Cet article se propose de ré-interroger la notion de communauté de fans en injectant une composante genrée à l’analyse. Nous avons choisi d’analyser les pratiques de fans de deux séries de super-héros, The Flash et Arrow, parce que ces séries, de par leur genre et selon une croyance stéréotypée, attirent plus un public masculin. Nous cherchons donc à savoir comment les publics se saisissent de ce matériau et en retirent des compétences particulières. Nous avons ainsi publié un questionnaire en ligne et reçu 91 réponses dont 73 de fans femmes, puis nous avons participé à la communauté de pratiques dans une position d’observation participante (live-tweet, entre autres). Il en ressort que l’appartenance à la communauté est primordiale, dans un lieu qui fait office de refuge, et que les compétences acquises sont ré-investies dans le travail ou à l’école.
This article tackles the notion of fandom using a gendered angle. We have chosen to analyse fans’ practices and activities around two super-hero shows, The Flash and Arrow, because these television series, given their genre and stereotyped belief, attract a more masculine audience. We attempted to see how an audience takes this material and acquires specific skills. Data collection comprised of an online questionnaire that compiled 91 answers, 73 of which were from women. Moreover, we participated within the community through live tweeting. Our analysis shows that a sense of belonging is fundamental, a safe haven even, and that the acquired skills are invested at work and at school.
Les séries de super-héros sont un genre en pleine expansion sur les chaînes américaines. Le network ABC et le diffuseur en continu Netflix se partagent le catalogue Marvel (Agents of S.H.I.E.L.D., Agent Carter, Jessica Jones ou encore Daredevil et Luke Cage) alors que le network The CW diffuse les séries de l’univers DC (Arrow, The Flash,Legends of Tomorrow et Supergirl après avoir commencé sur CBS). La stratégie de The CW concernant les séries télévisées de super-héros leur permet d’être dans une logique à la fois de crossover — lorsque les personnages naviguent d’une série à l’autre et interagissent dans le même grand univers narratif — et transmédiatique — lorsque des compléments narratifs sont ajoutés sur d’autres supports médiatiques, des comic books, par exemple (Arrow 2.51, ou bien les nouveaux Supergirl) — enrichissant le passé des personnages ou introduisant de nouveaux protagonistes à l’univers.
Cet article se propose d’analyser la réception de deux de ces séries, The Flash et Arrow, qui ont trois points communs : elles sont les plus anciennes en termes de temps de diffusion (trois saisons pour la première et cinq pour la seconde) ; elles constituent de bons succès critiques et publics (les deux séries sont renouvelées pour de nouvelles saisons) ; elles mettent en scène des super-héros masculins comme protagonistes principaux, entourés d’une équipe fidèle. Nous avons également choisi ces deux séries en partant d’un constat : par défaut, le genre du super-héros, quelque soit le support médiatique sur lequel il est déployé (séries télévisées, cinéma ou bien comix) attire plutôt un public masculin, friand d’imaginaire geek (Peyron, 2013). De plus, une question d’authenticité dans la définition même du fan entre ici en jeu. Dans leur analyse des forums du film Star Trek : into darkness, Sarah M. Corse et Jaime Hartless soulignent les frontières implicites et explicites entre les « vrais fans », ceux qui connaissent le film selon leurs dires, et les «spectateurs classiques », donnant ainsi aux fans un statut de gardiens de la communauté. Cette hiérarchie fait écho, comme le soulignent les auteures, à un schéma binaire entre les fans masculins de science-fiction, qui seraient les fans authentiques, et les fans féminines, qui seraient de fausses fans. Ainsi, d’après leur étude, « les fans masculins envisagent les cultures fans de science-fiction comme des espaces masculinistes. Le fait de dresser des frontières symboliques et sociales contre les fans femmes les qualifie de fait comme des fans inauthentiques » (Corse et Hartless, 2015, p. 13). Ici, la qualification de « fausse fan » s’interprète comme une disqualification, une délégitimation hiérarchisante. Pour renforcer ce propos, Kristina Busse, dans une revue de la littérature sur les liens entre fan studies et gender studies, souligne que « l’intersection entre âge, genre et sexualité (…) permet une culture patriarcale qui souligne le manque de qualité et d’authenticité » (Busse, 2013, p. 75) des fans féminines.
Avec cette analyse, nous souhaitions donc savoir si les publics féminins s’emparent de ces univers pour les retravailleret produire du contenu autour. Comme le suggère Henry Jenkins, « Nous devons développer une image plus complexe du rôle du genre dans les communautés de fans, ce qui nous demandera d’être aussi réflexif sur la masculinité que sur la féminité » (Jenkins, 2016). Il a d’ailleurs récemment rappelé, dans une conférence FanStudies Network (Juin 2016), que « les communautés de fans ne sont plus que les hommes blancs », sous- entendant que les questions d’ethnicité et de genre sont désormais fondamentales pour comprendre le fonctionnement de ces groupes sociaux. Dès lors, comment les fans féminines se saisissent-elles d’un matériau plutôt masculin et quelles compétences en tirent-elles ?
