Volume 4 / Les pratiques et compétences (trans-) littéraciques

Pratiques translittéraciques des jeunes: genre et création hybride/multimodale

Moniques Richard
Université du Québec à Montréal
Nathalie Lacelle
Université du Québec à Montréal

Résumé

Dans cet article, nous nous intéressons à la place du genre dans les pratiques translittéraciques informelles des jeunes. Nous examinons la réception/création de productions culturelles par des adolescentes et des adolescents à l’aide de la métaphore du mixage de cultures et des concepts d’hybridation et de multimodalité. Notre objectif est de répertorier et d’analyser les pratiques de création de ces jeunes en tenant compte de l’identification ou non à un genre. Pour cela, nous avons procédé à une enquête auprès de 200 adolescents et à une étude de cas. Les résultats préliminaires démontrent que les intérêts, les pratiques et les compétences des jeunes s’insèrent et se modulent dans une série de continuums. Nous concluons sur la nécessité de penser également le genre comme une continuité sur une échelle de valeurs graduée plutôt qu’une polarité entre deux états opposés, tout en cernant le statut de création des productions culturelles des jeunes.

Abstract

In this article, we focus on the place of gender within informal transliteracy practices performed by youth. We examine the reception and creation of cultural productions by adolescents using the metaphor of cultural mixing and hybridization concepts, as well as multimodality. Our objective is to identify and analyze the creative practices of these young people, taking into account the identification, or not, with a particular gender. For this we conducted a survey of 200 adolescents and a case study. Preliminary results show that the interests, practices and skills of young people fit within, and are integrated into, a series of continuums. We conclude with the need to also think about gender as a continuum on a scale of graduated values rather than a polarity between two opposite states, while also identifying the status of the creation of cultural productions for young people.

Mots-clés
translittératie, culture des jeunes, place du genre, hybridation, création multimodale

Keywords
translitteracy, youth culture, gender issues, hybridization, multimodal creation
Citer
Pour citer
Richard, Moniques et Lacelle, Nathalie (2016). Pratiques translittéraciques des jeunes: genre et création hybride/multimodale. Revue de recherches en littératie médiatique multimodale, 4.

1. Introduction

Actuellement, les jeunes sont constamment sollicités par des offres de consommation culturelle diversifiées, ainsi que par des branchements technologiques de plus en plus mixtes et mobiles. Leurs pratiques artistiques et littéraciques se trouvent transformées par l’émergence de processus de création recyclés ou combinés pour en faire de nouveaux : appropriation d’images, détournement d’objets, remixage de sons, d’images ou de textes, invention de codes, transposition d’univers narratifs, immersion fictionnelle, métissage des fonctions utilitaires et symboliques, etc. Cette « culture de l’hybridation » (Molinet, 2006) s’appuie sur des moyens d’expression qui mobilisent simultanément ou en séquence plusieurs modes, langages et médias à partir de supports variés (Kress et van Leeuwen, 2001; New London Group, 1999; Lacelle, Lebrun, Boutin, Richard et Martel, 2015). Elle bouscule les modalités de la pédagogie dite « classique » (Buckingham, 2003), fondée sur un enseignement plutôt monodisciplinaire, et incite de plus en plus les chercheurs et les enseignants « à créer des passerelles » entre les disciplines. Elle perturbe aussi les perceptions et les pratiques liées au(x) genre(s), comme le clivage entre féminin et masculin ou les distinctions entre types de production, comme la poésie et le reportage.

Le concept de translittératie nous permet de tenir compte du processus hybride et multimodal de création des jeunes sur des supports multiples et variés. Le contexte de la culture de l’hybridation nous amène à questionner le mouvement et les trajectoires parfois insaisissables de la création. Les pratiques artistiques des jeunes ont l’avantage de donner forme à cette hybridité, ce qui, en recherche, facilite leur observation.

Dans le cadre du projet de recherche Hybridité, multimodalité et pratiques de création informelles des jeunes1, quelques membres issus des disciplines des arts ou des langues ont choisi d’aborder ensemble la question du genre en lien aux pratiques translittéraciques de réception et de création chez des adolescentes et des adolescents québécois. Bien que cette question ne se soit pas posée en amont de la recherche, les données recueillies lors d’une première enquête et d’une étude de cas nous permettent de dégager des lieux de comparaison entre les garçons et les filles quant à leurs intérêts culturels, leurs pratiques de réception/création et leur acquisition de compétences translittéraciques et multimodales. L’objectif général de notre recherche est de répertorier et d’analyser divers types de pratiques de création informelles chez les jeunes et de proposer un cadre d’analyse de ces pratiques. Dans ce volet exploratoire de la recherche, notre objectif consiste à examiner plus spécifiquement ces pratiques en tenant compte de l’identification à un genre.

Nous explorons d’abord la problématique du genre en la situant sur un continuum entre la différenciation et la fusion générique; puis, nous la situons par rapport aux pratiques translittéraciques. Nous proposons ensuite un cadre d’analyse des pratiques de réception/création des jeunes à partir de la métaphore du mixage de cultures (Cjing) ainsi que des concepts d’hybridation et de multimodalité. Puis, nous présentons l’approche méthodologique de la recherche, les résultats d’une enquête et l’analyse de cas sous le prisme du concept de genre. Enfin, nous proposons quelques réflexions sur le statut de créateur des jeunes, avant de conclure sur le besoin d’adopter des stratégies inclusives qui transcendent les genres en éducation.

