Jeux et enjeux des inégalités de genre sur les réseaux sociaux numériques : documentation de pratiques et retour réflexif sur un workshop ludopédagogique

Carole Brandon
Université Savoie Mont Blanc
Jordan Fraser Emery
Université Savoie Mont Blanc et Universidade de São Paulo
Nous remercions nos élèves ainsi que nos collègues du Département Communication Hypermédia de l’Université Savoie Mont-Blanc.

Résumé

Dans cet article, qui prend la forme d’une documentation de pratiques et d’un retour réflexif, un duo d’enseignant·es partage les résultats d’un workshop ludopédagogique réalisé à l’université. Cette expérience de cocréation, ancrée dans la dialectique de la recherche-création, a été menée auprès d’élèves en deuxième année de Licence Information et Communication sur quatre années consécutives. Elle visait à sensibiliser aux enjeux des inégalités de genre sur les réseaux sociaux numériques à travers la conception et le prototypage d’un jeu de société coopératif destiné à un public de 11 à 18 ans. Soucieux·se de croiser leurs disciplines respectives – information-communication et arts – les enseignant·es ont conçu une unité d’apprentissage amalgamant la compréhension des questions de genre et des inégalités avec les dynamiques des réseaux sociaux numériques. L’objectif était de doter les élèves des compétences nécessaires pour analyser et appréhender des dispositifs médiatiques complexes. En s’appuyant sur une littératie médiatique multimodale (LMM) adaptée au contexte, cette ludopédagogie mobilise trois activités principales mêlant analogique et numérique : cartographie, maquettage et conception d’un jeu de société. Ces activités permettent de structurer et de renforcer la transversalité propre à la multimodalité à partir de faits d’actualité étudiés par les élèves, tout en offrant une compréhension approfondie des enjeux sociaux et médiatiques contemporains des pratiques d’information quotidiennes.

Abstract

In this article, which takes the form of a practice-based documentation and reflective report, a duo of academics shares the outcomes of a ludopedagogical workshop conducted at the university level. This co-creation experience, rooted in the dialectic of research-creation, was carried out with second-year undergraduate students in Information and Communication over four consecutive years. It aimed to raise awareness of gender inequalities on social networks through the design and prototyping of a cooperative board game targeted at a 11 to 18-year-old audience. Mindful of integrating their respective disciplines—information and communication studies, and arts—the academics developed a learning unit that encompassed an understanding of gender issues, social inequalities, and the dynamics of digital networks. The objective was to equip students with the skills needed to analyze and engage with complex media systems. Relying on a multimodal media literacy (MML) framework tailored to the context, this ludopedagogy employed three main activities blending analog and digital approaches: mapping, prototyping, and board game design. These activities facilitated the development of transversal skills inherent to multimodality, using current events studied by the students as a foundation. At the same time, they provided an in-depth understanding of contemporary social and media-related issues in everyday practices.

Mots-clés
Genre, jeu, recherche-création, pédagogie, réseaux sociaux.

Keywords
Gender, board game, research-creation, pedagogy, social network.
Citer
Pour citer
Brandon, Carole et Emery, Jordan Fraser (2025). Jeux et enjeux des inégalités de genre sur les réseaux sociaux numériques : documentation de pratiques et retour réflexif sur un workshop ludopédagogique. Revue de recherches en littératie médiatique multimodale, 21.

Introduction

Dans le cadre d’un workshop intégré à une unité d’apprentissage (UA), nous présentons et discutons une approche ludopédagogique visant à outiller nos élèves de Licence Information et Communication pour analyser des situations et dispositifs médiatiques complexes. Cette démarche pédagogique repose sur des études de cas, menées par des groupes d’élèves qui explorent des faits d’actualité relayés sur les médias sociaux. Leurs études, qui débouchent sur des prototypes de jeu de société liés aux inégalités et aux questions de genre, permettent de développer une réflexion critique tout en favorisant une compréhension approfondie des enjeux médiatiques contemporains et des pratiques d’information quotidiennes.

En tant que première source d’information (Junghans, 2017) pour nos élèves de la Génération Z (Cazals, 2024), les médias hors-ligne / en ligne jouent un rôle essentiel dans la mise en visibilité des faits d’actualité, où les images occupent une place prépondérante (Grossi, 2018). Cependant, qu’il s’agisse de textes ou d’images, les contenus médiatiques offrent toujours une vision fragmentaire d’un évènement : toute information est le fruit d’un cadrage spécifique. Ce cadrage oriente la manière dont un évènement est perçu, puisqu’en sélectionnant certains éléments tout en en occultant d’autres, il en propose une certaine interprétation. L’écriture de l’actualité (Moirand, 2018) est un travail de médiation dont il faut savoir reconnaitre la dimension transformative et sélective, puisqu’elle est peu explicite (Mariau, 2019).

D’autant plus qu’aujourd’hui « le répertoire des pratiques d’information » (Granjon et Foulgoc, 2010) se resserre vers le seul usage des médias sociaux, puisque ces derniers sont utilisés quotidiennement par 73 % des 16-30 ans pour accéder à l’actualité, tandis que les plus de 35 ans passent encore majoritairement par la télévision (Gault et Medioni, 2022). Une enquête Ifop1 (2023) met en évidence une tendance marquée chez les 11-24 ans en France à privilégier une information horizontale, diffusée, par exemple, via des influenceurs et influenceuses2 sur TikTok, plutôt qu’une information verticale émanant d’expert·es ou de médias traditionnels. Ce rapport souligne par ailleurs l’absence fréquente de raisonnement critique, un phénomène amplifié d’après nous par la nature spatialisée et algorithmique de l’information, qui tend à former des bulles de contenu homogène.

Avec le développement des technologies mobiles (smartphones, GPS, capteurs) et des réseaux numériques (Internet, 3G, géolocalisation), l’information est effectivement de plus en plus spatialisée (Brandon, 2021). Cela signifie qu’une grande partie des données produites ou consommées est associée à un contexte précis néanmoins peu conscientisé. L’information est plus que jamais liée à des infrastructures technologiques qui font de l’espace public des territoires numériques cartographiés, aménagés et orientés par des algorithmes (Cardon, 2018; Gimello-Mesplomb et al., 2022). Cela questionne la neutralité et l’accessibilité des espaces sociaux numériques, où différents filtres, visibles ou non, peuvent limiter l’expérience (Pariser, 2011; Jacobson et al., 2016) ainsi que fragmenter l’information, limitant une compréhension globale tout en réduisant l’exposition à des perspectives diversifiées et favoriser des mécanismes spécifiques de dépendance (Kefi et al., 2016). En guise d’exemple, les moteurs de recherche et les médias sociaux peuvent prioriser des résultats en fonction de la localisation de l’utilisateur ou de l’utilisatrice, de son genre ou de ses likes (Amiard, 2023; Smith, 2023).

Cela a des implications importantes pour les questions de genre et les inégalités d’une manière plus générale. Les chercheurs et chercheuses anglo-saxon·nes utilisent le concept de « modern gender gap » (Giger, 2009; Langsæther et Knutsen, 2024) pour désigner une polarisation idéologique marquée – genrée – au sein de la jeunesse contemporaine. Cette tendance met en évidence que les jeunes femmes adoptent des positions nettement plus progressistes que les jeunes hommes, et ce, dans la majorité des pays développés. Le rapport 2024 sur l’état du sexisme en France, réalisé par le Haut Conseil à l’Égalité (HCE) entre les femmes et les hommes, montre que le sexisme persiste, et ses manifestations les plus violentes s’aggravent. Selon le rapport, certains contenus en ligne participent pleinement à la « culture sexiste » et constituent une « caisse de résonance » des représentations genrées3. Selon le HCE, sur les 100 contenus les plus vus sur les plateformes (YouTube, Instagram et TikTok), 68 % des publications Instagram contiennent des stéréotypes de genre, associant le plus souvent les femmes à des rôles maternels et mis en scène dans la sphère privée. Sur YouTube, 88 % des vidéos analysées comportent au moins un stéréotype masculin, le plus souvent associé à des valeurs masculines et à un climat de violence. Sur TikTok, 42,5 % des vidéos, sous couvert d’humour, sont dominées par des représentations dégradantes et humiliantes des femmes. Les hommes ne sont pas non plus épargnés par les stéréotypes, avec des représentations parfois exagérées de la virilité.

Par conséquent, si les médias, d’une manière générale, jouent un rôle central dans la construction et la diffusion des représentations de genre, influençant les normes sociales et les perceptions individuelles (de Lauretis, 2007; Espineira, 2014; Julliard et Quemener, 2014), comment faire comprendre ces mécanismes aux élèves ? Comment les amener à développer une pensée critique face aux stéréotypes de genre et aux dynamiques de pouvoir véhiculés par les médias qu’iels consomment ? Comment les sensibiliser aux enjeux de genre en favorisant la création de contenus plus inclusifs et éthiques, répondant aux attentes d’une société diversifiée ? De même, dans une dimension critique, comment les amener à appréhender les stratégies de communication qui exploitent ou contestent la diversité de genre ? Aussi, comment rendre réflexive leur utilisation native des dispositifs et espaces numériques avec les modes de compréhension, notamment non séquentiels, que ces derniers induisent ? Comment donc plus largement offrir à nos élèves des concepts, méthodes et outils pour être des professionnel·les de la création de contenu, mais également des citoyen·nes dans un environnement médiatique et social en constante évolution ?

Figure 1. Un étudiant conçoit le design d’un jeu de société prototypé en groupe (année universitaire 2022-2023).

Notre proposition pédagogique tente d’être l’amalgame de ces problématiques, elles-mêmes amalgames d’enjeux sociaux, médiatiques et pédagogiques. Le prototypage d’un jeu de société, réalisé au cours d’un workshop réparti sur plusieurs demi-journées, incite d’après nous les élèves à questionner les représentations et à réfléchir sur le rôle des réseaux sociaux dans les inégalités de genre. À ce titre, nous les initions à trois méthodologies de recherche-création : la cartographie, le maquettage et le jeu, combinant ainsi les méthodes mixtes discutées par Helen Kara (2015). Le jeu demandé n’étant ni objet d’art ni objet communicationnel ni objet de théorie, mais l’objet d’une collaboration et d’une réflexion collective à partager avec un public âgé de 11 à 18 ans.

Les amalgames constitutifs de cette ludopédagogie reposent sur l’intégration et l’assemblage de plusieurs dispositifs pédagogiques, technologiques et sociaux. D’une part, elle adopte une posture pédagogique renouvelée : en tant qu’enseignant·es, nous cherchons à amoindrir l’autorité traditionnelle fondée sur le monopole et la centralisation du savoir au profit du modèle participatif et collaboratif, inspiré de « l’esprit d’Internet » (Cardon et Smyrnelis, 2012). Dans ce cadre, les élèves ne sont plus simplement dans une forme d’apprentissage passif, mais sont présumé·es compétent·es (Serres, 2012), particulièrement dans l’utilisation de leurs outils médiatiques, tout en étant attentifs et attentives à leur propre expérience vécue en tant que corps (genré). D’autre part, sur les plans communicationnel et épistémologique, ce workshop engage une prise de conscience des relations entre le corps genré, l’espace et le numérique. Ces dimensions, souvent perçues de manière amalgamée dans le quotidien, deviennent des objets de réflexion critique. Ce processus offre aux élèves l’opportunité d’explorer de nouvelles configurations et dynamiques entre ces éléments, ouvrant ainsi un espace d’expérimentation et de reconfiguration des rapports sociaux et médiatiques.

Dans cet article, nous mobilisons la Littératie Médiatique Multimodale (LMM) pour analyser et discuter les situations d’apprentissage observées lors du workshop. En complément des préoccupations scientifiques, la LMM accorde une place significative aux dimensions praxéologiques, telles que la didactique et la pédagogie (Lacelle et al., 2017, p. 105). Elle englobe également les compétences liées au décodage, à l’analyse et à l’évaluation de divers médias, qu’ils soient imprimés ou électroniques (Lacelle et Lebrun, 2014, p. 1). Avec les élèves, la LMM nous permet d’interroger les dynamiques de pouvoir qui influencent la production et la diffusion des contenus, d’émettre une critique des biais algorithmiques et des pratiques éditoriales qui structurent les récits et les visibilités des corps, et enfin nous permet l’exploration des potentialités des dimensions sémiotiques, sensorielles, matérielles, spatiales ou temporelles pour stabiliser ou déstabiliser les représentations.

Dans une approche pragmatique de notre pédagogie constructiviste4 (Kerzil, 2009; Sensevy et al., 2020), notre propos se structure comme une documentation réflexive des pratiques de cocréation, suivant l’organisation des 4P. En premier lieu, nous contextualisons notre démarche en la reliant à son ancrage conceptuel. En deuxième lieu, nous présentons le workshop suivant la démarche des 4P : un portrait des élèves, le processus de cocréation, le projet pédagogique et les productions des élèves. En troisième lieu, nous explorons les activités pédagogiques d’une manière réflexive.

1. Contextualisation de la démarche et ancrage conceptuel

1.1. Réflexions initiales en art et communication

Le workshop, initié au cours de l’année universitaire 2021-2022, répond à des besoins didactiques et professionnels tout en s’inscrivant dans une démarche pédagogique expérimentale issue de nos deux champs disciplinaires. Dans les Sciences de l’Information et de la Communication, le rôle des médias dans la construction des rapports des individus au corps genré est réellement pris en charge depuis une décennie, marquant dans la discipline une reconnaissance croissante de la médiation des images et des discours dans les représentations genrées (Galinon-Mélénec et Martin-Juchat, 2014). Parallèlement, en Arts et Sciences de l’Art, l’enseignement s’articule autour d’un aller-retour constant entre pratique et analyse critique des œuvres (Baldner et Barbaza, 2013), tout en notant que « l’art en ses œuvres a fortement soutenu la pensée militante du genre et la pensée queer » (Lafargue et Croce, 2021, p. 221).

Le workshop vise ainsi à croiser nos deux disciplines, pour former une pédagogie réflexive et interdisciplinaire, où la pratique et la théorie se nourrissent mutuellement pour inviter les élèves à interroger les représentations, les corps et leurs mises en espace, notamment en ligne. Cette initiative s’inscrit dans la volonté partagée avec les recherches en Littératie Médiatique Multimodale (LMM) de ne pas aborder l’étude des médias à travers le seul prisme de la communication d’un message, mais comme un domaine de création multimédiatique où l’art permet de tenir compte des hybrides entre communication et création (Richard et Lacelle, 2020, p. 5). À mesure que le savoir devient de plus en plus interdisciplinaire et transversal, l’interdisciplinarité s’affirme effectivement comme un enjeu fondamental. Il s’agit donc de « conceptualiser des tâches d’apprentissage originales, assorties de stratégies nouvelles, et évaluer une plus grande variété d’apprentissages qu’auparavant » (Lacelle et al., 2017, p. 25).