L’analyse des communautés et des pratiques de fans requiert une posture de chercheur entre l’aca-fan, tel que défini par Henry Jenkins, c’est-à-dire un chercheur fan lui-même de l’objet qu’il étudie et qui lui confère une légitimité au sein de la communauté, et l’observation des traces numériques laissées par les fans, ce qui lui confère une distance critique par rapport à son objet. Les fans se rassemblent en communautés virtuelles de pratiques, les fandoms. De fait, si l’on cherche à mieux saisir les pratiques de réception des amateurs de séries télévisées lorsque l’on est chercheur, il devient nécessaire d’utiliser internet comme outil d’analyse. Les pratiques de réception des téléspectateurs, et des fans, ont évolué pour se déplacer sur internet, afin de créer des espaces d’échange, de partage, de création, et de rassemblement communautaire. Comme le rappelle fort justement Clément Combes, « la forte appétence pour les séries — que nous désignons par « sériephilie » — se donne notamment à voir de façon remarquable au travers des collectifs qui opèrent sur de multiples sites, blogs et forums en ligne » (Combes, 2011, p. 139). Au vu de ces «nouvelles pratiques de réceptions », le chercheur est amené à analyser des pratiques virtuelles au sein de communautés, ou tout du moins au sein d’échanges ayant lieu sur la toile. Pour Paul Booth, les pratiques de réception des fans se développent avant tout dans un environnement numérique. Sa définition de la communauté virtuelle atteste de cette nouvelle posture de réception : « par communauté, j’entends le groupe social d’individus partageant des intérêts communs, rassemblés par une adhésion sous forme de membre ; l’organisation d’un groupe de fans qui à la fois aiment les textes autour de l’objet médiatique et qui créent des contenus additionnels autour de ce texte médiatique» (Booth, 2010, p. 22). Paul Booth explique que les contenus médiatiques doivent être désormais appréhendés sous un angle nouveau : au vu des mutations des pratiques de réception, les chercheurs doivent désormais étudier la relation entre le texte, le médium et la technologie. Cela induit le changement de paradigme que Paul Booth décrit, entraînant de nouvelles études sur les médias. Nous retrouvons dans ces analyses tout ce qui fait la force de la communauté : un rassemblement, des compétences techniques, et un engagement intellectuel et émotionnel dans une réception active.
Dans cet article, nous cherchons donc à analyser les communautés de fans en tant que lieu d’appartenance et les pratiques de fans en tant que moyen d’appréhender et acquérir des pratiques de (trans)littératie. Nous avons opté pour une méthodologie sur trois niveaux, un premier en tant qu’aca-fan, observateur participant à la communauté de fans de The Flash et Arrow, un second en analysant les traces numériques et productions des fans, et un troisième en proposant un questionnaire en ligne. Ce questionnaire, réalisé avec un formulaire Google afin de recueillir à la fois des éléments statistiques et des éléments plus qualitatifs sur les pratiques des fans, a été diffusé via les réseaux sociaux (Facebook,Tumblr et Twitter) durant le mois de mai 2016 (le mois des derniers épisodes de saison aux États-Unis) en utilisant des hashtags spécifiques utilisés par les fans des deux séries : #TheFlash, #Arrow, #ArrowHead (le nom des fans de Arrow). Nous avons délibérément évité les hashtags se rattachant à des couples dans les séries, comme #Olicity (Oliver et Félicity dans Arrow) ou #Westallen (Barry Allen et Iris West dans The Flash) pour ne pas biaiser les réponses aux questionnaires et n’obtenir que des réponses de fans de ces relations amoureuses. Ces hashtags ont permis de toucher les fans des deux séries, en allant sur leur terrain de jeu, les réseaux sociaux, et en montrant notre connaissance des codes de la communauté des fans. Le questionnaire a ensuite été partagé par les fans eux-mêmes au sein de leurs propres réseaux et de leur communauté, selon le principe de la circulation des contenus (Jenkins, Green et Ford, 2013). Nous avons ainsi obtenu 91 réponses, dont 73 viennent de fans femmes. Concrètement, le questionnaire se divisait en trois sections : une première section visait à comprendre l’identité du fan et de la communauté (individu vs appartenance à un collectif). Une seconde section s’attachait plus particulièrement aux activités de création des fans. Enfin, la dernière section était plus en relation avec les littératies et les compétences acquises et déployées par les fans au sein de leur communauté.
Pour compléter, nous avons également analysé les productions mêmes des fans, les fan fictions, les créations de fan arts ou de GIF, afin de mesurer leur réflexivité sur leurs pratiques et de comprendre leur production, ou re-production de sens. Pour cela, nous avons utilisé les mêmes tags que précédemment, notamment dans Tumblr, le lieu de création des fans.
