Volume 5 / Outils et supports didactiques pour la lecture et l’écriture littéraire

Support numérique et écriture de textes de savoir à la fin de l’école primaire

Patricia Richard-Principalli
Université Paris-Est
Georges Ferone
Université Paris Est
Jacques Crinon
Université Paris 8

Résumé

Cette étude questionne les conditions d’appropriation d’un savoir historique à travers l’écriture d’un texte final par des élèves de 5e année, lorsque la leçon s’appuie sur un document numérique, selon deux scénarios différents : dans un cas, les enseignants ont utilisé librement le support, dans l’autre, ils devaient suivre un protocole coélaboré avec les chercheurs. Les scénarios diffèrent notamment par les opérations cognitives dont témoignent les textes produits : recherche d’informations ponctuelles versus synthèse et organisation des informations relatives à une question. Cependant, si les élèves réussissent à faire seuls ce qu’ils ont appris à faire lors de la séquence, leurs textes ne rendent pas compte de l’entrée dans le raisonnement historique.

Abstract

This study considers the conditions historical knowledge acquisition through the completion of a final assessment test (composing a text) by 5th grade students, when the lesson is based on a digital document. Two different scenarioswere implemented: in one case, teachers freely used the medium. In the other case, they followed a protocol developed with the researchers. The cognitive activities of students were different for each scenario: search for specific information versus synthesis and organization of information on an issue. However, while the students demonstrated the ability to reproduce on their own what they learned during the session, in neither case does their work reflect the use of historical reasoning.

Mots-clés
conscience disciplinaire, pratiques enseignantes, production écrite, récit historique didactique, support d’apprentissage numérique

Keywords
didactic narrative, digital document, disciplinary awareness, historical reasoning, teaching practices, writing skills

L’étude qui suit porte sur l’utilisation, par des élèves de la fin du primaire, d’un site Internet éducatif, dans le cadre de l’enseignement de l’Histoire. Elle s’insère ainsi dans la réflexion sur les supports d’enseignement et d’apprentissage, centrale dans le présent numéro, et qui a été renouvelée par plusieurs parutions au cours des dernières années (voir Bonnéry, Crinon et Simons, 2015). Dans quelles conditions une leçon qui s’appuie sur un document numérique peut-elle conduire les élèves à manifester, lors de l’écriture finale d’un texte, un début de maitrise de la réflexion historique sur la notion travaillée ? Deux scénarios différents d’utilisation du même document ont été mis en œuvre dans des classes de 5e année. Les productions obtenues de la part des élèves en fin de séquence sont, nous le verrons, sensiblement différentes selon le scénario.

1. Contexte et cadre théorique

Les objectifs actuels en matière de formation des élèves au numérique aux niveaux international1 et national incluent la capacité à comprendre divers textes sur supports numériques et à les utiliser pour s’informer et pour apprendre. Ainsi, en France, le nouveau « Socle commun de connaissances, de compétences et de culture », qui fixe les objectifs à atteindre au cours de la scolarité obligatoire, inclut le langage informatique dans le domaine des « langues pour penser et communiquer » et l’accès à l’information et à la documentation figure comme une priorité dans le domaine des « méthodes et outils pour apprendre » (MENESR, 2015b). Les compétences liées au numérique sont également très présentes dans les programmes de 2015 de l’école primaire et du collège. Au 3e cycle (4e, 5e et 6e année), les instructions officielles stipulent que « dans tous les enseignements en fonction des besoins, mais en histoire, en géographie et en sciences en particulier, les élèves se familiarisent avec différentes sources documentaires, apprennent à chercher des informations et à interroger l’origine et la pertinence de ces informations dans l’univers du numérique » (MENESR, 2015a, p. 106). Les élèves doivent, en outre, bénéficier d’un « apprentissage explicite de la mise en relation des informations dans le cas de documents associant plusieurs supports (texte, image, schéma, tableau, graphique…) ou de documents avec des liens hypertextes » (MENESR, 2015a, p. 106). On peut donc penser que les documents numériques sont appelés à prendre une place croissante comme supports d’enseignement dans les disciplines, aux côtés des supports papier traditionnels : manuels, fiches, livres, documents authentiques didactisés…

Or, les pratiques les plus souvent observées, notamment dans les classes de l’école élémentaire, font de l’acquisition des compétences à lire et à utiliser les textes numériques un domaine autonome, peu relié aux autres apprentissages scolaires. Nous pensons au contraire qu’il importe de faire entrer les élèves, dès l’école primaire, dans ce que nous avons proposé d’appeler la « littératie numérique scolaire », un ensemble de compétences à lire et à écrire pour s’informer, apprendre, réfléchir, produire des significations dans le contexte même de l’école. Elle consiste notamment à maitriser différentes modalités et différents codes sémiotiques liés au langage écrit, au son et à l’image, et les fonctionnalités des technologies afférentes, pour construire des savoirs propres aux domaines et aux disciplines scolaires, et communiquer selon des exigences langagières spécifiques (Ferone, Richard-Principalli et Crinon, 2017). Dès lors que les supports numériques sont utilisés pour apprendre dans une discipline, on ne peut donc séparer cette utilisation des objectifs de la séquence d’apprentissage (Klein et Boscolo, 2016), ni, plus largement, de l’appropriation des caractéristiques des discours (oraux et écrits) propres à la discipline et de l’acquisition d’une conscience disciplinaire (Reuter, 2007).