1.1.1. Quelques expérimentations

Le workshop s’enracine dans ma pratique personnelle et pédagogique (Carole Brandon) en tant qu’ancienne enseignante en arts plastiques auprès d’élèves de 11-15 ans et actuelle enseignante en art à l’université. Selon mes propres expériences en classe, à travers le corps situé dans l’espace, la création, tels le dessin ou la cartographie sensible (Brandon, 2023), libère le geste tout en structurant la pensée; elles offrent aux élèves des compétences pour organiser, coordonner et hiérarchiser des informations à partir d’eux et elles-mêmes, tout en favorisant une expression personnelle, et cela, avec un effort perçu comme moins contraignant. Dans le cadre de mes interventions auprès d’élèves de Master Création Numérique, la pratique pédagogique des jeux de société a facilité la compréhension des logiques en réseau, la constitution d’une pensée interactive et la scénarisation d’objets transmédia voire hypermédia, ce qui correspond à l’un des stades avancés de la littératie médiatique multimodale (LMM).

Ces intuitions et expérimentations pédagogiques ont été renforcées par un projet de recherche-création visant à concevoir un jeu éducatif destiné à des jeunes de 14 à 18 ans, centré sur le genre, son vocabulaire et ses représentations. Ce jeu de cartes, testé et amélioré en 2020 avec nos élèves de première année de licence dans le cadre d’un cours de méthodologie universitaire, a, à nos yeux, montré qu’une ludopédagogie pouvait non seulement libérer la parole – les remarques, interjections et questions émergeaient spontanément sans appréhension – mais aussi permettre une acquisition plus rapide et plus précise du vocabulaire. Ce jeu conduisait par ailleurs nos élèves à dépasser la simple focalisation sur les corps discriminés pour davantage interroger les dynamiques sociales et politiques des discriminations.

1.1.2. Une expérimentation intégrée à la maquette pédagogique

En 2021, lors du passage à l’Approche par Compétences (APC) dans notre université, nous décidons en duo d’enseignant·es de faire de l’expérimentation ludopédagogique discutée précédemment, centrée sur un objectif pédagogique plus développée, car, auparavant, les cours étaient uniquement magistraux. La maquette pédagogique de notre Département Communication Hypermédia a été restructurée autour d’Unités d’Apprentissage (UA), chacune équivalant à six crédits européens (ECTS). Ces unités offrent la flexibilité d’intégrer autant de modules (cours) que nécessaire pour atteindre les compétences visées. Dans le cadre de la deuxième année de la Licence en Information et Communication (sur trois ans), une UA intitulée « Genres » a donc été introduite. Elle regroupe deux Unités d’Enseignement (UE) complémentaires : « Genres et Médias » et « Genres et Arts ». Chaque UE combine des cours théoriques (Cours Magistraux de 6 heures) et des cours pratiques (Travaux Dirigés de 12 heures par groupe de 30 élèves), favorisant une approche équilibrée entre conceptualisation et application.

Les systèmes de discrimination et les problématiques liées au genre englobent des concepts complexes, qui font partie de l’enseignement des sujets dits sensibles (Poirier-Saumure et al., 2024). Ces thématiques nécessitent par conséquent une approche précise et attentive, car elles affectent profondément les élèves, leur corps et leurs interactions quotidiennes. C’est pourquoi nous avons choisi d’intégrer cette unité d’apprentissage en deuxième année. À ce stade de leur parcours, les élèves semblent, dans leur grande majorité, avoir acquis une maturité corporelle associée à un certain niveau de littératie médiatique : les compétences nécessaires pour décoder les images, mobiliser des références pertinentes et maitriser les outils techniques et numériques de production visuelle. Par ailleurs, leur familiarité avec le fonctionnement du système universitaire, combinée à la relation pédagogique de confiance établie avec nous en tant qu’enseignant·es, transforme assez aisément l’espace du cours en un lieu propice à une parole plus libre et spontanée. Comme l’expriment en effet Poirier-Saumure et ses collègues (2024), l’enseignement des sujets sensibles ne peut être exempt d’un risque de confrontation et d’inconfort :

il s’agit plutôt de favoriser l’établissement d’un espace de courage (brave space), où la bienveillance, la considération et la sensibilité peuvent cohabiter avec la possibilité d’une prise de risque intellectuel, de confrontations respectueuses et des remises en question qui découlent forcément d’un contexte pluriel. Cela implique directement la capacité des enseignants à assurer un dialogue constructif et à réagir de manière conséquente lors de débordements jugés inacceptables.

1.2. Genre et jeux de société

La littérature scientifique montre à quel point le genre reflète les constructions sociales liées au sexe biologique5 (Oakley, 1972; Scott, 1988; Butler, 2006; Thomas et Espineira, 2020) ainsi que les mécanismes par lesquels les individus sont identifié·es (visuellement, administrativement, juridiquement…). Elle révèle également comment nous nous identifions aux catégories sociales du féminin ou du masculin, ainsi qu’aux rôles qui leur sont associés. Pour approfondir cette question sous l’angle des inégalités, à travers un jeu de société, nous détaillons les conceptions théoriques qui sous-tendent ce workshop ludopédagogique, qui mobilise la dialectique propre à la recherche-création.

1.2.1. Le genre, un double système

La socialisation (Darmon, 2010) peut être comprise comme l’apprentissage d’un « régime de vérité » (Foucault, 2001, p. 112), un cadre normatif qui organise les rapports sociaux. Dans le contexte occidental, la socialisation au genre implique l’intégration d’un espace symbolique structuré selon une topologie qui oppose masculin et féminin; ce système impose que l’identité de genre soit pensée en termes d’oppositions et de hiérarchie : « un individu ne peut pas être plus l’un sans être moins l’autre » (Bereni et al., 2012, p. 119). Le genre, ainsi socialisé, se manifeste par des rôles et rituels inégalitaires et asymétriques (ibid., p. 113) et s’appuie sur des « agents périphériques de socialisation », tels que les vêtements, les jouets, les médias et la publicité (ibid., p. 134). Ce cadre invite par conséquent à considérer le genre comme un système de différenciation, mais aussi, sous une perspective matérialiste, comme une force et un système de domination. Ce dernier, souvent résumé par le terme patriarcat, incarne une logique économique et sociale d’exploitation : « Le patriarcat est un système d’inégalités de genre qui permet aux hommes d’imposer aux femmes de travailler à leur avantage. Il est aussi une manière de classer, de dominer ou de fabriquer les autres : les femmes, comme les homosexuels ou les immigrés, sont des autres » (Brugère, 2020).

Cette perspective met en lumière les dimensions structurelles et performatives du genre – l’effet produit par des actes quotidiennement répétés, soumis à sanctions et approbations sociales (Butler, 2006, p. 260-261) – tout en soulignant son rôle dans la perpétuation des inégalités au sein des relations sociales et économiques :

Dès le plus jeune âge, on pourrait presque dire dès la naissance, on enseigne aux garçons et aux filles quels seront leur place et leur rôle dans la société. Tout, que ce soit les jeux et les loisirs, les pratiques et les lieux de sociabilité, tend à façonner leur identité (Beauvalet-Boutouyrie et Berthiaud, 2016).

bell hooks, dans son ouvrage, Ain’t I a Woman: Black Women and Feminism ([2015] 1981), considère par ailleurs que les oppressions liées à l’ethnie, au genre et à la classe sociale sont interdépendantes. Ainsi, notre ancrage théorique insiste sur la contingence des normes de genre et des identités raciales (Brun, 2019; Appiah, 2021). Nous appuyons le fait que, depuis un cadre purement biologique, les races n’existent pas chez l’être humain6! Le cadre social, en revanche, peut être vecteur de racisme et instituer des expériences racisées et constituer des individus racisés : « les discriminations ethno-raciales reposent sur des processus de racialisation et actualisent des assignations identitaires historiquement, culturellement et socialement agissantes » (Bruneel, 2020).

C’est pour faire saisir ces intrications aux élèves que nous utilisons le jeu de société. Ce dernier permet de mobiliser aisément des référents sociaux au sein de l’espace d’apprentissage avec des rôles à dé/jouer et à dé/faire, plus ou moins proches ou éloignés de ceux que les élèves tiennent au sein de la société.

1.2.2. Le jeu de société comme outil et terrain pédagogiques

Julien Agaësse (2021), tout comme Haydée Silva (2019), constate qu’il est difficile de définir ce qu’est le jeu, car de nombreuses définitions existent : « il n’y a pas une, mais bien des notions de jeu, socialement construites pour répondre à des contextes et des besoins particuliers » (ibid., p. 173). Ainsi, dans la continuité de notre réflexion sur le genre en tant que système de différenciation et de domination, le jeu de société, tel que décrit par Gilles Brougère (2021), s’offre comme un outil pédagogique pertinent pour explorer la manière dont les dynamiques sociales et genrées s’expriment et se perpétuent. Selon l’auteur, « le jeu de société a une liaison très étroite à la société où il s’insère. Il suppose donc pour exister une société qui maintient, ou diffuse ses règles » (ibid.). Par son caractère collectif, nécessitant plusieurs joueur·euses et une référence partagée à des règles conventionnelles et spatiotemporelles, le jeu de société reflète non seulement les interactions sociales, mais aussi les structures symboliques et normatives qui sous-tendent ces interactions, explique l’auteur – c’est un laboratoire de la vie sociale (Gaussot, 2022). Comme le reste des jeux, le jeu de société se caractérise par conséquent par le « territoire fictionnel » qu’il fait émerger :

Il n’en est pas moins un espace concret, c’est-à-dire un espace dans lequel les êtres ludiques deviennent ce qu’ils sont, grandissent ensemble. En tant que chôra, le territoire ludique devient lieu de concrétion de l’imaginaire ludique et donc, aussi, territoire de concrétion des images du monde que sont les jeux. (Fouillet, 2014).

Au travers de sa revue de la littérature scientifique7 Rebecca Bayek (2020) montre que la relation entre les jeux de société et l’apprentissage est attestée dans toutes les disciplines et dans tous les pays. Les jeux de société permettent la modélisation et la simplification de questions et de systèmes complexes, ce qui les rend appropriés dans un contexte pédagogique, notamment pour l’ancrage des apprentissages (Cortana, 2022). La ludopédagogie désigne ainsi l’utilisation du jeu dans un cadre éducatif pour stimuler l’engagement des apprenant·es (Caïra, 2018), transformer leurs compétences et représentations (Alvarez, 2019; Sanchez, 2023) et favoriser le développement de la réflexivité des élèves et des enseignant·es (Kübler et Carmouze, 2023). Fanny Barnabé et ses collègues (2023) soulignent que la montée en visibilité de la ludopédagogie dans l’enseignement supérieur est étroitement liée aux enjeux contemporains qui traversent ce milieu : « prise en compte de la diversité et volonté d’inclusion, approche par compétences, soutien aux réussites sous toutes leurs formes, expérience apprenante et promotion des pédagogies actives, mobilisation des outils numériques, professionnalisation… » (Barnabé et al., 2023).

1.2.3. Une recherche-création située pour croiser littératie et art

Puisque nous invitons les élèves à concevoir et à prototyper leur propre jeu de société, nous intégrons pleinement la dialectique propre à ladite « recherche-création » (Paquin, 2017; Glicenstein, 2024), qui articule deux dimensions complémentaires : l’exploration et la compréhension. Cette démarche ne se limite ni à la simple production artistique ni à la recherche académique classique; elle représente une approche hybride, capable de produire du savoir en combinant expérimentation créative et réflexion analytique.

En raison de la dimension constructiviste du faire œuvre et de la nature heuristique de la démarche, la recherche-création consiste en un va-et-vient continuel entre l’exploration, qui mobilise une pensée expérientielle, subjective et sensible relevant de l’imaginaire, et la compréhension, qui mobilise une pensée conceptuelle et objectivante relevant de la rationalité. (Paquin, 2017 [2014], p. 124).

Initier les élèves à une telle démarche processuelle les engage à embrasser l’incertitude et à comprendre que la création, qu’elle soit artistique ou intellectuelle, est un processus itératif et non linéaire. Avec cela nous invitons les élèves à reconnaitre l’importance de leur propre corporéité et de leur positionnement dans leurs pratiques d’apprentissage. Cette conception d’un corps situé repose sur une double approche phénoménologique et féministe. Dans la phénoménologie (Merleau-Ponty, 1945; Ahmed, 2006), le corps est considéré comme un vecteur de l’expérience du monde et non comme un simple objet biologique : il est toujours situé dans un contexte spatial, temporel et social. De même, pour l’épistémologie féministe (Harding, 1986; Haraway, 1988; Espínola, 2012), toute connaissance est produite à partir d’une position incarnée et localisée. Ce cadre critique remet en question l’idée d’un savoir universel et désincarné, un aspect fondamental pour une culture littératique axée sur la contextualisation et l’incarnation des connaissances.

La littératie permet en effet de dire, de lire, d’écrire, de comprendre et d’apprécier diverses formes de communication (Richard et Lacelle, 2020, p. 2) de plus en plus multimodales et numériques (Lacelle et al., 2017). D’après Moniques Richard et Nathalie Lacelle, celle-ci doit s’accompagner d’une culture de l’information, de la création et du travail collectif (op. cit., p. 4) :

Une société tournée vers les compétences du XXIe siècle ne peut donc pas faire l’économie d’une formation artistique incarnée pour nos jeunes puisqu’elle donne une large part à la création et à l’hybridité, mais aussi à la critique du statu quo, une qualité essentielle pour tout citoyen vivant en démocratie (ibid., p. 3).

2. Présentation du workshop (4P)

2.1. Portrait du milieu

Le workshop se déroule en deuxième année au sein de la Licence Information et Communication de l’Université Anonymisée, une institution française de taille moyenne comptant environ 15 000 élèves, dont 10 % sont internationaux. Il est animé par une artiste et enseignante-chercheuse titulaire (autrice 1) en Arts et Sciences de l’Art, ainsi qu’un enseignant-chercheur contractuel (auteur 2) en Sciences de l’Information et de la Communication.

En fin de première année, les élèves acquièrent au sein de la licence une certaine culture théorique des médias, de l’image et de l’histoire de l’art tout en développant des compétences pratiques en création et en design. L’une de leurs principales compétences à ce stade est leur capacité à concevoir et à fabriquer des images adaptées à divers contextes et destinataires papier, qu’ils soient entrepreneuriaux ou expérimentaux; nous n’évaluons donc plus les compétences techniques de production en seconde année. Cet ensemble correspond pour nous à un premier niveau de littératie médiatique, qui comprend quatre tâches fondamentales : 1. décoder, comprendre et évaluer les médias; 2. créer et diffuser ses productions médiatiques; 3. chercher et explorer; 4. catégoriser et organiser (Fastrez et De Smedt, 2013, p. 5).

En deuxième année, les élèves acquièrent la capacité de contextualiser et d’analyser les images issues des réseaux sociaux, car ces dernières jouent un rôle central dans la circulation des idées et des représentations contemporaines. Les réseaux sociaux présentent des contenus souvent polyphoniques et multimodaux (texte, image, son, vidéo), qui véhiculent des messages complexes et parfois ambigus. Ces messages reflètent des enjeux sociaux, culturels et politiques, notamment en lien avec les genres et les discriminations systémiques. Dans notre approche pédagogique, cela correspond à un second niveau de LMM, où il s’agit non seulement de consommer des médias, mais aussi d’apprendre à décoder, analyser et produire des contenus en tenant compte de leurs multiples modalités. Cette compétence inclut la reconnaissance des biais implicites dans les représentations genrées et la compréhension des dynamiques intersectionnelles (Crenshaw, 1989) qui amplifient les inégalités.