2. Problématique

2.1 Le genre : entre différenciation et fusion

Notre intérêt pour la question du genre est originaire de nos analyses de pratiques informelles de création de garçons et de filles (Richard, 2012 ; Richard et Lemerise, 2012 ; Lacelle et Richard, 2016 ; Richard, Lacelle, L’Homme et Charrette, 2015), de nos observations de parents d’adolescents et de nos expériences d’accompagnement d’enseignants en contexte scolaire. Il relève aussi d’une confusion sur le genre dans tous les sens du terme.

Dans son sens usuel, le genre désigne le concept de classification basée sur la présence de caractéristiques communes (espèce, sorte, forme, groupe, variété, nature, race) ; il signifie l’appartenance à une catégorie (classe, domaine, famille ou type) ; il peut être relié à l’allure (air, look, aspect, touche, style) ; révéler un goût (effet, ton); préciser ou illustrer un propos (« par exemple… », « du style… ») (dict.xmatiere.com). En sociologie et en psychologie, il nous ramène à la condition humaine comme être sexué, « influencée par les aspects psychologiques, comportementaux, sociaux et culturels faisant partie du vécu d’une personne » (Le Grand dictionnaire terminologique). Dans le domaine des arts et des langues, il renvoie à « l’agencement de la matière langagière » (Veron, 1985, p. 13) qui permet de classifier des productions culturelles par formes, sujets, effets, etc.

La traduction du concept à partir du domaine des gender studies ajoute à la confusion terminologique puisque, dans la langue française, on ne distingue pas gender de genre. Il s’agit donc d’un concept trouble et complexe, relié tant à l’être comme sujet qu’à la matière comme objet. Il permet à la fois la différenciation entre des termes opposés et le glissement entre des termes contigus; entre les genres, il adopte de nombreuses valeurs qui vont jusqu’à la fusion, qu’on pense entre autres aux notions de « multigenre » et de « transgenre » que les limites de la recherche ne nous permettent pas d’élaborer. Il faudrait donc pouvoir situer, virtuellement et à divers degrés, des phénomènes de genres hybrides tels que le métissage identitaire culturel (Gambier, 2011), une identité associant le masculin et le féminin (Andrieu, 2014 ; Butler, 2006), la figure du cyborg faisant corps avec ses extensions technologiques (Hayles, 2012 ; Richard, 2007), très populaire chez les jeunes, ou toute autre production matérielle puisant à plusieurs genres.

Dans les domaines de la sociologie, de la psychologie et des sciences cognitives, mais aussi de l’éducation, de nombreuses études portent sur les différences entre filles et garçons. Par exemple, Baron-Cohen et Hammer (1997) distinguent deux types cognitifs relatifs au genre : le type empathique, que l’on retrouve plus fréquemment chez les filles, et le type systémique, plus commun chez les garçons. Cependant, les limites de ce volet de notre recherche ne permettent pas de faire une recension exhaustive des aspects de cette typologie ou d’autres, qui nous semblent quelque peu réducteurs s’ils ne sont pas examinés dans toutes les déclinaisons possibles. Notons d’ailleurs que les pratiques numériques des jeunes sont de moins en moins différenciées selon le genre, que ce soit, par exemple, en ce qui concerne l’accès à l’ordinateur et son utilisation, de plus en plus égalitaires entre les filles et les garçons (Livingstone et Helsper, 2007), ou l’intérêt grandissant des filles pour les jeux vidéo (Flanagan, 2005). Dans le domaine des arts, des recherches portent entre autres sur les stéréotypes associés au genre dans les médias (Chung, 2007), l’équité entre genres (Pariser et Zimmerman, 1990 ; Keifer-Boyd, 2010) ou les distinctions de genre dans les activités artistiques (Chalmers et Dancer, 2007 ; Duncum, 1999 ; Savoie, 2008; Vira, 1996). Selon des études québécoises, les filles manifestent plus d’intérêt pour les arts à l’école, bien que la motivation pour cette matière scolaire diffère peu selon le sexe de l’élève (Savoie, Grenon et St-Pierre, 2012; Savoie, 2009). Dans le domaine des langues, des études sur le genre portent surtout sur l’acquisition différenciée de compétences en littératie lors de pratiques formelles ou informelles (Jones et Myhill, 2007 ; Rowsell et Kendrick, 2013 ; Sanford et Madill, 2007 ; Penloup et Joannidès, 2014).

De ces écrits, nous retiendrons certains paramètres qui ont trait au genre et qui s’intègrent dans notre métaphore du Cjing, inspirée d’une console de mixage comme celle d’un disque-jockey (DJ). Nous y reviendrons dans notre cadre d’analyse présenté à la troisième section (voir 3.1).

