Volume 4 / Les pratiques et compétences (trans-) littéraciques

Compétences littéraciques, selon les dispositifs d’écriture, en situation de raccrochage scolaire: ce que nous apprend la question du genre

Régine Delamotte
Université de Rouen Normandie
Anne-Marie Petitjean
Université de Cergy-Pontoise

Résumé

Nous poursuivons une première étude menée auprès de lycéens raccrocheurs, en interrogeant cette fois les distinctions de genre dans l’identification de compétences littéraciques en production. Le recueil de données associe discours — des élèves, des enseignants, de l’écrivain en résidence — et pratiques rédactionnelles, selon des dispositifs comparés qui font ou non intervenir le numérique.

L’étude, qui mobilise un arrière-plan théorique élaboré au fil de travaux antérieurs, met en évidence chez ces élèves un rapport à l’écriture qui bénéficie du « déjà-là » de pratiques non scolaires. Les stéréotypes filles/garçons dans les représentations et les textes produits se révèlent bien moins présents dans les dispositifs scolaires sollicitant une écriture créative que dans ceux qui se rapprochent de l’opération de lecture demandée dans les écrits académiques.

Abstract

This study extends a first analysis of high literacy skills in written works produced by former dropouts in a secondary school in Paris. The question of gender division is discussed through a collection of data including students andteachers’ talks, a writer-in-residence interview, and written materials, some using digital tools. Theoretical grounding informs the recognition of an approach to writing, supported by informal practices including digital usages. Results suggest that gender stereotypes in discourses and writing practices are less found in texts produced during creative writing workshops than in texts explicitly related to academic works

Mots-clés
compétences rédactionnelles, raccrochage scolaire, stéréotypes genrés, écriture numérique, écriture créative

Keywords
writing skills, return to school, gender stereotypes, digital writing, creative writing
Citer
Pour citer
Delamotte, Régine et Petitjean, Anne-Marie (2016). Compétences littéraciques, selon les dispositifs d’écriture, en situation de raccrochage scolaire: ce que nous apprend la question du genre. Revue de recherches en littératie médiatique multimodale, 4.

1. Introduction

Dans le cadre d’une étude collaborative avec le microlycée de Paris (établissement du réseau de la FESPI1 – Broux et De Saint-Denis, 2013), les compétences rédactionnelles de lycéens en situation de raccrochage scolaire ont fait l’objet d’une première analyse ne tenant pas compte de la question du genre (Delamotte, Penloup et Petitjean, 2016).

Elle permet de poser les jalons d’une typologie de compétences linguistiques, discursives et rhétoriques qui concernent les écrits produits en classe dans leur rapport aux compétences développées hors champ scolaire et qui intègrent la dimension numérique.

Nous poursuivons ici ce premier travail en interrogeant la pertinence d’une perspective genrée pour aborder les questions du rapport à l’écrit et des compétences rédactionnelles dans des dispositifs expérimentés en structure de raccrochage scolaire.

2. Éléments de théorisation

Rappelons d’abord les problématiques de notre équipe de recherche en sciences du langage : sociolinguistique et appropriation du langage (Régine Delamotte), numérique et écriture créative (Anne-Marie Petitjean), sociodidactique et apprentissages langagiers (Marie-Claude Penloup). Nous les partageons largement avec de nombreux autres chercheurs (Barré-de- Miniac, 2000, 2002, 2011 ; Bouchardon, 2009, 2014 ; Bucheton et Chabanne, 2004 ; Fabre-Cols, 2000 ; Houdart-Mérot et Mongenot, 2013 ; Reuter, 2007, 2013 ; Rispail, 2005). Faire travailler ensemble ces problématiques nous a permis de construire un point de vue scientifique propre que de nouveaux objets de recherche permettent d’interroger.

2.1 Le « déjà-là » des apprenants

Nos travaux portent sur les pratiques littéraciques d’enfants et d’adolescents dans et hors de l’institution scolaire. Une remarque préalable : nous parlons, à côté des pratiques scolaires, de pratiques non scolaires plutôt qu’extrascolaires, ce terme connotant insidieusement les pratiques scolaires comme plus légitimes que les autres. Son emploi est tellement ancré dans nos habitudes scientifiques que nous ne voyons plus le travers qu’il produit. Il en est de même pour l’opposition entre pratiques dites informelles face aux pratiques formelles qu’Anne Cordier (2015, p. 40) appelle, pour les mêmes raisons que nous, non formelles.

Les résultats de nos précédentes analyses nous ont amenées à critiquer les approches en termes de lacunes et d’échecs des productions des élèves, dominantes chez les enseignants, et à tenter d’expérimenter le caractère opératoire d’une lecture en positif de celles-ci. Ce positionnement est d’autant plus important que notre terrain est celui d’élèves décrocheurs et/ou raccrocheurs. Nous nous inscrivons ainsi dans un courant affirmant l’importance du recours au «déjà-là » des apprenants, qui n’est plus considéré comme faisant obstacle aux apprentissages académiques, mais comme éclairant les procédures des élèves, voire leurs compétences.

Nous faisons ainsi l’hypothèse que les usages non scolaires — ou recueillis par des moyens non identifiés comme étroitement scolaires par les apprenants — font apparaître des aspects insoupçonnés de leur bagage langagier aussi intéressants à identifier, à décrire et à comprendre que des lacunes à combler. Nous pensons que l’institution scolaire, même la plus ouverte à accueillir des pratiques éloignées de ses normes, n’est pas vécue par les intéressés comme le lieu d’une telle expression. Même si nous savons que telle n’est pas sa mission fondamentale, qu’elle s’en désintéresse ou l’ignore s’avère être, à notre avis, une erreur.

2.2 Une entrée par les compétences

Voilà qui explique notre parti pris d’une entrée par les compétences (Delamotte, Penloup et Petitjean, 2016). Celles dont nous parlons concernent des savoir-faire langagiers repérables au sein des pratiques sociales. Nous les décrivons, à partir des sciences du langage, en termes de linguistique, d’énonciation, de discursivité, de rhétorique, de sémiotique et de culture. Nous suggérons aussi une évolution des critères d’évaluation des compétences qui prennent en compte, au-delà des contenus et des savoirs enseignés, ceux qui sont nécessaires aujourd’hui à la vie de tout citoyen. Nous pensons utile aux enseignants d’avoir la meilleure connaissance possible du répertoire langagier des élèves, y compris numérique, en ce sens qu’elle peut les amener à modifier leur regard et donc les aider à déceler, non seulement des obstacles à surmonter, mais aussi des connaissances à renforcer. La notion de répertoire reste pour nous plus opératoire que celle, restrictive, de langue, dominante en didactique des langues

maternelles, secondes, étrangères, puisqu’elle prend en compte à la fois la maîtrise des langues en tant que telles et les résultats de leur contact, souvent source de compétences inédites (Delamotte et Penloup, 2010 ; Penloup, 2007). Nous sommes conscientes du fait que la manière dont les didacticiens construisent (instituent) le sujet apprenant, en considérant ou non les liens entre sujet social et sujet épistémique, a des conséquences sur l’intervention didactique.

2.3 Le « rapport à » l’écriture

Concernant l’écriture (manuelle et numérique, reliée ou non à des schémas et des images), les pratiques non scolaires des enfants et adolescents viennent confirmer l’hypothèse selon laquelle le déjà-là révèle un ensemble de compétences et d’appétences pour l’écriture, ignoré par l’institution, et souvent par les acteurs eux-mêmes. Ces résultats, globalement inattendus, nous ont conduites à penser la relation à l’écriture des apprenants en termes de « rapport à » (Penloup, 2006, 2008). Cette notion permet de prendre en compte les dimensions cognitives et affectives de cette relation ainsi que la construction identitaire et sociale du sujet écrivant qui lui est attachée.