Marginalisés jusqu’à maintenant dans les études sur la réception des messages télévisuels, les fans prennent aujourd’hui une nouvelle dimension grâce à l’avènement des nouvelles technologies dans lesquelles ils voient un nouveau moyen d’exprimer leur passion et de se retrouver au sein d’une même communauté de semblables (pour reprendre la terminologie du culte religieux). Cette nouvelle dimension a fait l’objet de recherches dans les Cultural Studies américaines qui considèrent « le phénomène des fans comme l’ultime exemple d’un public actif et producteur, qui met en place des formes de résistance aux industries culturelles » (Grisprud, 2002, p. 144). L’activité des fans peut se manifester à travers plusieurs pratiques culturelles (par exemple, les adolescents qui placardent des affiches de leurs idoles sur les murs de leur chambre), mais Fiske, dans son étude sur les publics fans, rappelle que les fans « participent activement à la circulation sociale du sens » (Fiske, 1989, p. 147). Cela nous ramène à l’importance de la convergence des technologies dans l’environnement actuel de réception des programmes télévisuels et leur appropriation par des téléspectateurs de plus en plus désireux de faire savoir ce qu’ils ressentent et ce qu’ils attendent de ces programmes. Les fans ont désormais acquis un pouvoir légitime d’interaction avec leur objet culte puisqu’ils le connaissent parfaitement. Les technologies numériques ont donné une légitimité au rôle des fans, en ce sens qu’elles ont rendu possibles de nouvelles formes de productions culturelles de la part des fans. Henry Jenkins pointe, dans son article The Poachers and the Stormtroopers : Cultural convergence in the digital age, trois éléments qui prouvent que les fans sont des récepteurs actifs, qui s’adaptent aux nouvelles technologies et à un nouvel environnement socio-culturel pour créer et redéfinir un langage, des pratiques, des interprétations et une identité propre. La re-circulation caractérise la transmission des matériaux à un plus large public. Les médias numériques permettent une nouvelle relation au contenu médiatique. Les séries télévisées sont désormais des médiacultures « transmédiatiques », qui se déploient et se consomment sur différents médias, et qui circulent et se discutent sur différents médias.
La participation témoigne du droit des fans de s’engager activement dans la création et la re- circulation des matériaux culturels. La logique culturelle des fans permet d’entrevoir une ligne floue entre consommation et production, lecture et écriture, en imaginant un monde dans lequel les narrations sont disponibles en tant que ressources pour raconter nos propres histoires. Naturellement, le degré d’engagement n’est pas le même pour tous les fans et peut différer d’un fandom à un autre. La communauté virtuelle représente en outre le lieu des relations sociales qui émergent à travers la participation dans un environnement médiatisé. Dans cette communauté virtuelle, pour être accepté, il faut montrer que l’on est soi-même un fan et répondre à certains critères implicites de la communauté. Serge Proulx rappelle que ces communautés virtuelles d’usagers possèdent « une structure sociale qui reproduit certaines caractéristiques de la structure de la société de face-à-face : règles, normes, codes de conduite implicites et explicites, sanctions, etc… » (Proulx, 2004). Éric Maigret ajoute : « Les communautés en ligne formées d’anonymes sont rarement dépourvues de filtres chargés de rendre possible une interaction harmonieuse et de sélectionner des personnes au profil social acceptable : le ‘cadre’ de l’échange et la ‘présentation de soi’, au sens de Goffman, influent sur le choix d’échanger » (Maigret, 2003, p. 264). James Paul Gee a défini les communautés virtuelles comme des « espaces d’affinités » (Gee, 2004), et de plus en plus ces espaces d’affinités s’ouvrent pour ne pas être exclusifs et permettre la circulation des opinions, idolâtries et contenus sur internet, développant les relations sociales entre usagers. Tous les « espaces d’affinités » ne fonctionnent pas de la même manière et Laura Lee (2007) en recense trois catégories : les «Pools » dans lesquels les valeurs de la communauté et l’appartenance prévalent, les « Webs » dans lesquels les liens sociaux entre les membres de la communauté sont plus forts, et enfin, les « Hubs » qui fonctionnent comme les communautés virtuelles de fans actuelles avec un fort sentiment d’appartenance et un énorme partage qui s’instaure entre les membres.
Les « espaces d’affinités » quels qu’ils soient permettent aux usagers tout comme aux fans, de créer un lien social qui peut s’étendre, passant des communautés de pratiques aux réseaux sociaux et circulant ainsi entre usagers. Pour parler de ce phénomène de dispersion et de propagation du lien social et des goûts médiatiques, Nancy Baym (2007) avance la notion de « résidence multiple », plutôt que celle, jusqu’à présent envisagée, de « migration virtuelle ». Cela s’explique par le fait que les usagers, plutôt que d’aller d’un site à l’autre sans établir et nouer de liens concrets ou d’attaches durables, créent des relations sociales dans plus d’un site qu’ils fréquentent souvent et assidûment, faisant circuler le lien social entre communautés d’affinités et de pratiques. Cette « résidence multiple » est facilitée par l’émergence des blogues, réseaux sociaux, forums de discussions (intégrant chacun une option d’échanges directs par courriers électroniques) qui permettent la circulation plus facile des informations et des commentaires. Dans un environnement qui favorise de plus en plus l’expression de soi et le dévoilement identitaire, les fans et usagers des médias disséminent, pollinisent leurs goûts d’un réseau à l’autre, transformant et propageant le lien social.