2.2 Les pratiques translittéraciques des jeunes

Nous estimons qu’une grande partie des pratiques informelles de mixage culturel des jeunes se déroule dans l’espace translittéracique. Le terme « translittératie » désigne habituellement l’ensemble des compétences d’interaction mises en œuvre par les usagers sur tous les moyens d’information et de communication disponibles : oral, textuel, iconique, communicationnel, numérique, etc. (Serres, 2012). Il se différencie de la « multilittératie » (Anstey et Bull, 2006 ; Cope et Kalantzis, 1999 ; Tyner, 1998) par la prise en compte du mouvement et des trajectoires incluses dans les pratiques translittéraciques des jeunes en contexte de culture de l’hybridation. Le préfixe « trans » suggère la capacité de chacun à transférer des acquisitions antérieures dans divers environnements et contextes informationnels ou techniques. Dans le domaine des langues, le concept de translittératie est fortement inspiré de la définition de Thomas et al. (2007), soit l’habileté à lire, écrire et interagir par le biais de plateformes et de moyens de communication multiples. Au croisement du domaine des arts et des langues apparaît l’idée de l’hybridation des littératies (Delamotte, Liquète et Frau-Meigs, 2014 ; Serres, 2012), soit la mise en œuvre d’un ensemble de moyens (techniques et sémiotiques) sur différents supports pour construire et produire du sens.

Pour orienter notre problématique, nous proposons d’utiliser la translittératie pour examiner divers mouvements et trajectoires, soit les divers passages de la réception à la création (ou production), d’un mode sémiotique à l’autre, du monomodal au multimodal, d’un support à l’autre, du privé au public, de l’analogique au numérique. Puisqu’on a longtemps parlé de fracture sociale fondée sur l’accès aux technologies, puis de fracture des usages, nous pensons qu’il faut aussi se questionner sur une différenciation possible des pratiques de création numérique en fonction des sexes. Nous tenterons donc de susciter une réflexion autour des questions suivantes : quelles sont les pratiques de création/réception répertoriées chez les adolescents ? Existe-t-il des différences entre les parcours translittéraciques des garçons et des filles ? Le statut de création des productions culturelles des jeunes est-il approprié dans le contexte actuel ?

3. Cadre d’analyse

Pour répondre à nos questions de recherche, nous utilisons un cadre mixte qui puise à de multiples théories abordées dans plusieurs champs. Dans le but de mieux comprendre les transformations dans les pratiques de création de jeunes, nous utilisons d’abord la métaphore du Cjing, une approche qui nous semble adaptée à la réalité actuelle de la jeunesse et au contexte d’une culture de l’hybridation. Nous explorons également la complémentarité entre hybridation et multimodalité, art et littératie, création et réception, considérant à la fois l’expérience esthétique, les objets sémiotiques et les genres. Dans cet article, nous mettons surtout l’accent sur l’hybridation et la multimodalité pour mieux comprendre les pratiques de création des jeunes.

3.1 Le Cjing : croisement de concepts, de pratiques et de cultures

Le Cjing est un néologisme de notre cru. Nous nous sommes inspirées du travail du Djing ou Vjing, c’est-à-dire du mixage de sons ou d’images numériques, performé en temps réel. Les opérations du disque ou vidéo-jockey sont généralement performées lors d’événements festifs tels que des concerts de musique populaire (Wikipédia). Cette métaphore nous permet d’explorer les croisements de concepts, de pratiques et de cultures du point de vue du culture-jockey (CJ) : soit celui des jeunes (en situation de réception ou de création, voir fig. 1), mais aussi des chercheurs (en situation d’analyse de ces créations).

Figure 1 – Métaphore du Cjing (Remixage d’images, Moniques Richard, 2016.)

Imaginons la figure du CJ attablé à sa console : à l’aide de tabulateurs, il entre des données fixes ou variables : âge, durée, quantité, grandeur… Il active des sources modales variées et re/configure leurs codes : couleur, texture, mouvement… Il manœuvre des capteurs, modulateurs ou diffuseurs de sons, d’images, de textes et de gestes. Il manipule des potentiomètres le long de curseurs pour amplifier, atténuer, superposer ou fondre les signaux de diverses provenances. Il applique des filtres ou des calques selon le style souhaité. On peut insérer plusieurs continuums ou échelles de valeurs sur cette table de mixage : nature/culture, humain/machine, féminin/masculin, jeune/vieux, favorisé/défavorisé, néophyte/spécialiste, empathique/systémique, privé/public, différenciation/fusion, réalité/fiction, analogique/numérique, etc. (voir fig. 2). Ces manipulations se déroulent dans l’espace réel; elles permettent de générer des séquences de réception ou de création dans le contexte ambiant qui possède lui-même ses propres caractéristiques matérielles, et de les enregistrer sur des supports variés.

Figure 2 – Continuums sur la console de mixage

Malgré les limites inhérentes à tout modèle, nous pensons qu’une telle métaphore peut faciliter l’analyse des pratiques. Elle permet de visualiser un ensemble de paramètres sans trop les soumettre à des dualités ou à des stéréotypes réducteurs. Elle encourage les modulations d’une position à l’autre.