Nous avons donc pu identifier, avec des publics divers d’enfants et d’adolescents, un certain nombre de savoir-faire en production écrite (dans des contextes et à l’aide de supports divers) qui posent la question des frontières d’usage entre pratiques expertes et pratiques ordinaires, entre pratiques scolaires et pratiques non scolaires. Nous avons conclu, à chaque fois, dans la lignée des travaux de Michel de Certeau (1980), à des connaissances d’usage soit du même ordre, soit d’un ordre différent, mais non nécessairement ou systématiquement d’un ordre inférieur.

2.4 L’importance du point de vue

On l’aura compris, la centration sur l’apprenant, dans une dialectique enfant/élève est une constante de nos travaux (Delamotte et Penloup, 2011). Cela ne signifie pas pour nous un désintéressement des autres pôles de la relation didactique, mais la nécessité de les penser de manière systémique. Dans notre démarche de centration sur l’apprenant, nous nous intéressons à la fois à ses pratiques et à ses points de vue, autrement dit, à l’ensemble des sens et des valeurs qu’il accorde aux pratiques langagières, dans et hors de l’institution, ou qu’il pense être ceux des enseignants, des experts, des parents, etc. La notion de point de vue est complexe, polysémique, mais elle nous semble constituer un aspect incontournable de la notion de « rapport à » évoquée plus haut. Le point de vue des apprenants peut se saisir dans leurs productions mêmes, dans une démarche réflexive, un « retour sur » ces productions, ou encore, dans un questionnement d’enquête qui le sollicite explicitement. Ces diverses facettes de l’expression du point de vue sont complémentaires et présentent, en discours, des prises en charge énonciatives de niveaux différents (Delamotte, Penloup et Chabanois, 2014).

Cette prise en compte du point de vue est fondamentale pour les adolescents, en général, et nos lycéens décrocheurs/raccrocheurs, en particulier. On le sait (Cordier, 2015), tous sont parlés par l’institution bien plus qu’ils ne parlent. Cet état de délocution doit être rectifié pour que les situations d’apprentissage prennent tout leur sens pour l’ensemble des acteurs. C’est pourquoi notre équipe de recherche se range sous la bannière « du parti pris » des élèves en se plaçant en demandeuse de prises de parole des intéressés. C’est aussi le seul moyen de tordre le cou aux représentations tenaces que nous pouvons avoir d’eux, même chez les plus bienveillants d’entre nous. Pour donner un rapide exemple récent : lors d’une journée d’étude sur le décrochage scolaire2, l’idée partagée que, sortis du système scolaire, ces jeunes n’écrivent plus (« ils n’ont pas touché une plume ! ») est apparue comme une évidence. Or, notre collègue du microlycée, qui a mis en place une véritable relation de parole avec ces élèves, affirme tout le contraire : leur période de décrochage a été une grande période d’écriture. Ils ont certes plutôt touché leur clavier, mais leur plume n’a pas été absente non plus, et il est même des situations où ils pensent que c’est cette écriture qui s’impose.

3. Éléments de problématisation

La thématique de ce numéro de revue nous incite à préciser deux positionnements scientifiques concernant la littératie que nous travaillons dans le cadre de deux projets de recherche financés : Difficultés à l’écrit dans l’académie de Rouen (Institut de recherche en Sciences Humaines – GRR Normandie) et Émergence de perspectives genrées dans des écrits d’enfants et d’adolescents. Analyses linguistiques et sociologiques (Institut du genre – GIS).

3.1 Les questions du numérique et de l’écriture créative

La problématique de notre recherche au microlycée concerne à terme l’étude de la liaison entre des écrits divers : écrits académiques dans la perspective du baccalauréat ; écrits de travail et écrits intermédiaires dans les différents cours ; écrits créatifs en ateliers d’écriture ; écrits sur supports numériques ; écrits communicationnels.

La pratique d’écriture numérique nous intéresse en tant que telle et en lien à la pratique scripturale, car, aujourd’hui, le rapport que l’on entretient à l’écriture se passe rarement en dehors du numérique. Or, la connaissance qu’on en a est très inégale (Wachs et Weber, 2013 ; Penloup et Liénard, 2008 ; Petitjean et Houdart-Mérot, 2015). L’écriture quotidienne, qui fait appel aux nouvelles technologies, commence à être bien connue. L’écriture académique, que l’école entretient comme facteur de réussite scolaire, s’ouvre de plus en plus aux écrits numériques sans qu’on n’en ait une description précise. Quant à l’écriture littéraire, on connaît mal encore les mutations liées aux nouvelles pratiques dans la création littéraire. On aimerait en savoir plus, non seulement sur la nature des produits, mais aussi sur les nouvelles relations qui s’instaurent entre écrivains et lecteurs.

Ces manques, dans la connaissance des usages sociaux en cours, sont un handicap pour les enseignants. Tout particulièrement, les enseignants de français ont besoin de savoir analyser les frontières entre littéraire et non-littéraire, entre culture du livre-papier et culture des écrans. En effet, leur rôle est de bâtir des ponts entre les diverses pratiques et de substituer aux classiques cloisonnements une logique de relation entre les compétences comme entre les acteurs. Or, l’écriture créative explose les cloisonnements par l’étendue du recours actuel au numérique dans la création. Ce recours engendre de profondes mutations, entre autres : la place du collectif dans l’acte d’écriture, le rôle requis pour l’enseignant, les régimes de lecture.

Le cadre de l’écriture créative demande à prendre acte du foisonnement des pratiques et donc des possibilités offertes par les technologies, tout en se plaçant en continuité de la tradition des ateliers d’écriture — scolaires ou hors institution scolaire — (Oriol-Boyer, 2013 ; Houdart-Mérot et Mongenot, 2013). Des atouts, construits de longue date, restent en grande partie valables dans les nouveaux dispositifs qui ne séparent pas atelier numérique et atelier

d’écriture manuscrite, mais font évoluer l’ensemble vers des formes hybrides. Ceci permet d’implanter une chaîne intertextuelle de la création littéraire dans une littératie numérique qui, sinon, a tendance à se développer en écartant les pratiques lettrées.

3.2 La question du genre

Cette question reste peu abordée dans les travaux, même récents, sur les pratiques des adolescents, généralement pris comme un groupe social homogène. C’est le cas, par exemple, de l’ouvrage récent de Danah Boyd (2016) qui étudie «les vies numériques des adolescents ». En annexe, sont donnés, par ordre alphabétique, les prénoms des 166 adolescents rencontrés, filles et garçons. Les entrées de l’analyse de contenus mêlent les discours des uns et des autres.

Il n’y a que peu de travaux sur ces divers aspects du numérique dans la création littéraire. Et encore moins d’études sur les pratiques des garçons et des filles, alors qu’on n’est pas sans ignorer des différences d’investissement dans la culture de l’écrit (lecture, écriture quels qu’en soient les supports).

On sait aussi depuis longtemps que les filles réussissent mieux que les garçons sur le plan scolaire et que cela rend paradoxal le fait qu’elles s’orientent encore beaucoup vers des filières professionnelles moins prestigieuses. Ce constat ne fait que confirmer l’hypothèse d’une socialisation différenciée des filles et des garçons, marquée par les stéréotypes sociaux liés au genre qui ont cours dans beaucoup de familles et souvent aussi au sein des institutions éducatives (OCDE, 2015, PISA à la loupe3).