La raison la plus citée pour être un fan de l’une ou l’autre des deux séries est l’assiduité dans le visionnage des épisodes, en direct sur la chaîne ou en visionnement différé, parfois même les deux, comme le précise ce fan : « je regarde la série régulièrement toutes les semaines. J’attends la diffusion sur la CW et j’attends ensuite encore pour la diffusion en ligne sur internet ». Ou encore : « Je suis fan parce que je regarde les épisodes dès qu’ils sont disponibles ». Certains utilisent un vocabulaire lié au religieux pour renforcer leur dévotion à la série. Selon leurs propres dires, le fait même de regarder les épisodes de façon régulière confère au téléspectateur le statut de fan. Cela renvoie à la notion de téléspectateur expert ou, selon la taxonomie d’Abercrombie et Longhurst (1998), au « consommateur » de contenus.
Au-delà du visionnage parfois compulsif des épisodes qui permettent aux téléspectateurs interrogés de s’autoproclamer fans, des répondants précisent consacrer une large part de leur temps libre à la recherche d’informations sur les personnages, sur l’univers, sur les acteurs et la production de la série. La collecte d’informations sur les « paratextes » (Gray, 2010) garantit une fois de plus une certaine expertise sur la série télévisée et son environnement de production, de diffusion et de réception. Seule une répondante déclare être fan parce qu’elle a une activité de production de contenus, ici des fan arts. Enfin, un répondant se déclare être fier de son investissement aussi bien temporel qu’émotionnel dans les deux séries, et donc fier d’être un fan, revendiquant ainsi une identité personnelle, une affirmation de soi qui se déclare à travers une passion. Ces réponses corroborent une étude menée sur la réception de la série de « fantasy » Game Of Thrones par les fans français et espagnols (Lozano Delmar et Bourdaa, 2015). Cette analyse montrait en effet que les principaux facteurs identificatoires des fans étaient les suivants : la dévotion à la série et l’urgence à regarder les épisodes (en direct ou en différé), la collecte d’informations et d’objets autour de la série.
Pour les fans, l’importance du sentiment d’appartenance à une communauté de pratiques est fondamentale. L’individu, qu’il se définisse comme un fan actif ou non, intègre un groupe social qui va forger son identité collective. Lors d’une précédente recherche sur les fans de la série de science-fiction Battlestar Galactica (Bourdaa, 2012), les fans interrogés soulignaient déjà leur plaisir de faire partie d’une « audience sociale spéciale et spécialisée » (Ross, 2009). Autour de The Flash et Arrow, un répondant explique : « c’est important pour moi, parce que cela me donne un sentiment d’appartenance, que je ne retrouve pas dans ma vraie vie ». La communauté virtuelle se substitue alors aux relations sociales de la « vraie » vie. Les réponses à notre questionnaire confirment donc une fois de plus la prévalence du sentiment d’appartenance. Plus qu’un espace virtuel nécessaire aux fans pour discuter et partager leurs opinions sur la série et ses paratextes, la communauté est une « famille », une « équipe », dans laquelle des « amitiés » et des liens sociaux se créent qui, autrement, n’auraient pas pu exister. Par exemple, cette réponse souligne combien le fandom joue un rôle structurant et de soutien dans la vie des fans : « la communauté me fait sentir moins seule et apaise mes angoisses. Elle m’aide à me faire des amis qui ont les mêmes passions que moi. Je suis une personne qui n’a pas d’amis dans ma vie, être dans la communauté me donne un sentiment d’appartenance et d’acceptation. C’est important parce que ça vous fait sentir non seulement bien mais ça permet aussi de créer des amitiés durables et solides ». L’émulation intellectuelle est également un facteur essentiel à l’appartenance à la communauté. Plusieurs fans retirent du plaisir des conversations qui émanent des débats et des échanges sur les réseaux sociaux, dans les forums ou sur Tumblr : « c’est stimulant intellectuellement et c’est très inspirant ». Mais surtout, la communauté représente un espace de non-jugement, autant sur l’identité individuelle du fan que sur ses passions ou encore ses idées : « c’est un endroit où je peux m’exprimer et personne ne me jugera pour cela ». La liberté d’expression prévaut et engendre ainsi des discussions entre les membres de la communauté. Un répondant nous dit : « c’est un groupe de gens qui aiment ce que vous aimez, qui comprend votre excitation et votre enthousiasme ». Ici, ce fan se positionne comme extérieur aux téléspectateurs lambda qui n’auraient pas le même plaisir à regarder et débattre sur la série, et s’inclue dans une communauté de pairs, de semblables. Cela est confirmé par cette fan qui participe à la communauté des fans car ses ami-e-s ne sont pas aussi passionné-e-s qu’elle et surtout ne comprennent pas réellement sa dévotion pour la série. L’hétérogénéité des individus est ainsi englobée dans une homogénéité de la communauté centrée autour de la même passion et des mêmes pratiques médiatiques. Enfin, certains mettent en avant l’imagination et la créativité de la communauté qui viennent compenser des arcs narratifs parfois rejetés par les fans eux- mêmes : « les communautés rendent tout meilleur. Parfois je ne suis pas heureux des orientations de la série mais la communauté crée des fanvidéos, des fan fictions, des fan arts que j’apprécie et qui m’éloignent l’esprit de ce que je n’aime pas dans la série ». La production canonique officielle est alors complétée, voire altérée, par une production fanatique qui intéresse tout autant les fans et qui font partie pour eux de l’univers narratif global de la série.