3.2 Pratiques hybrides/multimodales de réception/création

L’hybridation est un processus complexe qui implique diverses opérations (Berthet, 2002), telles que l’appropriation, le piratage, le recyclage, le braconnage, le détournement, le collage, le bricolage, l’échantillonnage, le mixage, l’incrustation, la fragmentation, la fusion, le brouillage, la transposition, la mutation. Elle trouve son origine dans la création de figures par hybridation (Molinet, 2006, 2012), pensons aux monstre, chimère, fée, mutant, zombie, métis, androgyne, clone, avatar, cyborg… ainsi que leurs mondes altérés, puisant à la fois dans le réel et dans l’imaginaire. Elle entraîne la constitution de nouvelles formes et grammaires de formes (Molinet, 2006) comme la performance, l’art furtif, l’art réseau, le multimédia ou encore, la liste, la collection, le cabinet de curiosité, le dispositif interactif. Elle implique aussi le croisement de fonctions (utilitaire, symbolique, critique, esthétique…) ainsi que le recyclage, à des fins créatrices, de valeurs et de pratiques provenant de différentes cultures (savantes, vernaculaires, de consommation…) (Bourriaud, 2002 ; Couchot, 2003; Greene, 2005).

Les pratiques multimodales se caractérisent par la présence de différents modes combinés : iconique, linguistique, gestuel, cinétique et auditif. Les recherches du Groupe en littératie médiatique multimodale ont permis d’identifier quatre niveaux de réception/production multimodales qui prennent racine dans la nature des multitextes et les modalités de réception/production qui leur sont propres : les combinaisons codiques (couleur, angle de prise de vue, mouvement, etc.), les combinaisons modales (images, son, texte, cinétique), les combinaisons langagières (œuvre première et ses adaptations sur différents supports) et les combinaisons médiatiques et multimédiatiques (hypermédia, transmédia pouvant contenir de la vidéo, de l’image, du texte et des hyperliens vers d’autres documents médiatiques) (Lacelle et al., 2015).

En ce qui concerne les pratiques de création hybride/multimodale, nous entendons par là les manières d’agencer des éléments sensoriels/sémiotiques provenant de diverses sources pour évoquer un certain rapport au monde (Deleuze, 1975 ; Richard, 2000 ; Kress et van Leeuven, 2001), que ce soit en filiation ou en rupture avec des références culturelles partagées. Ces « recompositions » s’appuient sur des activités de réception culturelle dont les pratiques (et les

parcours) peuvent être plus ou moins différenciées en fonction du genre. L’acte de création se transforme en expérience sensible par le partage (Bourriaud, 2001 ; Rancière, 2000 ; Richard, 2000). Il engage donc un nouvel acte de réception. En art, il implique aussi une dimension critique qui va au-delà de l’information ou de la communication d’un message; il s’inscrit ainsi en rupture avec la culture dite conquérante (Moreau, 2011 ; Richard, 2015).

4. Méthodologie et résultats

Notre recherche s’insère dans une approche ethnographique et sociosémiotique. Pour ce volet, nous avons utilisé les résultats d’une première enquête sur les pratiques culturelles informelles, réalisée en 2014, auprès de plus de 200 jeunes âgés entre 14 et 16 ans de la région de Montréal. Nous avons également repris une étude de cas auprès de deux filles et un garçon de ce même groupe d’âge; nous avons revu des entretiens semi-dirigés, des notes d’observation de pratiques et des corpus de productions culturelles. Nous avons analysé ces données à la lumière de la problématique posée plus haut et à l’aide de notre cadre d’analyse.

4.1 Analyse de questionnaires d’enquête en fonction du genre

Quelles sont les pratiques de réception/création répertoriées chez les adolescents ? Pour répondre à cette question initiale de recherche, nous présentons quelques constats provenant de l’analyse des questionnaires. Nous relevons les données significatives quant aux pratiques en fonction du genre.

En ce qui a trait aux activités de consommation culturelle sur Internet (voir fig. 3), nous avons constaté une consommation à peu près égale, soit un peu plus chez les garçons, pour l’écoute de musique et le visionnement de films (76 % (G) / 69 % (F)) en ligne. Les garçons sont aussi plus nombreux sur les réseaux sociaux (79 % (G) / 72 % (F)), mais ils y consacrent moins de temps. Questionnés sur leurs activités en fonction de la durée, la majorité des jeunes dit communiquer d’une à cinq heures par semaine sur les réseaux sociaux. Parmi ces derniers, on retrouve 61 % des garçons sondés et 42 % des filles sondées. Sinon, on remarque qu’il y a plus de filles qui utilisent les réseaux sociaux à raison de plus de cinq heures par semaine. On observe la même tendance pour l’échange de courriels ou de textos (76 % (G) / 74 % (F)). Presque le double de garçons consulte des sites sur le sport (67 % (G) / 36 % (F)), presque le triple joue à des jeux (73 % (G) / 11 % (F)), et ce, majoritairement d’une à cinq heures par semaine, mais on retrouve tout de même 20 % de ceux-ci qui affirment jouer de six à dix heures par semaine et près de 15 %, plus de dix heures par semaine. Les garçons sont un peu plus nombreux à s’informer (48 % (G) / 39 % (F)). Garçons et filles consultent à proportion égale des tutoriels. Ils sont aussi nombreux à faire des travaux d’école en ligne (mais plus nombreux à faire du travail collaboratif), tout en y dédiant moins de temps. Ils téléchargent à proportion égale de la musique et des films (64 % (G) et (F)).