En ce qui concerne plus particulièrement l’enseignement de l’Histoire, dans lequel le recours aux documents est fréquent, l’enjeu de l’utilisation de ces documents, au-delà de la connaissance des faits, est de raisonner et d’argumenter sur ces faits (Cariou, 2012 ; De La Paz et Felton, 2010) et de devenir capable de comprendre et de produire des récits historiques didactiques. Le récit historique didactique est un genre constitutif des premiers manuels d’histoire, dont l’archétype est la collection « Malet-Isaac » créée après les programmes de 1902 et mise à jour jusqu’en 1960 (Deleplace, 2007). Il entrelace « narration descriptive, explication causale et généralisation partielle » (Deleplace, 2007, p. 35). Sa spécificité tient à la double visée inhérente au discours sur l’Histoire, qui est une narration explicative. Lautier et Allieu-Mary (2008) rappellent avec Ricœur (1983) et Bruner (1991, 1996) que « la compréhension et l’explication opèrent par une même compréhension narrative qui organise les évènements selon un schème familier structuré par le changement du cours des choses » (p. 103). Mais cette double visée va de pair avecune nécessaire concentration des évènements rapportés et de leurs effets, ce qui suppose que, « dans presque tous les cas, le lecteur doit être capable d’expanser certains éléments du texte. Les textes historiques à visée didactique se caractérisent en effet par le rôle essentiel joué par les procédures de condensation » (Laparra, 1991, p. 120). Ainsi prévaut dans ces récits la nécessité de rendre compte, de manière synthétique, à la fois d’informations denses et nombreuses et d’une logique explicative.

Si le récit historique didactique se retrouve en partie sur le site Internet utilisé par les classes étudiées ici, il reste difficilement identifiable en tant que tel, du fait des caractéristiques propres aux documents numériques, qui appellent des compétences particulières de lecture. En effet, à l’instar de certains autres supports d’apprentissage imprimés (manuels, ouvrages documentaires, albums), ceux-ci présentent un degré élevé de « composite » (Bautier, Crinon, Delarue-Breton et Marin, 2012), et sont souvent :

  • hétérogènes du point de vue des codes sémiotiques qui les régissent (textes écrits, images, graphiques, icônes…),
  • non continus (ils juxtaposent des éléments non organisés de manière apparente, sans discours d’ensemble unificateur ; le texte est dépourvu de connecteurs qui marquent les liens logiques entre les propositions),
  • hétérogènes du point de vue de l’énonciation (mélange du récit et du discours, de l’écrit et de l’oral),
  • hétérogènes et équivoques du point de vue de la visée, des intentions et des enjeux de communication, du fait par exemple de la présence d’activités ludoéducatives.

Nous montrerons, à partir de l’analyse de deux séquences didactiques de types différents fondées sur la lecture d’un même document numérique en Histoire au cours moyen et de productions écrites d’élèves à l’issue de la séquence, le rapport entre l’activité conduite dans la classe lors de la séquence d’enseignement et les caractéristiques des textes produits par les élèves, au regard de l’objectif d’acquisition du récit historique didactique.

2. Méthodes de l’étude

2.1. Les deux situations de travail en histoire

Les deux situations de travail observées s’inscrivent dans le même objectif de savoir disciplinaire, l’instauration par Napoléon d’un régime autoritaire : la période de l’Empire se situe à la fois dans l’héritage de la Révolution française et en rupture avec celle-ci, en renouant avec les symboles de la monarchie et avec un pouvoir absolu2.

Elles se déroulent en classe de cours moyen 2 (5e année) et s’appuient sur le même support : un site Internet éducatif« Napoléon Bonaparte. Du consulat à l’empire3 » créé pour France TV éducation par une société spécialisée dans la production multimédia. Ce site présente Napoléon sous la forme de cinq pages-écrans, accessibles par une frise chronologique, qui correspondent à cinq dates ou périodes choisies par les concepteurs (1799, le Consulat, le Sacre, l’Empire et 1815). Les pages sont constituées de textes, d’images et d’activités ludiques (trois jeux d’appariement).

Figure 1 : Exemples de pages-écrans du site France TV éducation (http://education.francetv.fr/activite-interactive/napoleon-bonaparte-du-consulat-a-l-empire- o13341.)

Deux situations ont été analysées. Elles s’organisent en une séquence de 2 heures (2 séances d’une heure), filmées, incluant une évaluation des élèves élaborée par les chercheurs. Mais l’une a été laissée à l’initiative des enseignants, tandis que l’autre a suivi un protocole coélaboré par les chercheurs et les enseignants. Les classes dans lesquelles l’initiative a été laissée aux enseignants de préparer leur séquence (situation 1) présentaient cependant de forts points communs entre elles dans leur déroulement et les modes d’utilisation des documents, notamment une lecture exhaustive du document, le recours à des jeux, une grande autonomie laissée aux élèves dans l’exploitation du support4. Dans la situation 2, l’accent a été mis sur la cohérence entre l’utilisation du site Internet support et l’objectif de la leçon, et les enseignants ont demandé aux élèves de relever les informations les plus importantes en ayant recours systématiquement à l’écriture : prise de notes orientée par une intention, rédaction de synthèses…

Dans la situation 1, ont été observées 3 classes (soit 43 élèves) : deux classes relevant de l’enseignement prioritaire et une en milieu favorisé, dans la région parisienne.

Dans la situation 2, ont été observées 2 classes (soit 39 élèves) ; ces deux classes relèvent de l’enseignement prioritaire.

Les vidéos enregistrées dans les différentes classes ont été transcrites et les interactions verbales analysées. Dans un premier temps, nous avons mesuré les temps consacrés aux différentes phases des séances : installation matérielle, contextualisation, lancement de séance (objectifs, enjeux, consignes), activités des élèves, orientation par l’enseignant, synthèse collective, évaluation. Dans un second temps, nous avons analysé les interactions verbales de l’enseignant selon les critères suivants :

Quelle prise en compte du support comme outil d’apprentissage de l’Histoire ?