Même si les fans ne se revendiquent pas tous comme tels, ou n’ont pas les pratiques de production qui répondent à la définition séminale de Jenkins (Jenkins, 1992), il apparaît que la communauté représente pour tous un espace fort d’échanges libres, de création de liens sociaux, voire d’amitiés et d’appartenance, puisque ce qui prédomine est l’identité collective du groupe, du fandom. Loin d’une verticalité dans les relations entre fans, qui pourraient se retrouver chez les jeunes publics cibles de la chaîne The CW dans des environnements scolaires ou domestiques, les échanges se font clairement entre pairs, dénotant un partage important des connaissances, des compétences, et des discussions au sein de la communauté.
Même si peu de répondants ont cité en premier lieu les activités de création comme une caractéristique et une composante de leur identité de fans, 75 fans affirment avoir des activités au sein de la communauté. Pour 31 d’entre eux, des fans femmes, l’activité principale consiste à publier des contenus sur Tumblr ou à gérer un Tumblr en lien avec la série, ses personnages ou son univers. Tumblr estun site de microblogage (« micro-blogging ») qui permet d’agréger des contenus divers sous forme d’images animées (GIF), de textes, de vidéos, de dessins. La facilité d’utilisation de ce réseau social permet une grande circulation des contenus de Tumblr à Tumblr par un système de reblogging et dans la sphère publique par un système de partage via d’autres réseaux sociaux (Facebook et Twitter). Les messages peuvent également être catégorisés à l’aide de tags qui permettent aux fans de sélectionner les informations selon leurs intérêts spécifiques. Pour Louisa Stein, Tumblr est devenu « l’interface favorite des fans, qui favorise la communication et la créativité », retravaillant une esthétique qui existait auparavant2.
La seconde activité la plus citée est l’écriture de fanfictions, d’histoires créées par les fans qui réinvestissent un élément de la narration qui les intéresse, dans un mouvement que Michel de Certeau a qualifié de « braconnage culturel » (De Certeau, 1980). Jenkins pense, quant à lui, que ce qui alimente la créativité des fans résulte d’un conflit évident entre fascination et frustration, ces deux notions étant ancrées une fois de plus dans la polysémie d’un texte médiatique, ainsi que dans le conflit hégémonie/contre-hégémonie entre les producteurs et récepteurs de ce message. Les fan fictions tiennent leur raison d’être de ce paradoxe qu’éprouvent les fans face à leur série favorite. En reprenant les notions développées par Henry Jenkins, Sébastien François met l’accent sur cette dichotomie et écrit dans un article consacré à ce phénomène de création : « La raison d’être des fan fictions se trouve donc en partie dans une attitude active, voire critique face aux produits médiatiques adorés, entre ‘admiration’ pour ce dernier et ‘frustration’ face à certains choix officiels et dans une volonté de discuter et de confronter ses perspectives avec les autres fans » (François, 2009, p.164). Les fan fictions répondent, tout comme les communautés virtuelles de fans, à des règles et des normes ainsi qu’à une classification en genre qui a été créée par les fans eux-mêmes. Ces fan fictions, selon l’aspect de la sériequ’elles reprennent, portent des noms différents : « crossover » (liens entre différents univers narratifs), « recontextualisation », « refocalisation », « histoires érotiques ou pornographiques ». À cette classification, il est intéressant d’ajouter deux genres très développés dans les écrits des fans : les « slash » et les « Mary Sue ». Les « slash » sont des textes de fans qui mettent l’accent sur des rapports amoureux ou érotiques entre personnages généralement d’un même sexe. Les fans peuvent également écrire des fan fictions qui relèvent du genre « Mary Sue » dans lesquelles le fan crée un personnage qui va être une projection de lui-même dans l’univers de la série. La fan fiction « Mary Sue » met en lumière les « expériences partagées en ligne entre fans » et souligne « l’intimité intense qui existe sur les plateformes de réseaux sociaux », sur lesquelles les fans partagent leurs écrits. La fan fiction est donc une activité d’écriture et de réinterprétation qui demande un investissement temporel, mais aussi personnel de la part du fan (Busse, 2016). Comme le souligne Penelope Eate, la fan fiction est pensée comme « des histoires écrites par les fans basées sur une intrigue et des personnages soit à partir d’un seul texte médiatique soit à partir de plusieurs sources » (Eate, 2015, p. 23).