Notre terrain, pour cette contribution, est celui d’une institution vouée au raccrochage scolaire et, dans ce domaine à nouveau, la différence de genre est absente des études alors que tout porte à croire que les filles et les garçons ne sont pas dans un rapport identique à l’abandon scolaire.

Concernant les pratiques d’écriture, celles qui n’ont pas directement recours aux nouvelles technologies montrent une suprématie écrasante des filles, en régularité de production, en quantité et en types d’écrits différents (Penloup, 1999). Mais on rejoint ici la question de la construction sociale et des stéréotypes : les carnets destinés aux journaux intimes ne sont-ils pas plutôt offerts en cadeau aux filles qu’aux garçons ? Pour ce qui nous intéresse ici, la question serait de savoir si le numérique vient modifier les données du problème.

3.3 La question du décrochage/raccrochage scolaire

Les travaux concernant le décrochage scolaire prennent en compte le « vécu scolaire » et non le « vécu disciplinaire » (Blaya, 2010 ; Flavier et Moussay, 2014 ; Reuter, 2007, 2013). C’est une des raisons pour lesquelles les programmes de prévention mettent prioritairement l’accent sur la nécessité de changer climat et forme scolaires. Concernant le climat scolaire, la dimension langagière est évoquée dans le cadre d’une aide à la prise de parole (en particulier, verbalisation des émotions, expression des ressentis) et d’une meilleure écoute de celle-ci. Pour la forme scolaire, le décloisonnement entre disciplines est une des modifications proposées, en accordant une place majeure à l’interdisciplinarité et en envisageant la philosophie et les arts comme des « disciplines refondatrices ».

Quant à l’écriture, elle est rarement abordée et, lorsqu’elle l’est, c’est sous l’angle des difficultés auxquelles se heurtent les raccrocheurs. Les travaux insistent sur la manière dont, selon le milieu social, les élèves parviennent de façon plus ou moins efficace à négocier le clivage entre sphère privée et sphère scolaire d’écriture. L’idée que les pratiques de la sphère privée puissent être le lieu de développement de compétences susceptibles d’intéresser la sphère scolaire n’est pas abordée. Dans quelques travaux, cependant, l’écriture personnelle est évoquée comme un repli sur des formes non scolaires, une forme de compensation recherchée en cas de rupture. Mais, même quand surgit l’idée de compétences proches de celles attendues par l’école dans des poèmes ou des textes de rap, les auteurs semblent démunis pour aller plus avant dans l’identification et la valorisation de ces compétences.

4. Construction d’une méthodologie

Elle découle de nos positionnements théoriques et problématiques.

4.1 Deux précisions

Dans les débats sur les relations entre l’école et le « dehors », nous nous situons plus du côté d’une continuité que d’une coupure, prenant en compte les transferts possibles d’un contexte à l’autre sans ignorer les spécificités de chacun. Cette position a un versant méthodologique important : celui du lieu de recueil des données. Le microlycée est le lieu même de nos recueils de pratiques d’écriture, qu’elles soient ordinaires ou académiques. Les dispositifs et les relations entre elles des personnes engagées dans une démarche d’écriture créative, permettent, pensons-nous, le surgissement du répertoire langagier des élèves, ordinaire comme académique. Le microlycée constitue donc, pour nous, le lieu formel d’une écriture non formelle.

Notre recueil des données fait appel à des méthodologies qui n’oublient pas de travailler la dimension éthique de la pratique d’enquête en prenant en compte la nécessaire empathie dans une relation qui touche, comme c’est notre cas, à l’intime des informateurs. Nous avons ainsi eu recours à des moyens méthodologiques appropriés et réalisables, le terrain étant résistant sur bien des aspects, qui soient en mesure de faire émerger des pratiques et des représentations insoupçonnables. Cette préoccupation porte sur les deux types de recueils, discours et pratiques. Elle exige de travailler la qualité des rapports au terrain. Elle ne peut conduire qu’à des corpora de petite taille et à des analyses qualitatives que nous considérons comme significatives (même si non représentatives). Nous travaillons ainsi sur un groupe d’une vingtaine de microlycéens seulement (parité filles/garçons). Mais, pour avoir accès aux informations qui nous intéressent, encore faut-il avoir construit avec eux des liens interpersonnels de respect, de confiance, dénués de toute ambiguïté. La possibilité, à terme, d’analyses quantitatives ne pourra se réaliser qu’à l’aide de méthodologies adaptées de collecte des données et sur des populations plus importantes. Nos résultats ne valent donc que dans le cadre limité du travail, mais indiquent déjà clairement les pistes à explorer.

4.2 Une recherche collaborative avec l’équipe du microlycée de Paris

Le lien entre notre équipe et celle du microlycée de Paris s’est établi suite à la demande d’intervention pour un atelier d’écriture sur support numérique débouchant très vite, des deux côtés, sur une proposition de recherche collaborative.

Le microlycée s’adresse à des jeunes hors de l’école, entre 16 et 23 ans, ayant tous connu une période de décrochage scolaire de minimum 6 mois et qui souhaitent revenir à l’école afin de préparer le baccalauréat. Les axes choisis pour réussir cet objectif sont résumés dans le site Internet du Pôle Innovant Lycéen4. La classe interrogée associe des élèves préparant le baccalauréat des sections L et ES.

Le constat initial, établi en entretien par les deux enseignantes de l’équipe5, pointe comme un trait saillant les difficultés en production d’écrits de leurs élèves. « Clairement », affirme la professeure de S.E.S. (sciences économiques et sociales) quand nous lui demandons quels sont les obstacles que rencontrent ses élèves, «clairement, c’est la maîtrise de l’écrit ». Constat identique à celui effectué avec l’équipe du microlycée d’Évreux, en avril 2015, et qui désignait comme obstacle majeur à la réussite « le passage à l’écriture en situation scolaire ». Dans les deux équipes, la pression de l’échéance du baccalauréat, motif premier du raccrochage, est évoquée comme pesant sur le temps qu’il faudrait peut-être consacrer à un « retour à l’écrit », passant par de l’écrit moins formaté que les exercices de l’examen : « Peut- être sommes-nous partis trop vite sur des formes scolaires d’écriture, peut-être aurait-il fallu prendre du temps ? », s’interroge un enseignant d’Évreux. Cette remarque retient notre attention : que signifie « retour à l’écrit » ? Nos lycéens ont-ils cessé d’écrire pendant le temps de décrochage ou ont-ils écrit autrement ? Et sur quels supports, dans quelles modalités ?

Face à ces interrogations, l’équipe de Paris se montre ouverte à tous les dispositifs efficaces : ateliers d’écriture et de théâtre, classe inversée, prix littéraires avec partenariat de libraire et autres manifestations culturelles. Malgré cette effervescence et les succès au baccalauréat de la première promotion, l’équipe du lycée manifeste le besoin de sortir d’un « bricolage innovant » et de prendre du recul pour « asseoir » sa pratique. Une collègue affirme : « Il y a plein de choses qui sont intuitives et que j’aimerais un peu creuser pour les formaliser » et, une autre : « On n’est pas formés…on n’est pas formés à ça… à accompagner des jeunes qui viennent de milieux très différents à produire des textes qui doivent avoir une recevabilité académique… ».