  • Comment sont présentés les objectifs, les enjeux et les contenus de savoirs ?
  • Comment est présenté le support d’apprentissage ? (à des fins d’apprentissages disciplinaire ouinformatique ; comme ressource pour apprendre ou comme banque d’activités ?)
  • Comment le support est-il exploité ? (de manière exhaustive ou sélective)

Quelle prise en compte des caractéristiques spécifiques du support ?

  • Comment l’origine et la fonction du support sont-elles signalées ?
  • Comment la dimension composite du support est-elle travaillée ?
  • Comment la navigation dans le support est-elle présentée ?

Quels modes de travail intellectuel mobilisés dans l’étude de ce support ?

  • Comment les séances sont-elles contextualisées ? (tissage4 centré sur les tâches ou les objets de savoir) ?
  • Quelles sont les activités demandées aux élèves ? (recherche d’informations ponctuelles ou activités de synthèse ou de résumé)
  • Quelle est la fonction de l’orientation par l’enseignant ? (centrée sur la tâche à réaliser ou sur la compréhension des enjeux et des contenus de savoir ?)
  • Quelles sont les modalités de travail ? (individuel, en binôme, collectif, à l’oral, à l’écrit)

Nous développerons en particulier ce dernier point puisque les analyses montrent que ce sont les activités proposées qui engendrent le plus d’effets sur les productions des élèves.

2.2. La situation de production écrite

À l’issue de la séquence, les élèves devaient notamment répondre à une question ouverte, directement liée à l’objectif notionnel de la leçon : « Montre en quoi Napoléon se comporte comme un nouveau roi ». Ils disposaient d’une quinzaine de minutes. Ils pouvaient pour ce faire consulter le site.

On attendait donc des élèves qu’ils mobilisent des capacités cognitives et culturelles pour s’emparer des supports numériques lus afin de leur attribuer des significations quant à l’enjeu de savoir : identifier les éléments pertinents du point de vue de l’objectif notionnel (Napoléon continuateur ou liquidateur de la Révolution), transformer des informations hétérogènes en un discours homogène permettant de construire la notion visée. L’écrit devait relever du genre explicatif correspondant à la discipline, le récit historique didactique. Écrire un récit explicatif en histoire suppose des opérations cognitives particulières, notamment la sélection des informations pertinentes et leur mise en relation causale, opérations qui supposent une lecture préalable fructueuse. Nous avons donc retenu comme critères d’analyse des productions écrites les deux items suivants :

  • La pertinence et la justesse par rapport à la question posée (les éléments proposés répondent ou non à la question posée).
  • Le type de cohérence :
  • lien causal entre les informations ou évènements donnés comme exemples (le raisonnement causal est retenu comme caractéristique du genre explicatif, voir Deleplace, 2007) ;
  • succession d’actions et/ou d’évènements (mise en relation chronologique retenue comme caractéristique du genre narratif, particulièrement représenté à l’école) ;
  • informations ponctuelles (absence de mise en relation témoignant de la non-inscription dans un genre discursif, quel qu’il soit).

Chaque information recueillie dans les textes produits a fait l’objet d’un codage sur chacun des deux critères (méthode des juges). On a en outre repéré les éléments du document numérique — support de la leçon — présents dans le texteproduit afin d’étudier comment des élèves transforment (ou pas) des éléments trouvés sur le site Web pour les intégrer (ou pas) dans un raisonnement.

3. Analyses

3.1. Analyse des textes produits

3.1.1. Analyse qualitative d’exemples

On peut opposer d’abord les textes selon que leur contenu est plus ou moins pertinent (et juste) par rapport à la question posée : les élèves ont été plus ou moins capables de sélectionner et de citer, parmi les diverses informations, relatives au Consulat et à l’Empire, présentées dans le document, celles qui concernent le retour de Napoléon à un pouvoir absolu ou à un régime autoritaire.

Ainsi, la production de Mamadou déroule des informations sans rapport avec la question posée.

Il a essayé d’agrandir l’Europe. Il a fait de nouvelle chose (sic) comme le lycée. En 15 ans il a bouleversé le système économique de France. Il a déplacé les frontières de l’Europe. Il a sacré Joséphine sa femme. Il a voulu donner une monnaie stable et code de loi. Il a voulu renforcer la centralisation administrative.

(Classe R, Mamadou5)

Celle de Lou-Anne juxtapose des énoncés tirés tels quels du document, les uns utiles pour répondre à la question (« Napoléon Bonaparte prend de plus en plus l’allure d’une dictature. L’absence de liberté devient insupportable. »), les autres beaucoup plus éloignés de celle-ci.

Napoléon se comporte comme ça : Napoléon Bonaparte prend de plus en plus l’allure d’une dictature. L’absence de liberté devient insupportable. Napoléon se couronne lui-même. Napoléon Bonaparte avait kidnappé le pape dans la forêt de fontainebleau. Napoléon Bonaparte est capitaine à 16 ans, général à 24 ans.Il révèle ses talents militaires pendant la révolution (sic) française.

(Classe J, Lou-Anne)

À l’opposé, Ylama et Hugo n’ont su retenir de leur texte que des éléments relatifs au pouvoir absolu de Napoléon, qu’il s’agisse de sa prise de pouvoir, de la politique qu’il a menée ou de l’adoption de symboles de la monarchie.