Figure 3 – Pratiques de réception sur Internet (Tous les tableaux (fig. 3 à 5) ont été compilés à partir des questionnaires par Antoine Charrette, 2015.)

Nous avons également questionné les jeunes sur leurs pratiques de réception multimodales et multimédiatiques en posant la question suivante : « lorsque vous vous intéressez à une histoire, est-ce que vous aimez voir ses adaptations à la télé, en film, en roman, en jeu vidéo ? » Selon notre enquête, 72 % des filles et 60 % des garçons aiment poursuivre l’expérience d’une histoire sur d’autres supports (téléfilm, roman, jeu vidéo…). Entre autres, les filles s’intéressent particulièrement à l’univers de Hunger Games, de l’auteure Suzanne Collins, et à ses multiples adaptations (34 filles).

À la question « faites-vous, oui ou non, des activités de création à la maison ou ailleurs, mais en dehors de l’école ? » (voir fig. 4 et 5), les filles sont presque deux fois plus nombreuses à affirmer réaliser des créations informelles pour une proportion de 57 % contre 28 % chez les garçons. Par contre, les différences s’amenuisent lorsqu’on ne tient compte que des productions sur support numérique.

Dans le cas des activités de création analogique avec ou sans extension numérique, c’est-à-dire des productions traditionnellement analogiques comme la photographie ou la peinture, qui peuvent se combiner avec le mode numérique, en tout ou en partie (voir fig. 4), nous avons fait les constatations suivantes : les filles sont deux fois plus nombreuses à créer des images en 2D; la photo est l’activité la plus populaire (près de 40 %), suivie de dessin/peinture (27 %). On retrouve donc une dominance du mode visuel. Les filles sont aussi deux fois plus nombreuses à créer de la musique originale (21 %), à inventer des chorégraphies (25 %) et aussi nombreuses à imaginer des histoires (12 %). Elles sont les seules à s’intéresser au tricot (6 %) et à l’écriture d’un journal intime (14 %). Le dessin et la peinture sont les activités les plus populaires chez les garçons (15 %). Ces derniers sont nettement plus nombreux à bricoler, fabriquer des objets ou des jeux, même si ces chiffres demeurent modestes (près de 14 %).

Figure 4 – Pratiques de création analogique avec ou sans extension numérique

En ce qui concerne les activités de création qui sont exclusivement numériques (voir fig. 5), les filles sont cinq fois plus nombreuses à tenir un blogue, avec une dominance plus affirmée du mode textuel. Un peu plus de garçons font des films ou des animations (3D) (12 % (G) / 10 % (F)). Les deux sexes sont à proportion presqu’égale pour le mixage de sons, donc avec une dominance multimodale.

Figure 5 – Pratiques de création numériques

Figure 5 – Pratiques de création numériques

À la lumière de ces résultats, pour ce qui est de la consommation de produits culturels (livre, musique, film), on constate que les filles et les garçons semblent y passer autant de temps : tous consomment majoritairement ces produits à raison d’une à cinq heures par semaine. On remarque une proportion légèrement plus importante de consommateurs masculins que de consommatrices. Cependant, jouer à des jeux en ligne s’avère toujours être une activité majoritairement pratiquée par les garçons. Quant à l’univers de la fiction textuelle et cinématographique, il semble plus attrayant pour les filles que celui du jeu vidéo. Pour ce qui est de la création, on constate que deux fois plus de filles affirment s’y adonner. Toutefois, il faut noter que notre enquête ne nous permet pas de discerner précisément la proportion de jeunes qui créent par rapport à ce qu’ils consomment. De plus, la perception même de ce qu’est la création pour les jeunes (ou pour les chercheuses) peut modifier les résultats.

4.2 Étude de cas

Toujours en lien à notre première question, nous revisitons trois cas, ceux de deux filles (Richard, Lacelle, Faucher et Lieutier, 2015 ; Richard et Lacelle, 2016) et d’un garçon (Richard, 2012 ; Richard, Faucher et Thompson, 2016). Cela reflète d’ailleurs la proportion garçons/filles s’adonnant nommément à la création (deux fois plus de filles). Plusieurs aspects ont été abordés lors des entretiens avec les jeunes (voir fig. 6). Ils recoupent certains contenus du questionnaire d’enquête présenté à la section précédente, qui portent sur les intérêts culturels spécifiques des jeunes, le développement de leurs pratiques de création ainsi que le contexte dans lequel elles sont réalisées, de même que la motivation des jeunes et leur acquisition de compétences.

Figure 6 – Aspects traités lors des entretiens avec les jeunes

Le cas de Zola

Profil et intérêts culturels
Lors de notre étude, Zola est une jeune fille âgée de 13 à 16 ans. D’origine ethnique mixte, elle est issue de la classe moyenne. Ses parents travaillent dans le monde de la mode. Zola s’intéresse surtout à ce monde. Elle consulte le web à ce sujet, assiste à des défilés et travaille, depuis tout récemment, comme pigiste pour un magazine. Elle aime écouter de la musique, visionner des séries et des films comme 30 Vies, Mr. Selfridge et des animés de Miyazaki, mais aussi des conférences TED. Elle lit des classiques comme Proust et des BD telles que Mafalda.