4.3 Recueil de données et constitution du corpus

La première étape, celle d’entretiens avec les deux enseignantes et l’écrivain animateur d’un atelier d’écriture, a orienté notre regard sur la question des compétences. La deuxième étape a tenu compte du travail de l’enseignante de français, responsable du projet et de séances d’écriture menées en co-animation avec Anne-Marie Petitjean, coauteure de cet article : enregistrement des séances pour mieux saisir le point de vue des élèves, recueil de leurs productions, sur papier et sur support numérique, journal de bord tenu par l’enseignante. La troisième étape concerne notre propre recueil de données.

Pour notre analyse, nous sélectionnons les données recueillies lors de deux séances : transcription des échanges oraux enregistrés, écrits spontanés des élèves, textes et diaporamas produits, questionnaires adressés aux élèves sur leurs pratiques non scolaires d’écriture sur papier ou sur écrans, ainsi que deux entretiens individuels réalisés en fin d’année auprès d’une fille et d’un garçon de la classe.

5. Analyses et premiers résultats

Avant de nous placer du côté des élèves, nous proposons une synthèse de ce que nous avons appris dans les propos de l’équipe éducative. Elle dresse un portrait paradoxal de l’écriture des jeunes du microlycée.

5.1 Du côté de l’équipe éducative

À côté des difficultés d’écriture dans les exercices scolaires et des questions pédagogiques que cela suscite, les deux enseignantes insistent de manière inattendue sur des compétences manifestes et spécifiques chez des élèves dont elles constatent la plus grande maturité : compétences notables à l’oral, mais aussi à l’écrit. Ces compétences se révèlent essentiellement dans les écrits de type créatif proposés en ateliers d’écriture. Elles font spontanément le lien entre la qualité de ces écrits et la période de décrochage au cours de laquelle l’écriture constitue un recours et un moyen d’expression privilégié, comme l’atteste ce qu’écrivent spontanément aux enseignantes les élèves sur le décrochage.

Le propos de l’écrivain qui anime l’atelier d’écriture souligne, à son tour, l’inventivité et « la force de frappe » des élèves des deux microlycées avec lesquels il travaille. Il insiste : « De tous les publics avec lesquels j’ai travaillé, c’est le public que je préfère. Quand je suis au microlycée, en atelier d’écriture, je me prends des claques en tant qu’écrivain». Il revient à plusieurs reprises sur cette corrélation, chez ces élèves à la scolarité chaotique, entre « qualité de plume et expérience de vie ». Il relie ces compétences à un rapport plus libre à l’expression : « Leur rapport à l’art est différent, leur rapport à l’expression est différent… à la peur est différent : ils n’ont pas peur ». Se dessine ainsi un portrait paradoxal du rapport à l’écriture des jeunes raccrocheurs : des difficultés saillantes dans le passage à l’écriture académique et des compétences spécifiques en écriture créative.

Concernant de possibles différences de genre, nous avons à nouveau interrogé l’écrivain6. Sa réponse est à chaque fois double : une première impression de début d’atelier, très vite effacée et sur laquelle il revient. Ainsi, à la question de savoir s’il y a des différences rédactionnelles, il dit qu’au début, les textes des filles sont parfois « plus longs » et «moins bruts ». Mais il ajoute, immédiatement, qu’il pourrait fournir plein de contrexemples : « Loriano est dans une écriture extrêmement… tu vois, j’aurais tendance à dire qu’il est dans une écriture un peu « plus féminine », ce qui, si je l’entendais dans la bouche de quelqu’un d’autre, je dirais : « ferme ta gueule ! ». À la question de savoir s’il voit des stéréotypes de genre entre filles et garçons dans leurs écritures, il répond aussi en deux temps. Au début, « ça va se caractériser par une forme de virilité excessive dans les textes des garçons, des mots un peu vulgaires, un peu “cul” ». Au bout d’un moment, « quand l’écriture est prise au sérieux, il n’y en a plus. C’est-à-dire qu’il y a des filles qui te servent des textes un peu “rentre dedans” ; il y a des garçons qui te font des choses vachement “fleur bleue”, pour te prendre des stéréotypes ». Il termine l’entretien par une remarque relevant un aspect genré qui, pour être étudié, demanderait une méthodologie d’observation et de recueil de données à inventer : « Par contre, l’énergie n’est pas tout à fait la même. Ça, ça mériterait d’être réfléchi avant d’être dit comme ça, mais il y a une énergie du corps qui n’est pas la même ».

Qu’en est-il, maintenant, de leur rapport à l’écriture, confronté à un univers littéracié plus large et en relation avec les moyens techniques actuels ? Sommes-nous en mesure de confirmer des compétences en écriture créative lors de séances en ateliers faisant appel à la multimodalité ? Y-a-t-il des différences d’investissement entre filles et garçons ?

5.2 Première étude : le genre face aux points de vue et au déjà-là des élèves

La synthèse de ce que nous avons appris à travers les discours et les productions des élèves a été revisitée sous l’aspect du genre.

5.2.1 Production de points de vue

Nous nous concentrons ici sur l’essentiel de ce qui nous est apparu du rapport des élèves aux différentes situations d’écriture qui leur ont été proposées durant la première séance : production d’un texte, puis remplissage d’un questionnaire.

Sans que l’on puisse identifier une différence genrée, leur point de vue sur la séance est général et affirmé. Les adolescents formulent une déception à passer d’une écriture créative à des réponses à un questionnaire, dont une part par cochage (mal accepté) des réponses. L’adhésion est ainsi explicitement plus grande pour les situations où il est possible d’insérer une expression personnelle, même si elle n’est pas prévue par la consigne. C’est le cas pour la proposition en atelier d’écrire un texte tenant compte d’une liste imposée de mots choisis par les lycéens eux-mêmes. L’écriture, malgré cette contrainte, a servi aux élèves de tremplin pour une expression impliquée. Les élèves disent clairement l’intérêt qu’ils y ont vu. Au contraire, l’échange oral qui suit le remplissage du questionnaire montre une méfiance à produire des réponses à des questions, identifiées comme des enjeux de catégorisation sociétale (« Je trouvais que les questions étaient pas très… pleines de sens / C’est pas en faisant des questions comme ça… genre on peut regrouper des gens dans les cases »). Ce n’est donc pas la contrainte en soi qui leur pose problème, mais la représentation du type d’écriture qui est induite par la tâche. Entrent apparemment en concurrence une représentation de l’écriture comme un outil de construction individuelle, en chambre d’écho à des situations vécues, et une représentation de l’écriture comme instrument de codification sociale qui les renvoie au sentiment, connu chez les décrocheurs, d’un danger extérieur. Là encore, filles et garçons tiennent les mêmes discours.

Dans le même ordre d’idées, chez tous, les réticences ne portent pas sur l’appréciation de la discipline « français » (interrogée dans le questionnaire), mais sur la distinction entre deux types d’écrits, créatifs et académiques.

Une dernière remarque : l’étape de lecture des textes à haute voix, en fin d’atelier, a été vécue par tous sans la réticence que l’on rencontre habituellement. Cette disponibilité est particulièrement frappante quand on la compare aux comportements d’étudiants de première année (avec lesquels nous travaillons à l’Université de Rouen) qui ont tendance à s’interdire d’écrire et surtout de lire devant les autres quand leur parcours scolaire antérieur ne leur semble pas classique. Ce figement sur une insécurité, liée au parcours scolaire, n’est pas présent chez nos lycéens et renforce leconstat d’une absence de peur devant sa propre écriture que nous mettons au compte des compétences insoupçonnées de ce public scolaire.