Napoleon se comporte comme un nouveau roi car il se sacre Empreure (sic), il prend le pouvoir, Napoleon agrandit son territoire. Il a une armée et un château – quand il se sacre il y a des fleur (sic) de lisse (sic), il y a le pape derière (sic) lui et Il (sic) y a sa famille.

(Classe C, Ylama)

Parce que il (sic) gouverne comme un roi et parce que il (sic) cherche à agrandir son territoire, comme les rois et aussi il revient a un état ou la liberté commence à partir, la monarchie absolu (sic) commence petit à petit à revenir un dictateur comme les précédents rois qui ont cherché le pouvoir et un contrôle absolu. Il se sacre comme les rois auparavants (sic) se (sic) qui prouve que Napoléon est le nouveau roi.

(Classe C, Hugo)

Mais, si l’on examine ces deux derniers exemples, ils diffèrent quant à leur mode de textualisation, ce qui nous conduit à considérer notre deuxième critère d’analyse : la cohérence du texte et la manière de la faire percevoir au lecteur. Alors qu’Ylama, après avoir souligné par « car » le lien logique entre la proposition à démontrer (« Napoléon se comporte comme un nouveau roi ») et les informations qu’elle a sélectionnées, énumère ces informations comme autant d’exemples ou d’illustrations de ce comportement, Hugo explicite un raisonnement, mettant en rapport constamment (« parce que », « comme », « ce qui prouve que ») les faits (la prise de pouvoir, les conquêtes, le contrôle absolu, le sacre) et la notion d’absolutisme, reformulée, voire déclinée de différentes manières (« comme un roi », « monarchie absolu », « dictateur », « pouvoir et contrôle »). Ainsi les faits, au-delà de leur valeur illustrative, deviennent des arguments. Ce raisonnement s’inscrit en outre dans une dimension temporelle (« revenir », «auparavant ») et repose sur le maniement de notions qui le rendent possible (gouverner, liberté, dictateur, monarchie absolue). On peut considérer que le texte d’Hugo manifeste, quelles que soient les maladresses locales de langue, une entrée dans le genre visé du récit historique didactique, de manière plus affirmée que celui d’Ylama, bien que celui-ci en possède déjà une caractéristique importante, pouvoir regrouper des faits pour illustrer un concept.

En cela, on peut distinguer clairement ces textes de celui de Dilara, qui tire sa cohérence d’une tout autre logique d’exposition, le récit minimal, qui déroule les faits chronologiquement.

Napoléon il est aidé par ses soldats admiratifs, il prend le pouvoir par le coup d’état (sic) du 18 brumaire et instaure le régime autoritaire du Consulat (1799-1804). En 15 ans Napoléon boulvers (sic) le système économique et administratif de la France et déplace les frontières de l’Europe ! Au travers des 3 grandesétapes de son histoire :
le consulat de 1799 à 1804
le sacre 1804 à 1815
l’empire 1815
Napoléon a été définitivement vaincu à Waterloo.

(Classe J, Dilara)

Ces textes se distinguent par ailleurs de productions qui ne répondent à aucune de ces cohérences et où l’élève restitue des informations ponctuelles, sans faire de lien entre celles-ci. C’était le cas des productions de Mamadou et de Lou-Anne reproduites plus haut.

Ces types de textualisation (ou son absence) ne sont pas sans rapport avec la manière qu’a l’élève de se situer par rapport au document support de la leçon, qui constitue en même temps une ressource pour écrire. Les informations, les faits historiques, les notions, les savoirs qu’il contient sont en effet la première source dans laquelle il est invité à puiser pour construire le savoir visé et écrire son texte. Mais alors que certains élèves ont déjà compris qu’il s’agit de formuler à leur manière un texte cohérent à partir de cette matière (c’est le cas d’Hugo, mais aussi d’Ylama), d’autres procèdent par collage d’énoncés tirés tels quels du document numérique.

On identifie essentiellement deux cas de figure.

  1. L’élève sélectionne des passages pertinents dans les pages-écrans successives qu’il recopie (les éléments soulignés sont empruntés à la source, les barres obliques marquent le changement de page-écran), mais sans expliciter la démonstration :

Il prend le pouvoir par un coup d’Etat et instaure le régime autoritaire du consulat 1799-1804. [page-écran 1a] //
En 15 ans napoléon bouleverse le système économique et administratif de la france (sic) et déplace les frontieres (sic) de l’Europe. [page-écran 1b] // Napoléon considère que la révolution est terminer (sic). Dans sont (sic) rôle de Premier consul, il souhait (sic) pacifier la france (sic) dans le domaine religieux donner au pays une monaie (sic) stable et un code de lois valable pour tous [page-écran 2a] // Il souhaite également renforcer. [début de la page-écran 2b]

(Classe R, Ketura)

2. L’élève mêle des copier-coller non successifs, mais dont les critères de sélection ne sont pas identifiables et des bribes en partie reformulées, mais sans cohérence :

[…] que Napoléon à 16 ans il était capitaine et à 24 il était général. [reformulation d’informations de la page-écran 1] // A (sic) partir de 1808, le pouvoir de Napoléon prend de plus en plus l’allure d’une dictature personelle (sic). [copier- coller sélectif de la page-écran 5a] / Napoléon est né à Ajaccio le 15 août 1769. Il relève (sic) ses talents militaires pendant la révolution française, Napoléon que il à (sic) aidé par ses soldats admiratifs, il prend le pouvoir par le coup d’Etat du 18 brumaire et instaure le régime autoritaire du consulat (1799-1804) [copier-coller de la page-écran 1] il était consulat de 1799 à 1804 le sacre en 1804 et l’empire de 1804 à 1815 [reformulation d’éléments de la page-écran 1b].