Lorsque nous regardons les réponses à notre questionnaire, nous constatons que ce qui motive les fans à produire des contenus sont deux éléments principalement qui se distinguent suivant le sexe des enquêtés. Les fans masculins sont intéressés par l’univers et, plus largement, l’univers de super-héros. En effet, l’univers et le rapport au contenu original des comix sont cités trois fois : « le sentiment de magie et le respect à la source originale », « un univers génial », « le même univers que les comix mais avec un parallèle avec notre société ». À la suite de David Peyron, nous pourrions alors qualifier ces fans de geeks, qui vont plutôt s’attacher à l’univers narratif global des séries, et ici de la science-fiction et des super-héros, plutôt qu’à des détails scénaristiques ou aux personnages. Il précise que ce qui différencie un geek d’un fan, c’est la « cohérence au monde », une « immersion » (Peyron, 2013) dans un monde (le plus souvent de fantasy ou de science-fiction), ce qui se retrouve ici dans les verbatim des répondants. Les fans féminines, quant à elles, se focalisent plus sur les personnages et en particulier sur les relations amoureuses existantes ou fantasmées entre les personnages. Sur les 88 réponses reçues à la question portant sur la production d’activités, 84 citent explicitement l’importance des personnages et de leurs relations (amicale ou amoureuse). Une fan précise d’ailleurs que « sans de bons personnages, il n’y a pas d’investissement de la part des fans », présentant ainsi le personnage comme un levier d’engagement émotionnel et intellectuel de la part des fans dans la narration et plus largement dans la création de contenus. Les personnages les plus cités sont Oliver Queen et Felicity Smoake (Arrow), une romance introduite et développée dans la série puisque le personnage de Felicity n’existait pas dans les comix DC d’origine (Green Arrow) et a fait son apparition sur ce support dans Arrow 2.5 entre les saisons 2 et 3. Cette absence d’un personnage particulièrement apprécié des répondants dans les comix justifie sans nul doute, pour la grande majorité, le non-intérêt ou l’abandon des fans pour le support comic books, même si l’univers et le personnage principal sont nés sur ce média. Quelques répondants naviguent entre la série télévisée et le comic book pour « avoir une vision plus complète de l’histoire et des personnages », « une immersion dans l’univers », témoignant ainsi d’une capacité de littératie transmédiatique globale, une capacité à se déplacer à travers les contenus multi- plateformes pour mieux en apprécier la signification globale. Le passage d’un média à l’autre leur permet ainsi d’appréhender l’univers narratif et de mieux connaître les personnages, leur passé et leur motivation. Pour un fan, cela est même une exigence : « quel est le but de regarder une série adaptée d’un comix si on ne s’intéresse pas au passé et au présent des personnages pour découvrir les personnages plus en profondeur ». Ces déplacements transmédiatiques développent des compétences dans l’appréhension des supports médiatiques, mais également des capacités de compréhension des enjeux narratifs autour de la fiction.
À la question sur le genre des créations, la majorité des questionnées ont répondu produire ou lire des créations sur les relations (ships) et plus particulièrement sur Olicity, le couple formé par Oliver Queen et Felicity Smoake. Le ship est un terme apparu dans la communauté des fans de The X-Files dans les années 90 qui rêvaient d’une relation amoureuse entre les personnages principaux Mulder et Scully. La créativité des fans alors était exacerbée par le fait que ceux-ci étaient frustrés par la relation platonique. Une fan écrit que selon elle la communauté a contribué à développer la relation du couple dans la fiction : « Je suis une shipper de ce couple depuis le premier jour, même en sachant à l’époque qu’Émily (qui joue Felicity) n’était pas un personnage régulier de la série. J’aime à penser que Oliver et Felicity sont devenus forts grâce à nous les fans qui créent et partagent des contenus ». Cette fan a pleinement conscience que les communautés et les productions des fans sont scrutées par les producteurs, parfois à des fins promotionnelles (Bourdaa, 2016). Cela nous indique surtout que les fans comprennent parfaitement l’environnement médiatique actuel, l’enjeu des productions de fans pour les industries culturelles et les rapports entre fans et production. Les fans expliquent que le genre du ship « exacerbe leur créativité », « les rend heureux » et « renforce leur engagement dans les personnages ». Lorsque nous regardons sur Tumblr avec le tag Olicity, nous constatons une multitude de créations sous forme de GIF ou de vidéos autour du couple, qui retravaillent les moments phares de la relation pour l’archiver et l’historiciser, ou qui recontextualisent des phrases ou des attitudes pour renforcer la relation du couple.