5.2.2 Production du déjà-là

Nous allons faire état de cet aspect à travers les pratiques plutôt qu’à travers les déclarations de nos informateurs. Cependant, le questionnaire sur les pratiques d’écriture montre que tous les élèves sont investis à la fois dans l’écriture manuelle et l’écriture numérique. Dans les limites de cette contribution, signalons cependant qu’à la question «Préfères-tu écrire à la main ou à l’ordinateur ? », la réponse massive est « à la main ». Avec une précision sur une fiche de fille : « Sur l’ordinateur j’écris plus vite mais je préfère écrire à la main ». On trouve trois réponses autres venant de garçons : « ordi », « n’importe » et « avec les pieds ». Cette dernière réponse renvoie bien évidemment à la réprobation majoritaire des élèves à devoir remplir le questionnaire.

Nous donnons ici une synthèse de nos résultats publiés par ailleurs (Delamotte, Penloup et Petitjean, 2016). Elles montrent l’utilité de distinguer ce qui est « produit spontanément » et ce qui est « à produire » ; le premier aspect traduisant un certain « rapport au monde » et le besoin de l’exprimer ; le second aspect étant révélateur du « rapport à l’institution scolaire » et aux tâches qu’elle impose.

La première caractéristique frappante, pour ces élèves censés aborder douloureusement les activités de production d’écrit, a été leur facilité d’écriture. La première séance en atelier d’écriture créative a montré combien la consigne et la contrainte qu’elle implique, loin de les rebuter, ont été saisies comme un défi rédactionnel stimulant leur créativité. On reste surpris par le talent à intégrer dans un premier jet le matériau lexical qu’ils se sont imposé. D’autant plus que cette liste7 est longue, qu’elle réunit des mots de natures différentes renvoyant à des univers de référence chargés de sens, parfois provocateurs. Les agencer en discours a montré, non seulement des compétences de cohérence textuelle au sein d’un genre narratif dominant, mais aussi un goût réel pour une sémantique des jeux de langage.

Nous avons pu identifier et lister un ensemble de compétences linguistiques, énonciatives, discursives et rhétoriques en situation d’écriture créative. Nous avons pu remarquer aussi qu’au-delà des marques linguistiques de surface que l’évaluation scolaire recherche (orthographe, correction grammaticale), l’enjeu pragmatique de l’écriture littéraire, qui est d’embarquer le lecteur dans des voies inédites bousculant ses attentes, est connu et largement exploité par nos lycéens.

Et, comme l’une des contraintes de la consigne était de parler, directement ou indirectement, de l’écriture, nous avons vu émerger des mises en mots de l’acte d’écrire ainsi que des procédés de scénarisation d’un moi-écrivant, auxquels nous n’étions pas préparées.

Voici un extrait du texte d’une adolescente (orthographe corrigée) :

« J’ai comme passion l’écriture, cet art occupe la majorité des heures de ma journée et dans l’écriture, qui est un mot très vaste, j’ai une préférence pour la description, parfois réaliste, exagérée ou complètement surnaturelle des choses. Cela me procure une sensation de voyage dans l’au-delà, comme si j’étais un esprit flottant dans l’atmosphère et que mon métier était d’observer les multitudes de choses inconnues qui composent notre planète. Je ferme les yeux : mon âme quitte ce corps qui lui sert d’abri et je contemple, j’étudie, je prends de la hauteur. »

Voici un extrait de la production d’un adolescent (orthographe corrigée) :

« Lendemain de révolution. Je termine ici le récit de mon voyage, sous cette atmosphère misérable. Cette prairie autrefois peuplée de clématites par milliers, accueille maintenant des centaines de macchabées en putréfaction, l’adrénaline dans leur regard vide. La veille de la révolution, j’avais vu ces hommes pleins de panache, prêts à se battre pour l’égalité, rêvant de justice. Ils doivent certainement rejoindre l’au-delà à présent et je me sens un peu responsable, je l’avoue, d’être le seul homme inconnu de la mort. »

Le cadre général du récit de bataille peut apparaître comme un choix genré, en rapport à l’identité du scripteur. Il conviendra pourtant de reconnaître, malgré la prise en charge énonciative en première personne, une distanciation du pacte autobiographique (Lejeune, 1996) qui était fortement appuyé dans le premier texte. Il s’agit ici d’une autofiction, manifestée par les repères chronologiques et jouant des effets de réminiscences livresques avec le lecteur. L’ouverture du texte est en ce sens emblématique pour asseoir un seuil de récit historique de manière lapidaire.

Nous dirons que, dans les deux cas, le genre littéraire s’avère plus important que le genre sexué. Les textes en première personne (« je ») ne sont d’ailleurs pas les seuls à avoir permis l’expression de la thématique de l’écriture en des termes qui à la fois la valorisent et la font échapper au cadre prévisible de l’expression scolaire. D’autres se présentent avec des modalités diverses de prise en charge énonciative. Mais nous n’avons pas repéré, dans les limites de notre corpus, de différences de ce point de vue entre filles et garçons. Le thème du voyage en lien à l’écriture est une dimension répandue chez nos adolescents et montre une compétence dans la connaissance de certains stéréotypes littéraires.

6. La question du genre en situation de production multimodale

Nous avons, avec l’enseignante titulaire de la classe, expérimenté une proposition d’« écriture passerelle ». Elle répond au souci d’offrir un écrit de travail qui constitue, d’une part, un lien entre écrit créatif et écrit académique et, d’autre part, un lien entre textualité verbale classique pour un cours de littérature et textualité multisémiotique connue des pratiques non scolaires sur Internet.

6.1 Dispositif

Le projet se présentait comme un Pecha Kucha, c’est-à-dire la composition d’un diaporama associant images et textes à lire à haute voix, selon une proposition en usage dans les ateliers d’écriture français contemporains. Il s’agit du détournement créatif de ce support de communication fréquent dans le marketing. La proposition tirait donc parti de la connaissance des ateliers d’écriture français (Bon, 2000 ; Petitjean, 2013 ; Rossignol, 1996) et d’une réflexion sur l’intérêt d’une pratique du détournement pour des supports numériques qui formatent les discours, en particulier à visée commerciale (Badouard, 2013 ; Saemmer, 2015). Cette fois, il n’était pas exactement question de provoquer un usage parodique qui libère les possibilités expressives, comme il est d’usage pour les Pecha Kucha créatifs, mais d’en faire un support réflexif sur les blancs d’un texte littéraire (Tauveron, 1999). L’objectif, explicité aux élèves, était d’en faire un « écrit intermédiaire », préparant à l’épreuve du baccalauréat du commentaire littéraire, tout en leur permettant de retrouver des usages de tissage du texte et des images qu’ils peuvent connaître en dehors de l’école.

Un premier diaporama a donc été présenté aux lycéens pour guider leur travail de production : des images tirées de deux sites, celui de l’auteur-illustrateur François Place et celui du photographe Yann Artus-Bertrand, venaient illustrer une longue description extraite de l’incipit de La mort du roi Tsongor de Laurent Gaudé8, roman lu auparavant par les élèves. Le choix de ce texte était justifié par son insertion dans la liste des textes présentés à l’oral (épreuve anticipée du baccalauréat) et la préparation d’un commentaire littéraire académique. Ce texte se présente comme une longue description de la ville de Massaba, dont la foule se prépare aux noces de Samilia, la fille du roi. Il suppose de la part des lecteurs une capacité de projection dans un imaginaire exotique qui n’est pas explicitement localisé, mais empreint de connotations aux cultures d’un Moyen-Orient antique et rêvé. Demander aux élèves de caviarder librement ce texte, en ajoutant à leur gré images de la toile et phrases de leur composition, permettait de solliciter cette projection et de donner à entendre la manière dont ils investissaient ou non l’imaginaire du texte.