(Classe L, Pryscilia)

Dans certains cas, ces collages rendent le texte irrecevable, comme on le voit aussi dans la deuxième phrase de la production de Jeanne.

Napoléon se comporte comme un nouveau roi, car il fait beaucoup de guerres en les renportant (sic). Il prend plus en plus une allure d’une dictature personnelle.

(Classe C, Jeanne)

Sur le site, on peut lire : « À partir de 1808 le pouvoir de Napoléon prend de plus en plus l’allure d’une dictature personnelle ».

Il est difficile ici de savoir si la syntaxe rend compte de la difficulté à comprendre ce passage du document numérique consulté, ou si Jeanne reproduit dans son propre texte le schéma d’organisation de la progression de l’information. En effet, Jeanne, comme la plupart des élèves ici, utilise un type de progression à thème constant, où Napoléon alterne avec il. La manière de reprendre les sources, que les limites de cet article ne nous permettent pas d’étudier plus avant, est sans doute une marque de la compétence à lire et à comprendre le document d’origine : la reformulation de celui-ci est l’indice d’un traitement cognitif (construction d’une représentation mentale du texte lu, puis relinéarisation dans un nouveau texte) que n’a pas réussi à mettre en œuvre un élève qui restitue à l’identique des phrases du document. Mais elle est aussi liée à la compréhension de ce qu’est l’activité sollicitée dans la discipline Histoire et à l’appropriation du genre du récit historique didactique : non pas un patchwork de notes prises dans le support, mais le résultat d’une activité de sélection, de synthèse et d’argumentation.

De ce point de vue, nos relevés concernant les reprises, dans les textes des élèves, des informations contenues dans le document numérique, mettent en évidence une tendance majoritaire chez les élèves de la situation 1 à procéder à des copier-coller du site. À l’inverse, les élèves de la situation 2 recourent peu au copier-coller, mais ils reformulent et synthétisent le plus souvent les informations sélectionnées, à partir du travail collectif oral opéré en classe.

3.1.2. Analyse des tendances du panel

Observe-t-on des tendances quant à la répartition des textes en fonction des critères retenus (pertinence du contenu de la réponse, genre dominant, manière d’utiliser les sources) en fonction de la démarche proposée par l’enseignant (situation 1 versus situation 2)6 ?

En ce qui concerne la pertinence des réponses, dans la situation 1, une majorité importante d’élèves a produit des textes dont la plupart des informations ne répondent pas à la question. Ce résultat s’inverse dans la situation 2, où la majorité produit des réponses pertinentes (voir le tableau 1).

Situation 1 (recherche d’informations et jeux)

(43 élèves)

Situation 2 (centrée sur l’objectif notionnel)

(39 élèves)

NombrePourcentageNombrePourcentage
Élèves ayant produit des réponses 18,5 pertinentes43,02 %2871,79 %
Élèves ayant produit des réponses 24,5 non pertinentes56,98 %1128,21 %

Tableau 1 : Réponses pertinentes et non pertinentes selon la situation

Il semble donc que le premier effet de la situation fournissant un étayage au travail des élèves pour conduire à lier la lecture du document et la réflexion sur l’ambigüité du rôle de Napoléon, à la fois continuateur de la Révolution et artisan d’un retour à un pouvoir absolu, a été d’amener les élèves à mieux sélectionner les informations sur lesquelles s’appuyer pour écrire le texte demandé. Ceci résulte d’une lecture orientée vers un objectif notionnel. Les élèves ont ainsi manifesté, avec l’étayage présent lors des échanges oraux, une compétence qui est importante lorsqu’on utilise des sources multiples pour écrire un texte (Britt et Rouet, 2012).

Cette caractéristique des textes produits par les élèves dans la situation 2 va de pair avec une plus grande concision : les élèves semblent avoir plus souvent compris qu’il ne s’agit pas de restituer tout ce qu’ils avaient retenu du document consulté. Et ces observations concernent indifféremment des élèves manifestant par ailleurs des compétences assurées ou plus fragiles en ce qui concerne la maitrise des normes linguistiques.

Examinons à présent le tableau récapitulant les traces de genres textuels identifiées dans ces productions (tableau 2).

Situation 1 (recherche d’informations et jeux)

(43 élèves)

Situation 2 (centrée sur l’objectif notionnel)

(39 élèves)

Nombred’élèvesPourcentaged’élèvesNombred’élèvesPourcentaged’élèves
Genre explicatif dominant1944,19 %12,532,05 %
Genre narratif dominant24,65 %2,255,77 %
Informations ponctuelles sans liens2251,16 %24,2562,18 %

Tableau 2 : Genre textuel dominant selon la situation

Ici, il serait difficile d’observer une tendance pouvant laisser penser à un effet de la situation didactique tentant de conduire les élèves à raisonner sur les faits. Les élèves ayant bénéficié de la situation où ils étaient ramenés fréquemment à l’objectif de la séquence sont loin de produire plus fréquemment des textes cohérents.

3.1.3. Comment interpréter ces résultats ?

Une première remarque est qu’une seule séquence de travail ne peut suffire à assurer l’apprentissage de compétences cognitives et langagières aussi complexes que celles qui étaient sollicitées, qui combinent la sélection d’informations en fonction d’un but, leur mémorisation, la capacité à les relier pour comprendre un phénomène historique et àraisonner en s’aidant de l’écrit, plus précisément, en pratiquant un genre qui apparait à la fois ici comme un moyen pour aider à raisonner et à expliquer, et comme un objet d’apprentissage. À travers la pratique de genres discursifs, les élèves s’approprient, en même temps, des formes langagières et des modes d’organisation des savoirs socialement et culturellement constitués (Bazerman, 2012). Cette acquisition ne va pas sans travail systématique et elle exige une pratique réitérée.

