Volume 8 / Expérimentations diverses en classe et dans le domaine de l’édition

Kalces

Guillaume Vissac
publie.net

Résumé

Étude de cas détaillant la réalité des choix artistiques éditoriaux opérés sur une œuvre poétique, Kalces de Florence Jou, Margaux Meurisse et Samuel Jan, en fonction de ses supports (papier, numérique, web). Présentation par l’éditeur des différentes étapes ayant conduit à la conception du livre dans toutes ses versions.

Abstract

The following article presents a case study highlighting the variety of choices, both artistic and editorial, made by a literary publishing house regarding a poetic book: Kalces, by Florence Jou, Margaux Meurisse and Samuel Jan. This book has been published on different media: printed book, e-book and web-application. The different steps leading to its design and the variety of its form are presented by its publisher.

Mots-clés
édition, littérature numérique, poésie, développement web, création contemporaine

Keywords
publishing, digital literature, poetry, web design, contemporary creation

Kalces est un livre paru en novembre 2016 aux éditions publie.net dans la collection “Horizons” dirigée par Louise Imagine. L’aventure de ce livre (de son écriture, puis de sa réalisation) est collective : elle fut d’abord le fruit d’une collaboration entre leurs trois auteurs (Florence Jou pour les textes, Margaux Meurisse pour les photos et Samuel Jan pour le graphisme) avant de nécessiter d’autres formes de collaborations éditoriales et artistiques lors de la création des livres papier, numérique et web. C’est cette dernière version qui nous intéressera principalement ici.

Road movie poétique et dynamique, Kalces s’est inventé dans la rencontre. À l’origine, Florence Jou écrit une première version du texte, destinée avant tout à la performance. Cette première version est très vite confrontée à la réalité de la scène avant d’être poursuivie et modifiée durant les répétitions avec les musiciens Gurvan Liard (vielle à roue électro-acoustique) et Simon Nicolas (dàn bàu et machines) dans la perspective d’une représentation à la Maison de la poésie de Nantes. Le travail d’écriture se poursuit sur la base de ces répétitions et des improvisations qui ont lieu au sein de ce collectif, ConstelleR. La galaxie Kalces s’élargit encore quelques mois plus tard avec l’arrivée de Margaux Meurisse, qui fournit les photos, et de Samuel Jan auteur d’une première maquette pour ce qui promet déjà de devenir un livre.

Le projet nous a été soumis courant 2015 et a tout de suite suscité chez nous, au sein de notre comité éditorial, et de la part de Louise Imagine, directrice de la collection Horizons, un grand enthousiasme. Parmi les caractéristiques du projet nous ayant donné envie de le publier est apparu très vite l’aspect multi-dimensionnel du livre, que l’on peut détailler comme suit :

  1. le texte
  2. la photographie
  3. le graphisme
  4. le son
Illustration 1 : Modèle de page avec menu ouvert

Comment articuler le tout ensemble pour conserver un projet cohérent et construit ? Éditeur nativement numérique avant de commencer à publier des ouvrages en papier par la suite, nous avons tout de suite été séduit par les perspectives techniques qui s’offraient à nous dans différents supports. Nous avons donc décidé de porter le livre sous différents supports afin d’être le plus possible en adéquation avec la richesse du projet. Nous décidions ainsi de publier le livre sous la forme d’un livre papier, en nous basant sur le modèle de maquette réalisée par Samuel Jan (qui prévoit un jeu sur les formes et l’objet avec un livre à manipuler pour passer des textes aux photos et vice versa, de portrait à paysage), un livre numérique interopérable (lisible sur tous les appareils de lecture), un livre numérique dédié à la lecture sur tablette ou smartphone pensée comme un beau livre et une version spécifique dédiée et ouverte pour le web. Il s’agira pour nous de mettre en pratique des envies d’expérimentation sur ce support pour la première fois et ce sans trop nous soucier de modèle économique ou de rentabilité à court terme (le site étant en accès libre gratuitement, il fonctionne en réalité comme un outil de promotion du livre sur les réseaux).

Nos contraintes pour le développement de ce site furent diverses : le site devait être lisible sur toute taille d’écran (responsive), donner écho à la dimension multimédia du projet, rester viable dans le temps, être ouvert, gratuit et rester, à terme, en libre accès.

Le site, accessible à l’adresse https://publie.net/weblivres/kalces/ a été développé en interne. Il a été construit à partir d’un squelette (template) simple, open source et pensé à l’origine pour la photographie. Le but de la manoeuvre est de permettre une double-navigation, soit par le biais d’une planche contact qui s’affiche sur le côté droit de chaque page du site, verticalement, soit tout simplement dans le sens de lecture linéaire du livre papier. Ce qui permet à la fois une architecture simple (succession de tableaux qu’on peut suivre dans l’ordre chronologique si on le souhaite) et une approche plus libre et ludique du livre (naviguer au gré de ses envies en passant d’une image à une autre). Le menu vertical qui permet de passer facilement d’une photo à une autre sans dépendre nécessairement de l’ordre chronologique des textes (la navigation s’opérant alors via des flèches de part et d’autre de chaque page) peut facilement être masqué par le lecteur d’un clic ; c’est une fonctionnalité de base incluse dans le squelette utilisé.