Le travail a été mené en groupes, ce qui permettait de distinguer des groupes de filles et des groupes de garçons, et il a été réalisé dans des espaces séparés, sur les ordinateurs de l’établissement. Pour une comparaison de genre, nous sélectionnons quatre Pecha Kucha, deux réalisés par des filles et deux par des garçons.

6.2 D’autres compétences d’écriture dans la situation multimodale

Si nous nous en tenons aux textes écrits sous les images du diaporama, on voit combien la différence de situation de production conduit à faire surgir des ressources linguistiques

différenciées. Rappelons que, lors de la première séance, les textes ont été produits individuellement et, lors de la seconde, collectivement.

La première situation a permis de faire émerger des compétences narratives (genre et sous- genres du récit) et des compétences énonciatives (discours de soi chez tous, allant même jusqu’au récit autobiographique et à l’autofiction pour certains).

La seconde situation a favorisé le genre de discours descriptif qui montre, du point de vue linguistique, descompétences lexicales (adjectivales en particulier) permettant de traduire tout un foisonnement de lumières et de couleurs. Ces textes descriptifs restent impersonnels (pas de marque linguistique de prise en charge énonciative), mais ils laissent percevoir de manière implicite, dans la richesse du matériau linguistique et dans l’ampleur du rythme phrastique, une part d’émotion en discours. Cependant, les normes syntaxiques maîtrisées dans la première situation ne le sont plus dans la seconde : produire en s’introduisant dans le discours d’autrui exige un travail du texte difficile à réaliser. La question intéressante, pour une suite didactique, est de savoir s’il faut en déduire une difficulté à faire leur un rapport à la langue que les élèves n’ont pas généré au départ.

Concluons que la mise en œuvre, en fonction des situations, de ressources langagières diversifiées et le passage aisé entre les deux constituent un ensemble de compétences à retenir pour la suite et à valoriser.

6.3 Des compétences mises au service des stéréotypes

Le premier diaporama, réalisé par Elise et Nadjaa, projette l’univers du roman dans un imaginaire arabisant très homogène : photos d’un désert, de l’intérieur d’un palais, de plats pour un repas traditionnel, d’un troupeau conduit par des Bédouins et de deux personnages en gros plan, un jeune homme coiffé d’un keffieh et un regard féminin encadré par un niqab. Le texte produit est également explicitement tiré vers cet imaginaire en ajoutant des indications de lieu «Depuis le somptueux palais orné de mosaïques précieuses » et des expansions pour qualifier les personnages : « le prince des terres du sel, Kouame, un puissant et charismatique homme des palais d’Orient » et « Samilia,l’insaisissable princesse voilée au regard chavirant ». Ces deux portraits alliant texte et images soulignent la puissance de séduction d’un jeune couple dont on fait le centre du texte. Les échanges oraux qui ont eu lieu à l’intérieur du groupe, lors de la composition du Pecha Kucha, manifestent également ce fort investissement d’un imaginaire de la séduction et ce désir de lire, dans cette page de description d’une ville, une histoire d’amour, incarnée par des jeunes gens très beaux dans une Arabie fantasmée.

Le diaporama du deuxième groupe de trois filles, Juliette, Constance et Elka, s’avère beaucoup moins homogène, mêlant les décors perses, malaisiens ou africains. Mais, il met également le mariage au premier plan, en adoptant cette fois le point de vue du père : « Il ne pouvait espérer une union plus somptueuse et plus riche » et en gardant, à la fois dans le texte et les images, le souci de la description de la foule qui donne à l’évocation de ces préparatifs son caractère princier : « De longues colonnes marchandes venaient apporter des sacs innombrables de fleurs. Le nombre d’offrandes représente l’ampleur du mariage à venir ». Le diaporama se termine bien par la figure féminine, mise en valeur par l’illustration et le prolongement de la dernière phrase du texte (« Ils venaient assister au mariage de Samilia, la fille du Roi Tsongor ») par ce long ajout : « qui était de loin la fille la plus belle du royaume de Massaba. Elle s’était pour ce jour parée de bijoux issus de métaux rares et précieux ainsi que des pierres les plus scintillantes, sa robe laissait flotter derrière elle une traine immesurable au reflet doré qui rappelait la couleur de ses yeux ». Elka, lors d’un entretien réalisé en dehors des séances de classe, commente leur travail en ces termes : « On a imaginé une jolie princesse avec des vêtements très luxueux, surtout des matériaux nobles. On voulait qu’elle ait des pierres précieuses, de l’or parce que, comme on avait imaginé qu’elle aurait la peau mate, on pensait que la couleur or lui irait bien. On a voulu rajouter que c’était assorti à ses yeux. » À la question : « Est-ce que vous avez choisi l’image avant de fabriquer votre texteou l’inverse ? », elle répond : « On avait déjà pensé un peu à la description. On a regardé plusieurs images. Il y en avait plusieurs qui nous ont plu, mais celle-ci c’était surtout parce qu’il y avait des bijoux et de l’or. Et aussi parce que celle-ci avait un profil tellement… enfin c’était surtout qu’elle avait un joli visage ». Cette justification est alors présentée comme plus importante que le souci d’unité de l’imaginaire relevé dans cette première formulation « On voulait faire quelque chose d’uni, qui se ressemblait, mais on avait du mal, en fait ». Elle répond à la question « Avez-vous eu des discussions sur la photo à choisir ? » en précisant :

« Oui, on essayait de trouver quelque chose qui pouvait vraiment nous faire penser à l’environnement qui était décrit dans le livre, au décor. On imaginait quelque chose qui était un peu oriental ou africain, mais je ne sais pas pourquoi on est allé vers quelque chose de plus oriental. Je ne sais pas, peut-être que ça nous plaisait plus par rapport aux couleurs et aux détails. On est tombé là dessus et ça nous a fait penser aux Mille et une nuits, je crois. En fait, on aime bien les Mille et une Nuits, voilà. […] Parce que je crois que ça nous plaisait vraiment d’insister sur la manière dont on pouvait faire un mariage princier. Ça nous plaisait d’imaginer un peu les détails et … comment un mariage pouvait se faire ».

Les deux groupes de garçons, au contraire, ne font pas du mariage le thème central, ne le citant même que comme un exemple pour expliquer l’habillement du roi Tsongor dont on propose le portrait en image et en mots : « le roi Tsongor, ce grand roi qui porta la tenue des Kountabaf, une tribu du Nord-est saharien. Elle se transmettait entre gagnants du tournoi des royaumes, un triste tournoi arrêté depuis plusieurs décennies suites à de tragiques circonstances, elle ne se portait que pour les grandes cérémonies comme le mariage de la plus belle fille de Massaba ». Les Pecha Kucha d’Alexandre, de Tristan et Luka sont donc centrés sur les figures masculines. Le « prince des terres de sel » évoqué par Laurent Gaudé est ainsi amplifié : « C’était un noble cavalier, il chevauchait toujours les plus belles bêtes du royaume. Vêtu de sa tunique en soie tissée par les meilleurs tisseurs de sa cité, il arpenta plusieurs terres jusqu’à Massaba, la cité de Tsongor ». La figure féminine est introduite pour mettre en valeur l’héroïsme du personnage masculin : « Vêtu de ses plus beaux habits, les armes de ses ancêtres, pour faire honneur à son futur beau-père et bien entendu plaire aux yeux de sa future épouse, Samilia, il avait traversé d’innombrables distances, des longues plaines désertiques et arides pour retrouver sa promise ». La modalisation du « bien entendu » vient présenter le topo de la séduction comme une figure imposée finalement moins intéressante pour le déroulement du récit que l’aventure chevaleresque.