Mais les particularités des séquences de travail et des interactions didactiques qui s’y sont déployées sont aussi à prendre en compte par rapport à ce qu’ont réussi à faire les élèves dans chacune des deux situations. Nous allons à présent tenter de le montrer.

3.2. Analyse des séquences réalisées

Les deux situations se distinguent nettement lorsqu’on analyse les interventions de l’enseignant et les interactions, avec les critères présentés plus haut.

3.2.1. Quelle prise en compte du support comme outil d’apprentissage de l’Histoire ?

Situation 1

Dans deux classes sur trois, les objectifs de la séance ne sont pas présentés.

Donc d’habitude on fait informatique le mardi et on fait histoire le jeudi. Aujourd’hui on va faire les deux en même temps. On va travailler en Histoire avec le support informatique. D’accord ? (Classe L, séance 1, 1re mn) ; Donc là on s’est arrêté à 1799. Aujourd’hui on va continuer. Il va y avoir la suite de l’histoire on va dire.

(Classe L, séance 1, 8e mn)

Dans ces deux classes, le support sert principalement de banque d’activités : lors de la première séance, les contenus sont apportés par les enseignants, et sous la forme d’un cours dialogué lors de la deuxième séance. Les élèvestravaillent en binôme pendant 43 minutes (57 % du temps total) lors de la séance 1 dans la classe L, la séance 2 est un cours dialogué (66 % du temps, hors évaluation). Dans les trois classes, le support est utilisé dans sa totalité. L’autonomie des élèves dans l’utilisation du site est fortement privilégiée.

Regarde, on te donne des informations. L’intérêt du site c’est vraiment de lire toutes les informations qu’on nous donne. (Classe J, séance 1, 12e mn) ; Faites comme si vous étiez tout seuls devant l’ordinateur.

(Classe J, séance 1, 14e mn)

Situation 2

Les objectifs de la séquence sont signalés dans les deux classes observées.

Aujourd’hui, on va s’intéresser à un homme qui a pris le pouvoir par la force en 1799. Donc ce monsieurdont on va parler aujourd’hui, il va à la fois prolonger les acquis de la Révolution et en même temps, en même temps, il va en supprimer certains ; donc sur ces deux séances, on va essayer de voir ensemble quelles sont les réformes qu’il a faites qui vont dans le sens de la Révolution française, et quelles sont, au contraire, les réformes qu’il a faites, qu’il a effectuées, et qui reviennent vers la monarchie absolue.

(Classe L, séance 1, 13-15e mn)

Le support est présenté comme une ressource destinée à répondre « aux questions que l’on se pose ». Lesenseignantes sélectionnent une partie des informations du site. Ainsi, les activités « ludiques » proposées par le site sont partiellement réalisées.

En fait, on a cinq pages, avec des images, des textes, des jeux, nous n’allons pas utiliser toutes les informations, mais seulement, une partie des informations.

(Classe L, séance 1, 24e mn)

3.2.2. Quelle prise en compte des caractéristiques spécifiques du support ?

Situation 1

Le support (origine, fonction et navigation) n’est présenté dans aucune des classes.

La mise en relation des informations dans les pages et entre les pages n’est pas abordée de manière explicite.

Situation 2

L’origine et la fonction du site sont présentées aux élèves ainsi que le mode de navigation.

Les liens entre les informations représentées sous différentes formes (textes, images) sont partiellement mis enrelation. Certaines inférences sont explicitées (signification du titre « Masses de granit » par exemple).

Ce n’est pas le site de France TV qui a décidé de l’appeler comme ça… C’est Napoléon lui-même quidans un discours a parlé de masses de granit. Il a dit : « on a tout détruit… ; Qui n’avait pas compris que c’était une image ? Donc masses de granit, lui a appelé masses de granit toutes les réformes qu’il va faire parce que pour lui, ces réformes, elles vont être des piliers, ça va être des choses solides pour la France, pour pouvoir construire la nation française, d’accord ? (Classe L, séance 1, 43e mn)

3.2.3. Quels modes de travail intellectuel sont mobilisés dans l’étude de ce support ?

Situation 1

Dans deux classes, les élèves ont à réaliser « un rallye » qui exploite de manière chronologique la totalité du site. Le travail pour les élèves consiste essentiellement à trouver des informations sur les pages du site (des noms, des dates, des lieux, des mots à recopier, voir figure 1). Dans la troisième classe, l’activité consiste à effectuer les jeux proposés par le site et à coller des étiquettes (personnages, dates, évènements) sur une frise chronologique. Dans les trois classes, le « tissage » est centré sur la réalisation des exercices à réaliser.

Qui peut me rappeler ce que nous avons fait ensemble ? Avec quel moyen nous avons travaillé sur Napoléon Bonaparte ? Avec Internet, et qu’est-ce que vous aviez à faire ? Qu’est-ce que tu devais faire, c’était quoi ton travail ? (Classe L, séance 2, 2e mn)

Situation 2

Dans les deux classes observées, les enseignantes exploitent en collectif les pages du site l’une après l’autre. L’activité des élèves consiste à répondre à l’oral aux questions de compréhension, à effectuer partiellement les activités proposées par le site et pour chaque page, à produire, à l’écrit, une phrase de synthèse, et à la classer dans une des colonnes d’un tableau à double entrée (Napoléon poursuit l’œuvre de la Révolution / Napoléon revient à un régime autoritaire).