Création/réception
Dans sa pratique de blogueuse qui se poursuit depuis l’âge de 13 ans, Zola explore des représentations de soi inspirées par l’univers médiatique de la haute couture et du prêt-à-porter. Dans ses billets, elle privilégie le mode visuel pour illustrer des défilés ou créer des outfits, qu’elle accompagne du mode textuel pour communiquer des informations sur les processus de création : marques des vêtements choisis, combinaison de couleurs, fluidité du textile, etc.

Pour elle, la création, c’est de l’expression, du stylisme, où l’on combine divers éléments pour en faire quelque chose de nouveau. Parfois, elle crée en mode textuel, par exemple, une poésie qui accompagne une image. Elle documente aussi de façon multimodale ses autres pratiques de création : par exemple, le bricolage d’un costume d’Halloween avec une description des étapes, l’assemblage d’une nature morte (shelfie) accompagné d’une liste à la fois poétique et descriptive, la photographie d’une pâtisserie décomposée dans une formule mathématique ou, encore, un commentaire sur une peinture ou un dessin (les siens ou ceux d’artistes).

Motivation et compétences
C’est le visionnement d’un film, le soutien des parents et l’inspiration d’une autre blogueuse qui ont déclenché la création de son blogue, amorçant ainsi son parcours translittéracique. Dans un de ses billets, elle amorce une réflexion critique sur une forme d’art, le graffiti, passant d’un mode de discours à l’autre. Dans un autre, elle se penche sur l’hypersexualisation des filles dans les médias. Elle intègre ses compétences scolaires (art, français, mathématiques) dans sa pratique informelle, mais elle est aussi consciente des compétences développées avec son blogue, qu’elle transpose dans son travail journalistique et à l’école : « Je crois que j’ai quand même un œil pour voir ce qui s’agence bien ensemble… Je ne sais pas si j’ai développé un style, mais ça m’aide à développer un peu l’écriture. Jouer avec Photoshop, ça, c’est venu avec la pratique… Maintenant que j’écris pour StyleList Québec, ça m’aide beaucoup. »

Le cas de Mélou

Profil et intérêt culturel
Mélou est une jeune fille âgée entre 13 à 15 ans lors de notre étude. D’origine québécoise, elle provient de la classe moyenne/aisée. Ses parents ont fait des études universitaires et travaillent dans les domaines du commerce et de la recherche. Mélou navigue sur le Web pour compléter des listes, chercher des images, des animés. Elle écoute des séries Manga; elle lit des mangas papier et sur le Web : « Quand je suis dans une histoire ou un anime, je peux écouter trois séries de vingt épisodes de vingt minutes chacun pendant une semaine ». Elle se désigne comme une otaku (terme désignant une personne qui consacre une certaine partie de son temps à une activité d’intérieur comme les mangas, anime, les idoles japonaises, ou encore les jeux vidéo liés à la culture japonaise). Sa plus grande passion demeure la mode très inspirée de l’univers des mangas. Plus jeune, elle s’amusait à créer et habiller des modèles sur le site DollzMania. Maintenant, elle s’inspire aussi d’expositions de grands couturiers qu’elle visite, comme celle de Jean-Paul Gauthier.

Création/réception
Toute la production et la création culturelle de Mélou est inspiré des Mangas : ses dessins, son blogue et ses fanfictions (Katawa Shoujo sur Wattpad). Elle avoue ne pas recourir à des modes combinés pour créer ses histoires à cause de la complexité de la forme, mais n’hésite pas à emprunter des images de Manga sur le Web pour illustrer ses créations littéraires. Ses récits sont ludiques et s’apparentent au gameplay (par exemple, Katawa Shoujo est axée sur le choix, le joueur doit lire le texte et parfois prendre des décisions qui ouvrent ou ferment des possibilités). Elle se prête au jeu de la transfiction, signe de son activité fictionnalisante (Langlade, 2008). Elle joue aussi le jeu de l’éphémère puisqu’elle efface systématiquement tout ce qu’elle crée et prévient ses lecteurs de la possibilité que ses histoires disparaissent ou ne soient jamais terminées. Elle tient un blogue sur les mangas et les animés pour lesquels elle présente des fiches techniques : le genre du manga, l’auteur, le nombre de chapitres, le nombre de tomes, le synopsis, la traduction (qu’elle fait parfois elle-même); elle en fait aussi la critique. Elle compile des fiches techniques de ses propres histoires. Elle aime répertorier, lister, classer. Elle fait même des diaporamas d’accessoires de mode (par exemple, des souliers) et de personnages. Son mode de création se déroule en deux temps : pour ne pas ralentir l’action par les descriptions (et parce que cela l’ennuie de décrire), Mélou fait d’abord des diaporamas (PowerPoint) de ses personnages pour les caractériser, les comprendre, leur donner une identité; puis, elle écrit une histoire avec une meilleure connaissance de ses personnages, ce qui justifie leurs actions.