Les diaporamas de ces deux groupes ne proposent d’ailleurs aucune image de femme. Les remaniements du texte introduisent un imaginaire genré jusque dans les comparaisons :

« C’était comme un grand navire de contrebandiers qui déchargeaient leur cargaison » et vont jusqu’à l’invention de personnages secondaires masculins pour clore le Pecha Kucha : « Ses frères, accompagnés de leurs plus fidèles compagnons revinrent de la chasse avant le coucher du soleil ; selon la tradition, huit personnes chassent l’antilope jusqu’à la tombée des étoiles pour faire honneur à la mariée qui en fera partie ». Pour l’un des diaporamas, une série d’illustrations développe même le thème des guerriers en marche, dans un décor d’Afrique équatoriale très homogène.

Ces distinctions imposent la reconnaissance d’un investissement de l’opération de lecture différent selon les sexes, pour un texte d’auteur sollicitant fortement la rêverie personnelle. Elka le met en évidence, quand on l’interroge sur la possibilité de reconnaître son Pecha Kucha comme « féminin » : « Oui, je pense qu’il est assez féminin, parce qu’on a insisté sur des détails très esthétiques, des couleurs, des bijoux. On a fait des choix de passage aussi. Je crois qu’on a choisi des choses un peu féminines, enfin qui nous touchaient plus… Je crois qu’il y avait des scènes de guerre qu’on aurait pu utiliser et on n’en a pas du tout parlé. Après, ça dépend des individus. Il y a peut-être des garçons qui vont parler aussi des offrandes de fleurs et de Samilia, mais je pense que ce n’est pas quedu hasard si on a choisi ces moments ».

6.4 Les représentations de genre en situation d’écriture numérique

Nous l’avons annoncé en méthodologie, deux recueils de données ont permis une analyse des représentations de ces élèves en matière de lien entre l’écriture et leur identité sexuée : des entretiens individuels et des questionnaires sur les pratiques d’écriture non scolaires (Penloup, 1999 ; Joannidès, 2014). La différence de genre n’a pas d’impact sur les résultats.

Tout d’abord, les questionnaires montrent une capacité plus grande des élèves à distinguer des pratiques d’écriture non scolaires sur papier plutôt que sur support numérique : les mêmes questions (« En dehors du lycée, as-tu déjà écrit : un journal intime ? des poèmes ? des listes ?… ») obtiennent des réponses plus variées et plus nombreuses quand on ne précise pas le support : « sur ordinateur ou téléphone portable ». Les « listes » et les « idées » vont jusqu’à recueillir 10 réponses positives, alors qu’aucune question relative aux écrans n’obtient plus de 5 réponses positives. Un enquêté coche toutes les cases, 3 enquêtés ne cochent aucune des cases de cette section relative aux types d’écrits produits sur écrans, alors qu’ils renseignent de manière abondante la section suivante qui portent sur leur fréquentation de « blogues », « compte Twitter », « Facebook », etc., les réponses les plus abondantes concernent l’écriture actuelle de SMS, la fréquentation de moteurs de recherche, la possession d’un téléphone portable, d’une adresse courriel et d’un compte Facebook. Cette analyse permet de confirmer la pertinence d’une entrée « écriture numérique » générale, différente des écritures manuscrites, et qui ne fonctionne pas selon les mêmes catégories distinctives de types d’écrits que sur les supports papier. Il est même possible d’avancer l’hypothèse d’un déplacement générique vers des formats induitspar les logiciels, qui dépassent l’idée d’une écriture « numérique » modélisée par les outils (par exemple, le type d’écran) pour aller vers la reconnaissance d’une modélisation par les formats des logiciels. Les élèves sont plus réceptifs à des questions qui les amènent à distinguer, dans leur pratique personnelle, une écriture Twitter d’une écriture Facebook, par exemple. Certains formats s’avèrent d’ailleurs délaissés explicitement : seul 1 élève dit écrire sur des forums et 2 posséder un blogue.

Il est d’autant plus intéressant de mettre ces réponses en corrélation avec les réponses orales retranscrites à partir d’un entretien individuel avec J.-C., un jeune homme réservé qui accepte de nous confier qu’il écrit des poèmes sur un blogue. Ce choix du blogue apparaît donc comme une exception dans la classe, contrairement à sa pratique parallèle de Facebook, par exemple. Il l’investit explicitement comme un support successif à l’écriture d’un premier jet sur papier qui participe à la composition du poème : « Je dirais : sur papier, c’est le brouillon, après sur l’ordinateur, je remets tout bien en place ». Il souligne dans un second temps l’enjeu de la diffusion comme le moteur de sa pratique du blogue. Et précise : « J’ai des commentaires positifs, négatifs aussi. C’est constructif ». À la question : « Est-ce que, de temps en temps, tu tires parti des commentaires, pour tes poèmes suivants par exemple ? », il répond : « Pas tout le temps, parce que moi, j’ai mon style, donc je n’obéis pas forcément à la critique ». Cette pratique lettrée d’Internet, à la fois consciente d’un atout du numérique pour la composition du texte et assez sûre de son style pour faire la différence entre des réactions de lecteurs et une perspective d’écriture collaborative, est-elle référée par ces élèves à une pratique genrée ? Elka, interrogée à son tour sur l’assimilation d’usages distincts d’Internet selon que l’on adopte « une attitude de fille ou une attitude de garçon », s’exclame :

E : Alors là, franchement, je ne peux pas dire que c’est une attitude de fille particulièrement. Ça dépend, moi j’ai beaucoup d’amis qui ont des blogues, d’amis garçons et d’amies filles. Donc, après, ça dépend de la personnalité de chacun. JC, par exemple, fait un blogue. C’est des gens qui sont sensibles à des choses artistiques ou littéraires. Je ne pense pas que ce soit… qu’il y ait plus de filles qui aient des pratiques sur Internet.

AM : Est-ce qu’on pourrait faire une différence entre Facebook et un blogue ?

E : Ça, je sais que tous les… que beaucoup de garçons ont Facebook, ça c’est sûr. Même des garçons qui n’ont pas forcément de blogue. Peut-être qu’il y a plus de garçons qui ont Facebook que des blogues. Mais les filles, j’en connais beaucoup qui n’ont que Facebook aussi, ou que des blogues. En fait, ça dépend des individus, ça.

Interrogée sur ses propres habitudes de fréquentation d’Internet, qu’elle désigne plutôt comme lectorales (« J’y vais surtout pour me documenter, pour m’informer, mais je ne produis pas grand-chose sur Internet, en fait »), elle accepte davantage de les référer à une identité féminine, en nuançant le propos :

E : Oui, ça m’arrive d’aller voir des choses — qui peuvent plaire à des garçons sûrement aussi — mais moi, j’aime bien regarder des blogues où il y a des jolies photos, des blogues d’inspiration, et ça, je pense que ça plaît plus aux filles.

AM : Des « blogues d’inspiration », c’est-à-dire ?