Je veux que chacun reformule sa réponse tout seul sur son ardoise, vous allez me dire, selon vous, dans le texte que je viens de lire, quelle est l’idée la plus importante. Dans le texte que nous venons de lire, vous allez me dire, quelle est l’information la plus importante ?

(Classe L, séance 1, 28e mn)

Les trois dimensions analysées influent de manière importante sur la compréhension des élèves, que ce soit la prise en compte du support comme outil d’apprentissage disciplinaire avec la nécessité de préciser les buts de la recherche et de hiérarchiser l’information (Britt et Rouet, 2012) ou la prise en compte des caractéristiques du support avec la nécessité de familiariser les élèves à la navigation dans et entre les pages-écrans, ce que soulignent les travaux des chercheurs de l’OCDE (2015). Il semble toutefois que la dimension qui a le plus influencé les productions des élèves dans cette étude concerne les modes de travail intellectuel mobilisés. Ainsi, lorsque les enseignants proposent comme tâche principale de rechercher des informations ponctuelles (via un rallye, figure 2), les élèves manifestent la maitrise de ces compétences, comme l’ont montré leurs réponses au QCM. À l’inverse, seuls quelques élèves sont capables d’attester de compétences plus complexes dans la mise en relation critique de ces informations entre elles (voir Ferone, Richard-Principalli et Crinon, 2017).

Figure 2 : Exemples de questions posées dans le rallye (Classe L, situation 1)

Dans la situation 2, après avoir étudié collectivement chaque page-écran, les enseignantes demandent aux élèves de produire à l’écrit une phrase qui résume l’information ou l’idée la plus importante. Ces productions sont ensuite discutées dans la classe et aboutissent à une phrase synthèse collective. Celle-ci est affichée au tableau et recopiéepar les élèves (figure 3). Les évaluations montrent à nouveau la capacité des élèves à réussir ce qu’ils ont travaillé au préalable. Ainsi, lors de l’évaluation, les élèves produisent des réponses pertinentes (72 % contre 28 % lors de la situation 1), mais ce mode de travail ne permet pas aux élèves de produire des textes qui répondent au genre attendu (32 %). La grande majorité des textes des élèves sont constitués de syntagmes qui répondent à la question, mais qui se juxtaposent et ne constituent pas un texte narratif explicatif (voir exemples ci-dessous), à l’exemple de la synthèse finale construite collectivement (voir figure 3).

Napoléon agrandit son territoire par la guerre, il devient dictateur. Il obtient le pouvoir par la force. Napoléon signe un concordat avec le pape. Il refuse la liberté de l’expression. Napoléon se sacre lui-même empereur et sacre aussi sa femme Joséphine.

(Classe L, Grace)

Napoléon se sacre tout seul. Il déclare de nombreuses guerres. Il a plus de pouvoir que d’autre (sic) personne (sic). Il a beaucoup de territoire (sic).

(Classe C, Romaissa)
Napoléon revient à un pouvoir autoritaireNapoléon continue l’œuvre de la Révolution
Napoléon prend le pouvoir par la force.
Napoléon se sacre empereur.
Napoléon agrandit son territoire par des guerres.
Napoléon refuse la liberté d’expression, il devient dictateur.
Napoléon fait des réformes pour tous les Français.
Figure 3 : Tableau de synthèse de la classe L (situation 2)

Ainsi, si dans la première situation les élèves, dans leurs textes finaux, ont restitué et noté des informations diverses rencontrées sur le site pour répondre aux différents jeux et questionnaires, les élèves des classes où a été conduit le second type de situation didactique ont sélectionné les informations correspondant à l’objectif, comme dans l’activité d’écriture collective rencontrée. Cependant, dans cette seconde situation, le modèle donné aux élèves à traversl’élaboration de ce tableau de synthèse est celui de la liste. Il les conduit à une pratique de l’énumération des faits, mais ce faisant, les mène à l’économie du raisonnement explicite, de l’explication, de la justification de ce qui les a conduits à retenir ces faits.

À l’issue de cette analyse, on pourrait faire l’hypothèse que les élèves ont besoin d’avoir à leur disposition des exemples des textes qu’ils pourront écrire et qu’ils peuvent s’approprier, et des conduites langagières à mettre en œuvre. Or, les textes composites ne sont pas le genre cible et les pratiques d’utilisation de ces textes en classe n’ont pas intégré la familiarisation au genre cible. S’emparer de ressources y est en général pensé par l’enseignant commeconsistant à trouver les informations. Les ressources génériques sont oubliées.

Avec le site Internet « Napoléon », le modèle implicite mis sous les yeux des élèves est un modèle écrit «prérhétorique », pour reprendre une expression de Roger Laufer (communication personnelle) à propos des hypertextes : les éléments d’information au sein desquels le lecteur peut « naviguer » de différentes manières sont là, mais un parcours reste à choisir, une suite de liens logiques à construire et à formuler. Il en va de même avec la liste d’exemples constituée lors des synthèses au cours de la séquence d’apprentissages. Les élèves ont pris des notes. C’estloin d’être suffisant en l’absence de modèle textuel pouvant accueillir celles-ci. L’illusion est qu’il suffit de donner des ressources informatives. Donner des ressources pour structurer l’écrit (c’est-à-dire des genres) est ce qui permet ausside penser, de donner forme à l’esprit.