L’acquisition de ce niveau de littératie passe par une sensibilisation aux rapports de pouvoir et aux mécanismes de domination véhiculés dans les médias. Les élèves doivent développer un regard critique sur les images qu’iels consomment et produisent, en identifiant les problématiques liées à différents axes d’oppression. À titre d’exemple, une analyse multimodale d’une vidéo TikTok peut révéler des stéréotypes genrés ou raciaux, tandis que le décryptage des commentaires associés peut mettre en lumière des dynamiques d’exclusion ou de validation sociale.

2.1.1. Des groupes d’élèves

Depuis l’année universitaire 2021-2022, la promotion concernée par ce workshop regroupe environ 60 élèves âgé·es de 18 à 22 ans, réparti·es en deux classes de 30. Au total, sur trois ans, 180 élèves approximativement ont participé à ce workshop, dont le déroulé se fait chaque année de septembre à novembre. Sur l’ensemble, la répartition des femmes et des hommes est plutôt équilibrée, avec une présence parfois d’élèves s’identifiant comme non-binaires et d’autres communiquant ouvertement leur identification à une caractéristique LGBTQIA+. Bien qu’il ne soit pas possible de déterminer l’ethnicité exacte de nos élèves, la majorité est blanche et approximativement un tiers de chaque promotion provient de groupes racisés, incluant des élèves de confession musulmane, noirs, asiatiques, arabes ou latino-américains. Dans chaque promotion, nous comptons par ailleurs quelques élèves internationaux, en semestre d’étude via les programmes Erasmus et Campus France.

2.1.2. Duo d’enseignant-chercheur et d’enseignante-chercheuse

En tant qu’enseignant·es blanches et blancs en accord avec le genre qui nous a été assigné à la naissance, le décalage entre notre profil d’enseignant·es et celui de la majorité de nos élèves en matière de genre et d’ethnie est donc peu significatif. Bien que nous ne revendiquons pas une appartenance monolithique à un milieu ou à une culture, nous faisons partie des catégories qui « […] contrôlent les structures occidentales de validation du savoir » (Bilge et Hill Collins, 2023, p. 383).

Dans le cadre de ce workshop, notre expertise est complémentaire : la première a rédigé une thèse en recherche-création avec une perspective féministe concernant les enjeux d’un entre corps/machine, où la force des réseaux, dans une pratique artistique, consiste à accompagner les variabilités du corps et des perceptions (Brandon, 2016); le second a rédigé une thèse qui explore d’une manière « ethno-graphique » les potentialités critiques des corporéités queer, avec les enjeux spatiaux de subjectivation et d’émancipation liés aux existences LGBTQ+ au Brésil et en France (Emery, 2024). La ville que nous avons en commun avec les élèves se trouve par ailleurs fréquemment être l’objet d’études qui innervent ensuite l’UA : à titre d’exemple, un article dans lequel nous analysons les stéréotypes de genre présents dans l’espace public à partir des affiches du Festival international de la BD de Chambéry, un autre où nous analysons l’action militante du collectif “Brochette de Putes” sur notre campus.

2.2. Processus de cocréation

Le workshop a pour objectif principal la conception de prototypes de jeu de société collaboratif. Chaque groupe doit choisir un fait d’actualité, soulevant des problématiques d’inégalité (sexisme, racisme, transphobie, homophobie, grossophobie, situation de handicap, etc.) en lien avec la notion de genre. Parallèlement, il vise à faire appréhender concrètement aux élèves ce que nous désignons dans le cadre de la Licence comme un dispositif informationnel numérique.

Ce dernier désigne un ensemble contextuel d’espaces médiatiques numériques et leur intrication spatiale en ligne. Le terme dispositif se réfère autant à une structure technique qu’à un cadre de savoir et de pouvoir8 (Foucault, 2007 [1961]; Agamben, 2006). Cependant, le dispositif ne se limite pas à une simple structure fonctionnelle; il constitue aussi une méthode qui interroge l’espace, la machine, et la place des corps (Duguet, 1988), tout en étant une expérience à part entière : « la notion de “dispositif” devient indispensable car l’information prend désormais son sens en fonction du contexte de son apparition et non plus de sa source » (Brandon, 2021, p. 53). Ce workshop invite ainsi les élèves à explorer ces dimensions multiples à travers un processus créatif et réflexif.

2.2.1. L’articulation générale de l’Unité d’Apprentissage

Le workshop est nourri par les cours magistraux que nous dispensons en parallèle dans l’UA (Figure 2). Le premier enseignant se consacre au genre et aux médias pour fournir le vocabulaire des gender et des queer studies en lien avec l’information et la communication, la question de la visibilité LGBT+, les enjeux queer et transidentitaire dans les espaces urbains et médiatiques. La seconde enseignante se consacre au genre et aux arts pour fournir le vocabulaire afférent avec un traitement du neutre dans l’art, les défis posés par les artistes à la binarité, et les stéréotypes remis en question sur les réseaux sociaux numériques avec un point sur l’IA. Nous donnons respectivement notre premier cours magistral avant le début du workshop; les autres séances se déroulent en parallèle.

Les élèves ont continuellement accès à un tableau en ligne au sein duquel iels retrouvent la répartition des cours et des compétences, la répartition des groupes et le suivi de la validation des compétences (non-acquis, en cours d’acquisition et acquis). Une bibliographie actualisée chaque année est mise à disposition, incluant des ouvrages universitaires, des essais, des émissions de radio, des podcasts et des vidéos. Cette diversité de supports vise à capter l’intérêt des élèves par différents médias, facilitant ainsi l’appréhension pour certain·es de concepts scientifiques parfois plus accessibles grâce à des formats de vulgarisation et des thématiques de leur quotidien. Notre contribution en tant qu’enseignant·es se souhaite, par conséquent, « double » selon la perspective de Tim Ingold (2018). D’une part, les cours magistraux incarnent « la communication d’un savoir sous la forme d’un système de concepts et de catégories préconstitué » (ibid., p. 47). D’autre part, la bibliographie, tout comme les travaux dirigés sous le format workshop cherchent « l’établissement des situations ou des contextes dans lesquels il devient possible pour [les élèves] de découvrir par soi-même une bonne partie de ce que les enseignants savent déjà, mais aussi peut-être une bonne partie de ce qu’ils ne savent pas » (ibid.).

Figure 2. Déroulement du workshop dans le cadre de l’UA Genres. Schéma élaboré par Carole Brandon et Gaëtan Le Coarer pour la journée APC organisée par l’Université Savoie Mont-Blanc en mai 2024.

2.2.2. Présentation du workshop

Le workshop s’étend sur quatre journées de 6 heures chacune (Figure 2), se déroulant toujours dans la même salle avec l’ensemble de la promotion. La répartition des groupes a été effectuée en amphi lors du premier cours magistral et chaque groupe a reçu pour consigne de se présenter au workshop avec quelques faits d’actualité. Ces derniers doivent être médiatisés en ligne, imagés, et, si possible, mais pas obligatoirement, via un réseau social numérique qu’iels utilisent quotidiennement (Instagram et TikTok généralement).

Lors de chaque séance, les élèves s’installent librement en formant des ilots de travail selon leurs préférences. La structure de chaque session reste constante : un moment introductif succinct, dédié à expliquer ou rappeler les consignes, suivi de phases de travail en autonomie. La circulation dans la salle est fluide, offrant aux élèves la liberté d’entrer et de sortir sans demander d’autorisation. En tant qu’enseignant·es, nous nous déplaçons régulièrement, individuellement ou en duo, entre les groupes pour apporter un accompagnement personnalisé, répondre aux questions et guider les élèves dans leurs activités. Cet aménagement nous importe, car ce workshop est également l’occasion de transformer les postures corporelles. Il ne s’agit pas tant pour les élèves et nous-mêmes de s’amuser que de déconstruire l’idée de l’espace de la classe et d’ouvrir de nouvelles façons de « faire corps » en cours.

Chris Shilling (1993) a en effet souligné l’importance de considérer l’école comme un espace avec lequel les corps sont non seulement régulés, mais aussi managés et disciplinés. Selon l’auteur, les recherches en sciences sociales sur la pédagogie devraient accorder plus d’attention aux dynamiques spatiales des pratiques pédagogiques et à la manière dont elles influencent et façonnent la gestion des corps dans le cadre éducatif9. La place du corps à l’école est déterminante (Sébire et Pierotti, 2017), notamment celui du corps sensible (Sève, 2020), et il existe un « lien intime qui s’établit entre la subjectivité des apprenants et la spatialité à travers laquelle s’accomplit l’apprentissage » (Moreno, 2022).

Figure 3. Organisation de la classe en ilots (année universitaire 2022-2023).

2.3. Projet pédagogique

Sur son ensemble, le workshop est divisé en deux temps (Figure 2). Le premier temps est dédié à l’étude du fait d’actualité, le second à la conception du jeu. La première partie du workshop est répartie sur quatre demi-journées. Les deux premières sont dédiées à l’étude de cas d’un fait d’actualité et à la méthodologie d’analyse, tandis que les deux suivantes se concentrent sur l’élaboration d’une notion spécifique à cette étude et à sa représentation plastique sous forme de maquette. Dans la seconde partie, également répartie sur quatre demi-journées, les élèves consacrent les deux premières à concevoir un jeu collaboratif avec ses règles. Les deux dernières demi-journées sont réservées à la prototypation du jeu et, lorsque possible, à la découverte des productions de la classe. À chaque étape, les compétences des élèves sont évaluées à travers des productions collectives et individuelles, plastiques et écrites. Une grande partie de ces compétences relève de la LMM, car elles valident leurs capacités à décoder, analyser et évaluer divers médias et leur multimodalité.

2.3.1. Analyser les enjeux médiatiques du genre (2 jours)

Le fait d’actualité choisi par les élèves se trouve matérialisé dans un espace précis : article de presse, publication TikTok, publication Instagram, commentaire sur X (Twitter), vidéo sur YouTube, etc.

Cartographier le contexte de mise en visibilité (2 demi-journées)

Une fois le fait d’actualité choisi et validé, les groupes doivent en reconstituer ce que nous appelons être le contexte de mise en visibilité. Comme le souligne Bérénice Mariau (2019), l’impression de transparence de la médiation est remise en question dès lors que l’on considère le fait d’actualité comme l’élaboration d’une information qui cherche à être lisible – et nous complétons, visible ! Pour cela nous introduisons une méthodologie d’analyse des informations en ligne par la création d’une cartographie numérique collaborative. Les compétences de la LMM, ici mises à contribution pour apprentissage, sont celle de la lecture et de la navigation multimodale : lire un média dans sa dimension informationnelle, technique et sociale ; naviguer parmi des médias dans leur dimension informationnelle, technique et sociale (Fastrez et De Smedt, 2013, p. 7). Les connaissances théoriques sur le genre sont mobilisées pour reconnaitre les processus médiatiques par lesquels le genre dans sa dimension relationnelle est re/produit dans et par ces espaces. C’est aussi à dire la façon dont se re/construit socialement le genre par et dans ces espaces et selon quels rapports de pouvoir. La notion d’inégalité étant au centre du workshop, c’est par conséquent également saisir à l’intersection de quels autres rapports de pouvoir se constitue le genre.

Sur les réseaux sociaux numériques, tout comme sur Internet d’une manière générale, l’information (qui est un rapport constant entre texte et image) est constamment sujette à transformation. L’information y est un ensemble d’éléments organisés et spatialisés, mais dont la spatialité est généralement non conscientisée. Pour l’expliquer aux élèves, nous représentons au tableau une publication Instagram. Au-delà du cadre de l’image, la classe est invitée à lister toutes les informations disponibles : la localisation, la date de publication, les like et les commentaires, les tags, les affiliations commerciales, le partage de la publication sous le format d’une story ou d’un message privé, les identifications et le pseudo, etc. Autant d’éléments signifiants et cliquables qui renvoient à un autre espace numérique. Avec ces éléments, la publication de notre exemple peut être pensée en dehors du seul cadre de l’image et du profil qui la publie. Elle peut être replacée au sein du réseau d’affiliation, qui constitue son contexte de mise en visibilité, qui est également un contexte de formation de l’information et de sa réception. Ce contexte de mise en visibilité correspond par ailleurs à tout ce qui est répertorié par un moteur de recherche et qui est susceptible de mener à l’entropie du fait d’actualité. La publication Instagram fictionnelle de notre exemple a peut-être fait l’objet d’articles de presse, d’un débat sur X (Twitter) ou sur Twitch, d’une parodie sur TikTok : autant d’éléments dispersés qui in/forment de manière discontinue l’image.

Nous expliquons à la classe qu’avec l’avènement de la mobilité et des réseaux sociaux, l’information se trouve désormais ancrée dans un contexte spatial (Brandon, 2021) qu’il faut pouvoir questionner dans sa singularité. En effet, cette spatialité massivement multimodale fait passer la personne utilisatrice d’un réseau social d’un espace numérique à un autre en quelques succincts glissements de doigts : par exemple d’une publication sur un profil Instagram, à un autre profil, à une story, à une page web, à des commentaires puis, à d’autres story jusqu’à une page web et des publications X (Twitter). Cet accès par branchements et cheminement pose question, notamment pour ses effets cognitifs.

De fait, « pour une raison graphique, le réseau n’est pas une structure de l’intelligible : le réseau, échappant à la synopsis spatiale du fait de sa complexité, est un labyrinthe où l’on se perd » (Mpondo-Dicka, 2013). Ces sauts spatiaux, souvent peu conscientisés, compliquent l’appréhension et la compréhension des liens constitutifs qui structurent et enrichissent l’information à travers une mise en réseau signifiante. Ainsi, les informations d’actualité courent-elles le risque d’être davantage appréhendées de manière décontextualisée, dépouillées des repères spatiotemporels indispensables pour appréhender pleinement les évènements, leur signification et la manière de les relater (Mercier, 2006; Moirand, 2018). C’est spécifiquement cette interprétabilité des informations en ligne que nous invitons les élèves à penser, car elle fonde l’une des compétences de la littératie médiatique multimodale : « garder le cap sur la recherche initiale malgré la multiplicité des niveaux, au risque d’une surcharge cognitive, développer sa capacité à lier les informations, dans un soucis [bis] de cohérence » (Baccino, 2011; Lacelle et al., 2017, p. 53). Il s’agit également de re/penser la relation entre l’information, l’environnement (physique et numérique) et le corps : une « unité d’expérience » capable d’offrir une « compréhension sociale » (Andriolo, 2018) et une expérience phénoménologique du flux numérique.

Figure 4. Conception en acte de deux cartographies (année universitaire 2022-2023).

Les élèves sont ainsi invité·es à réaliser en ligne, sur une plateforme collaborative de leur choix, une cartographie (consignes en Annexe 1) : il s’agit généralement de Miro et de Coggle de Google. Cette cartographie (Figure 4) doit permettre le surgissement du contexte de mise en visibilité du fait d’actualité : son traitement par les espaces médiatiques. Ce processus doit amener les élèves à conscientiser que le message c’est également le média, pour paraphraser la célèbre assertion de Marshall McLuhan (2000). Cette importance du média doit être mesurée par les élèves par une analyse de la façon dont leur cartographie dé/montre le traitement que subit médiatiquement le fait d’actualité choisi : choix des images et leur cadrage, structure de l’information, personnes interviewées, propos rapportés, etc. Les questions de formes sont des questions de fond ! Le groupe doit par ailleurs spécifiquement analyser la manière dont le traitement de l’information poursuit ou non la discrimination dont rend compte leur fait d’actualité ou si au contraire il l’amoindrit, le questionne voire en provoque de nouvelles. Le fait d’actualité et son traitement par le dispositif informationnel cartographié constituent le système discriminant à étudier.