Le second genre le plus développé par les fans qui ont répondu au questionnaire est celui de l’AU ou univers alternatif (Alternate Universe) qui voit les histoires ou narrations créées par les fans évoluer en dehors du canon de la production. Les fans peuvent alors laisser libre cours à leur imagination et proposer « des perspectives différentes sur les personnages ». Une fan décrit très bien ce sentiment de liberté dans la création induite par le choix d’un univers alternatif : « Cela me donne simplement plus de liberté et je ne me sens pas limitée. Par exemple, quand vous écrivez quelque chose qui appartient au canon, une part importante de votre histoire pourrait devenir totalement impossible par la narration de la série. Cela me limiterait totalement. Je me concentre sur Olicity parce que c’est la relation que je préfère dans la série. Les personnages sont ce qui me fait m’investir dans la série. Pas l’action ou les cascades. Simplement les personnages ». S’éloigner du canon officiel, de la production de narrations officielles, permet donc aux fans de s’affranchir d’une cohérence subjective pour mieux développer des personnages, des histoires nouvelles et ainsi enrichir l’univers de la série. Tout comme il existe des versions alternatives des personnages dans The Flash qui évoluent sur Earth 2, Earth 3, …, les fans créent leur propre version de l’histoire tout en conservant les caractéristiques intrinsèques des personnages, témoignant ainsi d’une capacité de compréhension et de réappropriation de l’univers importante.
Enfin, une fan avoue créer des travaux du genre « femslash » (des fan fictions centrées sur des romances ou des relations érotiques entre deux personnages féminins) parce que « c’est la seule façon pour moi, lesbienne, d’avoir une bonne représentation ». L’activité de création devient alors un espace de production du sens et d’émancipation pour ces fans en quête de représentation positive et de modèle identitaire qu’elles ne retrouvent pas forcément dans les médias. En effet, selon une étude Autostraddle3, 31 % des personnages lesbiens ou bisexuels meurent dans les séries télévisées américaines depuis 1976. La mort de Lexa, personnage lesbien de la série The 100, a provoqué la colère des fans, qui ont ensuite décidé de la transformer en un mouvement activiste positif (Bourdaa, 2016, à paraître). Les femslashs qui s’appuient souvent sur un sous-texte implicite de la série (Xena et Gabrielle, Rizzoli et Isles, par exemple) s’attachent à réparer et réécrire les erreurs genrées des séries télévisées. Le manque de représentation ou leur représentation problématique des personnages lesbiens poussent alors les fans à produire leurs propres contenus, qui deviendront pour elles un symbole identitaire. Comme le rappelle Kyra Hunting, « les histoires centrées sur les relations sexuelles et romantiques homosexuelles écrites à l’intérieur des communautés d’auteurs de fan fictions, un genre connu sous le nom de slash, sont depuis longtemps considérées comme subversives, du fait qu’il n’est possible que depuis récemment pour le texte original d’être explicitement, et peut-être politiquement, queer »4. L’écriture de ces textes fournit donc aux fans une tribune d’expression politique, véritable empowerment, leur permettant d’exprimer des enjeux politiques de représentation et d’identité pour contrebalancer le poids hégémonique et souvent patriarcal des représentations sexuelles et genrées médiatiques.
Par leurs créations qu’ils partagent dans leur communauté, dans leur fandom, les fans créent un double mouvement de réappropriation des contenus officiels et de production de sens, qui peut aller parfois jusqu’à un réinvestissement du politique. Les nouvelles technologies et leur utilisation ont permis une plus grande visibilité de ces productions et une plus grande circulation des contenus dans la sphère publique. Les plateformes, telles que Tumblr, ou les sites, tels que fanfiction.net, se font les relais de ces créations. Jenkins souligne bien l’importance de ces outils numériques dans la visibilité du travail des fans et de leur engagement : « Si le travail des consommateurs de média était silencieux et invisible, les nouveaux consommateurs sont bruyants et publics » (Jenkins, 2006).
Dans la communauté de pratiques, les fans partagent, s’entraident et créent donc des contenus. Ces activités leur permettent d’acquérir des compétences qu’ils réinvestissent ensuite dans leur vie quotidienne. De nombreux fans ont ainsi appris à se servir de logiciels comme « Sony’s home video maker (pour le vidding, le montage vidéo) ou la suite Adobe pour la création graphique » dans le but de créer des contenus pour la communauté et pour mettre à jour leur créativité. Parmi les réponses, nous découvrons que plusieurs fans ont développé des compétences « en photoshop, dans la création de gifs, en édition et montage de vidéos, en utilisation de Tumblr que je ne connaissais pas avant de participer aux activités de la communauté », entre autres. Ces compétences techniques sont fondamentales à la fois dans la création, mais également dans le partage des contenus sur internet. Elles sont ensuite utilisées dans les activités professionnelles ou scolaires : « Je travaille dans un domaine créatif, donc cela me donne l’opportunité de tester des choses nouvelles et d’élargir mes capacités créatives de façon amusante et dans un environnement valorisant » ; « Les compétences que j’ai développées dans le fandom m’ont permis de gagner un concours régional de design graphique », ou même « d’obtenir un travail grâce à cela ». Concernant le milieu scolaire ou universitaire : « faire des montages vidéos est ce qui m’a permis d’éditer et d’utiliser des logiciels d’édition, ce qui s’est avéré particulièrement utile lorsque je suis retournée en école de cinéma ».