E : Des blogues où il y a des jolies photos, des choses qui font rêver […]. Après il y a aussi des blogues de créateurs qui m’inspirent parce que je m’intéresse aussi à la mode.

AM : Par exemple, que regardes-tu comme blogue de créateurs ?

E : Euh… Je regardais un blogue… mais c’est vraiment « fille » ! C’est une Américaine qui s’appelle… enfin son blogue s’appelle The Man Repeller, ça veut dire

« le répulsif des garçons ». Et en gros, voilà, c’est des vêtements, des tenues qu’elle a achetés. Ça me plaisait plus quand j’étais plus jeune.

La conscience d’une distinction de genre marquée par les stéréotypes entraîne chez Elka une certaine réticence dans l’aveu, qu’elle préfère exprimer au passé. Ses représentations diffèrent manifestement entre la production d’écrits personnels sur Internet qu’elle refuse d’assimiler à une pratique genrée et la consommation d’images ou de textes produits par les autres qui ont tendance, pour elle, à accentuer les identités sexuées, jusqu’à assumer les stéréotypes de genre comme une revendication.

7. Conclusion

Les principaux résultats de cette recherche qualitative peuvent se synthétiser par quelques points saillants. En premier lieu, au cours des différentes situations d’écriture, les lycéens ont montré de quel ordre pouvait être leur aisance rédactionnelle, liée à une représentation de l’écriture (manuelle et numérique) comme un outil de construction individuelle, permettant l’expression de situations vécues. Les élèves sont manifestement prêts à faire part de leur imaginaire en situation d’écriture personnelle, mais aussi en situation de prolongement d’un texte d’auteur. L’expérience des Pecha Kucha, à partir d’un extrait de roman à caviarder et illustrer, signe une capacité manifeste à entrer dans l’univers fictionnel d’un auteur, jusqu’à se l’approprier et accepter de montrer des différences d’interprétation. Le contexte de raccrochage nous a paru générer une maturité rédactionnelle qui se repère dans ces différentes situations d’écriture. Elle se manifeste d’autant mieux que les propositions scolaires, c’est-à- dire vécuesdans le cadre d’un établissement scolaire, s’écartent de types d’écrits académiques facilement identifiables comme tels par les élèves. Le décalage généré par l’invention de formats créatifs (contrainte d’écriture élaborée non par le seul enseignant, mais par le groupe choisissant les mots à imposer ; autorisation de raturer, modifier, prolonger un texte d’auteur dont on a pris la mesure à l’échelle d’une lecture intégrale) a permis de libérer des compétences linguistiques, discursives, rhétoriques et plus généralement de représentations esthétiques. La différence de supports (papier ou numérique) n’est alors pas apparue comme un critère distinctif, modifiant ce résultat.

Deuxième point saillant à relever, le caviardage du texte d’auteur pour la création de Pecha Kucha montre une propension à la diffusion de stéréotypes de genre qui ne se rencontrent pas dans les textes personnels. On peut penser que, contrairement à un écrit créatif libre de son expression, c’est l’emprunt imposé des phrases ou des pensées des autres qui a tendance à générer des stéréotypes de genre dans la situation d’écriture la plus proche d’une opération de lecture (la situation les renvoyant à la manifestation de ce qu’ils avaient compris à la lecture intégrale de La mort du roi Tsongor). Des stéréotypes sont aussi produits dans la première situation, sur mots imposés, et renvoient à un imaginaire littéraire (sur l’écriture en général, le roman et l’autobiographie en particulier), mais ils ne correspondent pas à une différence genrée. Ils sont à compléter par ce qui a été recueilli en entretiens individuels sur les pratiques d’écriture numérique hors d’un cadre scolaire, sans possibilité, là encore, de conclure à une distinction genrée dans les stéréotypes véhiculés. Nous avons relevé en particulier un attachement que nous n’avions pas prévu à l’écriture-papier, et qu’il est possible d’articuler à la position de raccrochage scolaire pour l’obtention d’un baccalauréat littéraire. L’extrait suivant résume assez bien ce point de vue :

JC : Moi je suis beaucoup sur Facebook. Ça ne m’empêche pas de me mettre hors du numérique. Moi, je considère que le papier, c’est personnel, justement. J’ai vu à la télé, justement, que les « primaires » ont déjà des tablettes, enfin … J’ai un point de vue un peu négatif.

AMP : Sur le numérique ? Tu trouves qu’il vaut mieux rester à une écriture papier ?

JC : Pas forcément, mais, au primaire, rester sur papier.

Concernant quelques pistes de recherches, deux problématiques nous retiennent et nous conduisent plus directement sur le terrain de l’institution scolaire et renvoient à des hypothèses à mettre à l’épreuve de nouvelles données.

De manière générale, dans le domaine de la socialisation/individuation, des études en psychologie sociale (Toczek & Martinot, 2004) comme en sociologie (Duru-Bellat et Marin, 2010 ; Duru-Bellat, 2011) avancent l’idée que la mixité àl’école a un effet de sur-construction des rôles genrés des garçons et des filles, l’identité se focalisant contrastivement sur des stéréotypes de genre. Cette différenciation genrée se construit et se manifeste fondamentalement par le biais des usages langagiers, oraux et écrits (Eckert, 2014). Notre recherche montre, en effet, que la différenciation genrée se dissipe au fur et à mesure que les productions demandées aux adolescents s’éloignent d’un contexte institutionnel pour aller vers un contexte social investi de manière différente. Cette hypothèse serait à travailler avec d’autres données que celles en notre possession aujourd’hui.

Reste, comme seconde piste, une question didactique, dont nous rappelons l’importance dans nos objectifs finaux, car elle émane, avec une certaine urgence, de la demande de notre terrain, celui du raccrochage scolaire. Nous avons pu identifier des compétences et des postures face aux différentes situations de production dont nous ne soupçonnions pas l’ampleur. Sont-elles utiles, et pour certaines transférables, aux écrits académiques et à quelles conditions ? Autrement dit, dans quelle mesure le déjà-là des jeunes peut-il servir de tremplin à une appropriation des usages académiques requis pour une réussite scolaire ?

Notes
  1. Fédération des Établissements Scolaires Publics Innovants, conventionnée MEN (fespi.fr). ↩︎
  2. « L’écriture et les facteurs de décrochage/raccrochage scolaires », journée d’études du GGR DEAR, coord. par M.-C. Penloup et A. M. Petitjean, le 27 mai 2016, ESPE de l’Académie de Rouen : http://espe.univ- rouen.fr/journee-d-etude-l-ecriture-et-les-facteurs-de-decrochage-raccrochage-scolaires-519658.kjsp. ↩︎
  3. Note de l’OCDE (2015/03), repéré à oecd-ilibrary.org. ↩︎
  4. http://pilparis.org/decouvrir/micro-lycee/. ↩︎
  5. Remerciements à Ingrid Duplaquet (professeure de français et coordinatrice de l’équipe) et Hélène Thammavongsa (professeure de S.E.S) pour leur collaboration. ↩︎
  6. Remerciements à Patrick Goujon, écrivain en résidence Ile-de-France ; cf. http://remue.net/spip.php?rubrique962. ↩︎
  7. Liste des mots choisis par le groupe d’élèves : « Inconnu, putréfaction, justice, égalité, atmosphère, panache, gri-gri, responsable, proximité, révolution, misérable, voyage, au-delà, camelote, macchabée, clématite, adrénaline ». ↩︎
  8. ↩︎
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