Constituer une notion et produire une maquette (2 demi-journées)

Pour ces deux demi-journées, les groupes doivent choisir ou créer une notion afin de problématiser ledit système discriminant cartographié, c’est-à-dire le fait d’actualité et son traitement par le dispositif informationnel : la manière dont les médias et les personnes utilisatrices commentent, orientent, minimisent, augmentent, informent le fait. À la suite de cette formulation notionnelle (consignes en Annexe 2), les groupes doivent maquetter le système discriminant. Les compétences de la LMM ici mises à contribution pour l’apprentissage incluent celles mobilisées précédemment, auxquelles s’ajoutent les compétences en organisation et une compétence qui nous est propre, l’adaptation : organiser des médias selon leur dimension technique, informationnelle et sociale (Fastrez et De Smedt, op. cit.) ; c’est-à-dire adopter la dimension technique, informationnelle et sociale d’un ensemble de médias. Les connaissances théoriques sur le genre sont ici particulièrement mobilisées afin de porter une attention particulière à la représentation. Étant entendu que « la construction du genre est à la fois le produit et le processus de sa représentation » (De Lauretis, 2007, p. 47).

La création de cette notion implique les élèves dans la formulation d’une interprétation générale qui encapsule une compréhension de base de leur fait d’actualité. En esprit de suite, les groupes sont invités à maquetter le système discriminant. Les élèves ont été invité·es lors des séances précédentes à apporter des outils et objets divers sans discriminations de forme, de matière, de couleur, etc. Avec la diversité de ce patchwork, nous accordons aux élèves une demi-journée pour produire la maquette (Figure 5). Cette maquette, en tant qu’objet d’expérimentation, doit être interactive. Les groupes sont donc encouragés à ne pas se limiter à une maquette statique, linéaire et textuelle : elle peut être actionnée, peut se décomposer, des objets peuvent être déplacés, etc. De plus, ils peuvent accompagner la maquette d’une atmosphère en ajoutant des postures, des bruits, des mimiques, des paroles, etc. Un objet vraisemblable n’est pas attendu; au contraire, il s’agit de créer une forme permettant de rendre plastiquement saisissable par les sens le fait d’actualité, son contexte et le traitement de l’information. Le groupe doit par conséquent exploiter l’imagination et même la fiction : c’est l’expérimentation en classe d’une imagination scientifique (Dortier, 2014).

Figure 5. Conception et expérimentation d’une maquette (année universitaire 2022-2023).

L’objectif est donc de donner une forme qui vise, en partie, à apporter une dimension spatiale tridimensionnelle au traitement de leur fait d’actualité. Car, leur cartographie reste un déploiement en deux dimensions des espaces en ligne, et la notion reste une image langagière. La maquette permet d’engager le corps et son espace : actionner la maquette, tourner autour, se rapprocher, prendre de la distance, etc. De plus, la création de la maquette ouvre autrement les portes à la subjectivité et à la singularité du groupe.

À la fin de ces quatre demi-journées consacrées à la cartographie, à la notion et à la maquette, les élèves reçoivent les consignes d’un travail individuel évalué à réaliser pour la séance suivante. Ce travail, limité à quatre pages typographiées, doit inclure la présentation du fait d’actualité, une synthèse écrite de la cartographie (accompagnée de son lien URL) avec l’explicitation de leur notion ainsi qu’une analyse du système de discrimination en utilisant les cours magistraux et au moins un texte théorique (différent pour chaque membre du groupe). Si ce travail une fois évalué est jugé insuffisant, nous proposons aux élèves concerné·es une seconde chance : iels doivent reprendre leur analyse en expliquant cette fois-ci la conception de leur maquette, les choix opérés pour la constituer et interpréter la manière dont celle-ci arrive à faire saisir à un public le système discriminant.

2.3.2. Prototyper un jeu de société (4 demi-journées ou 2 jours)

Le second moment du workshop est dédié à la constitution, sous le format d’un prototype, d’un jeu de société collaboratif. La consigne communiquée aux groupes est la suivante : « prototyper un jeu de société avec une mécanique de jeu collaborative et non-linéaire permettant au public de comprendre les enjeux du fait d’actualité et son traitement par le dispositif informationnel. Le jeu ne doit pas illustrer le système discriminant étudié. La notion servira de fil conducteur et de nom pour le jeu ». Les compétences de la LMM mises à contribution pour l’apprentissage sont celles précédemment énumérées de l’écriture, de la navigation, de l’organisation et de l’adaptation.

Concevoir les règles d’un jeu de société collaboratif et non-linéaire (2 demi-journées)

Lors des deux premières demi-journées, la conception de ce jeu commence par être pensée dans ses grandes lignes à partir de la conception de ses règles et de sa mécanique. La demande de coopération invite les élèves à penser une mécanique qui fasse en sorte que les futur·es joueur·ses coopèrent contre le jeu. La demande de non-linéarité invite les élèves à adopter et adapter la logique spatiale et algorithmique des réseaux et espaces qu’iels ont étudiés.

Prototyper et faire expérimenter le jeu (2 demi-journées)

Les groupes sont ensuite invités sur les deux dernières demi-journées à prototyper leur jeu. Les élèves ont été précédemment invité·es à apporter les outils et objets nécessaires à cette production. Lorsqu’il reste du temps, les élèves sont libres de passer d’un groupe à l’autre pour expérimenter les jeux et émettre des retours constructifs à leurs camarades ; nous nous joignons alors à eux et elles.

À la fin de ces quatre demi-journées consacrées à concevoir le prototype d’un jeu de société, les élèves reçoivent les consignes d’un travail individuel évalué et à réaliser chez eux et elles pour conclure le workshop. Ce travail, libre en termes de pages typographiées, doit inclure la présentation (pitch) du jeu et ses règles ainsi qu’une argumentation sur la manière dont la mécanique du jeu fait apprendre à son public le fonctionnement du dispositif discriminant – l’argumentation devant s’appuyer sur des textes théoriques et faire référence aux cours magistraux. Les élèves peuvent obtenir des points bonus en proposant un design graphique complet du jeu (Figures 6 à 9) : plateau, livret, cartes, boite, etc.

Figures 6 et 7. Design du jeu Phallocircuit par Marilou Galmiche (année universitaire 2023-2024).
Figures 8 et 9. Design du jeu Le Backlash par Perrine Destremont (année universitaire 2023-2024).

2.4. Production des élèves

2.4.1. Comparaison des Aya

Au cours du workshop de l’année universitaire 2024-2025, plusieurs groupes ont manifesté un vif intérêt pour analyser des faits d’actualité liés aux Jeux olympiques de Paris 2024. Deux groupes, en particulier, se sont concentrés sur l’étude d’une polémique marquante : la présence de la chanteuse Aya Nakamura lors du défilé d’ouverture. Leurs études de cas permettent d’évaluer l’acquisition des théories concernant le genre et des compétences en LMM, en mesurant leur capacité à analyser les dimensions médiatiques et culturelles de cet évènement. Celles-ci illustrent également la diversité des perspectives et des moyens mobilisés pour analyser une même polémique sous des angles variés.

Le point discriminant étudié est identique pour les deux groupes, et tous deux ont choisi d’examiner un post publié sur X (Twitter). Ce choix repose sur leur connaissance des dynamiques spécifiques de la plateforme, connue pour son contenu de moins en moins modéré et souvent propice à des discours haineux. Ce contexte a permis aux élèves d’analyser les mécanismes de viralité et les biais qu’un algorithme peut amplifier. Leur travail vise à comprendre comment un contenu peut être interprété différemment selon le contexte de publication, les réactions suscitées, et la manière dont il est partagé et commenté. Cependant, leurs cheminements respectifs de contextualisation, d’analyse et de restitution divergent, car les publications initiales sur le réseau social varient : celle du député d’extrême-droite Julien Odoul et celle du groupuscule identitaire d’extrême-droite Les Natifs.

Groupe A

Le groupe A a rapidement su s’accorder, générant un dynamisme collectif qui a favorisé une mobilisation efficace de leur intelligence collective. Cette cohésion leur a permis de sélectionner et d’analyser efficacement le fait d’actualité choisi. Leur étude s’est centrée sur une publication X (Twitter) par Julien Odoul, porte-parole du Rassemblement National, le 26 juillet 2024 à 20 h 26. Ce post10, diffusé alors que la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques n’était pas encore terminée, réagissait spécifiquement au passage d’Aya Nakamura.

En analysant cette stratégie politique sous-jacente, notamment à travers le choix du vocabulaire, l’utilisation ciblée de hashtags et le timing précis de la publication, iels ont mis en lumière une approche politique minutieusement orchestrée, visant à maximiser sa portée et sa viralité. De plus, iels ont examiné comment l’algorithme de X a joué un rôle clé dans la diffusion rapide et l’amplification du contenu11. Cependant, leur investigation est restée limitée à cette plateforme et à une approche centrée sur les éléments immédiatement accessibles. Iels n’ont pas élargi leur contextualisation à d’autres réseaux sociaux où la publication a pourtant fait réagir, à des perspectives internationales, ou à des analyses complémentaires de publications similaires, ce qui pourrait avoir enrichi leur compréhension de l’information étudiée. Le titre-notion choisi par le groupe : « Et le Nakamurisme guida le peuple ».

Figure 10. Cartographie réalisée par le Groupe A.

Malgré nos remarques, le groupe a concentré son analyse exclusivement sur les commentaires associés au post. Cette focalisation a restreint leur approche, comme en témoigne la pauvreté de leur cartographie (Figure 10), qui reflète un manque de liens significatifs et d’explorations connexes. En se privant des dérives nécessaires à une recherche plus approfondie et enrichie, le groupe a limité sa capacité à établir des connexions transversales et à découvrir des perspectives inédites, essentielles dans un tel exercice de contextualisation critique.

Figure 11. Maquette du Groupe A.

Leur maquette (Figure 11) est cependant réussie, car le groupe a très bien saisi la problématique soulevée, le rôle central du réseau social et les enjeux liés à la discrimination. Elle illustre avec précision l’ensemble du contexte : les Jeux olympiques, la séquence particulière, le lieu, ainsi que le post sur X. La maquette restitue également avec justesse la situation physique de la chanteuse lors de la cérémonie – son habillement, son positionnement sur la scène surélevée et l’interaction avec les caméras – et en propose une traduction sur les réseaux sociaux, où un personnage politique en devient un acteur clé. Enfin, les impacts de cette interaction sont clairement matérialisés par des fils, représentant les effets des hashtags et des commentaires sur la propagation du message.

Le groupe a effectivement démontré une bonne compréhension des mécanismes de la discrimination, en raison de la proximité temporelle de l’actualité traitée et de leur connaissance préalable du sujet. La production du texte individuel et de l’analyse du cas ne leur a pas posé de difficulté, ce qui témoigne d’une bonne maitrise des enjeux. Cependant, l’absence d’exploration d’autres réseaux sociaux et d’autres contextes nationaux, malgré nos recommandations insistantes, a eu un impact notable sur la qualité de leur travail. Cette limitation a restreint la portée de leur analyse et a diminué leur capacité à développer une réflexion plus approfondie sur l’étendue du phénomène. En conséquence, leur jeu de société n’a pas atteint la complexité attendue. Plutôt que de concevoir un jeu original, iels ont choisi de répliquer un jeu coopératif déjà existant, SubTerra12, sans y apporter de modification significative. Cette approche a limité leur acquisition de compétences.

Le choix de réutiliser un jeu existant, dont le gameplay et les mécaniques ont déjà fait leurs preuves, a permis au groupe de se concentrer sur une solution simple sans avoir à adapter les mécanismes complexes liés au rôle du réseau social et à ses mécaniques singulières. Toutefois, ils auraient pu, par exemple, concevoir un jeu à partir des commentaires et des hashtags présents dans leur maquette, ce qui aurait permis une exploration plus profonde du sujet. Nous avons accepté cette dynamique, car le groupe a bien pris conscience, en se comparant aux autres, qu’il avait choisi la voie de la facilité pour éviter des frictions potentielles, mais pourtant créatrices.

Groupe B

Le groupe B a fait le choix délibéré de s’isoler physiquement dans une autre salle, ce qui a contribué à une certaine distance par rapport aux autres groupes. De plus, l’intégration d’un jeune homme récemment arrivé d’Algérie, qui venait tout juste d’obtenir son visa et assistait à son premier cours universitaire en France, a ajouté une dimension particulière à la dynamique du groupe. Ces deux facteurs ont entrainé des difficultés notables dans la prise en charge du sujet et dans la coordination des activités lors de la première journée du workshop.

Malgré le sérieux, la bonne volonté et la rigueur du groupe, les membres ont éprouvé des difficultés à échanger entre eux et elles et à s’approprier pleinement la demande. Iels semblaient préférer recevoir un cahier des charges à appliquer plutôt que de construire leurs réflexions à partir de leur propre enquête. Or, l’étape de la cartographie, qui consiste à contextualiser l’information, exige un positionnement clair en tant qu’adulte et futur·e communicant·e. Or, iels doivent choisir sans notre aide les informations, établir des liens, et définir les raisons et méthodes derrière leurs décisions. Sans en être complètement conscient·es, iels expérimentent ainsi un processus de recherche-création. En raison collectivement de leur caractère individuel plutôt introverti, de l’intégration récente de l’étudiant international et de leur choix de s’isoler de l’émulation collective du reste de la classe, le groupe a eu besoin de temps pour se comprendre, se trouver et véritablement fonctionner de manière collective.

Le choix de leur publication repose sur un post13 du groupe « Les Natifs » (un groupuscule militant soutenu par Marine Le Pen pour la préservation des valeurs de la France), partagé sur X le 9 mars. La publication montre une photographie où les visages sont cachés, les membres du groupe tenant une banderole sur laquelle il est écrit : « Y’a pas moyen, Aya ici c’est Paris, pas le marché de Bamako ». Le titre-notion du groupe est : « Ah Y A de la misogynoire ». Leur cartographie (Figure 12) est restée descriptive, car cela leur offrait un cadre rassurant.

Figure 12. Cartographie du Groupe B.

Les difficultés du groupe se sont intensifiées lors de la création de la maquette, car le groupe, peu à l’aise avec leur dynamique interne, a eu du mal à développer une réflexion personnelle pour analyser la situation. En conséquence, le groupe n’a pas su prendre position sur ce qu’il souhaitait démontrer. Lors du débriefing de la maquette, iels ont cependant immédiatement réalisé l’inefficacité de leur proposition, restée à un niveau purement descriptif. Les enjeux des JO en tant qu’espace de représentation nationale, l’héritage colonial, les stéréotypes, et surtout la misogynie raciale produite sur les réseaux sociaux envers la diversité culturelle, n’ont pas du tout été appréhendés à ce moment-là.

Figure 13. Maquette du Groupe B.
Figure 14. Prototype de jeu du Groupe B.

