitalité de ces pratiques discursives induites par ce type de consignes favorisant d’autres types d’expressions plus libres, davantage fondées sur l’analogie et le transfert. ↩︎
  27. La question et les termes utilisés renvoient explicitement au cours de littérature de jeunesse dispensé en licence pendant le semestre. ↩︎
  28. Travaux dirigés. ↩︎
  29. Voir les résumés des œuvres en fin d’article. ↩︎
  30. Définition tirée de http://ife.ens-lyon.fr/sciences21/ressources/sequences-et-outils/filtration/devolution.pdf ↩︎
  31. Il aurait été intéressant de pouvoir l’interroger sur le choix de cette méthode qui semble s’imposer à elle. ↩︎
  32. Sur ces types de traces, voir Schneider (2005). ↩︎
  33. Positionnement intéressant qui aurait mérité de faire ensuite l’objet d’analyse avec l’étudiante, car il s’agit sans doute d’une culture acquise en histoire de l’art. Il est à noter aussi que cette étudiante se destine à des études en littérature de jeunesse via un master. ↩︎
  34. Nobi nobi ! maison d’édition de livres jeunesse spécialisée sur le Japon. ↩︎
  35. Au sens employé par Fourtanier, Langlade et Mazauric (2006)(op. cit.) qui parlent d’activation fantasmatique. ↩︎
  36. Gans, C. (réalisateur), Grandpierre, R. (producteur), Cassel, V. et Seydoux, L. (acteurs principaux). (2014). La Belle et La Bête [film]. France, Allemagne : Pathé Distribution. ↩︎
  37. Dans cette perspective on peut aller jusqu’à comparer la démarche décrite ici à celle du psychanalyste, qui ne peut se réclamer de ce titre tant qu’il n’a pas achevé sa propre analyse. ↩︎
Bibliographie

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