Écrire des textes explicatifs historiques à l’école élémentaire est-il cependant un objectif hors d’atteinte, notamment pour les élèves les plus faibles ? Nous ne le croyons pas, dès lors qu’on donne aux élèves des ressources pour le faire et la conscience que c’est l’un des objectifs à atteindre. La question est plutôt : est-ce nécessaire pour enseigner l’Histoire ? Oui, dans la mesure où les modes de raisonnement à s’approprier passent nécessairement par le langage et que le langage écrit permet de fixer et de travailler ces modes de raisonnement : « The processes involved in writing — searching for ideas, organizing, checking, revising, and so on — appear to be the processes through which thinking takes place (Bereiter et Scardamalia, 1987). » (Klein et Boscolo, 2016, p. 312). Cette élaboration progressive du savoir conceptuel par le langage implique cependant des conditions, notamment apprendre à se fixer des buts et à auto évaluer la progression du travail par rapport à ces buts. Cela ne va pas sans un étayage ni sans une mise en relation explicite des concepts et des évènements.

Conclusion

De cette étude exploratoire (car limitée à une séquence, à un petit nombre de classes et sans contrôle de l’ensemble des facteurs pouvant influer sur les résultats) et qui devra être confirmée par d’autres, il ressort plusieurs points.

Beaucoup d’élèves réussissent à faire seuls lors de l’évaluation ce qu’ils ont de fait appris à faire en classe. Si on les a entrainés à faire de la recherche d’informations ponctuelles (situation 1), ils restituent les informations qu’ils ont retenues, sans trop se soucier de la question posée. Si on les a entrainés à synthétiser et à organiser des informations relatives à une question, ils produisent davantage d’informations relatives à l’objectif notionnel travaillé.

Cependant, ni dans une situation ni dans l’autre les élèves n’ont en majorité réussi à produire un texte où apparaissaient des éléments de raisonnement historique. Ont-ils commencé à prendre conscience de ce qu’il convient de faire, au sein de la discipline Histoire, pour s’approprier des connaissances fournies par un texte pour raisonner sur l’enchainement des faits et comprendre des concepts (la démocratie, le pouvoir absolu…), et circuler dans le support pour trouver des arguments, des exemples, etc., en se repérant dans la structure de ce document non linéaire et en mettant en rapport des informations différemment codées (textes, images, cartes, frises chronologiques, etc.) ? Rien ne permet pour l’instant de le savoir, et cette appropriation du genre et l’évolution dans la « conscience disciplinaire » demanderaient sans doute un enseignement régulier, cadré et intégré aux pratiques dans la discipline.

Mais être capable d’écrire un texte rendant compte de cette réflexion historique sur les faits demanderait aussi que l’apprenant possède un modèle conceptuel du texte cible et un modèle de la tâche d’aller-retour entre les sources et le texte cible (Britt et Rouet, 2012). Même pour des scripteurs avancés, la transformation d’un contenu d’un genre à un autre constitue une tâche exigeante, qui à fortiori a peu de chances d’être réalisable tant que le scripteur n’a pas à sa disposition ces modèles du texte cible et de la tâche de transformation. Si l’on retient notre interprétation des performances textuelles des élèves en fin de séquence par la nature des textes qui leur sont fournis comme ressources (non seulement informationnelles, mais génériques), la question initiale de l’accompagnement de l’utilisation du document numérique doit se doubler d’une autre question : celle de la conception de documents numériques offrant des ressources génériques pertinentes pour des élèves de cet âge.

Par ailleurs, ces conclusions vaudraient également la peine d’être testées dans des situations de travail faisant appel à des documents composites sur papier ; on lit et on écrit peu pour apprendre dans les disciplines, et les manuels composites, par exemple, nécessitent eux aussi, pour être utilisés efficacement par les élèves, un étayage, une initiation aux stratégies d’utilisation, un recours à l’écriture dans le genre de référence et la présence de textes de ce genre pouvant faire ressource.

Notes
  1. (www.oecd.org/pisa/aboutpisa/pisa-en-francais.htm) ↩︎
  2. En cela l’objectif d’apprentissage est sensiblement différent de celui proposé dans les classes étudiées par d’autres chercheurs qui s’intéressent à la lecture de documents et à l’écriture de textes pour apprendre en Histoire avec des élèves de la fin du primaire : ainsi, danscelle de Martínez, Mateos, Martín et Rijlaarsdam (2015), la tâche proposée à des élèves de 6e année est d’écrire un texte de synthèse à partir de documents multiples. ↩︎
  3. http://education.francetv.fr/activite-interactive/napoleon-bonaparte-du-consulat-a-l-empire-o13341. Le site se compose de cinq périodessuccessives (Napoléon Bonaparte : du Consulat à l’Empire, Les masses de granit, Le sacre de Napoléon, L’apogée et le déclin de l’Empire napoléonien, La fin de l’Empire, soit cinq pages-écrans principales, que nous avons numérotées selon cet ordre, et spécifiées en A, B ou C dans les cas où elles se déclinent en plusieurs temps. ↩︎
  4. Pour une analyse détaillée des pratiques des enseignants de ces classes lors de cette séquence, voir Ferone, Richard-Principalli et Crinon (2016). ↩︎
  5. Chaque classe est désignée par une lettre (J, L et R dans la situation 1, C et L dans la situation 2). ↩︎
  6. Il s’agit en effet de tenter de repérer des tendances et non de donner des arguments statistiques que ne permet ni le nombre d’élèves et de classes concernées, ni la situation de recherche qui n’a pas cherché à contrôler la diversité des facteurs présents : en particulier proportion inégale d’élèves bons et faibles dans les deux situations, pas d’évaluation des connaissances antérieures des élèves sur le sujet… ↩︎
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