Cependant, après nos retours, un échange avec le reste de la classe, et surtout après la rédaction de leur texte individuel de recherche, le groupe a saisi l’importance de l’amplification de la misogynie raciale par les réseaux sociaux, en particulier à partir d’une rumeur (en mars, la rumeur annonçait qu’Aya Nakamura chanterait Édith Piaf, alors qu’elle a finalement chanté Aznavour). Cette évolution montre que l’acquisition de compétences passe par des étapes progressives et une diversité de situations d’apprentissage. Bien que leur manque d’aisance à communiquer entre eux ait persisté, comprendre les enjeux et les mécanismes de discrimination liés à leur fait d’actualité a permis au groupe de concevoir un jeu de société certes simple, mais efficace.

Le jeu (Figure 16) repose principalement sur le rôle et le fonctionnement des réseaux sociaux. Le nombre d’abonné·es et les cubes de discrimination, qui interviennent automatiquement à la fin de chaque tour, illustrent la compréhension du groupe de l’impact des réseaux sociaux en tant que chambres d’écho, tant dans les dynamiques d’association face aux algorithmes et aux fausses informations que dans les rôles de certaines personnes (comme les influenceurs et influenceuses) dans la mise en visibilité et viralité des informations. De plus, le jeu est coopératif et intègre la dimension scénique de la situation initiale : se hisser sur scène, c’est aussi, suivant les contextes, pouvoir être capable de résister et déjouer les stéréotypes; revendiquer sa place d’artiste, en tant que personne racisée, face à un amalgame de discriminations.

Le groupe a ici saisi ce qui leur échappait lors de la création de leur maquette. Pour un évènement physique, accessible uniquement sur écran, la guerre de l’information se joue principalement sur les réseaux sociaux. Iels ont même intégré dans les cartes Bonus des récits célèbres et des extraits de lois relatifs à leur sujet. La diversité des contenus des cartes découle de leurs analyses approfondies menées rétrospectivement, car iels ont cherché des informations supplémentaires après avoir réalisé que leur cartographie initiale était insuffisante. L’acquisition des compétences en LMM pour ce groupe s’est par conséquent concrétisée à travers la création du jeu, agissant comme un processus de révision, permettant de rattraper les éléments qui n’avaient pas été compris au départ.

2.4.2. Les Trad Wives

Un troisième cas d’étude est celui du groupe C ayant choisi d’explorer un fait d’actualité relatif à la mouvance des Trad Wives14, un sujet qui, bien qu’intéressant, ne portait pas directement sur une situation de discrimination. Nous avons accepté leur proposition, car ce groupe uniquement composé d’étudiantes souhaitait véritablement approfondir cette tendance en se concentrant sur l’objectivation du corps féminin envisagée comme une systémie. Cependant, cette approche générale a, dans un premier temps, freiné leur progression, les empêchant de répondre efficacement à la consigne initiale de contextualisation de l’information à travers une cartographie (Figure 15).

Cartographier et maquetter le contexte de mise en visibilité

Le groupe C a tourné en rond jusqu’à ce que nous les encouragions à partir d’une image et publication précise. Le groupe a choisi d’analyser un post en story Instagram indisponible, et seulement disponible dans la presse people en ligne, car ayant suscité une vive polémique autour de l’authenticité des valeurs prônées et de l’orchestration hautement lucrative de la vie de deux influenceuses concernées. Le 11 septembre 2024, Nara Smith et Ballerina Farm (Hannah Neeleman), deux influenceuses mormones suivies par des millions d’abonné·es, connues pour promouvoir un mode de vie « tradwife-esque », partagent leur rencontre à la ferme de Ballerina Farm, située dans l’Utah.

Grâce à ce point de départ concret, les étudiantes ont pu orienter leur recherche, analyser les connexions entre différents profils et réseaux sociaux, et explorer les dynamiques sous-jacentes à ce qui est revendiqué, ainsi que les enjeux marketing liés à cette influence particulière. Après une journée de travail, le groupe a mis en lumière plusieurs aspects des fils d’actualités de ces influenceuses et des contradictions inhérentes à cette mouvance (par exemple, l’une des femmes rêve d’un voyage pour son anniversaire, mais reçoit de la part de son mari un tablier). En adoptant une perspective axée sur le marketing et les enjeux financiers, le groupe a rapidement enrichi sa cartographie dès le deuxième jour, révélant les mécanismes sous-jacents à leur mise en scène et les liens entre réseaux d’influence.

Figure 15. Cartographie du Groupe C.

Ce groupe s’est souvent remis en question, tant dans la réalisation de la cartographie que dans la conception de la maquette, en se focalisant principalement sur les commentaires ou sur le thème des Trad wives en lui-même. La maquette (Figure 16), toutefois, n’a pas réellement fonctionné : le groupe avait imaginé offrir un cadeau accompagné de sortes de tickets de tombola Instagram, symbolisant, d’un côté, l’affichage sur les réseaux sociaux et, de l’autre, la réalité de ces deux influenceuses. Cependant, les questionnements liés aux interactions en ligne et aux relations médiatiques n’ont pas été intégrés. Le groupe a pris conscience de ces limites lors de leur présentation, en verbalisant leurs réflexions à travers leurs réponses à nos questions et en comparant leur travail avec celui d’autres groupes. Cette prise de recul, facilitée par la bonne entente au sein du groupe, a permis une remise à plat de l’ensemble de leur démarche – un exercice exigeant.

Le jeu de société

Le travail d’écriture de leur texte individuel de recherche a grandement contribué à cette réorganisation. Elles se sont investies dans une analyse approfondie des publications et des profils, tout en lisant plusieurs articles académiques qu’elles se sont répartis avec efficacité et une communication interpersonnelle fluide. Ce processus rigoureux leur a permis de prototyper un jeu (Figure 20) au gameplay simple, mais synthétisant les stéréotypes, renforcés par les réseaux sociaux, ainsi que les formes de soumission féminine propres à ce mode de vie. Enfin, elles ont également réussi à dévoiler les rouages d’une stratégie de communication savamment orchestrée.

Figure 16. Maquette du Groupe C.
Figure 17. Prototype du jeu du Groupe C.

Le jeu (Figure 17), intitulé L’envers du décor, consiste à incarner des personnalités influentes sur les réseaux sociaux, avec plusieurs personnages proposés, bien que celui de la Trad Wife commence systématiquement avec des avantages. Centré sur le rôle clé du marketing dans la promotion d’un modèle traditionnel blanc et hétérosexuel, l’objectif du jeu est de générer le plus de revenus possible en produisant un contenu ciblé et stratégique.

Le groupe a ainsi démontré une excellente compréhension non seulement des mécanismes des algorithmes et d’Instagram, mais aussi de la systémie des valeurs de domination véhiculées par ces influenceuses et influenceurs. Si le jeu ne repose pas comme initialement demandé sur la coopération : le plateau, conçu comme un profil Instagram, fait en sorte que les actions de publication et les gains de like de chaque personne jouant interfèrent entre elles, renforçant une mécanique de compétition appropriée au sujet. L’objectif du jeu est de parvenir à une indépendance financière, permettant de se libérer progressivement de ce système, pour vivre autrement : « Composé d’un fil de suggestions Instagram, de nombreux posts et de quoi suivre vos statistiques et être rémunérés, vous devrez tout en suivant vos convictions, poster du contenu en lien avec vos valeurs de manière tactique » écrit le groupe. La force de ce jeu réside dans sa capacité à nous immerger dans le rôle d’influenceuses, nous amenant à maitriser les mécaniques algorithmiques et les spécificités du réseau social pour tenter de les détourner à notre profit. Le jeu, simple et accessible, se joue en environ 20 minutes et accueille jusqu’à sept joueurs et joueuses.

3. Analyse interprétative

Basées sur la pédagogie constructiviste, les situations d’apprentissage sous forme d’analyse cartographique (pour s’extérioriser, se positionner et construire une pensée) et de jeu de société (pour transformer l’émotion et les apprentissages théoriques en proposition collective et ludique) constituent la base de notre workshop : « apprendre c’est comprendre par la pratique : explorer les interrelations entre perception, créativité et compétence » (Ingold, 2017 [2013], p. 37). Nous utilisons le jeu de société comme une architecture ouverte à visée ludopédagogique, permettant aux élèves d’appliquer ce qu’iels ont appris (contenus des cours magistraux et bibliographie) et compris (système discriminant avec ses mécanismes), à partir d’un fait d’actualité sur les réseaux sociaux lié à la question du genre. Nous constatons que les différentes activités invitent les élèves à prendre conscience de leur utilisation quotidienne des écrans, en analysant des situations vues et consommées sur les réseaux sociaux.

3.1. Une situation d’apprentissage processuel

3.1.1. Une initiation à la recherche-création

Avec ce workshop les élèves ne valident pas de compétences spécifiques en recherche-création. Néanmoins, l’initiation des élèves à la démarche processuelle et à la place de leur corporéité au sein de cette dernière nous semble effective. Par le choix du fait d’actualité et des analyses menées, les élèves parlent entre elles et eux à propos d’elles et eux-mêmes. Leur cartographie, malgré l’étendue des contextes étudiés, induit par exemple une hiérarchisation suivie de préférences spécifiques à chaque membre du groupe (que nous identifions dans leur texte individuel) et cela les invite, dans la majorité des groupes, à discuter et à choisir ensemble : leurs divers positionnements se répercutent jusqu’à la création du jeu de société.

L’enchainement entre des choix individuels et collectifs, au sein de chaque activité proposée, participe à l’émergence d’un processus de création basé sur l’expérimentation. Le workshop demande effectivement un temps d’imprégnation et une succession désordonnée d’évènements, conscientisés ou non, confirmant les propos de Gosselin et Coguiec (2006) au sujet de la recherche-création : « l’activité de création et de recherche ne se juxtaposent pas, mais se conjuguent; elles engendrent deux types de production, des œuvres et des discours, parfois la pratique stimule la théorie parfois c’est le contraire, peut être en solo ou en équipe (souvent interdisciplinaire) ». Ainsi, à travers les trois situations d’apprentissage proposées lors de ce workshop, les élèves expérimentent pleinement l’une des caractéristiques fondamentales de la recherche-création : celle de ne pas se projeter par avance dans un résultat préétabli ni d’aboutir à un résultat entièrement contrôlé ou contrôlable. Au contraire, les groupes travaillent à partir d’un point de départ flou et laissent émerger un processus dont ils ne maitrisent qu’en partie les évolutions et les évènements.

Figure 18. Des élèves en cours de création (année universitaire 2022-2023).

Il s’agit non seulement de concevoir et de créer un objet (le jeu de société), mais également d’étudier un phénomène lié à cette création. Sur les quatre années de ce workshop nous remarquons qu’à chaque fois, cela esquisse chez la majorité des élèves une réflexivité qui correspond à une posture dédoublée sur leur projet et sur eux et elles-mêmes – et cela nécessite du temps, de l’imprégnation et de l’expérimentation, ce que le format workshop permet. Continuellement, de nouveaux questionnements surgissent : au début d’une nouvelle activité, à chaque changement ou imprévu, qu’ils proviennent de la dynamique collective et individuelle ou de nos remarques. Certains groupes recommencent parfois à zéro, car, se trouvant collectivement dans une impasse, que le groupe remarque seul ou que nous pointons. Le plus souvent, l’idée de départ dévie, se précise, ou se contredit. C’est précisément dans ces nœuds et tensions que réside l’une des compétences importantes de l’apprentissage : la capacité à accueillir et à réagir face à un point de remise en question.

3.1.2. Architecture de la classe et architecture de l’apprentissage

Nous constatons, par ailleurs, que l’aménagement de la salle de classe, avec ses ilots et la libre circulation que nous favorisons, encourage une porosité et des échanges d’idées entre les groupes. Lorsque les élèves partagent des outils et des matériaux, discutent des problématiques liées à leurs sujets d’actualité ou échangent des contenus incongrus ou humoristiques découverts au cours de leurs recherches sur les réseaux sociaux, iels se conseillent parallèlement, débattent de leurs facilités ou difficultés et partagent des références, des anecdotes, etc. À l’image de leur fait d’actualité et de leur production, qui s’inscrivent dans une unité d’expérience liant leur corps, leur groupe et l’environnement de la classe, leur pensée et leur compréhension se révèlent bien souvent mobiles et dynamiques.

D’après nous, les élèves désapprennent en situation le corps figé de l’enseignement occidental. Cette mobilité d’apprentissage, qu’iels re/découvrent, nous semble primordiale pour la créativité et l’innovation et semble favorisée par cette architecture alternative de la classe. Ce format, nous le remarquons par ailleurs, les met en situation concrète d’un « faire collectif » puisqu’un groupe qui ne se parle pas ou qui n’arrive que peu à se parler est très rapidement en difficulté. Nous intervenons alors sur l’humain pour identifier les résistances que la forme de ce workshop nous a toujours permis de débloquer.

3.2. Cartographier et formuler une notion pour se positionner en tant que corps

Les principaux constats pratiques et théoriques qui découlent de la réalisation de la cartographie et de la formulation de la notion portent sur une littératie médiatique spécifique au caractère spatial, algorithmique et en réseau des médias étudiés.

3.2.1. Expérimenter le flux numérique

L’unité d’expérience liant information, environnement et corps sur les réseaux sociaux est à la fois opaque, discontinue et profondément individualisée. Les élèves explorent cette complexité en réalisant leur cartographie. Ce travail collectif leur donne à expérimenter le flux numérique comme « un lieu qui est d’abord un carrefour de flux, d’informations, qui possède des dimensions élastiques » (Chabert, 2015, p. 103). Cette démarche met à nos yeux en lumière une prise de conscience essentielle : l’information qu’iels pensent saisir peut différer, parfois sensiblement, de celle de leurs camarades, révélant ainsi la nature fragmentée et personnalisée de l’expérience numérique.

D’abord, parce que leur trace sur les réseaux (Merzeau, 2009) leur a, au fur et à mesure de leur navigation antérieure, confectionné une empreinte sociale (Veyrat, 2013) qui fonde leur bulle de filtres (Pariser, 2011; Jacobson et al., 2016). Celle-ci détermine, par exemple, l’ordre d’affichage du flux sur Instagram ou les commentaires qui sont affichés en premier sous les vidéos TikTok, pour un autre exemple. Les élèves expérimentent alors l’impact des algorithmes sur leur accès à l’information qui se trouve sur certains niveaux très individualisés (particulièrement le tri des commentaires) et qui parfois orientent fortement l’interprétation de l’information. De plus, en mutualisant leurs recherches par groupe sur différents médias pour enrichir leur cartographie collective, iels partagent spontanément les contenus découverts. Par conséquent, non seulement iels prennent conscience de l’interconnexion des réseaux sociaux – par exemple, un « short » YouTube se retrouve en « reel » sur Instagram, ou un « reel » Instagram devient un « TikTok » –, mais surtout, iels explorent l’étendue du réseau au sens littéral d’une toile. En naviguant d’un clic à l’autre, de moteurs de recherche en hypertextes et en hypermédias, iels accèdent à des contenus variés. Aucun groupe d’élèves n’a semblé tourner en rond, même sur des thématiques de niche comme celle des tradwives. Cette dynamique leur permet de comprendre plus ou moins rapidement que chaque personne a son propre schéma de pensée, et iels transforment très généralement ces différences en atouts. Les comparaisons et discussions émergent naturellement et rythment leur travail. Cependant, nous n’avons pas pu évaluer dans quelle mesure cet apprentissage est réinvesti lors de l’invention du jeu de société. Iels comprennent l’importance de la cartographie pour contextualiser l’information, tout en affirmant l’unicité de leur propre cheminement, notamment lorsque deux groupes travaillent sur un même fait d’actualité. Enfin, l’intérêt du multiculturalisme est largement exploité par la majorité des groupes, qui cherchent des informations inédites traitées sous d’autres angles dans différentes langues ou pays. Cette collecte enrichit leurs analyses et renforce par la suite la solidité de leur argumentation.