Les fans développent également des compétences créatives pour arriver à une forme d’acculturation nouvelle et à une forme de littératie médiatique. Pour une fan, les activités de création « lui permettent de laisser son imagination et sa créativité grandir ! » L’activité d’écriture est particulièrement mise en avant ici comme quelque chose de positif, valorisant intellectuellement et émotionnellement, transformant les fans « en meilleurs auteurs » et leur donnant également un goût et une structuration de leurs argumentations pour la participation à des débats dans les forums en ligne. Une fan souligne une fois de plus l’importance de l’entraide et du soutien des pairs dans l’élaboration de ces activités de création : « Il y a un retour intense et instantané de la part d’un public qui a déjà des opinions pertinentes sur les personnages, les relations et l’univers sur lequel vous écrivez ». Le travail de création, même s’il n’a qu’un auteur, est collaboratif puisqu’il est enrichi par les critiques, commentaires et conseils des autres membres de la communauté. Enfin, l’important pour les fans réside aussi dans les compétences sociales et dans la finesse des interactions entre les membres de la même communauté : « J’ai appris à me responsabiliser pour ce que j’apporte à la communauté. J’ai appris à être plus ouvert avec les autres, et à comprendre quel genre de relations je veux entretenir avec les membres de la communauté. Je suis en contrôle de mon expérience ».
L’appartenance au fandom et les compétences développées par les multiples créations de fans les aident à acquérir des compétences techniques et technologiques nouvelles, ou à les renforcer, et à développer une connaissance littéraire et une imagination lorsqu’ils écrivent des fan fictions qui favorisent une acculturation à l’environnement médiatique. Le fait de faire partie d’un espace social leur donne également des clés de compréhension des interactions interpersonnelles et leur permet de mieux s’intégrer à des communautés, qu’elles soient en ligne ou hors ligne. Cela semble important, voire fondamental pour les fans qui ont répondu au questionnaire, en ce sens que ces compétences sont acquises en dehors d’un cadre scolaire ou de travail classique (pour être ensuite réutilisées) et que les relations dans la communauté sont des relations entre pairs, donc des relations horizontales.
Nous l’avons vu, les fans par leurs activités acquièrent des compétences et une littératie qu’ils réinvestissent ensuite dans leurs activités professionnelles ou scolaires ainsi que dans leur vie quotidienne.
Mais ce qui prévaut surtout, c’est le sentiment d’appartenance à un groupe social composé de pairs, de membres qui ont les mêmes goûts, les mêmes pratiques et le même engagement. Pour conclure cet article, nous aimerions revenir sur cet aspect de la communauté qui est souligné à de nombreuses reprises dans les réponses aux questions que nous avons posées. Plusieurs fans notent que faire partie de cette communauté leur permet de se relaxer justement parce qu’ils savent qu’ils ne seront pas jugés pour leur passion ou leurs activités. Comme nous l’avons précisé plus haut, la communauté représente un espace sûr où les violences et le harcèlement n’existent pas : « Cela m’aide à m’échapper de ma vraie vie quand j’en ai besoin ». La communauté se transforme en refuge pour certains, en échappatoire de la vie sociale qu’ils vivent au quotidien : « Vous vous échappez de la vraie vie et des vrais problèmes pour un moment et vous faites quelque chose que vous aimez et que vous appréciez ». La communauté, parce qu’elle est constituée de pairs, leur donne la force de s’affirmer et surtout d’être eux-mêmes dans un espace en ligne : « Je suis devenue une personne plus ouverte et cela signifie énormément parce que j’ai des crises d’angoisse. J’ai également appris à m’affirmer et à empêcher les harceleurs de contrôler ma vie ». La communauté agit alors comme un booster de confiance. Les échanges dans la communauté entre les membres, et notamment sur leurs difficultés sociales, font prendre conscience à certains fans des enjeux politiques et des responsabilités sociales portées par la communauté : « Je suis plus sensible aux problèmes sociaux, j’essaie d’alerter ma famille et mes amis également pour peut-être les rendre plus ouverts aussi ». Les fans qui prennent ainsi conscience des problèmes sociaux et politiques se font alors les prescripteurs et les avocats de ces causes, qu’ils font circuler et connaître dans leurs sphères publiques, proche et plus éloignée. Au-delà de développer des histoires, de faire la promotion de personnages ou de séries télévisées, les fans peuvent également jouer le rôle d’activistes et défendre ainsi des causes sociales, culturelles ou politiques qu’ils auront découvertes lors d’échanges à l’intérieur de la communauté.
Cet article vient confirmer que la communauté des fans s’inscrit bien dans une culture participative, une culture du partage et de la création. « La culture participative est une culture favorable à l’expression artistique et l’engagement civique, un soutien important à la création et au partage des créations, et une sorte de mentorat informel où ce qui est connu par les plus initiés est transmis aux novices. Une culture de la participation est aussi une culture dans laquelle les membres croient à l’importance de leurs contributions, et ressentent des liens sociaux avec les autres membres (au moins ils se soucient de ce que les autres pensent de leurs créations) » (Jenkins, Ito et Boyd, 2015, p. 4).
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