Motivation et compétences
Mélou a découvert son style d’écriture à travers ses pratiques de création informelle qu’elle distingue de ses pratiques scolaires. Malgré sa résistance à exprimer sa créativité à l’école, elle constate que ses productions écrites se sont améliorées grâce à ses pratiques informelles. Même si elle exprime un malaise à s’exprimer sur scène en cours d’art dramatique, elle met à profit ses stratégies de mise en scène de ses personnages de fanfiction : fiches des personnages, accessoires, costumes. Mais au-delà de l’acquisition de compétences, Mélou affirme que la création l’aide à mieux se connaître. En fait, lorsqu’elle observe son processus de création et ses productions, elle arrive à mieux comprendre sa manière de se comporter en général. Pour elle, l’art est vital, même si elle préfère s’orienter en science afin d’assurer son équilibre.

Le cas de Robin

Profil et intérêt culturel
Robin est un garçon âgé de 12 à 17 ans lors de notre étude. Il est d’origine québécoise et autochtone; il appartient à la classe moyenne/aisée. Ses parents oeuvrent dans les domaines des arts et de la technique. Robin aime surtout jouer à des jeux en ligne tels que Runescape, Minecraft, League of Legends. Il écoute films, séries, vidéos, tutoriels en même temps qu’il joue, visionnant des émissions tels que Job de bras, Game of Thrones, The Walking Dead. Il lit très peu et presqu’exclusivement des documents techniques. Dans sa pratique de gamer amorcée depuis l’âge de 12 ans, il expérimente des dispositifs analogiques/technologiques fixes et nomades qui lui permettent d’interagir alternativement ou simultanément en réseau physique ou en ligne, tout en entretenant des liens sociaux, surtout en mode oral, avec son groupe d’amis. Lorsque Robin skype (en mode sonore) avec ses amis lors d’une partie de jeu en ligne, la capacité de performer comme joueur, garçon ou fille, prédomine dans l’appartenance à leur groupe multilingue, multiâge et unisexe, bien que les filles soient peu nombreuses.

Création/réception
Pour préparer leurs jeux grandeur nature (GN) à thématique néomédiévale, Robin collecte des images sur le web, consulte des tutoriels vidéos faits par d’autres jeunes et fabrique costumes et accessoires en recyclant, bricolant et détournant des objets de leur fonction (par exemple, une casquette se transforme en casque Viking; une affiche électorale, en bouclier). En parallèle, il accompagne ses jeux réseaux à l’ordinateur de cartes ludiques, d’une série de catapultes et de ponts miniatures, de répertoires visuels d’armes, de schémas d’armement, de cabanes et de forts à l’échelle du corps. Il teste ses productions par des mises en scène, parfois filmées et récupérées pour des travaux scolaires.

Motivation et compétences
Les compétences manuelles de Robin sont transposées dans sa pratique numérique. Il construit des catapultes et autres figures virtuelles dans le jeu Minecraft. Il améliore son dispositif technique de jeu en créant une lampe de toutes pièces et même les outils nécessaires pour ce faire. Il définit la création comme « de l’artisanat… Je fais un peu tout ce qui me vient en tête… avec tout ce qui me tombe sous la main… C’est plus pour le côté pratique avant l’esthétique. » Il reconnaît l’influence familiale, mais surtout celle des amis : « Ma mère qui est prof d’art, ça aide pour me motiver. Quand j’étais plus jeune… j’avais un ami qui faisait ça, aussi, des GN, des épées en gang ». Comme beaucoup de garçons, Robin résiste à l’utilisation du mode textuel. Il s’exerce toutefois à performer son oralité en accéléré jusqu’à rendre inintelligible son discours pour ses parents, résistant ainsi aux normes habituelles du langage.

5. Discussion : mixage et continuums dans les pratiques des jeunes

À la suite de recherches exploratoires sur les pratiques de création des jeunes et de l’analyse des données préliminaires recueillies par notre équipe, nous pouvons tenter de répondre à la deuxième question de recherche : existe-t-il des différences entre les parcours translittéraciques des garçons et des filles ? D’emblée, nous constatons que les parcours translittéraciques varient d’un individu à l’autre, mais aussi entre filles et garçons. Bien que les limites de notre échantillon ne permettent aucunement de généraliser les résultats, nous avons observé des différences marquantes entre les pratiques de création de certaines filles et celles de certains garçons, mais aussi des ressemblances.

La métaphore du Cjing nous permet de visualiser ces résultats (revoir fig. 1 et 2). Pour interpréter ces données, nous avons utilisé une console de mixage pour représenter des continuums dans lesquels s’inscrivent les différents parcours translittéraciques des jeunes. On y retrouve plusieurs axes comme autant d’échelles de valeurs où déplacer le potentiomètre. On y trouve aussi les concepts clés de notre cadre d’analyse : modes, processus, formes, figures et fonctions (voir fig. 7).