Ensuite, le contexte de mise en visibilité est situé dans un temps d’actualité dont l’affichage dépend de leur empreinte numérique. La production de la cartographie est un acte processuel : elle se fait chemin faisant. Les élèves se rendent par conséquent compte qu’il y a la possibilité de la constituer toujours différemment suivant leur trajet en ligne. Ainsi, cette dernière ne vise pas à re/présenter stricto sensu le fait d’actualité, mais à en suivre partiellement le processus de visibilité dans les plis des espaces en ligne. Leur cartographie est une forme d’expérimentation de la forme réseau, de sa spatialité et des logiques algorithmiques qui aujourd’hui la gouverne. Cela signifie que les informations trouvées ne seront pas indubitablement retrouvées le lendemain, même en tentant de reproduire un trajet identique avec une configuration similaire. Avec le numérique et les réseaux sociaux, iels saisissent qu’il n’y a conséquemment plus un milieu commun, mais des milieux : tout à la fois numériques, virtuels, imaginaires, réels qui fonctionnent uniquement par l’invisibilisation de ce qui coproduit une image (les algorithmes). Par conséquent, le corps des élèves, loin de l’expérience médiatique commune caractéristique de la modernité (tel que la télévision pour leurs ainé·es), appartient, conditionne et alimente, aujourd’hui, un monde à réalités mixtes dont l’expérience est limitée à ce que l’on voit, dit, regarde, commente et entend sur des écrans qui calculent algorithmiquement un monde taillé sur mesure pour chacun. C’est donc pour les élèves l’apprentissage, adapté aux spécificités des réseaux, de l’importance de l’appréhension et de la compréhension d’une image et d’une information. Les élèves tendent à ne plus être dans la consommation de l’information et à conscientiser ledit contexte de mise en visibilité de l’information que sous-tend le caractère magique de réception d’une information à portée de doigts.

Dans ce contexte, cartographier revient à favoriser une redécouverte, à la fois individuelle et collective, de sa position en tant que sujet. Il ne s’agit plus seulement d’être une personne utilisatrice, mobilisée par les plateformes numériques comme relais d’information, de communication ou de signes, mais bien de réinvestir un rôle actif et réflexif. C’est particulièrement important pour la question du genre, puisque cette dernière a un contenu social qui nécessite une transformation individuelle et collective de la vision du corps genré, mais également une transformation des structures qui le perpétuent, explique Silvia Federici (2020, p. 71-72).

3.2.2. L’émergence de la réflexivité

Cela nous amène à faire quelques constats pratiques et théoriques sur l’importance de la formulation d’une notion qui agit comme une problématique. La mise en notion du système discriminant que les groupes étudient participe d’une prise en compte des structures qui perpétuent le genre et ses hiérarchies au-delà de son caractère visible et lisible. Dégager une notion à la suite de la cartographie permet majoritairement aux élèves de saisir les liens, non pas uniquement dans l’horizontalité d’une analyse médiatique du fait d’actualité choisie, mais dans un jeu de millefeuille entre les logiques algorithmiques, et les jeux et enjeux sociaux.

Chaque année, leur corps, leur pratique des réseaux sociaux et leur histoire personnelle ainsi que leur culture sont en effervescence à cet endroit. C’est précisément ici où leur apprentissage commence à présenter une dimension réflexive. Nous le vérifions particulièrement dans leur rédaction individuelle (compréhension du contexte dont iels témoignent, prisme individuel, mobilisation personnelle des théories) puis dans l’élaboration collective de la maquette (compréhension située des mécanismes de discrimination et des rôles des réseaux sociaux).

3.3. Maquetter pour problématiser

Nous l’avons souligné, les élèves tendent à prendre conscience qu’iels se trouvent à l’intersection complexe, fragmentée et amalgamée de multiples flux : sociaux, numériques, médiatiques ou culturels. Mais, les élèves ne font pas tant l’expérience de la surveillance et du contrôle algorithmique que celle d’une multitude de données utilisées par les plateformes comme une force productive (au sens foucaldien) pour le développement – ou l’assujettissement – des individus.

3.3.1. Savoir sortir la tête de l’écran

D’une manière générale, iels enquêtent avec plaisir et dextérité. Rapides et efficaces, iels savent très majoritairement fouiller et chercher les sources. Le prisme du genre participe selon nous de cet attrait, car iels se documentent et apprennent facilement par intérêt personnel puis pour alimenter leur futur jeu de société. Certains groupes utilisent des traducteurs pour trouver d’autres points de vue, d’autres passent par divers médias internationaux pour confirmer ou pour établir plus solidement des preuves, des arguments, faire surgir un prisme inédit, etc. Indubitablement, iels jouent déjà : les croisements et répartitions entre elles et eux s’entremêlent : chacun·e, cherchant à sa manière, échangeant, s’amusant et se partageant ses découvertes. Iels utilisent à leur avantage ce que Dominique Cardon (2008) nomme, en parlant des réseaux sociaux, la « navigation à la torche ». C’est-à-dire qu’iels tirent des fils dans une errance maitrisée. Certes, iels plongent littéralement dans l’écran, mais avec un but autre que celui du scrolling : celui de partager avec leur groupe, les enseignant·es et les autres groupes. Dans ce va-et-vient pour décortiquer le fait d’actualité, l’écran s’affirme alors en tant qu’objet ! La salle de classe et le groupe participent ainsi à une mise à distance nécessaire à l’analyse critique. Ces quatre années de workshop nous invitent à dire que le cadre et la temporalité de ce dernier créent en contexte l’écart à l’assujettissement, où l’écran ne vient plus si facilement faire écran (Mondzain, 2007).

Figures 19 et 20. Exemples de maquettes (année universitaire 2021-2022).

3.3.2. Maquetter pour problématiser

C’est la raison pour laquelle nous les invitons à produire une maquette en carton, un intermédiaire entre la cartographie et le jeu de société. Cette étape, qui les voit passer du numérique à l’analogique, est primordiale, car cette opération manuelle les contraint à réexprimer et à réexpliquer, par un objet alternatif bricolé, le contexte et le fonctionnement du système discriminant qu’iels étudient. La maquette s’impose alors « en tant qu’élément de compréhension et de reconstruction du réel, mais aussi en tant qu’objet manipulable permettant de s’affranchir du réel actuel et de penser son devenir » (Bédouret et al., 2020). En réorganisant autrement les éléments qui constituent leur cartographie, les élèves s’aperçoivent beaucoup plus rapidement des écueils et surtout de la linéarité ou du caractère seulement illustratif de leur problématisation confirmant les propos de David Bédouret et ses collègues (op. cit.) : « La maquette est un outil efficace de médiation que nous utilisons ici à l’intérieur du groupe et entre les groupes. Elle sert au groupe à explorer et synthétiser son étude, elle servira à [penser] [le futur jeu de société] et à convaincre l’auditoire de la compréhension [de leur fait d’actualité] ».

Figures 21 et 22. Exemples de maquettes (année universitaire 2022-2023).

Surtout, la création de la maquette ouvre un espace créatif et improvisé où il n’y a pas de réponses attendues, que ce soit dans le design ou dans le fonctionnement. L’année où nous n’avons pas réalisé la maquette, en raison de contraintes d’emploi du temps, les logiques des jeux de société produits se sont révélées beaucoup plus linéaires, car cette étape analogique, qui est aussi une adaptation corporelle et interactive en dehors de l’écran, n’avait pas eu lieu. Cela favorise une conscientisation corporelle qui, avec le recul, semble primordiale aux élèves pour appréhender le caractère multimodal des différents mécanismes de discrimination genrée qu’iels étudient.

Enfin, la construction de la maquette contraint les élèves à faire des choix résolument radicaux concernant les nœuds discriminants mis en évidence par leur cartographie. Quels aspects rendre saisissables ? Comment donner forme au rôle des médias étudiés ? Car, paradoxalement, les élèves doivent se départir à ce niveau du design des réseaux sociaux pour problématiser l’architecture de ces derniers ! La maquette, sans que les élèves en aient forcément conscience à ce stade, esquisse la forme et la mécanique de leur jeu de société. Très majoritairement, c’est la notion choisie et la maquette créée qui permettent aux groupes de déterminer le type de jeu avec sa mécanique.

3.4. Rejouer un système pour mieux le déjouer

Avec ce workshop, le jeu de société se propose comme une alternative positionnelle au système discriminant cartographié et étudié par les groupes : pour déjouer le système discriminant, il faut en jouer, autrement dit, le rejouer différemment. En esprit de suite à la maquette, la conception des règles et de la mécanique du jeu nécessite une réorganisation et un redéploiement des mécanismes propres à chaque système discriminant étudié.

3.4.1. Un territoire fictionnel et un terrain d’exploration

Sur les quatre années de ce workshop, une trentaine de jeux a été prototypée et nous pouvons rétrospectivement les regrouper en catégories avec, pour chacune, un exemple : informatif (par exemple, les possibilités de contraception); pédagogique (il/lisibilité du corps genré); stratégique (combattre le bodyshaming); juridicopolitique (promulguer et appliquer des textes de loi); constructiviste (dé/construire des rôles de genre); médiatique (arrêter la propagation de fake news transphobes; arrêter la diffusion d’une publicité problématique). Majoritairement, les élèves imaginent et esquissent d’autres mécaniques que celles discriminantes analysées. Les jeux prototypés se présentent donc bien comme des territoires fictionnels (Fouillet, 2014) avec des représentations alternatives, ce qui au vu du cadre théorique n’est pas anodin, puisque ce sont les pratiques qui font (et naturalisent) les représentations, notamment raciales et genrées.

Figures 23 et 24. Exemples de prototypes de jeux de société (année universitaire 2022-2023).

De plus, nous constatons que la communication dès le départ des objectifs, des critères d’évaluation des compétences (désormais perçue non plus comme une compétition ou une hiérarchisation par la note), du déroulé du workshop, de ses attendus et des consignes offre aux groupes un cadre spatiotemporel sécurisant. Par ailleurs, l’identification du workshop, par le reste de la licence et du département, avec des enseignant·es et élèves de première et troisième année qui viennent découvrir, intensifie un sentiment d’appartenance à une communauté d’apprentissage. Un cadre qui facilite selon nous la transformation du workshop en un territoire d’exploration, permettant aux élèves de s’appuyer à la fois sur des connaissances précises acquises en cours et sur des expériences issues de leur quotidien qu’iels sont libres de partager. Que ce soit en groupe ou individuellement, iels démontrent majoritairement une capacité à expliquer et à argumenter la mécanique de leur jeu. Cependant, il est important de noter qu’il ne s’agit pas d’une spécialisation dans la création de jeux de société, mais bien d’un exercice visant à développer une LMM, spécifiquement orientée vers les questions sociales et politiques liées aux discriminations.

3.4.2. Réussir à dépasser la linéarité

La dimension d’émulation du jeu, qui renvoie communément à celle d’une interaction compétitive, est redéployée avec plus ou moins de succès par un certain nombre de groupes dans une interaction de collaboration entre les joueurs et les joueuses. La cohésion collective vécue tout le long du workshop innerve plus ou moins bien, suivant les groupes, une création collective qui elle-même arrive avec un certain effort à déboucher sur une mécanique de jeu coopérative.

Sur les quatre années de ce workshop, nous remarquons effectivement une difficulté assez générale à penser et concevoir dès le départ des jeux non linéaires et coopératifs. Il nous semble, à ce jour, que cela tient à deux raisons. Nous constatons dans l’échange avec nos élèves que peu jouent régulièrement à des jeux de société avec leur entourage, et notamment à des jeux avec des mécaniques coopératives. La pratique du jeu vidéo est en ce sens bien plus répandue, et si elle est riche de ses propres avantages cognitifs (Virole, 2005; Besombes et al., 2016; Campion, 2016), voire didactiques (Éthier et al., 2022), elle se distingue par son caractère souvent plus solitaire, même si elle n’est pas nécessairement dénuée de sociabilité (Rufat et al., 2014). Jennifer Malkowski et ses collègues (2017) ont démontré que les jeux vidéo ont fréquemment marginalisé les minorités. Même lorsque ces jeux tentent d’aborder des « questions controversées », ils finissent généralement par réaffirmer la norme du joueur présumé : un individu hétérosexuel, blanc, valide et cisgenre. Surtout, elle est encore, à nos yeux, majoritairement compétitive, privilégiant généralement des dynamiques d’affrontement entre joueurs et joueuses à travers l’écran. D’une manière critique, Alain Ehrenberg note à ce sujet l’envahissement depuis les années 1990 de l’espace social et mental par un style d’existence construit à l’aune de la compétition (ibid., p. 13-19). Or, l’objectif dans le cadre du workshop n’est pas de se battre, mais de jouer pour faire apprendre et faire découvrir des mécanismes technico-socio-politiques à un public de jeunes. Le jeu de société, tel que conçu au cours du workshop, s’il comporte une part de conflit productif ou de difficultés à résoudre, doit avant toute chose embrayer une situation didactique : le fait qu’il n’y a pas d’apprentissage sans obstacle. C’est notre proposition pédagogique implicite : celle que chaque groupe soit capable de formuler une réponse ludopédagogique aux défis posés par les inégalités et les réseaux numériques dits sociaux.

Figure 25. Prototype d’un jeu linéaire avec un plateau classique (année universitaire 2022-2023).
Figure 26. Prototype d’un jeu non linéaire avec un plateau décomposable (année universitaire 2021-2022).

Au fur et à mesure de nos remarques et de leurs divers essais, la majorité des groupes parvient à s’émanciper, plus ou moins habilement, du plateau classique de forme carrée et fermé (Figure 25). Le plateau devient mobile et décomposable (Figure 26) : des pièces du jeu s’ajoutent et se retirent, se construisent et se déconstruisent, se superposent ou même se fragmentent. Les élèves finissent par adopter les logiques des médias étudiés pour mieux les déjouer : la manipulation et l’interactivité des réseaux sociaux numériques trouvent des équivalences dans les mécaniques de leur jeu. La pratique et les caractéristiques techniques, ainsi que les spécificités langagières se réactivent dans la jouabilité. Le jeu, envisagé comme un système, prend alors tout son sens. La logique algorithmique s’efface au profit du plaisir de s’immerger dans un territoire fictionnel, ancré toutefois dans une réalité sérieuse. Surtout, par le jeu, cette immersion offre l’opportunité d’explorer des possibilités de transformation de cette réalité.