Illustration 2 : Page en mode plein écran un ruban de texte éphémère, en gris, sera amené à disparaître à mesure que la photographie, progressivement, s’éclaircit.

Une fois le lecteur arrivé sur l’une des pages du livre, plusieurs éléments se déclenchent automatiquement : la photographie propre à chaque page apparaît très lentement, de façon progressive, en fondu. Un lecteur audio quant à lui se lance, comprenant un extrait de la performance originelle enregistrée à la Maison de la poésie de Nantes, où Florence Jou lit son texte accompagnée des musiciens Gurvan Liard et Simon Nicolas. Synchronisés avec le fil audio, les mots qui composeront cette page vont apparaître au fur et à mesure, donnant l’illusion que c’est la diction de l’auteure, dans cet enregistrement, qui les amène à se matérialiser sur l’écran. Enfin, les éléments de graphisme composés par Samuel Jan pour le livre papier, qui ont pour tâche entre autres de matérialiser sur la page la ponctuation et les espaces entre chaque mot (souvent par le biais du point médian), vont apparaître eux aussi, non pas en rythme avec la diction de l’auteure, comme pour les mots, mais en accord avec un autre rythme : celui de la musique. Il y a donc quatre temps, tous progressifs, qui s’articulent sur chaque page : celui de la photographie, celui du son, celui du texte et celui du graphisme. De quoi respecter les quatre dimensions élaborées par le texte lors de son écriture et sa composition.

Toutes les pages seront construites selon le même principe, à l’exception d’une seule, la dernière, qui sera montée “à l’envers”, sur un principe d’effacement du texte et non plus d’apparition. Cette mise en page spécifique à la version web, conçue pour s’afficher aussi bien sur un petit écran (smartphone) que sur un écran plus grand (tablette, ordinateur), permet de mettre en place un livre dynamique, dont la matière est perpétuellement mouvante. Par exemple, en fonction des photographies, il se peut qu’à un moment donné de l’apparition de l’image, tout ou partie du texte ne sera plus aussi lisible, voire n’apparaîtra plus du tout (ce sera le cas, notamment, avec une image claire, le texte s’affichant en blanc). Cela permet d’instaurer une forme de mouvement et de temporalité médiane dans l’expérience de lecture : tout n’est pas forcément confortable pour le lecteur. D’autre part, il (ou elle) doit accepter de ne pas avoir le contrôle sur le déroulement, sur l’affichage du texte. Cela nous permet également d’induire une forme de lenteur (la lenteur de la diction de l’auteure lors de sa performance) qui est aux antipodes des lieux communs qui voudraient que la lecture sur le web soit nécessairement courte, brève, et témoigne d’un zapping frénétique propres à nos activités en ligne. La poésie en général, la poésie numérique dans ce cas précis, est le lieu privilégié d’une forme de respiration. Nous voulions traduire ce besoin-là à l’écran.

Techniquement, le fonctionnement du site est très simple. Il repose sur deux outils : les feuilles de style (CSS), qui gèrent tout l’aspect visuel du site (polices de caractères utilisées, habillage du squelette, graphisme au sens large) mais aussi le principe d’apparition progressive et lente des photos et une application Javascript (framework) nommée Popcorn, notamment utilisée pour sous- titrer des vidéos sur le web. C’est elle qui nous permet d’afficher du texte ou des symboles de façon synchronisée avec un fichier son. Dans les faits, c’est très simple : il nous a fallu placer des marqueurs temporels sur chaque fichier son utilisé pour localiser l’instant à partir duquel lancer l’apparition des mots et utiliser Popcorn pour les afficher. La librairie Popcorn avait déjà été utilisée pour la création poétique avec Enfance1, poème écrit à quatre mains par Christine Jeanney et Philippe Aigrain sur fond de Ravel, début 2016 et nous nous sommes inspirés de cet ovni web pour la création de Kalces.

Kalces fut un travail de collaboration très riche qui nous a permis de remettre en cause nos habitudes éditoriales et qui bouscule les genres. Notre travail d’éditeur, c’est aussi de trouver la forme la plus appropriée à un projet pour qu’il exprime son plein potentiel. Étant initialement issus du numérique, il nous semblait naturel et excitant d’aborder une nouvelle forme de support jusque-là peu utilisé, surtout s’agissant de poésie. Le modèle économique reste de toute évidence à trouver car à terme, la programmation et le développement de sites dédiés à la lecture et conçus spécifiquement pour une œuvre donnée pourra difficilement se retrouver dans la mise à disposition libre et gratuite du livre en ligne. Mais des perspectives existent et de réelles possibilités de création s’offrent à nous sur un support à défricher, le web, utilisé massivement par le grand public et prêt à accueillir de nouvelles expériences de lecture.

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