Ainsi, en général, les filles privilégient les modes visuel et textuel, alors que la plupart des garçons préfèrent les modes spatial et oral. Sur le plan des processus, on retrouve l’échantillonnage et l’assemblage dans les deux groupes; la transfictionnalisation, plus fréquemment chez les filles, alors que les garçons recourent un peu plus souvent au bricolage artisanal ou technologique. Chez les filles, on trouve plus souvent des formes de création identitaire ou du réseautage social alors que les dispositifs ludiques sont plus présents chez les garçons. Les figures privilégiées sont le personnage chez les créateurs de sexe féminin, et l’action chez ceux de sexe masculin. Les fonctions sont plus esthétiques et critiques du côté des filles et plus utilitaires du côté des garçons.

Figure 7 – Comparaison entre les pratiques de création des filles et des garçons

Dans l’étude du genre, cela nous amène à favoriser une conception hybride de la création et de l’identité pour situer les diverses pratiques artistiques sur un continuum permettant ainsi une gradation des positions selon les pratiques. En effet, les procédés modaux et multimodaux s’articulent plutôt dans une logique de complémentarité selon la fonction de la tâche à accomplir pour chacun des individus. Les identités multiples permises par les nombreux avatars, ou encore par les réseaux basés sur les champs d’intérêt, permettent aux adolescents d’explorer des hybrides identitaires, individuels ou collectifs, comme création de soi et de l’autre, le sexe n’étant qu’une variable parmi tant d’autres.

Terminons cette discussion autour de notre dernière question : le statut de création des productions culturelles des jeunes est-il approprié dans le contexte actuel ? Alors que le champ de l’art actuel tente de redéfinir les figures du créateur et de valoriser autrement les œuvres en contexte, nous croyons qu’il faut revoir les pratiques informelles des jeunes en fonction du statut de création. Sur Internet, les jeunes créateurs jouissent de leur propre autorité alors que les notions d’originalité, d’authenticité et d’auteur sont remises en question (Moreau, 2011). Prenons l’exemple de l’oralité de Robin : reprise pour un public, cette performance créatrice peut devenir une production artistique légitimée parce que reconnue comme telle selon un régime esthétique (Rancière, 2000), que ce soit par le jeune lui-même qui se reconnaît un statut d’artiste, par une communauté de pairs qui le reconnaît comme un des leurs, ou encore par le regard extérieur d’un éducateur, d’un critique ou autre spécialiste du domaine qui attribue à la production le statut d’art. Aujourd’hui, les adolescents font autrement l’expérience de la rupture en utilisant des « ruses extrêmes pour créer des espaces identitaires distincts » (Mason, 2008). Le fossé des générations disparaît de plus en plus, les jeunes consommant des biens et services similaires à ceux de leurs ainés (Richard, 2016). Leur culture s’exprime dans le désir de créer de nouvelles identités et de se distinguer, et là où s’exprime leur résistance peut se profiler une forme d’art qu’il reste à légitimer.

Ainsi, la création des jeunes s’immisce dans les espaces liminaux entre leurs diverses réalités. Les technologies mixtes et mobiles permettent d’opérer des actions furtives. En puisant à divers modes, processus, formes et fonctions, nous pensons qu’un croisement entre art et littératie permet d’équilibrer la fonction plus communicative des médias auxquels sont quotidiennement exposés les jeunes avec la fonction créative de leurs pratiques culturelles informelles.

6. Conclusion : vers des catégories transgénériques

À la suite de l’analyse préliminaire des données recueillies sur les pratiques de réception/création des jeunes, nous constatons que les pratiques artistiques varient selon le genre, mais également d’un individu à l’autre. Nous avons déjà observé que les procédés translittéraciques modaux et multimodaux s’articulent plutôt dans une logique de complémentarité selon la fonction de la tâche à accomplir. La métaphore du Cjing permet justement d’ajuster notre compréhension du phénomène à ces modulations sur divers continuums selon les tâches, les intérêts et les motivations de chacun. Elle pourrait aussi servir de guide dans la planification d’activités pédagogiques dont l’usage reste à expérimenter.

Cependant, les limites de notre échantillon ne permettent pas de généraliser les résultats. Il faudra attendre l’analyse d’une deuxième enquête actuellement en cours et d’autres études de cas pour vérifier si les tendances se confirment et si de nouveaux résultats viennent modifier les précédents. De plus, il reste à ajuster nos outils méthodologiques à notre cadre conceptuel : en effet, comment désigne-t-on les jeunes qui ne s’inscrivent pas dans les cases féminin, masculin, garçon ou fille ? Pour les jeunes privilégiant le travail collaboratif, comment détermine-t-on leurs pratiques artistiques selon le genre ? Il est clair que le genre n’est qu’un facteur parmi tant d’autres, mais il implique de tenir compte de toutes les variations possibles sur l’échelle de valeurs graduée.

Notes
  1. Depuis 2013, l’équipe étudie les pratiques de création informelles des jeunes. Elle est composée de Christine Faucher, Monique Lebrun, Nathalie Lacelle, Suzanne Lemerise et Moniques Richard, ainsi que d’étudiants aux trois cycles d’études : Prune Lieutier et Antoine Charrette ont contribué au traitement des données pour ce texte; Barbara Coydon et Catherine L’Homme, à la recension des écrits. L’équipe contribue principalement au premier volet de recherche du programme de l’équipe EntreLACer Littératie, Art et Culture des jeunes. ↩︎
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