3.4.3. Des mécanismes discriminants très ancrés

Bien que les contenus pédagogiques dispensés dans ce workshop visent, et participent à certains niveaux, à déconstruire certaines représentations et croyances sur le fonctionnement de la société, tout en sensibilisant les élèves aux inégalités, aux mécanismes de domination et aux privilèges qui la façonnent (Poirier-Saumure et al., 2024), nous n’avons jamais été confronté·es en classe à des conflits liés à des résistances ou des dénis face à ces enseignements.

Néanmoins, l’année universitaire 2024-2025 a mis en lumière une situation que nous n’avions pas perçue jusqu’alors. Au sein des groupes mixtes sur le plan ethnique ou culturel, des mécanismes de discrimination ont émergé, inconscients, mais profondément enracinés culturellement. Dans chaque groupe intégrant une personne récemment arrivée par le biais d’un échange universitaire international, plusieurs dynamiques problématiques ont été observées. En raison d’une maitrise encore en cours du français ou de différences culturelles ou d’une adaptation encore peu effective au système universitaire français, les contributions de ces élèves ont souvent été dévalorisées. Cela s’est traduit par une moindre prise en compte de leurs idées, une assignation à des tâches perçues comme secondaires (comme la découpe ou la peinture), voire dans un cas à une subtile exclusion. Ces comportements reflètent une reproduction des hiérarchies sociales implicites, avec un consensus biaisé : ces groupes élaboraient des points de vue collectifs sans intégrer pleinement, voire aucunement les perspectives des personnes nouvellement arrivées.

Nous avons dû intervenir dans ces groupes et avons organisé, en dehors du workshop, une matinée spécifique pour effectuer un bilan approfondi sur leur fonctionnement. Tous·tes ont été à la fois surpris·es et profondément attristé·es de constater l’insistance systémique du racisme dans leurs interactions sociales, mais ont pris conscience de leur comportement de manière sincère et réfléchie. En tant qu’enseignant·es, nous prévoyons d’être plus vigilant·es pour prévenir ce phénomène dès le début du workshop : l’établissement de règles de collaboration en fixant des attentes claires concernant la participation équitable, la valorisation des idées et le respect mutuel, en reconnaissant et valorisant les contributions de chaque membre sans les essentialiser en fonction de leurs origines réelles ou supposées. Par ailleurs, il conviendra d’instaurer des moments de retour critique pour analyser avec chacun des groupes leur dynamique collective et ajuster les comportements si nécessaire.

3.4.4. Une temporalité contrainte

Une des limites de ce workshop réside également dans le manque de temps consacré aux tests des jeux, d’abord entre les groupes, puis avec un public extérieur. Lors de la première année, nous avions réservé les dernières heures du workshop à une activité d’échange, où un membre de chaque groupe jouait au jeu conçu par un autre groupe, afin d’aider à clarifier et affiner les règles. Cependant, la réduction du nombre d’heures allouées au workshop dès la deuxième année (passant de 16 à 12 heures) nous a contraints à supprimer cette phase, pourtant essentielle au processus.

Idéalement, il serait également souhaitable de prolonger le travail entamé lors du workshop en accompagnant les élèves dans le développement de leur jeu, afin de trouver un meilleur équilibre entre objectif éducatif et logique de divertissement. Avec un investissement temporel supplémentaire et un investissement pécuniaire, certains jeux pourraient même être développés et rencontrer leur public aux collèges ou aux lycées. Ces derniers offriraient aux élèves de 11 à 18 ans une occasion d’explorer les questions de genre tout en se familiarisant avec les codes et concepts clés des réseaux sociaux numériques.

Pour l’année universitaire 2024-2025, nous avons par conséquent proposé à trois groupes de poursuivre le développement de leur prototype afin de les présenter lors de la Fête de la Science de la ville qui nous propose un budget pour l’année universitaire 2025-2026. Cet évènement représentera une opportunité pédagogique précieuse pour tester et faire connaitre cette approche ludopédagogique auprès d’un public large et diversifié. Pour les élèves, il offrira également une occasion de valoriser leurs compétences, constituant un atout professionnel pour la suite de leur parcours.

Conclusion

Ce workshop ludopédagogique illustre la pertinence d’une approche mêlant la dialectique de la recherche-création et l’apprentissage multimodal pour sensibiliser les élèves à des enjeux sociaux complexes. En croisant les disciplines de l’information-communication et des arts, l’expérience a permis de créer une unité d’apprentissage innovante, alliant réflexion critique et créativité. La conception d’un jeu de société, point culminant du workshop, a offert un espace d’articulation entre l’analogique et le numérique, tout en mobilisant des compétences variées : littératie médiatique, capacité d’analyse de dynamiques sociales et médiatiques, et aptitude à collaborer dans un cadre interactif.

Le jeu, en tant que levier pédagogique, a démontré sa capacité à structurer et renforcer la transversalité inhérente à la multimodalité. Grâce à une approche amalgamant divers dispositifs médiatiques et pédagogiques (cartographie, maquette et jeu) il a non seulement permis aux élèves d’approfondir leur compréhension des inégalités de genre sur les réseaux sociaux numériques, mais aussi de développer des compétences essentielles pour appréhender les dispositifs médiatiques complexes qui façonnent les pratiques d’information contemporaines.

Cette démarche, testée sur quatre années consécutives, montre que la ludopédagogie peut être un outil solide pour ancrer les apprentissages dans des contextes concrets et des situations engageantes, tout en ouvrant des perspectives sur les usages critiques et créatifs des réseaux sociaux numériques. Nous invitons à poursuivre l’exploration d’une telle pédagogie, dans l’enseignement supérieur et en dehors, car au-delà des résultats observés, cette approche ouvre la voie à de nouvelles interrogations scientifiques. Comment la ludopédagogie peut-elle être adaptée à d’autres contextes éducatifs et thématiques sociales ? Quelles sont les limites en termes de reproductibilité et d’impact à plus ou moins long terme sur les comportements sociaux et culturels ? Ces questions invitent à prolonger cette démarche dans d’autres disciplines, telle celle de la psychologie sociale et des sciences de l’éducation.

Annexe 1

Les consignes données aux élèves concernant la conception de leur cartographie :

  1. Noter les différents espaces où le fait d’actualité est vu en ligne.

Bien qu’accessible au sein d’écran de smartphone et d’ordinateur sensiblement similaire, chaque média et chaque réseau social a une forme particulière qui joue sur la réception et le partage de l’information : la manière dont l’image circule, la manière dont l’image peut être interprétée et par qui, et les effets potentiels de ces dernières. Doit aussi être noté l’ensemble des éléments participant à la constitution du contexte de l’information et de sa réception. Il s’agit des signes de l’identité numérique détaillés par Fanny Georges et ses collègues (2009) :

  • les éléments déclaratifs : les informations qui figurent sur les pages;
  • les éléments agissants : les commentaires, les mèmes…;
  • les éléments calculés : le nombre de followers, de like…;
  • les éléments affectifs : les émojis, les GIF…;
  1. Décrire l’espace de l’information elle-même.

Ce qui comprend sa composition et ses caractéristiques signifiantes. Au niveau des textes : de quoi parle-t-on ? Quelle information est donnée et avec quel point de vue ? Par qui ? Comment le fait d’actualité est-il traité ? Au niveau des images : ont-elles subi un recadrage, un traitement colorimétrique, un montage ? Quel est le format des vidéos ? Sont-elles accompagnées d’une voix off, de sous-titre ? Ont-elles été montées ? Quels sont leur format et leur durée ? Quelle est la relation entre les textes et les images ?

  1. L’espace de production de l’information : quel est l’évènement qui amène à la production du fait d’actualité relatée en ligne : un évènement Twitch, des commentaires sur un réseau social, un évènement dans une téléréalité, la vidéo d’une célébrité ou d’un·e anonyme, etc. ? Quelles sont les conventions et les influences socioculturelles déterminant le traitement du fait par les espaces précédemment notés ?

Annexe 2

Les consignes données aux élèves concernant la conception de leur notion :

  1. Identifier à partir de la cartographie le système de discrimination (ce qui inclut le fait d’actualité et son contexte de mise en visibilité) : à partir des liens et de leur recoupement, chercher les relations communes, celles qui divergent, etc.
  2. Synthétiser et regrouper ces relations en 2 à 3 catégories générales.
  3. Valider la notion auprès des enseignant·es.
Notes
  1. En France, la Fondation Reboot et la Fondation Jean-Jaurès ont commandé à l’Ifop une enquête auprès des jeunes visant à mesurer leur porosité aux contre-vérités scientifiques et ceci au regard de leur usage des réseaux sociaux. Enquête réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 28 octobre au 7 novembre 2022 auprès d’un échantillon national représentatif de 2 003 jeunes, représentatif de la population française âgée de 11 à 24 ans. ↩︎
  2. Leur popularité étant souvent perçue comme un gage de fiabilité selon l’enquête. ↩︎
  3. Avec un temps d’écran quotidien moyen de 4 heures 47 minutes pour les jeunes de 14 ans et de 5 heures 23 minutes pour ceux de 17 ans, le HCE s’inquiète de la diffusion massive de ces contenus en ligne, qui contribue à banaliser la « culture sexiste » et à l’ancrer profondément dans la société. ↩︎
  4. L’enseignement constructiviste se fonde sur l’idée que l’appropriation des connaissances est plus efficace pour le développement de l’enfant et de l’individu en devenir lorsqu’elle passe par l’exploration et la mise en pratique. Cette pédagogie favorise les liens nés des tâtonnements, plutôt que des informations isolées distribuées collectivement et de manière centrée. Les élèves partent d’eux et elles-mêmes, de leurs découvertes, verbalisent davantage et communiquent entre eux et elles. L’évaluation est intégrée à l’apprentissage, et les élèves y jouent un rôle actif. Il ne s’agit ni d’une sanction ni d’un test. Lire à ce sujet Jean Piaget, La naissance de l’intelligence chez l’enfant (1936). ↩︎
  5. Le genre, en tant que rapport social, construit également le sexe (Delphy, 2001, p. 231), c’est-à-dire que ce qui est considéré comme biologique a également une signification sociale. ↩︎
  6. Jacques Ruffié, biologiste et médecin, a par exemple participé à contrer la typologie des races avec ses travaux. ↩︎
  7. L’auteur explique avoir effectué une recherche documentaire dans Psycinfo, Eric, Google Scholar et Lion Search. Sa recherche a porté sur 91 articles de revues à comité de lecture publiés entre 2014 et 2019. ↩︎
  8. Agamben le définit comme « tout ce qui a, d’une manière ou d’une autre, la capacité de capturer, d’orienter, de déterminer, d’intercepter, de modeler, de contrôler, et d’assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants » (op. cit.). ↩︎
  9. Tel était l’objectif de l’exposition « Salle de classe – architecture de l’adolescence », présentée par Arc en Rêve au CAPC – Musée d’Art Contemporain de Bordeaux, de septembre 2022 à février 2023. L’exposition s’articulait autour de cinq thématiques mises en espace : production, corps, assemblée, transgression et profession. ↩︎
  10. « Quelle honte ! @AyaNakamuraa  y a pas moyen ! L’ouverture des #JeuxOlympiques est un saccage pour la culture française. #JO2024PARIS »; publication X (Twitter) du 26 juillet 2024 à 20 heure 26 minutes. Cf. https://x.com/JulienOdoul/status/1816902823566565501 ↩︎
  11. 1) L’algorithme privilégie les publications qui suscitent un fort engagement (likes, retweets, commentaires) ; plus une publication génère de réactions, plus elle est amplifiée et partagée avec un public plus large. 2) L’algorithme privilégie souvent les messages récents, en tenant compte du timing. Si un message est publié au bon moment (par exemple, en réponse à un évènement d’actualité comme les JO ou pendant une période où un sujet est particulièrement discuté, telle la performance d’Aya Nakamura), il a plus de chances d’être mis en visibilité sur le réseau social. ↩︎
  12. SubTerra est un jeu collaboratif de survie horrifique pour un à six joueurs ou joueuses. Les participant·es font partie d’un groupe d’explorateurs et exploratrices de cavernes, des spéléologues qui, à la suite d’un incident, se retrouvent piégé·es dans les profondeurs souterraines. Ensemble, les joueurs et joueuses doivent trouver la sortie avant que leurslampes ne soient épuisées et qu’iels  soient perdu·es pour toujours dans les ténèbres. Conception : Tim Pinder, illustrateurs : David Franco Campos, Zak Eidsvoog, version originale (anglais) : Inside The Box, 2018. ↩︎
  13. Le 9 mars 2024, alors que la participation de l’artiste à la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques commençait à être évoquée dans les médias, le groupuscule avait posté sur ses réseaux sociaux une photo d’une banderole : « Y a pas moyen Aya, ici c’est Paris, pas le marché de Bamako ». Les militant·es déploraient sur leurs réseaux sociaux de « remplacer l’élégance française par la vulgarité, africaniser nos chansons populaires et évincer le peuple de souche au profit de l’immigration extra-européenne ». Cf. https://x.com/LNatifs/status/1766406672992342417 ↩︎
  14. Le mouvement tradwife prône le retour des rôles « traditionnels » dans un couple. Notamment popularisé sur TikTok et Instagram par l’hashtag #sahm (stay at home mother), le mouvement rappelle fortement les années 1950 par le biais de l’esthétique « vintage/rétro » et la représentation du modèle de la famille nucléaire idéale. ↩︎
Bibliographie

Agaesse, J. (2021). Le jeu des émotions dans les dispositifs d’enseignement-apprentissage : Une perspective énactive et émergentiste de l’enseignement-apprentissage du français langue additionnelle au Japon avec des jeux de société [Thèse, Université Toulouse le Mirail – Toulouse II]. https://theses.hal.science/tel-03549059

Agamben, G. (2014). Qu’est-ce qu’un dispositif ? (M. Rueff, trad. ; Nouvelle éd.). Payot & Rivages.

Amiard, C. (2023). L’univers TikTok. Explorations, expérimentations, utilisations. Multitudes, 91(2), 163‑170. https://doi.org/10.3917/mult.091.0163

Baccino, T. (2011). Lire sur internet, est-ce toujours lire ? Bulletin des bibliothèques de France, 5, 63‑66.

Baldner, J.-M., et Barbaza, A. (2013). Histoire des arts. De la notion à la discipline. Le français aujourd’hui, 182(3), 3‑9. https://doi.org/10.3917/lfa.182.0003

Barnabé, F., Laforge, B., Legrix-Pagès, J., Romero, M. et Taly, A. (2023, décembre 5). Journées Ludopédagogie. https://ludopedagogie.sciencesconf.org/

Bayeck, R. Y. (2020). Examining Board Gameplay and Learning. A Multidisciplinary Review of Recent Research. Simulation & Gaming, 51(4), 411‑431. https://doi.org/10.1177/1046878119901286

Beauvalet-Boutouyrie, S. et Berthiaud, E. (2016). Chapitre V. Jeux de rôles, enjeux de pouvoir. Collection Histoire, 255‑338.

Bédouret, D., Chalmeau, R., Vergnolle-Mainar, C., Julien, M. P., Léna, J.-Y. et Calvet, A. (2020). La maquette, un outil au service d’une éducation aux risques. Mappemonde. Revue trimestrielle sur l’image géographique et les formes du territoire, 129. https://doi.org/10.4000/mappemonde.4572

Bereni, L., Chauvin, S., Jaunait, A. et Revillard, A. (2012). Introduction aux études sur le genre (2e éd. revue et augmentée). De Boeck.

Besombes, N., Lech, A. et Collard, L. (2016). Corps et motricité dans la pratique du jeu vidéo. Corps, 14(1), 49‑57. https://doi.org/10.3917/corp1.014.0049

Blanchet, P. et Chardenet, P. (éds.). (2019). La recherche en didactique du FLE/S. Vers une connaissance globale stratégique. CLE International.

Boissière, J., Fau, S. et Pedró, F. (2013). 1. Le temps des écrans. Dans Le numérique (p. 165‑176). Armand Colin. https://www.cairn.info/le-numerique–9782200279844-p-165.htm

Brandon, C. (2021). L’art et le dispositif. Introduction aux hypermédias. Europia.

Brandon, C. (avec Laboratoire Langages, littératures, sociétés, études transfrontalières et internationales). (2023). Arts, cartographies sensibles : La question des interfaces dans les réalités mixtes [actes du colloque, 11-12 mai 2020]. Presses universitaires Savoie Mont Blanc.

Brossier, J. (réal.). (2025, janvier 2). Jusqu’où ira la polarisation idéologique entre jeunes hommes et jeunes femmes ? [Émission]. Dans C’est pour demain. France Inter. https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/polemique-fiction-de-jean-brossier/c-est-pour-demain-du-jeudi-02-janvier-2025-4531978

Brougère, G. (2021). Des jeux et des sociétés. Sciences du jeu, 14. https://doi.org/10.4000/sdj.2933

Brugère, F. (2020). La persistance du patriarcat. Multitudes, 79(2), 193‑198. https://doi.org/10.3917/mult.079.0193

Bruneel, E. (2020). Iconographies médiaclastiques des corps noirs. Des innovations visuelles au service d’alternatives représentationnelles. Études de communication : langages, information, médiations, 54. https://doi.org/10.4000/edc.10147

Campion, B. (2016). Quelle place pour les jeux vidéo ? La Revue Nouvelle, 4(4), 75‑80. https://doi.org/10.3917/rn.164.0075

Cardinal, S. (réal.). (2014). L’ekphrasis. Un mode de recherche-création [Enregistrement vidéo]. Hexagram Réseau-Network. https://www.youtube.com/watch?v=LlXYili0T0k

Cardon, D. (2008). Le design de la visibilité. Un essai de cartographie du web 2.0. Réseaux, 26(152), 93‑137. https://doi.org/10.3166/reseaux.152.93-137

Cardon, D. (2018). Le pouvoir des algorithmes. Pouvoirs, 164(1), 63‑73. https://doi.org/10.3917/pouv.164.0063

Cardon, D. et Smyrnelis, M.-C. (2012). La démocratie Internet. Entretien avec Dominique Cardon. Transversalités, 123(3), 65‑73. https://doi.org/10.3917/trans.123.0065

Cassé, L., Blanc, A. L. et Cazals, M.-P. (2024). Qui sont les jeunes de la « génération Z » ? Nouvelle revue de psychosociologie, 37(1), 157‑170. https://doi.org/10.3917/nrp.037.0157

Chabert, G. (2015). Flâneries. Dans M. Veyrat, 100 notions pour l’art numérique (p. 101‑103). Les Éditions de l’Immatériel.

Chamboredon, J.-C. (1973). Le « métier d’enfant ». Définition sociale de la prime enfance et fonctions différentielles de l’école maternelle. Revue Française de Sociologie, 14(3), 295. https://doi.org/10.2307/3320469

Claes, A., Wiard, V., Mercenier, H., Philippette, T., Dufrasne, M., Browet, A. et Jungers, R. (2021). Algorithmes de recommandation et culture technique. Penser le dialogue entre éducation et design. tic&société, 15(1),. https://doi.org/10.4000/ticetsociete.5915

Cortana, M. (2022). Outil 5. S’ouvrir à la ludopédagogie. Pro en, 24‑25.

Darmon, M. et Singly, F. de. (2010). La socialisation (2e éd). Armand Colin.

De Lauretis, T. (2007). Théorie queer et cultures populaires. De Foucault à Cronenberg. La Dispute.

Dortier, J.-F. (2014). L’imagination scientifique, la science et la recherche. Dans La science en question(s) (p. 53‑60). Éditions Sciences Humaines. https://doi.org/10.3917/sh.wievi.2014.01.0053

Duguet, A.-M. (1988). Dispositifs. Communications, 48(1), 221‑242. https://doi.org/10.3406/comm.1988.1728

Emery, J. F. (2024). Corps, espace et numérique. Les potentialités queer contemporaines dans la constitution de contre-espaces politiques. Ethno-graphies 360° au Brésil et en France. [Thèse en Sciences de l’Information et de la Communication; Thèse en Psychologie sociale de l’art. Université Savoie Mont-Blanc et Université de São Paulo].

Éthier, M.-A., Lefrançois, D. et Déry, C. (2022). Utilisation d’Assassin’s Creed Origins en classe d’histoire, rétention de connaissances déclaratives et intérêt des élèves pour l’Égypte antique. Multimodalités – Revue de recherches en littératie médiatique multimodale, 15, 1091402ar. https://doi.org/10.7202/1091402ar

Fastrez, P. et De Smedt, T. (2013). Les compétences en littératie médiatique. De la définition aux nouveaux enjeux éducatifs. Mediadoc, 11, 2‑8.

Federici, S., Falquet, J. et Nicolas-Teboul, L. (2020). Par-delà les frontières du corps. Repenser, refaire et revendiquer le corps dans le capitalisme tardif. Éditions Divergences.

Foucault, M. (2007). Histoire de la folie à l’âge classique. Gallimard.

Fouillet, A. (2014). Jeux, mémoires et territoires. Sociétés, 124(2), 77‑90. https://doi.org/10.3917/soc.124.0077

France Universités. (2024, février 26). Coupes dans le financement des universités. France Universités exprime son inquiétude. France Universités. https://franceuniversites.fr/actualite/coupes-dans-le-financement-des-universites-france-universites-exprime-son-inquietude/

Gault, G. et Medioni, D. (2022). Les Français et la fatigue informationnelle. Mutations et tensions dans notre rapport à l’information. Arte l’ObSoCo, l’Observatoire société et consommation Fondation Jean-Jaurès éditions.

Gaussot, L. (2002). Le jeu de l’enfant et la construction sociale de la réalité. Spirale, 24(4), 39‑51. https://doi.org/10.3917/spi.024.0039

Georges, F. (2009). Représentation de soi et identité numérique. Une approche sémiotique et quantitative de l’emprise culturelle du web 2.0. Réseaux, 154(2), 165‑193. https://doi.org/10.3917/res.154.0165

Giger, N. (2009). Towards a Modern Gender Gap in Europe? The Social Science Journal. https://doi.org/10.1016/j.soscij.2009.03.002

Gimello-Mesplomb, F., Simonnot, B. et Toullec, B. (2022). Vivre avec les algorithmes. Dépasser les craintes, rendre intelligibles les enjeux. Questions de communication, 41(1), 263‑268. https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.28275

Glicenstein, J. (2024). Marges N°39 : Recherche-création. Presses Universitaires de Vincennes.

Gosselin, P. et Le Coguiec, É. (éds.). (2006). La recherche création. Pour une compréhension de la recherche en pratique artistique. Congrès de l’Acfas, Québec, Canada. Presses de l’Université du Québec.

Granjon, F. et Foulgoc, A. L. (2010). Les usages sociaux de l’actualité. L’Expérience médiatique des publics internautes. Réseaux, 160161(2), 225‑253. https://doi.org/10.3917/res.160.0225

Grossi, V. (2018). Produire l’actualité des images. Le travail d’assemblage dans les bureaux de l’Agence France-Presse. Réseaux, 212(6), 179‑206. https://doi.org/10.3917/res.212.0179

Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes. (2024). Rapport annuel 2024 sur l’état des lieux du sexisme en France : S’attaquer aux racines du sexisme (024-01-22-STER-61). https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_-_rapport_annuel_2024_sur_l_etat_du_sexisme_en_france.pdf

hooks, bell. (2015). Ain’t I a Woman. Black Women and Feminism. Routledge.

Ifop. (2023). Génération TikTok, génération « toctoc » ? Enquête sur la mésinformation des jeunes et leur rapport à la science et au paranormal à l’heure des réseaux (p. 31) [Enquête / sondage]. Ifop. https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2023/01/Presentation_119379_Reboot-FJJ-Volet-A_11.01.23-1.pdf

Ingold, T. (2017). Faire. Anthropologie, archéologie, art et architecture (H. Gosselin et H.-S. Afeissa, trad.). Éditions Dehors.

Ingold, T. et Citton, Y. (2018). L’anthropologie comme éducation. Presses universitaires de Rennes.

Jacobson, S., Myung, E. et Johnson, S. L. (2016). Open Media or Echo Chamber: The Use of Links in Audience Discussions on the Facebook Pages of Partisan News Organizations. Information, Communication & Society, 19(7), 875‑891. https://doi.org/10.1080/1369118X.2015.1064461

Julliard, V. et Quemener, N. (2014). Le genre dans la communication et les médias. Enjeux et perspectives. Revue française des sciences de l’information et de la communication, 4. https://doi.org/10.4000/rfsic.693

Junghans, P. (2017). Chapitre 2. Les médias, première source d’information. Information et stratégie, 33‑39.

Kara, H. (2015). Creative Research Methods in the Social Sciences: A Practical Guide. Policy Press.

Kefi, H., Mlaiki, A. et Kalika, M. (2016). Comprendre le phénomène de dépendance envers les réseaux sociaux numériques. Les effets de l’habitude et de la surcharge informationnelle dans le cas de Facebook. Systèmes d’information & management, 21(4), 7‑42. https://doi.org/10.3917/sim.164.0007

Kerzil, J. (2009). Constructivisme. Dans L’ABC de la VAE (p. 112‑113). Érès. https://doi.org/10.3917/eres.bouti.2009.01.0112

Kübler, B. et Carmouze, L. (2023). Recourir aux serious games pour développer la réflexivité des managers publics de demain ? Les apports d’une recherche pluridisciplinaire en méthodes mixtes. Communication & management, 20(3), 67‑100. https://doi.org/10.3917/comma.203.0067

Lacelle, N. et Boutin, J.-F. (2020). Multimodalité. Dans F. Brillant Rannou, N. Le Goff, M.-J. Fourtanier et J.-F. Massol, Un dictionnaire de didactique de la littérature. Honoré Champion.

Lacelle, N., Boutin, J.-F. et Lebrun, M. (2017). La LITTERATIE MEDIATIQUE MULTIMODALE APPLIQUÉE en CONTEXTE NUMERIQUE – LMM@. Outils Conceptuels et Didactiques (première éd). Presses de l’Université du Québec.

Langsæther, P. E. et Knutsen, C. H. (2024). Are Women more Progressive than Men? Attitudinal Gender Gaps in West European Democracies. International Political Science Review, 01925121241280069. https://doi.org/10.1177/01925121241280069

Malkowski, J., Russworm, T. M., Everett, A., Soderman, B., de Winter, J., Kocurek, C., Huntemann, N. B., Trepanier-Jobin, G., Chien, I., Murray, S., Hutchinson, R., Patti, L. et Ruberg, B. (2017). Gaming Representation: Race, Gender, and Sexuality in Video Games. Indiana University Press.

Mariau, B. (2019). Les médias d’information miment de plus en plus la transparence technique. Effeuillage, 8(1), 16‑19. https://doi.org/10.3917/eff.008.0016

McLuhan, M. (2000). Pour comprendre les médias. Les prolongements technologiques de l’homme (J. Paré et M. McLuhan, trad. ; Nachdr.). Mame / Seuil.

Mercier, A. (2006). Logiques journalistiques et lecture événementielle des faits d’actualité. Hermès, La Revue, 46(3), 23‑35. https://doi.org/10.4267/2042/24051

Merzeau, L. (2009). Présence numérique. Les médiations de l’identité. Les Enjeux de l’information et de la communication, 2009(1), 79‑91. https://doi.org/10.3917/enic.009.0079

Moirand, S. (2018). Dire l’actualité dans les chaînes d’information continue et la presse d’actualité. Cahiers Sens public, 2122(1), 175‑197. https://doi.org/10.3917/csp.021.0175

Mondzain, M.-J. (2007). Homo spectator. Bayard.

Paquin, L.-C. (2017). http://lcpaquin.com/methoRC/

Pariser, E. (2012). The Filter Bubble: What the Internet is Hiding from You. Penguin Books.

Poirier-Saumure, A., Taher, S. et Lazreg, N. (2024). L’enseignement des sujets sensibles en contexte de diversités. Communication. Information médias théories pratiques, 41(2)https://doi.org/10.4000/12yf3

Roqueplo, P. (1983). Penser la technique. Pour une démocratie concrète. Seuil.

Rufat, S., Minassian, H. T. et Coavoux, S. (2014). Jouer aux jeux vidéo en France. Géographie sociale d’une pratique culturelle. L’Espace géographique, 43(4), 308‑323. https://doi.org/10.3917/eg.434.0308

Sébire, A. et Pierotti, C. (2017). La place du corps à l’école est déterminante. https://doi.org/10.3406/diver.2017.4487

Sensevy, G., Messina, V. et Lefeuvre, L. (2020). 3. Enseignement constructiviste ou enseignement direct : il faut choisir. Dans Enseigner, ça s’apprend (p. 49‑67). Retz. https://shs.cairn.info/enseigner-ca-s-apprend–9782725637785-page-49

Serres, M. (2012). Petite Poucette. Éd. le Pommier.

Sève, C. (2020). Prendre en compte le corps sensible à l’école. Administration & Éducation, 167(3), 75‑81. https://doi.org/10.3917/admed.167.0075

Shilling, C. (1993). The Body and Social Theory (Réimpression). Sage.

Silva, H. (2019). Jeu et didactique francophone des langues et des cultures (2008-2018). Dans P. Blanchet et P. Chardenet (dir.), La recherche en didactique du FLE/S : vers une connaissance globale stratégique. CLE International.

Simondon, G. et Simondon, N. (2012). Du mode d’existence des objets techniques (Nouvelle éd. revue et corrigée). Aubier.

Smith, H. (2023). Algorithms and the Alphabet Mafia: How TikTok Influenced Gender, Sexuality, and the LGBTQ Community During the COVID-19 Pandemic. Honors Theses. https://scholar.utc.edu/honors-theses/417

Virgínia, K. (2015). La cartographie comme méthode. Pistes pour la pratique d’une recherche-intervention. Bulletin de psychologie, Numéro 536(2), 133‑142. https://doi.org/10.3917/bupsy.536.0133

Virole, B. (2005). Du bon usage des jeux vidéo. Enfances & Psy, 26(1), 67‑72. https://doi.org/10.3917/ep.026.0067

Multimodalité(s)

Multimodalité(s) se veut un lieu de rassemblement des voix de toutes les disciplines qui s’intéressent à la littératie contemporaine.

ISSN : 2818-0100

Multimodalité(s) est produit en collaboration

UQAMNT2Fonds de recherche du QuébecFonds de recherche du Québec

Multimodalité(s) (c) R2LMM 2023

Site web Sgiroux.net